Sandra Sáenz-López Pérez, Los mapas de los Beatos: La revelación del mundo en la Edad Media
Sandra Sáenz-López Pérez, Los mapas de los Beatos: La revelación del mundo en la Edad Media, Burgos, Siloé, 2014.
Texte intégral
1Le livre de Sandra Sáenz-López Pérez est une version révisée et amplifiée de sa thèse doctorale présentée en 2007 à l’université Complutense de Madrid, sur les mappemondes des manuscrits du commentaire sur l’Apocalypse de Beatus de Liébana. Ces mappemondes sont les exemples les plus importants et spectaculaires de la cartographie du haut Moyen Âge et pour cette raison elles ont déjà été étudiées à partir de la fin du xixe s. Ces recherches se sont concentrées sur la discussion de trois questions controversées : l’apparence de la mappemonde primitive de Beatus, le caractère des sources de cet « archétype » et l’évolution des mappemondes de Beatus dans les différentes éditions et versions postérieures du commentaire de Beatus. Ce n’est que récemment que certains historiens ont commencé à interpréter ces mappemondes comme des reflets de concepts spécifiques du monde mais également d’un contexte historique en transformation.
2Bien que ce livre n’évite pas ces derniers aspects (par ex. à l’égard des influences de la Reconquista sur les mappemondes), il se concentre plutôt sur la discussion des questions traditionnelles. Il débute avec une introduction sur Beatus de Liébana et son commentaire sur l’Apocalypse, suivie par des remarques sur les différentes branches de la tradition des manuscrits de Beatus et leurs mappemondes. La partie principale est dédiée à l’étude systématique des multiples éléments des mappemondes, c’est-à-dire des toponymes des régions, villes, rivières, îles, mers et montagnes ainsi que de leurs formes de représentation. Le livre s’achève par des conclusions générales qui résument les principaux résultats des analyses précédentes, concernant entre autres l’apparence et les sources de l’archétype des mappemondes de Beatus. Quant à la question des sources, l’A. refuse l’opinion de John Williams suivant laquelle le modèle de Beatus aurait été un commentaire illustré de Tyconius avec une mappemonde d’après Orose. Au lieu de cela S. Sáenz-López avance des arguments en faveur de la théorie, déjà proposée par d’autres (par ex. Gonzalo Menéndez-Pidal), selon laquelle la mappemonde originaire de Beatus aurait été influencée par les écrits d’Isidore de Séville et leurs cartes. L’A. argumente en outre que certains toponymes et détails géographiques indiquent une connaissance de la cartographie romaine. En ce qui concerne le caractère de l’archétype des mappemondes de Beatus, il faut noter que les mappemondes conservées sont les meilleurs témoins de la version originaire, et on n'a souvent pas tenu compte du fait qu’on ne peut pas trouver une réponse à cette question hors du contexte de la tradition illustrative et textuelle des manuscrits de Beatus, étant donné que la mappemonde est une partie intégrale de ce commentaire. Elle se trouve dans le prologue au livre II du commentaire (intitulé De Ecclesia et Synagoga) après une section commençant avec un passage sur l’évangélisation des nations du monde par les 12 apôtres. Après ce passage emprunté à De ortu et obitu patrum (Beati Liebanensis tractatus de Apocalipsin, R. Gryson [éd.], Turnhout, Brepols [CCSL 107b], 2012, p. 163, appareil critique), généralement attribué à Isidore de Séville (Isidore de Séville, De ortu et obitu patrum, C. Chaparro Gómez [éd.], Paris, Belles Lettres, 1985, p. 216), suit un autre petit paragraphe (d’une source inconnue) qui donne une interprétation allégorique du no 12 et discute brièvement de l’installation de l’Église chrétienne par la prédication des apôtres et s’achève avec les mots suivants « comme la suivante formule picturale démontre » : subiecta formula picturarum demonstrat (Beati Liebanensis tractatus, p. 164). Des renvois analogues aux images se retrouvent dans le texte d’autres illustrations de Beatus, surtout dans le chapitre suivant, le livre II sur les Sept Églises d’Asie Mineure (voir les exemples donnés par Wilhelm Neuss, Die Apokalypse des hl. Johannes in der altspanischen und altchristlichen Bibel-Illustration, Münster, Aschendorff, 1931, p. 237, n. 1 ; Beati Liebanensis tractatus… [op. cit.], p. 80, 224, 244, 286 [appareil critique]). Ces données imposent deux conclusions : dès l’origine la mappemonde faisait partie du commentaire de Beatus et de plus, contre le scepticisme de certains historiens (par ex. Thomas Deswarte, « Géographie sacrée ou géographie du sacré ? Les mappemondes du Commentaire de Béatus aux xe et xie s. », De l’espace aux territoires. La territorialité des processus sociaux et culturels au Moyen Âge, S. Boissellier [éd.], Turnhout, Brepols [Cultur & société médiévales, 19], 2010, p. 113-131, surtout p. 121), il n’y a pas le moindre doute qu’à l’origine la mappemonde de Beatus servait à illustrer la dispersion des apôtres dans l’œkoumène. Or, dans ce contexte S. Sáenz-López considère à juste titre les mappemondes de la branche I des manuscrits de Beatus comme les témoins les plus fidèles de la version originelle, et cela non seulement parce qu’elles se trouvent dans les manuscrits de la première et seconde édition (778, 784) du temps de Beatus mais aussi parce qu’elles marquent les lieux de la mission respectivement du martyre apostolique par des têtes d’apôtres (ainsi les mappemondes des Beatus d’Osma et de Lisbonne comme celles d’un Codex miscellaneus à Milan et des peintures murales de l’église de San Pedro de Rocas en Galice, qui toutes deux dérivent de la même tradition). En outre, dans bien des cas, les toponymes et les indications géographiques (rivières, îles, golfes) de ces mappemondes sont plus correctes et coïncident avec ceux de la mappemonde du Beatus de Saint-Sever (Paris, BnF, Lat. 8878) qui a combiné les traditions illustratives de la version originelle et posthume des Beatus (branches I et II). Cependant, les mappemondes de l’édition posthume des Beatus, datant du milieu du xe s. (branche II), ont omis les têtes d’apôtres ainsi que certains toponymes et éléments géographiques, correspondant à la corruption textuelle du commentaire de cette édition (voir les remarques respectives de R. Gryson dans sa récente édition du texte de Beatus [op. cit.], p. LI-LV] qui pour cette raison n’indique pas les variantes de la recension posthume). En conséquence S. Sáenz-López a raison en considérant la mappemonde de cette édition postérieure comme une version tardive. Néanmoins, l’A. souligne aussi qu’à part ces omissions mentionnées, cette version ajoute de nouveaux éléments (contour rectangulaire de la carte, remplacement des fleuves du paradis par l’image de la Chute originelle) qui modifient le sens de la mappemonde.
3Avec ses analyses systématiques des divers éléments géographiques, l’A. donne des raisons supplémentaires à son explication convaincante sur l’évolution de la mappemonde des manuscrits de Beatus. Cependant, on est un peu surpris qu’elle passe sous silence une opinion contraire à son explication, une opinion – aujourd’hui partagée par beaucoup d’historiens – qui dérive d’un article important de John Williams (John Williams, « Isidore, Orosius and the Beatus Map », Imago Mundi, 49, 1997, p. 7-32). Dans cet article, l’historien de l’art américain avait révisé son opinion antérieure et proposé que la mappemonde de l’édition posthume dans la version de la branche IIa serait une dérivation directe de l’archétype, tandis que les mappemondes conservées de la branche I (dont les manuscrits suivent la tradition originelle du temps de Beatus) représenteraient un élargissement et une actualisation postérieures. Or, l’importance de l’article de J. Williams réside surtout dans le fait que par la suite il a servi comme point de départ pour une série de travaux sur les mappemondes de Beatus qui sont interprétées – surtout par des historiens – comme l’expression des concepts spécifiques du monde provenant de différents contextes historiques (article de Thomas Deswarte déjà cité, voir en outre Evelyn Edson, Mapping Time and Space: How Medieval Mapmakers Viewed Their World, Londres, British Library [The British Library Studies in Map History, 1], 1997, p. 149-159 ; Brigitte Englisch, Ordo orbis terrae. Die Weltsicht der ‘mappae mundi’ des frühen und hohen Mittelalters, Berlin, Akademie Verlag [Orbis mediaevalis, 3], 2002, p. 170-389, 572-631 ; Ingrid Baumgärtner, « Die Welt im kartographischen Blick. Zur Veränderbarkeit mittelalterlicher Weltkarten am Beispiel der Beatustradition vom 10. Bis 13. Jahrhundert », Der weite Blick des Historikers. Einsichten in Kultur-, Landes- und Stadtgeschichte : Peter Johanek zum 65. Geburtstag, W. Ehbrecht [éd.], Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2002, p. 527-549 ; eadem, « Visualisierte Weltenträume. Tradition und Innovation in den Weltkarten der Beatustradition des 10. Bis 13. Jahrhunderts », Tradition, Innovation, Invention. Fortschrittsverweigerung und Fortschrittsbewußtsein im Mittelalter, H.-J. Schmidt [éd.], Berlin/New York, De Gruyter [Scrinium Friburgense, 18], 2005, p. 231-276). Si la reconstruction de l’évolution des mappemondes de Beatus par S. Sáenz-López – qui correspond à la tradition des manuscrits de Beatus en général – est correcte, ces interprétations historiques et culturelles des mappemondes – souvent assez spéculatives – s’appuient sur des prémices erronées et sont donc plus ou moins futiles. Il est d’autant plus regrettable que ces interprétations ne sont ni mentionnées (à part en bibliographie) ni discutées, ni réfutées par notre auteur, avec le risque que ses théories et résultats puissent être marginalisés par des recherches futures. On regrette aussi qu’elle n’ait pas essayé d’établir de synthèses de ses analyses détaillées quant à la position de certaines mappemondes plus importantes (comme celles du Beatus de Saint-Sever ou du Beatus Morgan).
4Néanmoins, en résumé, les mérites du livre de S. Sáenz-López surpassent largement les quelques déficiences mentionnées. Par ses analyses systématiques et détaillées il dépasse notamment les autres travaux sur ce sujet, en donnant une base solide à une théorie convaincante des sources et de l’évolution des mappemondes de Beatus.
Pour citer cet article
Référence papier
Peter K. Klein, « Sandra Sáenz-López Pérez, Los mapas de los Beatos: La revelación del mundo en la Edad Media », Cahiers de civilisation médiévale, 241 | 2018, 100-102.
Référence électronique
Peter K. Klein, « Sandra Sáenz-López Pérez, Los mapas de los Beatos: La revelación del mundo en la Edad Media », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 241 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5302 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5302
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