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Comptes rendus

Alois Wolf, Minne-Frouwe-Chevalier. Volkssprachliche Literatur des Hochmittelalters als Experiment

Karin Ueltschi
p. 208-210
Référence(s) :

Alois Wolf, Minne-Frouwe-Chevalier. Volkssprachliche Literatur des Hochmittelalters als Experiment, Vienne, Verlag der österreichischen Akademie der Wissenschaften (Sitzungsberichte der philosophisch-historischen Klasse, 883), 2017.

Texte intégral

1« Amour, Dames, chevaliers : la littérature vernaculaire du haut Moyen Âge comme expérimentation », voilà comment on pourrait traduire le titre de cet ouvrage qui se veut une réflexion d’ensemble sur la littérature médiévale européenne tout en interrogeant les méthodes à l’œuvre dans la pratique de l’histoire littéraire ; trop souvent, les études pèchent par un cloisonnement outrancier (genres, époques, langues et pays) et de ce fait restent incomplètes voire partiales. L’A. de ce petit ouvrage, entre essai et manuel, nous propose donc ces « exercices d’assouplissement » en vue de reconsidérer certaines approches de cette matière par la critique.

2Le chapitre introductif pose les enjeux en montrant que la thématique amoureuse doit être considérée comme le pivot des évolutions littéraires et esthétiques en ce tournant du xiie au xiiie s. ; le terme « renaissance » souvent employé à ce sujet devrait être remplacé par celui de « naissance » car les auteurs, radicalement, « font du neuf » et le revendiquent, à l’exemple de Chrétien de Troyes qui propose une molt bele conjointure, jamais vue ni entendue jusqu’alors. Avant lui, Guillaume IX annonçait déjà que farai chansonette nueva, et Wolfram von Eschenbach leur emboîte le pas en proposant ses maere niuwen. Cette volonté, cette conscience d’innover s’observe de manière privilégiée autour de la thématique courtoise dont le cœur est Eros/Amor. Si l’on fait parfois du xiie s. une aetas ovidiana – l’Ovide des Amours –, sa particularité est que désormais, un clericus, érigé au-dessus du miles, se fait le chantre et le défenseur de l’amour tandis qu’émerge une nouvelle image de la domina dans ce nouvel espace littéraire propre aux langues vernaculaires. Cela ne va pas de soi. On aurait en effet pu s’attendre plutôt au développement de la littérature religieuse, la multiplication des chansons de geste ou encore l’exploitation systématique de la matière antique ; avec l’introduction de la fin’amor, « l’inimaginable devint réalité littéraire ». La suite de l’ouvrage explore les différentes manifestations de la mise en littérature de ce nouveau matériau.

3L’examen de la lyrique des troubadours provençaux ouvre ainsi le deuxième chapitre. Nouveauté absolue en effet, elle semble surgir à partir de rien en l’espace de très peu de temps, arborant un Éros qui ne doit rien à Ovide et qui se positionne face à une Haute Dame. La société aristocratique devait sans doute être prête à recevoir cette représentation qu’elle avait elle-même inspirée. A. Wolf choisit ensuite deux autres et illustres représentants de la lyrique occitane, Guillaume IX et Bernard de Ventadour, en soulignant l’apport original de chacun.

4Le troisième chapitre est consacré à la lyrique courtoise allemande (Minnelyrik) et son premier représentant, Heinrich von Morungen dont l’œuvre est loin d’être une simple copie de la lyrique des troubadours. C’est un poète génial à l’univers poétique est exigeant : c’est un témoin authentique et original de ce que la culture médiévale est collective. L’A. propose et analyse plusieurs exemples avant de passer à Walther von der Vogelweide et Reinmar. Des explications de texte tiennent une grande place dans ce chapitre.

5Le quatrième chapitre porte sur Chrétien de Troyes et commence par l’analyse, dans l’axe thématique de l’ouvrage, d’Erec et Enide, analyse suivie par une digression consacrée à la teinture courtoise qui apparaît progressivement dans des textes religieux et les paraphrases du Cantique des Cantiques ; là encore, plusieurs exemples étayent l’argumentation, démontrant l’impact de l’inspiration courtoise au-delà des frontières génériques habituelles. Puis, les autres œuvres de Chrétien sont analysées à leur tour dans cette perspective.

6Un cinquième chapitre est consacré à la littérature narrative allemande. Est rappelé une nouvelle fois que la littérature vernaculaire naissante (chanson de geste, hagiographie) ne mettait nullement en avant les thématiques amoureuses. Mais leur potentiel érotique mis en évidence par les troubadours avait vite fait de contaminer les premiers récits, la matière tristanienne en premier lieu ; la version de Gottfried de Strasbourg retient l’attention de l’A. car elle montre la diversification progressive des figures d’Éros notamment à travers l’invention du philtre d’amour. Une nouvelle digression, en contrepoids, est ménagée dans ce chapitre ; elle porte sur le Perceval de Chrétien (qui sera confronté au Parzifal de Wolfram dans un deuxième temps), dans lequel précisément l’amour ne joue pas de rôle central ; au contraire, la pensée religieuse prédominante au Moyen Âge réinvestit ici la matière romanesque et narrative. Le chapitre se termine sur le Nieblungenlied qui incarne de manière exemplaire ces « ingrédients médiévaux » originaux communs et dont la critique a sans doute trop longtemps accentué la prédominance de la dimension germanique alors qu’il s’agit d’une œuvre entièrement tributaire – et caractéristique – du contexte culturel européen. En effet, le poète a réussi à la fois à mettre en valeur une matière narrative locale et à exploiter les grands courants et motifs littéraires de son époque. Ainsi, la mort de Roland et celle de Siegfried présentent-elles de grandes similitudes, tandis que l’amour, les femmes et les chevaliers sont au centre de l’œuvre et de l’attention du poète qui s’évertue de les peindre avec réalisme.

7Ce petit ouvrage offre un regard rafraîchissant sur une matière largement exploitée par la critique, en mettant en avant la radicale originalité de la littérature médiévale et la fécondité innovante de la thématique amoureuse. Il offre une mise en perspective nouvelle du contexte de son émergence, le tout appuyé sur des lectures et analyses précises, fines et personnelles. La notion clef du titre, difficile à rendre en français – à la fois expérience, expérimentation et innovation – invite le lecteur à envisager la production médiévale dans une réelle dynamique créatrice, loin de l’image du poète isolé dont un talent supérieur expliquerait le génie et le sen sous-jacents de son œuvre. Il montre aussi et surtout combien une longue fréquentation critique et érudite d’une matière donnée peut figer notre jugement en des structures et catégories que nous devrions être capables de mettre plus souvent en cause en revenant à des questions simples et naïves (au sens originel du terme).

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Pour citer cet article

Référence papier

Karin Ueltschi, « Alois Wolf, Minne-Frouwe-Chevalier. Volkssprachliche Literatur des Hochmittelalters als Experiment »Cahiers de civilisation médiévale, 242 | 2018, 208-210.

Référence électronique

Karin Ueltschi, « Alois Wolf, Minne-Frouwe-Chevalier. Volkssprachliche Literatur des Hochmittelalters als Experiment »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 242 | 2018, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/4922 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.4922

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Auteur

Karin Ueltschi

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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