Yésica Ruiz Gallegos, Aproximación al estudio del Juicio Final y del juicio del alma en la Corona de Castilla en la Baja Edad Media
Yésica Ruiz Gallegos, Aproximación al estudio del Juicio Final y del juicio del alma en la Corona de Castilla en la Baja Edad Media, Bilbao, Universidad del País Vasco/ Euskal Herriko Unibertsitatea (Historia Medieval y Moderna, 78), 2018.
Full text
1Issu de la thèse de doctorat soutenue par Yésica Ruiz Gallegos, le volume, portant sur le système judiciaire divin des derniers siècles du Moyen Âge, s’en tient à la Couronne de Castille entre le xiie et xvie s. La question est exposée et analysée dans deux chapitres complexes, lesquels constituent le corps principal de l’ouvrage : le premier est consacré à l’analyse du jugement de l’âme, tandis que le second à l’étude du Jugement dernier. Auparavant, une brève introduction (p. 11-14) place le lecteur face à des objectifs clairs et bien définis, tout en annonçant le caractère interdisciplinaire de l’étude, aspect que ce dernier pourra vérifier tout au long du livre. À travers le témoignage offert par les œuvres littéraires et les manifestations artistiques (sculpture et peinture) sur la justice divine, l’a. cherche à en dépasser le niveau textuel et artistique en vue d’atteindre celui des mentalités.
2Le premier chapitre (« El juicio del alma », p. 15-113) est articulé en cinq sections visant à fournir au lecteur les informations préliminaires nécessaires puis à l’amener à l’analyse détaillée des textes et des images qui présentent le sujet. Les traces laissées par le jugement individuel post mortem sont beaucoup plus rares que celles du Jugement dernier dans la Bible. L’a. offre un aperçu complet des indices bibliques existants, parmi lesquels se distinguent la parabole du riche et du mendiant Lazare et le passage du bon larron crucifié avec le Christ, les deux recueillies dans l’Évangile selon saint Luc; en outre, l’a. mentionne un verset de l’Épître aux Hébreux (9, 27), sur lequel Vicente Ferrer se serait fondé, au xve s., pour la préparation d’un sermon. L’exigüité des nouvelles sur le sujet dans les sources bibliques aurait rendu nécessaire un exercice d’exégèse pendant des siècles, lequel, comme le montre l’a., a aidé à éclaircir ce qui est arrivé à l’âme après la mort jusqu’au jour du Jugement dernier, ainsi qu’à apporter une explication cohérente aux deux jugements dans un seul système judiciaire divin. Dans son exposition, l’a. synthétise l’évolution de la pensée théologique (p. 17-24) sur le jugement post mortem depuis les temps anciens, les textes apocryphes et les Pères de l’Église jusqu’aux derniers siècles du Moyen Âge, quoiqu’en mettant l’accent sur le xiie s. Comme on le sait, ce siècle est particulièrement remarquable pour ce qui est de l’histoire des mentalités, en raison des changements sociaux et culturels qui se sont alors produits ; de plus, le Purgatoire est consolidé en tant que troisième espace de destination pour les âmes qui, n’étant pas tout à fait dignes du paradis, avaient encore la possibilité de se libérer. C’est également à cette période-là que prend davantage de poids la formulation d’un double jugement divin : celui d’un caractère individuel qui ne touche que l’âme après la mort terrestre et le Jugement dernier qui, à une date indéterminée, sera de condition universelle et s’appliquera au corps et à l’âme.
3Sous la section intitulée « El juicio del alma en los textos castellanos » (p. 25-90), l’a. analyse l’incorporation du sujet dans une série de documents littéraires. Cependant, nous soulignerons que cette partie de l’analyse ne se limite pas aux « textes castillans » du point de vue linguistique, puisque son corpus est composé d’ouvrages rédigés en espagnol, latin et galicien-portugais. Chronologiquement comprises entre le xiiie et le xvie s., toutes les œuvres littéraires étudiées sont classables dans la production hagiographique, bien qu’elles répondent à divers genres et modalités discursives (miracles, cantigas, sermons et exempla), ayant été conçues, à des fins différentes, pour diverses sortes de public. Plus précisément, le traitement du jugement de l’âme est observé dans le Liber de miraculis Sancti Isidori de Lucas de Tuy (écrit au xiiie s., en latin), les Milagros de Nuestra Señora de Gonzalo de Berceo et les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X, en galicien-portugais (le thème étant présent dans les cantigas 11, 14, 26 et 45) ; cependant, les trois premiers coïncidant avec des récits déjà étudiés dans l’ouvrage de Gonzalo de Berceo, l’accent est mis sur la cantiga 45. À cet égard, il aurait pu être intéressant de compléter les données textuelles par les renseignements iconographiques du Códice Rico, où les événements miraculeux 11, 14 et 26 sont représentés par six scènes et le 45 par douze, le Lucidario castillan, l’œuvre doctrinale de Vicente Ferrer, plusieurs collections d’exempla en castillan (Exemplos que pertenesçen al Viridario, Especulo de los legos, Libro de los exemplos por A. B. C. et Exemplos muy notables) et les quatre querelles de l’âme et du corps conservées en espagnol, lesquelles s’inscrivent dans un arc temporel allant du xiie au xve s. (Disputa del alma y el cuerpo, la Vision de Filiberto, la Disputa del cuerpo y del ánima et le Tractado del cuerpo e de la ánima d’Anonio López de Meta).
4En plus d’évaluer l’évolution du sujet dans les textes susmentionnés, l’a. attire l’attention du lecteur sur la réapparition fréquente du même schéma narratif, qui peut être résumé en trois étapes : présentation du personnage et ses fautes, procès judiciaire et exécution de la peine (p. 85). Dans la concrétisation d’un tel schéma, plusieurs motifs peuvent apparaître combinés, dont certains ont trouvé écho dans les représentations iconographiques de l’époque, tel qu’en témoignent les chapitres suivants du volume. En outre, des réflexions d’a. concernant les textes relatifs au jugement de l’âme (p. 85-90), nous en mettrons en valeur deux autres aspects: d’une part, la correspondance entre les procès judiciaires divins et humains, au moyen du recours à la terminologie juridique et aux concepts spécifiques de la législation procédurale castillane ; d’autre part, afin de présenter un témoignage vraisemblable de ce qui s’est passé dans l’au-delà, la stratégie narrative peut se fonder sur une vision, le retour temporaire du pécheur lui étant accordée une deuxième opportunité, grâce à l’intercession d’un saint ou de la Vierge, ou sa résurrection.
5L’examen de la représentation iconographique du jugement de l’âme est développé dans la section suivante (« Juicios de almas en el nordeste de la Corona de Castilla a través de la iconografía », p. 91-109), dédiée à quatre reliefs des xiie et xiiie s. dans les églises de l’Assomption de Notre-Dame de Villahernando, de San Martín Obispo à Palacios de Benaver, de Notre-Dame de l’Assomption d’Avellanosa del Páramo, de San Julián et de Santa Basilisa de Rebolledo de la Torre, toutes situées dans la province de Burgos. Elle se penche également sur la peinture murale (fin du xve s.) de l’église romane de Santa María de Valberzoso, à Palencia, caractérisée par l’inclusion d’une représentation de la messe de saint Grégoire. Parmi ces images, le jugement de l’âme est normalement complété par un motif lié à l’art funéraire (comme le lit du défunt, le sépulcre ou les pleureuses), ce qui permet de placer la scène judiciaire immédiatement post mortem ; il est aussi possible d’observer la balance comme l’instrument utilisé pour évaluer les bonnes et les mauvaises actions, ainsi que la présence de l’archange saint Michel en sa qualité de peseur des âmes.
6À la fin du chapitre, les informations fournies par les images et celles obtenues des textes sont mises en rapport, indiquant quelles en sont les principales différences détectées et les points communs dans la représentation du jugement de l’âme (p. 110-113), ce que nous considérons d’une pertinence et d’une utilité particulières. Les textes témoignent ainsi d’une variation majeure de motifs, à l’instar de la lutte entre les anges et les démons pour le contrôle de l’âme, la scène judiciaire pouvant, en outre, intégrer un large éventail de personnages. En revanche, quoique les images et les textes coïncident dans la présentation de la balance comme outil pour juger les bonnes et les mauvaises actions, les narrations exposent d’autres méthodes d’évaluation, notamment l’enregistrement des faits dans les livres. En ce qui concerne le motif de la balance, la comparaison entre textes et images donne également lieu à quelques connexions, telles que le motif de l’intervention du diable pour déséquilibrer le pesage d’une âme en sa faveur (p. 112).
7Quant au second chapitre, il est intitulé « El Juicio Final » (p. 115-209). Renforcé par une importante tradition biblique, iconographique et textuelle, ce type de jugement divin a connu une plus grande stabilité et prépondérance au fil des siècles. Bien que plusieurs références se trouvent dans l’Ancien Testament, les principales sources à ce sujet font partie du Nouveau Testament, notamment l’Évangile selon Matthieu et l’Apocalypse, auxquels s’ajoutent d’autres textes (sermons, poèmes, tropes, etc.) de nature prophétique sur la fin des temps et les signes prémonitoires, qui auraient circulé tout au long du Moyen Âge. Afin d’évaluer comment ce sujet est présenté et traité dans la Couronne de Castille, l’a. examine, tout d’abord, une série de textes des derniers siècles du Moyen Âge puis un ensemble d’œuvres sculpturales et picturales. Parmi les témoignages littéraires analysés (p. 120-141), l’ouvrage de Gonzalo de Berceo, intitulé Los signos del Juicio Final, se caractérise par le fait qu’il constitue le premier en castillan entièrement dédié au Jugement dernier, offrant une description des quinze signes qui le précèdent. Selon l’a., le moine aurait l’intention, à travers la narration de tels faits, surnaturels et terrifiants, d’émouvoir son auditoire ; il est également significatif qu’il ait essayé d’inculquer l’espoir dans le salut de l’âme et le bonheur éternel promis aux bonnes âmes (p. 124). Ayant déjà fait l’objet d’un commentaire par rapport au jugement de l’âme, la collection des Cantigas de Santa Maria est également étudiée dans ce chapitre. Il convient de souligner, en l’occurrence, que les deux compositions qui incorporent le motif (celles identifiées comme 421 et 422) correspondent aux dernières pièces d’un cycle de douze destiné à célébrer les fêtes de la Vierge ; la cantiga 421, dont la structure est singulière et capricieuse, est un appel à l’intercession de Marie afin que Dieu montre sa miséricorde le jour du Jugement dernier. Quant à la 422, elle fait référence aux événements qui auront lieu le jour du Jugement, en faisant allusion à certains de ses signes. Cette dernière composition fait ressortir la condition de Marie en tant que Mère de Dieu et sa capacité à plaider en faveur de l’humanité, non seulement parce que le refrain reprend ce message de strophe en strophe (« Madre de Deus, ora/por nos teu Fill’ essa ora »), mais aussi en raison d’autres allusions à la maternité et à sa fonction de médiation. De la même manière, la dernière strophe prend fin sur une note d’espoir : que cette intercession conduise au paradis, où régneront toujours la joie et le rire. Pour ce qui est du Lucidario castillan, datant de la fin du xiiie s., il est fondé sur une stratégie de questions et réponses entre un maître et son disciple; essayant de combiner la doctrine religieuse avec des principes scientifiques, cet ouvrage contient nombre de renseignements sur les signes prémonitoires et la résurrection. Les autres œuvres littéraires examinées sont ultérieures (xive et xve s.) : le Libro de miseria d’omne, le Viridario, l’Espéculo de los legos, l’Exemplo de las ovejas con el lobo – contenu dans le Libro de los gatos – et un cycle intéressant de huit sermons de Vicente Ferrer.
8Ensuite, dans une section consacrée à la présence du Jugement dernier dans l’art (« La representación del Juicio Final en la Baja Edad Media », p. 141-206), l’a. commence par exposer au lecteur les sources et les motifs iconographiques et textuels qui nourrissent les représentations artistiques du Jugement dernier à la fin de la période médiévale (p. 141-156). Ils sont présentés, dans l’iconographie romane, comme des anges jouant de la trompette, la parabole de Lazare et du riche Epulon, et celle des vierges sages et des vierges folles, qui est évoquée dans certaines des œuvres analysées (p. 146). Sont également examinés d’autres éléments qui ont pu apparaître dans la scène du Jugement dernier, tels que les intercesseurs de l’humanité (sainte Marie et saint Jean), les conseillers du Christ (les apôtres, les saints martyrs et les vingt-quatre anciens de l’apocalypse), la résurrection des morts et la classification des âmes.
9L’ensemble artistique étudié appartient aux diocèses de Calahorra, de La Calzada et de Burgos. Parmi les œuvres sculpturales, les deux images les plus anciennes se trouvent dans la région de La Rioja, aussi bien l’une que l’autre faisant allusion à la seconde venue du Christ, au moyen de la parabole des vierges sages. Il s’agit, plus précisément, du sépulcre de Blanche de Navarre, qui se trouve dans l’église du monastère de Santa María la Real de Nájera, par rapport auquel l’a. surligne l’existence d’autres éléments qui auraient été utilisés pour mettre l’accent sur la maternité et le mariage comme propriétés de la défunte, et l’un des chapiteaux de la cathédrale de Santo Domingo de la Calzada. Le motif des vierges est également situé et observé, avec celui de la résurrection des morts, dans l’église de Santa María de Elexalde de Galdakao, en Biscaye. D’autres représentations sont aussi examinées dans ce chapitre : le sépulcre de l’église collégiale de San Martín de Elines, en Cantabrie, dans laquelle se trouvent plusieurs anges, l’un d’entre eux portant une trompette et un autre un encensoir, selon l’a. Deux autres œuvres sculpturales correspondent à des représentations exceptionnelles : sur la Coronería de la cathédrale de Burgos, où il est possible d’admirer l’ensemble des motifs occidentaux du Jugement dernier, ainsi que dans l’ancienne cathédrale de Santa María de Victoria (Álava), influencée par la précédente. Cette section est complétée par l’analyse d’une sculpture en albâtre, de la seconde moitié du xve s., conservée au Musée diocésain d’art sacré de Bilbao. Quant aux œuvres picturales, l’a. étudie les peintures murales de Santa María la Real de Vileña (Burgos) et de l’église de San Juan Bautista de Matamorisca (Palencia); une peinture située dans l’église de San Nicolás de Bari (Burgos), le retable perdu de la paroisse de Santa María de Luzuriaga (Álava) et les peintures du sanctuaire de Notre-Dame de l’Encina (Álava).
10À la fin du chapitre, de la même manière que dans le précédent, l’a. offre une évaluation générale de la représentation du Jugement dernier dans les œuvres littéraires et artistiques (p. 207-209), fournissant, par là, une synthèse très utile des coïncidences et des différences les plus remarquables détectées parmi les témoignages : ainsi, les signaux qui précèdent le jour du Jugement dernier ont été abordés dans le domaine littéraire, mais il n’en est pas allé de même dans celui de l’art, peut-être, selon l’a., à cause de la difficulté à représenter synthétiquement les quinze signes annonciateurs.
11À la fin du volume, l’a. expose au lecteur, dans un dernier chapitre de conclusions (p. 211-223), une excellente synthèse de l’essence de son travail. En parcourant d’une manière panoramique l’exposition analytique présentée dans les chapitres précédents, elle rappelle les résultats les plus pertinents qu’elle a obtenus à partir des témoignages littéraires et artistiques, tant sur le jugement de l’âme que sur le Jugement dernier, ce qui lui permet de formuler, de manière claire et concise, les conclusions générales et finales de son étude. Dans ce sens, l’a. met l’accent sur la conception anthropomorphique des procès judiciaires divins et sur l’indifférence de la classe sociale pour l’administration de la justice divine. Elle fait également ressortir l’utilisation fréquente d’une scène qui inspire la terreur pour éloigner les fidèles du péché, et la possibilité d’une autre perspective, positive, basée sur l’espoir du salut de l’âme et la joie éternelle au Paradis (p. 222-223).
12Le volume se termine par un appareil bibliographique (p. 225-261), organisé en sources et études, grâce auquel apparaît, en toute clarté, l’essence interdisciplinaire du travail. Enfin, le volume est doté d’un catalogue iconographique (p. 263-319), composé par une série d’images servant de support visuel à des explications sur le sujet traité dans le domaine de la sculpture et de la peinture. Concernant la reproduction du matériel analysé, certains fragments sont reproduits dans le domaine littéraire ; à cet égard, une incorporation plus fréquente de passages sélectionnés – avec lesquels en illustrer ou compléter l’analyse – aurait peut-être été positive pour tout type de lecteurs, encore que l’explication sur les témoignages littéraires ait toujours été approfondie.
13On pourrait regretter la limitation géographique de l’ensemble artistique examiné (justifiée par l’a. à la p. 13), puisque l’inclusion de plus de témoignages aurait peut-être permis une vision plus globale sur la mentalité du jugement divin à la fin du Moyen Âge dans la Couronne de Castille. Néanmoins, l’ouvrage, dont la condition est véritablement interdisciplinaire, suppose une contribution remarquable aux domaines littéraire et artistique, offrant nombre de détails consistants sur le jugement de l’âme et le Jugement dernier, lesquels pourront être utiles aux spécialistes desdites disciplines. Rédigé clairement et bien structuré, le livre présente un équilibre d’exposition qui le rend facilement accessible à toute sorte de publics intéressés par un sujet qui a suscité inquiétude et réflexion depuis le début du christianisme et dont l’évolution a laissé, au fil des siècles, de multiples traces dans les textes et images.
References
Bibliographical reference
Déborah González Martínez, “Yésica Ruiz Gallegos, Aproximación al estudio del Juicio Final y del juicio del alma en la Corona de Castilla en la Baja Edad Media”, Cahiers de civilisation médiévale, 250-251 | 2020, 187-190.
Electronic reference
Déborah González Martínez, “Yésica Ruiz Gallegos, Aproximación al estudio del Juicio Final y del juicio del alma en la Corona de Castilla en la Baja Edad Media”, Cahiers de civilisation médiévale [Online], 250-251 | 2020, Online since 01 September 2020, connection on 12 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5097; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5097
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