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Comptes rendus

Linda M. Paterson, Singing the Crusades: French and Occitan Lyric Responses to the Crusading Movements, 1137-1336

Martin Aurell
p. 309-310
Référence(s) :

Linda M. Paterson, Singing the Crusades: French and Occitan Lyric Responses to the Crusading Movements, 1137-1336, Cambridge, D.S. Brewer, 2018.

Texte intégral

1Dans la préface, Linda Paterson remercie l’équipe, composée notamment de Luca Barbieri, Ruth Harvey et Anna Radaelli, qui, autour d’elle, a élaboré le remarquable site internet de l’université de Warwick éditant, traduisant et analysant les 151 chansons occitanes et 51 françaises de croisade. C’est sur la solidité de cette base de données que l’ouvrage est construit. Sa portée est synthétique, présentant un panorama complet des croisades à travers la chanson engagée. Le groupe des poètes comprend 75 troubadours, aux origines sociales les plus variées, et 37 trouvères, issus pour la plupart de l’aristocratie. Ils sont, tous, laïcs et leur voix laisse entendre une opinion publique de nature profane, contrairement à l’historiographie latine ou à la prédication, marquées en profondeur par l’enseignement des écoles, par l’intertextualité biblique et par la théologie politique. Aux textes bien connus de l’inquisition languedocienne prouvant les enjeux politiques que comportait la diffusion des sirventes, l’a. en ajoute un rarement cité, où la commune de Pérouse condamne, en 1268, à cent livres d’amende ou à l’amputation de la langue tout individu « composant, disant ou chantant » des chansons hostiles à Charles d’Anjou et favorables à Conradin de Hohenstaufen (p. 19, d’après Pär Larson). D’autres témoignages sur la texture de la voix ou sur la tonalité liturgique de la mélodie apportent des éléments passionnants, relatifs à la performance des œuvres. Les chansons en oïl ont été conservées dans des manuscrits luxueux qui comportent, plus souvent que dans les manuscrits d’oc, des notations musicales, comme le prouve l’utile appendice C. Amoureuses, elles appartiennent pour la plupart au genre de la départie, où le croisé regrette la séparation de sa bien-aimée.

2Le plan choisi par L. Paterson est ouvertement chronologique. Il correspond au tableau synoptique des dates, des événements politiques et des chansons, qui se trouve dans l’appendice B. Il suit principalement chaque croisade, selon la numérotation traditionnelle, sans oublier cependant les campagnes contre al-Andalus, la croisade albigeoise, celle des barons et les tentatives d’en faire renaître l’esprit après la chute d’Acre (1291). L’ouvrage ne commence qu’en 1137, avec Emperaire, per mi mezeis, où Marcabru loue le combat d’Alphonse VII de Castille-Léon contre les Almoravides. À la suite de Walter Meliga, l’a. ne pense pas que Pois de Chantar m’es pres talenz de Guillaume IX d’Aquitaine concerne la croisade. Ce point de vue ne nous semble pas complètement acquis puisque, dans cette chanson, le duc dit confier son « tout jeune gamin » (jove mesqui ou même jovenet mesqui dans le chansonnier C, coïncidant avec la naissance de Guillaume X en 1099) et sa « seigneurie de Poitou » à Foulques IV le Réchin (mort en 1109, et non pas à son fils Foulques V, ennemi invétéré de Guillaume), comte d’Anjou, et au roi Philippe Ier, avec lesquels il entretient d’excellentes relations au moment où il part pour l’arrière-croisade en 1101. Quoi qu’il en soit de cette difficile identification, la péninsule Ibérique préoccupe considérablement les troubadours jusqu’à la bataille des Navas de Tolosa (1212), contrairement aux trouvères qui s’intéressent exclusivement à l’Orient.

3La troisième croisade (1187-1192) est bien plus présente que les deux précédentes dans la poésie. La bataille de Hattin et la perte de Jérusalem ont passablement traumatisé la conscience occidentale. Nombreuses sont alors les exhortations au départ, dont les mises en vers par le châtelain de Coucy et Bertran de Born paraissent particulièrement poignantes. Giraut de Borneil et Peire Vidal se réfèrent également à cette expédition. Souvent cité, Richard Cœur de Lion l’incarne plus qu’aucun autre guerrier. Sa captivité donne lieu à une véritable campagne poétique pour sa libération, où contribue sa propre chanson Ja nus homs, pour laquelle Charmaine Lee a prouvé qu’il n’existe qu’une seule rédaction française originale au détriment de la tardive version occitane. Le rayonnement du roi-chevalier est pour beaucoup dans le succès du planh de Gaucelm Faidit en son honneur. Une part importante des chapitres sur le xiiie s. aborde logiquement la falsa crusada albigeoise, qui suit le détournement de la quatrième vers Constantinople, où Raimbaut de Vaqueiras accompagne son seigneur Boniface de Montferrat. Les expéditions de Frédéric II et de Saint Louis donnent, enfin, lieu à une abondante littérature. Claire et précise, accompagnée de longs extraits des chansons, dûment traduits, l’étude de L. Paterson paraît désormais indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la croisade. Parfaitement au courant des dernières recherches sur la lyrique en oc et en oïl, elle est précieuse.

4Dans une trentaine de pages en fin d’ouvrage, Marjolaine Raguin-Barthelmebs quitte la diachronie pour la synchronie. Sans négliger pour autant le contexte historique, elle se penche, à l’aide de la méthode de l’analyse du discours, sur la rhétorique ou sur « Les mots pour le dire », selon le beau titre de son chapitre. C’est de façon vivante qu’elle passe en revue les thèmes des 202 chansons de croisade, tout en mettant finement en valeur leur arrière-plan théologique. Les sujets évoqués par leurs auteurs sont le salut éternel, suite au jugement de Dieu, l’amour du Christ jusqu’à l’imitation de son sacrifice, l’abandon de la vie mondaine, le pèlerinage au sens le plus spirituel du terme, mais aussi la poursuite, bien moins surnaturelle, de la gloire humaine (pretz) par pur sens de l’honneur. Si critiques il y a chez les troubadours et trouvères, elles sont le plus souvent de nature anticléricale, mais elles ne mettent jamais en cause de façon radicale la croisade en tant qu’institution politique et phénomène religieux. Elles ne laissent pas transparaître, non plus, d’hétérodoxie, même pas dans la récrimination impitoyable de Guilhem Figueira contre Rome. Ce dernier chapitre est des plus bienvenus. Il met en valeur les pages précédentes de L. Paterson, et plus généralement le travail impressionnant de l’équipe de l’université de Warwick.

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Pour citer cet article

Référence papier

Martin Aurell, « Linda M. Paterson, Singing the Crusades: French and Occitan Lyric Responses to the Crusading Movements, 1137-1336 »Cahiers de civilisation médiévale, 247 | 2019, 309-310.

Référence électronique

Martin Aurell, « Linda M. Paterson, Singing the Crusades: French and Occitan Lyric Responses to the Crusading Movements, 1137-1336 »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 247 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/4369 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.4369

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Auteur

Martin Aurell

UMR 7302 – CESCM
Université de Poitiers

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