Mark Clarke, The Crafte of Lymmyng and the Maner of Steynyng. Middle English Recipes for Painters
Mark Clarke, The Crafte of Lymmyng and the Maner of Steynyng. Middle English Recipes for Painters, Stainers, Scribes, and Illuminators, Oxford, Oxford University Press (Early English Text Society, 347), 2016.
Texte intégral
1« L’enluminure sans peine », « Préparez son pigment à la maison », « Imprimez vos tissus chez vous » ! Ces titres familiers de notre époque où do-it-yourself et tutoriels font partout miroiter la possibilité de tout faire soi-même auraient pu être utilisés par les auteurs anonymes des recettes que nous présente Mark Clarke dans son nouvel ouvrage. En effet, dans l’Angleterre des xive et xve s., les amateurs éclairés souhaitant s’initier à l’écriture et à l’enluminure ou rafraîchir les couleurs de leurs vêtements disposaient de recueils de recettes en langue vernaculaire, la plupart du temps copiés par eux à partir des recettes de professionnels, et que l’A. a la bonne idée de rendre enfin accessibles.
2Professeur associé au département de conservation et de restauration de l’Universidade Nova de Lisbonne, M. Clarke travaille depuis longtemps sur l’histoire médiévale des techniques artistiques. Il a établi en 2001 un répertoire des manuscrits médiévaux contenant les recettes des peintres et des enlumineurs (The Art of All Colours: Mediaeval Recipe Books for Painters and Illuminators, Londres, Archetype, 2001)et il propose aujourd’hui l’édition des textes en moyen anglais en partie tirés de ce corpus (une cinquantaine de références viennent s’ajouter à la liste de 2001) soit 127 collections de textes (dont 97 inédites) pour environ 1 500 recettes individuelles tirées de 90 manuscrits des xive et xve s.
3L’introduction de 117 p. offre une présentation claire et synthétique du contenu des recettes, de leur intérêt historique et de la méthode éditoriale de l’auteur. L’édition des recettes occupe 334 des 454 p. de la seconde partie. Elle est suivie du commentaire détaillé de l’édition et de quelques annexes. L’ouvrage se termine par un glossaire des termes techniques en moyen anglais (p. 413-444), un index des personnes et des lieux, puis l’index des sujets qu’on aurait voulu plus exhaustif (on n’y retrouve pas, par ex., le lapis-lazuli, ou la flore de lys, pourtant cités dans les recettes).
4L’A. rappelle que les premières recettes en langue vernaculaire ne se diffusent véritablement qu’à partir du milieu du xive s., et ce partout en Europe. Les recettes en anglais apparaissent toutefois comme un corpus à part : plus riches en astuces et en conseils, elles sont presque toujours des créations originales en anglais (et non des traductions du latin). Ces recettes fournissent les instructions pour préparer les pigments, les liants, le parchemin, peindre des initiales ornées ou décorer des étoffes, et donnent pour cela tous les conseils techniques, les outils à utiliser et les étapes à respecter. L’enluminure (lymming) et le décor des tissus (steyning) sont les pratiques les plus récurrentes des recettes. Le terme steyning (staining) ne renvoie pas à la technique de la teinture à proprement parler, mais à une méthode de coloration de l’étoffe par application de motifs pénétrant dans le tissu (stain), éventuellement par l’impression de bois gravés. Cette production peu connue de la fin du Moyen Âge (faute de témoins matériels conservés) était pourtant très répandue en Angleterre, notamment pour réaliser les décors éphémères.
5Les recettes peuvent tenir en une seule phrase lapidaire (« Pour faire de l’encre jaune, prends de l’orpiment », p. 286) ou prendre la forme d’un véritable traité, comme l’exceptionnel recueil de l’« Encyclopédiste de Trinity », qui occupe 69 p. de l’édition, et dont le principal témoin est conservé à Cambridge (Trinity College, Ms. O. 9. 39). En dépit de l’absence d’un texte-type, toutes ces recettes partagent une même caractéristique : elles prennent place dans des recueils variés. De fait si l’« Encyclopédiste de Trinity » explique en détail comment préparer des pigments, teindre les peaux ou des vêtements, il enseigne également les meilleures manières pour imiter l’ambre ou le corail, réaliser une bonne gelée de coing, ou faire son savon. Il apparaît ainsi que les recettes qui semblent hors sujet sont en fait partie prenante de ces recueils, qui mélangent allégrement recettes techniques et conseils agricoles, recommandations médicales, astuces culinaires ou formules magiques, comme le montre la description des manuscrits. L’A. ne pouvait éditer toutes les recettes qui sortent de son sujet, mais il fournit le texte intégral du recueil de Trinity College, et il inclut plusieurs textes pour colorer les cheveux, les fils de pêche et la nourriture.
6À l’origine du mélange de genre des recueils se trouve la question des commanditaires et possesseurs des manuscrits, que l’A. traite de manière claire et convaincante, en s’appuyant sur l’analyse codicologique des livres de son corpus. Les manuscrits employés sont le plus souvent de qualité médiocre, écrits principalement sur du papier par des copistes non professionnels et peuvent comporter des erreurs de transcription, en part. pour les termes techniques. Même si les recettes viennent à l’origine d’ateliers professionnels, les manuscrits conservés sont donc quant à eux principalement issus d’un milieu qui ne l’est pas, copiés par et pour des amateurs qui souhaitaient mettre en pratique ces techniques, ou au moins améliorer leur culture générale. M. Clarke parle d’un public de « gentle amateur », bourgeois voire noble (l’« Encyclopédiste de Trinity » s’adresse à un « Sire ») et probablement féru d’héraldique, puisque les noms donnés aux couleurs sont souvent empruntés à ce langage. Les collections de recettes sont donc bien le fruit d’un assemblage aléatoire entre les intérêts personnels des commanditaires et la disponibilité des sources auxquelles ils avaient accès, d’où la difficulté, en dépit de rapprochements ponctuels, d’établir le stemma des textes. La destination domestique des recettes explique aussi une partie de leur sélection. Il s’agit de recettes réalisables chez soi, au moins en théorie, d’où la quasi absence de pratiques plus complexes comme la sculpture, la peinture sur panneau ou la peinture murale (dont on n’a qu’un exemple signalé p. 390). Dans certains cas, des ingrédients anodins ont même été écrits dans un langage crypté, ce qui démontre aussi le caractère ludique de ces recueils. Les textes révèlent quelques expressions de la vie quotidienne pour exprimer les quantités (« une tête d’épingle », « une poignée »), ou les durées (le temps d’un Ave Maria, d’un Miserere, d’un Credo, soit 1, 3 et 5 minutes). On note aussi une recette singulière pour peindre une « touchante carnation » (an incarnacioun pytoufful) » (p. 213, § 25), probablement pour peindre soi-même une image de dévotion (Crucifixion ?), puisqu’il est question de la couleur de la peau et du rouge utilisé pour imiter le sang (p. 213, § 25).
7M. Clarke confirme que la grande majorité de ces recettes sont réalisables, une fois résolues les erreurs de transcription de certaines copies. Toutefois il s’intéresse aussi aux quelques recettes impossibles du recueil. Il explique ainsi comment la confusion entre les mots azure et le nom arabe d’un pigment rouge (uzifur) a dû conduire les copistes à intituler « recette pour faire de l’azur » une préparation qui permet en fait d’obtenir du rouge (p. 404). Il signale aussi quelques encres impossibles voire magiques, comme celle qui permet d’écrire un texte lisible seulement la nuit, et qui a pour ingrédient principal de la poudre de vers luisants (p. 405) !
8En conclusion, on ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage clairement rédigé et efficacement organisé. Les recettes éditées n’apportent pas un témoignage direct sur les pratiques des ateliers, mais reflètent les centres d’intérêt de non professionnels bien renseignés. Le recueil vient enrichir l’histoire des techniques artistiques médiévales de façon spectaculaire (la plupart des textes édités ici sont inédits). De façon plus inattendue, ce livre éclaire aussi l’existence peu connue des commanditaires de recueil de recettes, public d’amateurs férus de savoirs techniques, qu’il est passionnant de découvrir, et au sujet desquels on aimerait en savoir plus au niveau local (classe sociale, réseau personnel ?) mais aussi à l’échelle européenne, même si l’A. laisse entendre qu’il puisse s’agir d’un intérêt amateur typiquement anglais.
Pour citer cet article
Référence papier
Émilie Nadal, « Mark Clarke, The Crafte of Lymmyng and the Maner of Steynyng. Middle English Recipes for Painters », Cahiers de civilisation médiévale, 241 | 2018, 75-76.
Référence électronique
Émilie Nadal, « Mark Clarke, The Crafte of Lymmyng and the Maner of Steynyng. Middle English Recipes for Painters », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 241 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5257
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