Iván Curto Adrados, Los vikingos y sus expediciones a la Península Ibérica
Iván Curto Adrados, Los vikingos y sus expediciones a la Península Ibérica, Madrid, Ediciones de la Ergastula (Sine Qua Non. Monografías de Historia Medieval, 2), 2017.
Texte intégral
1Le livre d’Iván Curto Adrados aborde un sujet finalement assez peu étudié par la communauté universitaire, même si, comme l’a. le rappelle (p. 105), de nombreux amateurs ont étudié les expéditions scandinaves dans la péninsule Ibérique depuis maintenant un siècle. Bien que nulle trace archéologique n’apporte d’éclairage sur les quelques raids mentionnés par les chroniques chrétiennes ou andalouses, le champ d’investigation est riche pour quiconque s’attaque à cet angle mort de l’historiographie sur les vikings. Cependant, le livre se présente comme une synthèse sur la question plus que comme un ouvrage novateur.
2Cet aspect de synthèse est très clair dans la première partie de l’ouvrage, qui se veut une introduction rapide, mais sérieuse, sur les vikings. L’a. prend soin de renvoyer constamment à des ouvrages faisant autorité et présente brièvement la bibliographie générale sur le sujet (p. 25-26). Son ampleur restreinte – environ 80 courtes pages divisées en 13 chapitres ! – et la volonté de l’a. de traiter de tous les aspects du phénomène, donnent au lecteur l’impression d’avoir de brefs aperçus du monde viking plutôt que de lire une synthèse à son sujet. En dehors des novices absolus en la matière, les amateurs éclairés ou les étudiants de licence liront donc avec plus de profits les ouvrages d’E. Roesdahl ou d’A. Winroth (ce dernier traduit en français), qui présentent des sommes bien plus abouties.
3Si cette première partie est sérieuse à défaut d’être novatrice et complète, on regrettera certains choix. La relative pauvreté des sources écrites concernant les vikings et leur dispersion géographique et linguistique ne justifient pas de considérer que leur étude est « una de las más complicadas que existen » (p. 21) au niveau méthodologique, d’autant que, comme le rappelle l’a. p. 24, toutes les principales sources à leur sujet sont éditées. Il est aussi dommage que la carte p. 29 contienne les frontières politiques modernes des pays scandinaves, alors que celle-ci n’ont guère de sens à l’époque viking et qu’il existe de nombreuses cartes tout à fait satisfaisantes de la Scandinavie des viiie-xie s. Le chapitre qu’accompagne cette carte et le suivant font d’ailleurs une distinction trop claire entre les Danois, Suédois et Norvégiens, donnant à notre avis dans un certain déterminisme anachronique (notamment p. 33-34). Enfin, nous aurions aimé que l’a. distingue mieux la mythologie païenne des croyances effectives des vikings : le dieu Heimdall, qui n’est sans doute qu’une entité mythologique, est évoqué aussi longuement que Thor, dont l’archéologie prouve pourtant constamment la popularité (p. 91-93). Dans cette première partie, notons toutefois le soin qu’a pris l’a. de citer constamment des sources anciennes. Le choix de celles-ci est parfois original, comme lorsqu’il présente « el vikingo a ojos de sus enemigos » (chap. 14) à l’aide de textes musulmans ou byzantins, qui présentent les hommes du Nord de manière élogieuse.
4La seconde partie du livre, expressément consacrée à la présentation des expéditions viking dans la péninsule Ibérique, est bien plus intéressante pour les médiévistes avertis. L’a. commence par présenter, très brièvement mais de manière claire (p. 103-107), les sources éditées ainsi que la bibliographie sur le sujet, qui est trop souvent ignorée par les historiens d’outre-Pyrénées, sans doute car rédigée en espagnol, langue qui n’est que peu pratiquée par les spécialistes du monde scandinave. S’ensuit un chapitre sur la première expédition viking, celle de 844 (p. 109-121), assez détaillé, dont la structure se répète pour les autres expéditions : l’a. présente d’abord en quelques courts paragraphes la situation dans la péninsule avant de suivre chronologiquement le déroulement l’expédition, puis il tente d’identifier les chefs scandinaves qui la menaient, avant d’en peser les conséquences. Le chapitre suivant (p. 123-128), présente les deux récits de voyages d’Andalous chez les vikings. L’a. s’attarde surtout sur celui d’Al-Gazal au ixe s., alors même que l’historicité de celui-ci est très contestée, comme il le reconnaît d’ailleurs. Les arguments qu’il reprend à un article El-Hajji pour suggérer que l’ambassade a bien eu lieu et que son récit n’est pas fait que de pures conventions littéraires ne convainquent guère. On aurait aimé en revanche qu’il présente plus en détail le voyage d’Al-Turtusi à Hedeby au xe s., dont l’historicité est indiscutable. Le chap. 18 (p. 129-140), consacré à l’expédition de 858-861 qui ne fit que passer en Espagne avant d’aller piller les côtes du Maghreb et de l’Italie, est bien plus convaincant. C’est cependant lorsqu’il aborde les pillages du milieu du xe s. en Galice (p. 141-151) que l’a. est le plus convaincant. Il maîtrise visiblement son sujet et n’hésite pas à présenter des hypothèses personnelles solides. Le chapitre sur l’expédition viking de 1015/1016 montre l’intéressant dossier d’un hypothétique passage de saint Olaf dans la péninsule avant sa conversion, mais l’a., après avoir pesé le pour et le contre de l’attribution à ce personnage de l’expédition connue par les sources, ne tranche pas vraiment en faveur d’une solution. Après avoir présenté rapidement le possible parcours d’un dernier chef viking (Ulfr) actif en Galice au milieu du xie s. (p. 161-164), l’a. passe à la conclusion. Celle-ci est de bonne facture, et livre des réflexions générales sur l’ampleur et la raison des incursions scandinaves en péninsule Ibérique. On regrette que celles-ci se soient cantonnées à une si courte conclusion, où elles sont plus évoquées que discutées.
5Malgré un ton clair et un récit intéressant, cette seconde partie déçoit là encore l’historien confirmé par son manque d’analyse en profondeur de certains des épisodes évoqués. Certes, la collection imposait sans doute un nombre restreint de pages, mais l’ouvrage aurait clairement gagné en intérêt s’il s’était uniquement concentré sur les expéditions ibériques des vikings et sur les éléments permettant leur compréhension immédiate. Il était peut-être nécessaire d’évoquer les armes et les bateaux des vikings dans une première partie, mais l’espace dévolu à présenter leurs vêtements, leur art ou les dieux païens aurait été plus habilement utilisé si l’a. avait plutôt, par exemple, replacé les raids qu’il évoque dans une chronologie plus générale des attaques vikings, notamment en Gascogne.
6Le principal reproche méthodologique que l’on puisse faire à l’a. est de manquer, dans certaines occasions, de recul vis-à-vis de l’historicité des textes qu’il utilise. Présenter l’attitude des vikings face à la mort (p. 89-90) en utilisant des histoires légendaires, de Ragnar Loðbrók aux vikings de Jómsborg, est douteux. Imaginons un instant un historien de Rome qui fasse de même pour les anciens Romains à l’aide de l’Énéide et de l’histoire Mucius Scaevola.… L’a., qui doute (à raison !) de l’historicité des histoires de Snorri Sturluson ou de Guillaume de Jumièges concernant saint Olaf (p. 157), considère cependant que le De Moribus de Dudon de Saint-Quentin est « Quizá ficción idealizada, pero no vacía de contenido » (p. 56), et l’utilise pour parler du rapport des vikings à la liberté, ou pour évoquer l’attaque d’Hasting sur Luna (p. 136). Dudon s’inspire pourtant au moins autant de l’Énéide que d’éventuelles mémoires historiques de l’action des vikings pour faire agir les personnages de son texte, et l’épisode du sac de Luna doit autant à la légende qu’à l’histoire. On retrouve ce manque de recul dans la manière dont l’a. traite les chiffres qui sont donnés par les chroniques concernant les diverses expéditions vikings. Bien qu’il reconnaisse que certains spécialistes jugent ces estimations fantaisistes, il ajoute (p. 72-73) : « Sin embargo, la mención de flotas vikingas formadas por un centenar de embarcaciones se reproduce en crónicas separadas por miles de kilómetros, lo que viene a desmentir que los cronistas dramatizaran. » C’est à notre avis bien mal connaître le rapport général des chroniqueurs au nombre de soldats mentionnés dans leurs œuvres. Qu’un chiffre comme 100 se retrouve partout en Occident à cette époque montre surtout sa forte valeur symbolique plus qu’une quelconque adéquation à la réalité. On se demande bien d’ailleurs d’après quelles sources les chroniqueurs, très souvent mal informés et laconiques sur les hommes du Nord, auraient pu connaître le nombre de bateaux d’une de leurs expéditions autrement qu’en l’estimant à l’aide de nombres imaginaires ? Quand bien même un chroniqueur aurait eu une source fiable, quelle garantie possède l’a. vis-à-vis des copistes, qui modifiaient bien souvent, de manière volontaire ou non, les chiffres originels ? On considérera donc comme vaines les tentatives de l’a. (p. 118-119 et 144), d’estimer le nombre de vikings participant à diverses expéditions. Ces estimations varient d’ailleurs elles-mêmes du simple au double, les spécialistes n’étant de toute façon pas d’accord quant au nombre de guerriers qui pouvaient tenir sur un bateau !
7En somme, ce livre est une bonne introduction pour l’historien amateur, curieux à l’idée d’explorer un domaine mal connu en France. Mais le spécialiste passera son chemin face à un récit trop souvent sommaire ou tout au plus utilisera les références bibliographiques très présentes pour de plus amples recherches.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Courroux, « Iván Curto Adrados, Los vikingos y sus expediciones a la Península Ibérica », Cahiers de civilisation médiévale, 243 | 2018, 296-297.
Référence électronique
Pierre Courroux, « Iván Curto Adrados, Los vikingos y sus expediciones a la Península Ibérica », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 243 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/4728 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.4728
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