Collectif, Sacred Scripture/Sacred Space: the Interlacing of Real Places and Conceptual Spaces in Medieval Art and Architecture
Collectif, Sacred Scripture/Sacred Space: the Interlacing of Real Places and Conceptual Spaces in Medieval Art and Architecture, Tobias Frese, Wilfried E. Keil, Kristina Krüger (éd.), Berlin/Boston, De Gruyter (Materiale Textkulturen, 23), 2019.
Texte intégral
1Le nouveau volume de la collection « Materiale Textkulturen », publiée par le consortium de recherche sur les cultures prétypographiques basé à l’Université d’Heidelberg, regroupe 13 articles qui sont la refonte des communications prononcées lors de deux journées d’étude en novembre 2016 (consacrée à l’écriture dans l’espace sacré) et en mai 2017 (sur les reliques et l’espace graphique). Le volume ainsi rassemblé est précédé d’une riche introduction qui définit à nouveaux frais les liens annoncés par le titre entre le geste graphique et l’espace sacré, en insistant sur leur diversité, sur la variation des échelles, sur la fluidité de la notion de sacralité. Comme c’est le cas pour chacun des volumes de la série, l’introduction prend le soin de définir les concepts en jeu dans l’exploration de cette thématique ; et on ne peut que saluer cette initiative, dans la mesure où l’équipe d’Heidelberg utilise un vocabulaire particulier, précis et efficace pour décrire notamment les phénomènes d’exposition, les hiérarchies graphiques, les différents types de notation par l’écriture (on trouvera l’ensemble de ces définitions dans le premier volume de la série paru en 2015, disponible en libre accès : https://0-www-degruyter-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/view/product/431195). L’introduction fait par ailleurs la liste des enjeux historiques d’une réflexion spatialisée sur la culture écrite, que l’on considère le manuscrit, l’objet, l’image ou l’édifice comme un « lieu ». Signal, bornage, marque ou empreinte, l’écriture produit de l’ordre dans son environnement et propose un itinéraire au regard. Voir l’écriture en son lieu, c’est déjà parcourir le contexte.
2Les 13 contributions, présentées et résumées dans l’introduction, concernent des objets graphiques très différents. On entre dans le recueil d’articles par le livre d’évangiles 51 de la bibliothèque du monastère de Saint-Gall (numérisation accessible en ligne : https://www.e-codices.unifr.ch/en/list/one/csg/0051). Les peintures à pleine page mêlant portraits d’auteur, incipit des évangiles, et compositions d’entrelacs établissent, d’après Tina Bawden, une « topologie » au sein du manuscrit – l’emploi de ce terme, préféré à « topographie », est à relever et aurait mérité discussion sans aucun doute. Ici, c’est la page qui dessine un « lieu » d’écriture dans le livre et les phénomènes graphiques tracent un parcours à l’intérieur du manuscrit. Dans son excellente lecture des peintures du sacramentaire d’Henri II (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 4456), Tobias Frese dilate l’espace intérieur du manuscrit à la reliure dans la composition d’un seul lieu sacré : dans sa forme et dans ses images, le manuscrit contient le tombeau du Christ. L’écriture, dans son interaction avec l’image, transforme le lieu manuscrit en topographie de la Passion, et les scènes de la Crucifixion et de la Résurrection s’incarnent dans le parchemin. La vertu transformatrice de l’écriture, son action dans l’institution du lieu, est un élément à retenir de la lecture de ce volume. On le retrouve d’ailleurs dans l’article d’Elisa Pallottini consacré aux inscriptions de la croix de Borghorst. Une analyse minutieuse des inscriptions placées sur cette croix-reliquaire des environs de 1050 démontre de façon convaincante le fait que l’écriture révèle le contenu de l’objet, fait apparaître à la surface du matériau ce qu’il dissimule, et met en exergue la forme de la croix. En tant que cadre intérieur à l’objet, les inscriptions instituent un « lieu dans le lieu » et invitent à lire le sens de la croix à travers l’écriture.
3On le voit dans ces premières contributions, l’image joue un rôle essentiel à la construction de l’espace sacré, en interaction avec l’écriture. C’est encore plus évident dans l’article de Marcello Angheben consacré à la figure christique dans l’œuvre mosane. Il s’agit ici de voir comment une image donnée, localisée précisément sur un objet, lui-même installé dans l’église sur un autel, agit dans un contexte étendu, celui du lieu sacramentel, en relation avec d’autres objets et les gestes et paroles des rituels. L’espace graphique médiéval est donc un espace connecté, comme l’historiographie sur cette question omniprésente au cours de la dernière décennie l’a établi. Avec les articles réunis ici, l’action de l’écriture dans la constitution de ces réseaux d’espaces est renforcée. Kristina Krüger l’observe à l’échelle de l’église Saint-Michel d’Hildesheim, principalement autour du dossier bien connu des inscriptions rattachées à l’évêque Bernward. La liste qu’en dresse l’a. produit toujours chez l’épigraphiste la même admiration tant les pièces sont riches, diverses et soignées. Leur répartition dans l’espace, proposée par K. Krüger, reste en revanche difficile à interpréter, et on peut s’interroger sur la dimension systémique de ces « réseaux » d’une part, et sur leur sens dans le marquage du bâtiment d’autre part si l’on suit les trois « pas » envisagés par l’a. : la liturgie, la Bible, l’exégèse. La même démarche est présentée avec beaucoup de conviction par Michele Luigi Vescovi dans son analyse d’un autre dossier épigraphique important, certes moins connu, celui de la cathédrale de Salerne. Il démontre que les inscriptions permettent d’articuler l’espace extérieur de l’église et l’espace intérieur du bâtiment d’abord, et l’intérieur de ce qu’il contient ensuite. Les inscriptions suggèrent de la sorte que la cathédrale de Salerne constitue l’enveloppe des corps des saints, dans une structure gigogne qui n’apparaît jamais autant que dans les correspondances formelles du matériau épigraphique. C’est un deuxième point à retenir que cette transversalité des lectures permises par l’inscription qui, par la notion de « présence », gomme souvent les frontières entre intérieur et extérieur, contenant et contenu, visible et invisible.
4En étudiant les inscriptions, bien moins nombreuses cette fois, de Saint-Pierre de Loarre, Stefan Trinks introduit un nouvel effet de l’écriture exposée, celui de la « sacralisation ». Il ne s’agit plus de marquer l’espace, d’en révéler une topographie particulière, mais bien de transformer par l’écriture le statut du lieu. Dans cette transformation, la pratique du chrisme joue un rôle essentiel, et l’a. revient longuement sur l’exemple monumental de Jaca. Par l’usage du monogramme, il propose pour d’autres chrismes des parallèles osés avec les pratiques monétaires et sigillaires pour la création, à l’échelle d’un lieu, d’une aura liée au pouvoir, spirituel ou séculier. La contribution de Wilfried E Keil, consacrée aux chapiteaux du cloître de la collégiale Saint-Ours d’Aoste, revient sur les liens entre écriture et image et proposent une analyse détaillée des dispositifs formels permettant la conjonction de l’un et l’autre. L’a. montre à ce sujet combien l’écriture agit pour la création d’un lieu d’image – les galeries du cloître à Aoste – mais aussi d’un lieu dans l’image, pour la construction de discours visuels d’une grande complexité. Stefano Riccioni se propose quant à lui d’étudier ces dispositifs à l’échelle du seuil dans les édifices romains des xie-xiie s.. Le tympan, le linteau, l’architrave sont souvent le lieu de la mise en œuvre épigraphique et l’inscription marque alors un passage, une différence de statut, de public, de temporalité. Le chancel, l’autel, l’arc triomphal en font de même à l’intérieur du sanctuaire et renforcent le caractère privilégié du lieu qui voit la célébration liturgique. Dans les exemples romains, les inscriptions permettent la promotion des institutions, la glorification des patrons, la célébration des saints, et la qualité paléographique déployée est l’un des arguments esthétiques en faveur de cette propagande visuelle et textuelle.
5Dans son articl- fleuve, Matthias Untermann poursuit cette réflexion sur les espaces liminaires en interrogeant le corpus médiéval des inscriptions de façade sous la forme d’une frise. Les exemples abordés sont très nombreux, dans des formats, des datations et des contenus très variés. On a du mal ici à entrevoir les raisons de l’omniprésence de ce dispositif graphique et il serait intéressant de le mettre en rapport avec les contenus et les contextes. Y a-t-il une raison liturgique, historique, symbolique ou pratique à cet invariant ? On revient à une étude monographique avec l’article de Wolfgang Christian Schneider consacré au programme iconographique et épigraphique des peintures murales dans l’église des Quatre-Saints-Couronnés à Rome. Il mêle les scènes hagiographiques et les épisodes bibliques, et les inscriptions sont omniprésentes, en particulier dans la figuration des prophètes tenant un phylactère. Comme pour les inscriptions de seuil évoquées par S. Riccioni, il s’agit ici de transformer par l’écriture l’espace sacré en lieu de propagande. Le message dépasse le lieu de l’image et s’étend à un contexte plus large. On peut retenir cette troisième remarque générale : le contexte de l’inscription ne s’arrête pas aux frontières de sa lisibilité, et il faut toujours envisager qu’une inscription illisible n’est pas une inscription absente. Le volume se referme avec la très belle contribution de Jessica N. Richardson qui présente les textes et les images des bannières de procession de Bologne au xive s.. Le rapport de l’écriture au lieu n’est plus ici de l’ordre d’un bornage fixe et immuable, mais le résultat d’un déplacement, d’une scansion itérative de l’espace par l’objet. Ajoutons à cela que les inscriptions rapportent souvent sur ces bannières le texte de prières et de formules récitées ou chantées en mouvement par ceux qui les portent ou les suivent. En rassemblant ainsi dans le matériau la voix et son lieu de propagation, l’inscription construit un espace complexe de performance.
6À la lecture de cet ouvrage magnifiquement illustré, le lecteur constate l’excellence des recherches menées à Heidelberg et la capacité du consortium « Materiale Textkulturen » à rassembler le meilleur des études sur la culture écrite médiévale. D’une grande cohérence, Sacred Scripture/Sacred Space est bien plus qu’un volume d’actes de colloque ; il propose un inventaire particulièrement riche des pistes les plus prometteuses à explorer dans l’appréhension du statut et de la fonction de l’écriture exposée au Moyen Âge.
Pour citer cet article
Référence papier
Vincent Debiais, « Collectif, Sacred Scripture/Sacred Space: the Interlacing of Real Places and Conceptual Spaces in Medieval Art and Architecture », Cahiers de civilisation médiévale, 250-251 | 2020, 190-192.
Référence électronique
Vincent Debiais, « Collectif, Sacred Scripture/Sacred Space: the Interlacing of Real Places and Conceptual Spaces in Medieval Art and Architecture », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 250-251 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 20 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5100 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5100
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page