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Comptes rendus

Charity Urbanski, Writing History for the King. Henry II and the Politics of Vernacular Historiography

Pierre Courroux
p. 431-432
Référence(s) :

Charity Urbanski, Writing History for the King. Henry II and the Politics of Vernacular Historiography, Ithaque / Londres, Cornell University Press, 2013.

Texte intégral

1L’historiographie à la cour d’Henri II est au cœur de l’attention des médiévistes depuis un demi-siècle ; Martin Aurell, Jean Blacker, Amaury Chauou, Peter Damian-Grint, Jean-Guy Gouttebroze, Françoise Laurent, Laurence Mathey-Maille et d’autres ont écrit sur ce thème, qu’il semble difficile de renouveler. C’est pourtant le pari du livre de Charity Urbanski, qui se concentre sur deux œuvres : le Rou de Wace et la Chronique des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure. À l’image de ses prédécesseurs, l’a. entend lire ces histoires non pour leur récit factuel du passé, mais dans la mesure où « These histories and their distortions are valuable for what they reveal about contemporary political culture. Far from being neutral and objective records, historical narratives are by their very nature partial and constructed representations of the past. » Ce qui l’intéresse est donc « how Wace and Benoît used their sources, how they consciously manipulated, contradicted, inserted, eliminated, or obscured information to reshape the meaning of the past. » (citations, p. 5-6). Démarche louable, mais déjà utilisée par bien des études sur le sujet. Le pari risqué de renouveler le sujet est dans l’ensemble réussi. En plus d’une synthèse agréable et accessible aux non-spécialistes, l’a. apporte une contribution non négligeable à la compréhension de l’historiographie du xiie s., par la mise en relation systématique des enjeux du règne d’Henri II et du contenu des deux histoires étudiées.

2Dans une première partie convaincante, l’a. rappelle que l’emploi du vers n’était en rien opposé à l’écriture historique au xiie s. ; elle insiste aussi sur le fait que Benoît et Wace étaient, aux yeux de leurs contemporains, des écrivains d’estores, bien différenciées des fables diverses (p. 10-23). Par la suite, elle revient sur les origines de l’historiographie vernaculaire anglo-normande, en insistant notamment sur la spécificité d’une double conquête (Guillaume le Conquérant répétant l’acte de Rollon) qui, à une époque où tout ordre se fonde sur le passé, cherche dans l’histoire une justification (p. 27 et suiv.).

3Le deuxième chapitre offre « a critical reassessment of the nature of Henry’s power and demonstrate that his decision to commission a vernacular history of Norman ancestors was motivated by a pressing need to project royal authority and establish dynastic stability. » (p. 40). Remontant au règne d’Henri Ier (p. 41 et suiv.), l’a. met habilement en lumière la relative fragilité de la position dont hérite Henri II au début de son règne, lui, fils d’un ennemi héréditaire des Normands et d’une mère mal appréciée des barons anglo-normands. Souvent vue comme la fin des troubles, comme le début d’une ère de calme, d’un pouvoir incontesté, l’année 1154 est ici envisagée comme le début d’une longue joute entre Henri II et une noblesse turbulente et réticente, pour l’affirmation difficile d’une dynastie et du pouvoir royal. Le chapitre se termine sur l’attention avec laquelle Henri cultiva la mémoire dynastique, par divers moyens ; dont, bien sûr, l’historiographie (p. 71 et suiv.).

4L’a. passe ensuite à l’étude détaillée du Rou de Wace, de la conquête de l’Angleterre à la fin du livre, partie la plus utile à son propos, puisqu’elle entend cerner les opinions du chroniqueur sur la politique contemporaine, notamment celle d’Henri Ier. Elle montre clairement que Wace questionne plus qu’il ne renforce la légitimité de la dynastie normande en Angleterre, sans doute en raison de ses liens personnels et familiaux avec les proches de Robert Courteheuse, qu’Henri Ier priva de ses droits, mais aussi peut-être dans l’idée de détourner le roi Henri II des exemples d’Henri Ier et de Guillaume le Conquérant, trop autocratiques à son goût. Elle suggère aussi de manière convaincante que la fin du Rou, immédiatement après Tinchebray en 1106, ne serait pas due à un manque de temps ou une lassitude, mais à la décision d’un auteur vexé par son renvoi en 1174, qui aurait volontairement raccourci sa chronique pour la terminer sur cet épisode peu flatteur envers Henri Ier, grand-père d’Henri II (p. 142 et suiv.).

5Le dernier chapitre du livre s’intéresse à Benoît de Sainte-Maure, en s’intéressant à l’histoire allant de la conquête de l’Angleterre à 1135. La comparaison avec l’œuvre de Wace lui permet de souligner le providentialisme de Benoît, déjà souligné par de nombreux commentateurs ; mais elle voit surtout dans Benoît le thuriféraire d’Henri II, l’historien répondant aux attentes de la commande, écrivant une histoire qui permette de légitimer ses positions, en louant ses ancêtres sans réserves. Elle suggère enfin que si Benoît n’a pas parlé du règne d’Étienne, c’est par choix, pour ne pas traiter du règne d’un usurpateur arrivé au pouvoir à l’aide du soutien des barons ; ses velléités répétées d’arriver à Henri II ne seraient que rhétoriques (p. 206).

6Après avoir rappelé l’importance des contributions de ce livre à la recherche historique, nous émettons quelques réserves. Certaines relèvent de détails ; assimiler Benoît de Sainte-Maure, en Touraine, à un Angevin (p. 198), qui aurait des griefs héréditaires contre les Normands, est contestable. Il est par ailleurs regrettable que le livre omette les deux sommes récentes de langue française sur Wace et Benoît : Françoise Laurent, Pour Dieu et pour le Roi. Rhétorique et idéologie dans l’« Histoire des ducs de Normandie » de Benoît de Sainte-Maure, Paris, Honoré Champion (Essais sur le Moyen Âge, 47), 2010, et Laurence Mathey-Maille, Écritures du passé. Histoires des ducs de Normandie, Paris, Honoré Champion (Essais sur le Moyen Âge, 35), 2007, ainsi que tous les articles de ces chercheurs, qui recoupent pourtant en grande partie son travail, et lui auraient permis d’affiner certaines positions.

7Plus gênant encore est l’oubli des articles récents de P. Damian-Grint, qui mettent en balance la notion de propagande et d’idéologie Plantagenêt dans le travail de Benoît de Sainte-Maure (Peter Damian-Grint, « Propaganda and essample in Benoît de Sainte-Maure’s Chronique des Ducs de Normandie », dans E. Kooper (éd.), The Medieval Chronicle, vol. 4, Amsterdam / New York, Rodopi, 2006, p. 39-52, et Id., « Benoît de Sainte-Maure et l’idéologie des Plantagenêt », dans Plantagenêt et Capétiens : confrontations et héritages, M. Aurell, N.-Y. Tonnerre (éd.), Turnhout, Brepols [Histoires de famille. La parenté au Moyen Âge, 4], 2006, p. 413-427). La lecture de ces articles aurait permis à l’a. de nuancer ce qui nous semble être la principale limite de ce livre, à savoir l’interprétation des deux estoires dans une perspective purement politique. La dimension politique du patronage d’Henri II est évidente, mais cela permet-il, comme le dit l’a., de considérer que : « Wace and Benoît […] used their representations of Norman history as forums for debating the nature of royal power and legitimacy of Henry II’s policies » (p. 6) ? Un peu plus loin, C. Urbanski parle de « Wace’s failure as a royal propagandist » (p. 87), sous-entendant que Benoît correspond pour sa part à ce profil. Ce serait, à notre sens, mal comprendre les enjeux de l’écriture historique au xiie s., dont la valeur est avant tout morale, comme l’a bien montré P. Damian-Grint. De même, considérer qu’en satisfaisant les attentes d’un roi, Benoît ait fait de la propagande, revient à prêter à Henri II une volonté de diffusion cohérente et systématique d’un message politique qu’il n’avait pas. Nous nous permettons de renvoyer à notre article sur la « propagande » historique des Plantagenêt pour que le lecteur dispose sur ce sujet d’une réponse argumentée.

8Le livre de C. Urbanski représente donc une synthèse non négligeable sur Wace et Benoît. L’a. y apporte bon nombre de thèses très convaincantes sur des points qui ont longtemps posé problème aux historiens, comme la date de fin des deux estoires. Le règne d’Henri II y est présenté sous un nouveau jour. Pourtant, malgré la finesse de l’analyse, la grille d’interprétation trop systématiquement politique des deux œuvres mène, selon nous, à assimiler trop hâtivement faste dynastique et propagande, et à faire du passé un miroir trop direct des enjeux contemporains.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Courroux, « Charity Urbanski, Writing History for the King. Henry II and the Politics of Vernacular Historiography »Cahiers de civilisation médiévale, 244 | 2018, 431-432.

Référence électronique

Pierre Courroux, « Charity Urbanski, Writing History for the King. Henry II and the Politics of Vernacular Historiography »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 244 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/4436 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.4436

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Auteur

Pierre Courroux

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