John Munns, Cross and Culture in Anglo-Norman England, Theology, Imagery, Devotion
John Munns, Cross and Culture in Anglo-Norman England, Theology, Imagery, Devotion, Martlesham, The Boydell Press (Bristol Studies in Medieval Cultures, 28), 2016.
Texte intégral
1Ce livre étudie la relation entre la pensée religieuse et l’art en Angleterre, du milieu du xie s. au début du xiiie s. Son but est d’établir l’interdépendance de la théologie, de la liturgie, de l’éthique et de l’esthétique (p. 267-268) et pour montrer l’influence de la vie et la pensée d’Anselme de Canterbury, qui « pendant l’époque où il était la personne la plus importante de l’Église en Angleterre » fut pionnier en matière du « développement de la théologie et des transpositions dans la pratique de la dévotion » dont procède « la culture dévotionnelle et liturgique du bas Moyen Âge » (p. 273). L’ouvrage est basé sur une thèse dirigée par Paul Binski et Beth Williamson et a été écrit avec les conseils et l’aide de presque 70 collègues dont les noms sont listés dans la rubrique des remerciements. Des centaines de sources secondaires essentielles sont citées dans le texte et bien plus encore le sont dans les notes. Suite à l’introduction (p. 1 à 12), le livre est divisé en trois parties, les deux premières étant consacrées respectivement à la théologie de la croix pendant la période qui court de 1066 jusqu’en 1170 environ et l’image de la croix et le chemin de croix, de 1170 jusqu’en 1215 environ. La première partie comporte trois chapitres que sont « Saint-Anselme, Affect, et le Site de Salut », « La Croix, la Trinité et le Sacrifice de la Messe » et « l’Acte d’Imitation ». La seconde partie comporte trois chapitres sur « In Ecclesias Media : l’image publique », « Ecce Homo : Liturgie et Exposition » et « Narration et Contemplation dans les enluminures manuscrites ». La troisième partie se compose de deux chapitres : « Pèlerinage et Reliques : proximité avec le sacré » et « Croix, conciles et Croisade », lequel est suivi d’un bref épilogue, d’une chronologie des principaux événements cités dans le texte, trois bibliographies de manuscrits (plus de cent y sont répertoriés), de sources imprimées, d’œuvres secondaires, et d’un index.
2J. Munns s’attache essentiellement à analyser la culture et l’imagination religieuse, en particulier sur les imageries textuelles et visuelles de la croix et de la crucifixion. Il cherche « à modérer une lecture révolutionnaire de l’Histoire » (p. 3) et à montrer l’héritage « transformationnel » d’Anselme, qui préconisait un changement profond dans la pratique dévotionnelle vers une dévotion personnelle, affective et mimétique envers le Christ en croix. L’association de la théologie, de la dévotion et de l’emphase éthique sur la réclusion, le déni de soi et la poursuite de souffrances imitatives est attribuée ici pour une grande partie à l’influence d’Anselme. L’association imaginative avec la crucifixion devient de plus en plus prévalente au xiie s., accompagnée d’une appréciation et d’un intérêt pour l’expérience humaine de la souffrance. La rédemption était analysée en tant qu’incorporation dans le corps physique, moral et social du Christ. La vie dévotionnelle des reclus représente un « engagement sensuel imaginatif » (p. 87) et constitue l’exemple suprême de l’identification consciente avec la passion dans l’Angleterre du xiie s. Aelred de Rievaulx présente notamment une « technique de méditation picturale » (p. 79) qui peut être retrouvée à la fois dans des textes et dans des œuvres d’art.
3Les douze planches colorées et les 61 figures en noir et blanc illustrent nombre de ces développements, surtout dans la description du Christ crucifié et de la croix dont l’A. souligne la puissance protectrice et la diversité de formes et de fonctions. Sa présentation à la manière d’un arbre grandissant – bourgeonnant, en fleurs, vert, dégrossi puis coupé – insiste sur son pouvoir et sa vitalité. La « croix triomphante » ou crucifix était très présente dans la décoration des églises anglo-saxonnes et anglo-normandes, où elle se présentait dans toute une variété de formes et de positions variées. Dans les illustrations de manuscrits, on voit de plus en plus apparaître la naissance et la prime enfance du Christ, ce qui pourrait traduire un intérêt pour la Vierge et l’humanité du Christ, en plus d’un « engagement de plus en plus empathique envers les événements de la Passion » (p. 220). On peut également lire d’intéressantes études – presque des sous-parties du livre – sur l’apparence du Christ, sa coiffure, son pagne et sa couronne, ici interprétée comme signe de sa domination sur la chair et associée au lien toujours plus étroit avec la « souveraineté chrétienne » au xiie s. (p. 163 à 165). Le passage de quatre à trois clous dans les descriptions de la crucifixion (un au lieu de deux dans les pieds croisés) a peut-être été influencé par la tradition anselmienne de dévotion affective, et est peut-être lié aux représentations ultérieures du corps martyrisé du Christ. Il y a aussi des passages sur l’imagerie anti-juive, sur les débats entre Juifs et Chrétiens, la désacralisation de la croix, l’iconographie du Christ et la crucifixion, ainsi que sur l’image de la Sainte Face et l’usage de reliques et d’images.
4La « conception imaginative de l’événement de la crucifixion » est présentée comme partie intrinsèque de la renaissance du xiie s., au moment où le chemin de croix vu par les yeux, l’esprit ou le cœur change et se développe alors que la vie du peuple est rythmée par « cette spiritualité matérielle, mimétique et sacrificielle » (p. 221). Le martyre de Thomas Becket en particulier va donner lieu à un « culte à la fois christique et mimétique » actif qui « apparut à la suite d’un siècle durant lequel les pratiques dévotionnelles affectives et mimétiques avaient été nourries et avaient développé des idéaux propres aux Croisades, et où la théologie des économies sotériologiques et sacramentelles refaisaient régulièrement le point sur la souffrance humaine du Christ sur la croix » (p. 229). Ce qui, dans un second temps, va déclencher un intérêt pour Jérusalem et pour la participation aux croisades. Urbain II en fera usage, contribuant à « définir un regard nouveau sur la compréhension imaginative de la croix » (p. 256, n. 32) et des croisades qui « amalgamaient et amélioraient une partie d’associations symboliques préexistantes » (p. 259). « La représentation imaginative, la mise à disposition liturgique, et la compréhension théologique de la croix continuèrent à être pluralistes, dynamiques et diverses jusqu’au milieu du xiiie s. » (p. 260-261).
5Dans un livre aussi complexe et riche, il y a inévitablement certains points sujets à débat et à désaccord. Les difficultés de datation et de localisation de nombreuses sources révèlent des problèmes de méthodologie. L’A. insiste à plusieurs reprises (p. 110, n. 36, p. 136 et 201) sur le manque de consensus parmi les scientifiques sur les questions de datation, qui souvent conditionnent d’importantes conclusions. Il y a encore plus à redire au sujet des provenances et des influences artistiques. Ce livre a un « point de vue anglais » et se concentre sur la « société et la culture religieuses anglaises » (p. 5) pendant la période anglo-normande, mais à cette époque l’Angleterre n’était pas coupée du reste de l’Europe. Anselme lui-même était originaire d’Italie et passa plusieurs années en Normandie avant de venir en Angleterre. Certaines œuvres d’art citées dans cet ouvrage sont le fruit d’influences scandinaves, écossaises, allemandes du Nord et byzantines (transitant probablement par le sud de l’Italie), mais on trouve très ou trop peu de choses sur les possibles influences de la France (même des régions qui étaient particulièrement liées à l’Angleterre), de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Empire. Le lecteur apprécierait certainement plus de parallèles avec des œuvres continentales. Le vocabulaire est par endroits technique et idiosyncratique et certains passages auraient mérité de plus amples explications, par ex. pour l’analyse d’atonement (« expiation » en français) comme étant littéralement : « at-one-ment » (p. 15) ou « l’art de l’imitatio était aussi, fondamentalement, un art de moderatio » (p. 74), pour Henri II qualifié de « grand roi-acteur » (p. 253) ou « l’hagiographie requiert toujours une herméneutique de suspicion » (p. 256). Il y a également quelques petites erreurs, coquilles et incohérences, telles Herbert de/of Losinga et Conrad von/of Eberbach. Il manque quelques accents (Andre, Academie). « Ascendant » et « adject » dans le passage sur Reginald of Durham devraient s’écrire « ascendunt » et « adjecit » (p. 251, n. 9) et « erros » au lieu de « errores » se trouve dans le titre du livre de Lucas of Tuy (p. 173, n. 119 et p. 286). Cependant, aucune de ces erreurs ne réduisent la valeur et l’intérêt de cet ouvrage savant et original.
Pour citer cet article
Référence papier
Giles Constable, « John Munns, Cross and Culture in Anglo-Norman England, Theology, Imagery, Devotion », Cahiers de civilisation médiévale, 241 | 2018, 94-95.
Référence électronique
Giles Constable, « John Munns, Cross and Culture in Anglo-Norman England, Theology, Imagery, Devotion », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 241 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5288 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5288
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page