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Comptes rendus

Hans Eberhard Mayer, Die Kreuzfahrerherrschaften von Maraclea und Nephin [The Crusader Seigneuries of Maraclé and Nephin]

Kristjan Toomaspoeg
p. 395-397
Référence(s) :

Hans Eberhard Mayer, Die Kreuzfahrerherrschaften von Maraclea und Nephin [The Crusader Seigneuries of Maraclé and Nephin], Berlin, De Gruyter (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen. Neue Folge, 46), 2018.

Texte intégral

1L’histoire des États croisés de l’Orient Latin a fait des progrès, pendant les dernières décennies, grâce au développement contemporain des études diplomatiques – avec les éditions comme celle des chartes des rois de Jérusalem réalisée par Hans Eberhard Mayer et Jean Richard en 2010 – et de l’archéologie. H. E. Mayer, l’un des principaux spécialistes de ce domaine, ne s’occupe pas ici de l’histoire des trois États majeurs, donc le Royaume de Jérusalem, la Principauté d’Antioche et le comté de Tripoli, mais de deux seigneuries de taille moyenne, Maraclé et Nephin, toutes les deux soumises à l’autorité comtale de Tripoli. Les seigneuries, unités de base de l’organisation féodale et territoriale de la Terre Sainte, ont bénéficié de moins d’attention que ce qu’elles mériteraient, en grande partie parce que les sources pour retracer leur passé sont incomplètes, éparpillées et souvent confuses. H. E. Mayer procède donc avec une minutieuse relecture des sources, en s’appuyant en particulier sur celles conservées dans les archives des ordres religieux-militaires, en premier lieu dans celles des Hospitaliers de Saint-Jean – auxquels les seigneurs de Maraclé étaient liés –, et sur les actes émis par les pouvoirs royaux, principaux et comtales, archives locales des seigneuries aujourd’hui disparues. À ces documents s’ajoutent aussi des sources des Archives du Vatican et les sources narratives pour traiter le sujet, en particulier les Lignages d’Outremer (M.-A. Nielen [éd. et préf.], Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres [Documents relatifs à l’histoire des Croisades, 18], 2003) qui dressent le tableau généalogique des familles de l’Orient Latin, offrant des informations souvent indispensables, mais aussi parfois douteuses sinon fausses et inutilisables. La bibliographie existante, notamment le travail de base du comte Wipertus Hugo Rüdt de Collenberg sur ce sujet (W. H. Rudt de Collenberg, « Les “Raynouard”, seigneurs de Nephin et de Maraclé en Terre sainte, et leur parenté en Languedoc », Cahiers de civilisation médiévale, 27, 1964, p. 289-311, en ligne, DOI : 10.3406/ccmed.1964.1313), désormais très daté, n’est pas privée d’erreurs et doit être vérifiée, passage après passage.

2L’objet d’étude est donc Maraclé, aujourd’hui Kharab (Maraqiyya) en Syrie, qui se trouvait sur la côte entre Tartous et Baniyas, muni d’un château dont il ne reste plus rien, sauf les fondements d’une tour fortifiée construite un peu plus loin, dans la mer, et Nephin, aujourd’hui Enfeh (Anfeh) dans le territoire libanais, non loin de Tripoli, avec son site fortifié érigé sur une petite péninsule. Les deux sites jouirent d’une certaine importance stratégique. La seigneurie de Maraclé se trouvait par ailleurs près du grand château hospitalier de Margat, bien plus connu : en 1188, attaqués par Saladin, les habitants de Maraclé s’y sont réfugiés.

3L’a. présente en grandes lignes les quelques informations dont on dispose sur ces deux sites avant leur conquête de la part des pouvoirs chrétiens – un castrum est attesté à Maraclé en 1099 – pour procéder ensuite avec une étude des seigneurs de Maraclé et Nephin qui occupe l’essentiel du livre. Il s’agit à l’origine d’une unique famille seigneuriale, dont le premier membre connu est Guillaume Raynouard, probablement issu du Languedoc, confrère des Hospitaliers, documenté entre 1140 et 1163. Son fils Raynouard Ier devint seigneur de Tortosa (cédé aux Templiers en 1152) et puis de Nephin ; Guillaume, est connu depuis 1163 comme premier seigneur de Maraclé. En 1180, le propre fils de Guillaume, Melioretus Ier, lui succède. Il s’agit d’un personnage plus connu, au train de vie mouvementé, fait prisonnier par les musulmans en 1179 et puis, une seconde fois, dans la bataille de Hattin en juillet 1187. Il est bien possible qu’il soit mort prisonnier du Saladin ou de ses successeurs. Finalement, la seigneurie fut transmise à son fils Raynouard, puis substituée, entre 1196 et 1200 par la fille de Melioretus, Agnès. On ne peut que voir dans cette substitution une démarche politique du nouveau comte de Tripoli, Bohémond IV d’Antioche. En effet, Agnès se maria avec Pierre de Ravendel, un serviteur important de Bohémond, spécialiste du droit (il avait participé à la rédaction des Assises d’Antioche) mais, à ce moment-là, privé d’une seigneurie propre, en étant Ravendel (aujourd’hui Revanda Kalesi en Turquie), qui était occupée par les musulmans. Les nouveaux seigneurs n’étaient donc plus des Raynouard, mais des Ravendel. Pierre est mort avant 1228, peut-être tué par le sultan d’Alep, Hugues lui succéda puis son propre fils Jean (mort avant novembre 1241). Le fils de Jean, Melioretus II (le seul dont on conserve un sceau, à la Bibliothèque nationale à Paris), resta pour un certain temps (avant 1256) sous la tutelle de Raynaud II Barlais ; en 1258, dans le contexte de la guerre de Saint-Sabas, il participa avec ses frères Raymond et Hugues à une révolte contre le comte de Tripoli son suzerain. La décadence de la seigneurie de Maraclé commença en 1271, avec la prise du château hospitalier du Krak des Chevaliers. Melioretus tenta de s’allier avec les Mongols mais ne put éviter la conquête musulmane de sa seigneurie, probablement contemporaine à la prise de Margat en 1285. Les seigneurs de Maraclé n’étaient peut-être pas des figures du premier plan dans le cadre des États croisés, mais appartenaient à l’élite de la société et jouissaient d’un grand prestige. Le 1er juillet 1300, c’était bien Melioretus II de Maraclé que Charles II de Sicile nomma comme son propre vicaire dans le Royaume de Jérusalem, lors de la situation délicate des tentatives de reconquête de l’Orient Latin. Il est toutefois décédé, en Arménie cilicienne ou en Italie du Sud avant le 30 juillet 1302.

4Le premier seigneur de Nephin, Raynouard Ier, fils de Guillaume Raynouard, fut relayé peu après 1176 par son frère Raymond. Pour ce qui concerne le troisième seigneur de Nephin, il existe une grande confusion dans les sources, mais il est identifié comme Raynaud qui aurait dépouillé de leurs biens des réfugiés venant de Jérusalem après la prise de la ville en 1187. Il était peut-être identique à ce seigneur de Nephin qui épousa Douce, fille de Raynaud Porcelet et dont le fils, Raynouard II finit par perdre la seigneurie. Ce dernier, en conflit avec son suzerain Bohémond IV, épousa sans son autorisation Isabelle, fille d’Astafortis de Gibelakkar, ce qui porta à la confiscation de ses biens en 1206. Par la suite, des membres de la famille des seigneurs de Nephin résidaient à Chypre, où l’on connaît en particulier Guy de Nephin, chanoine et ambassadeur du roi Pierre II à Avignon en 1372. Le livre se conclut avec une bibliographie générale, l’arbre généalogique des Raynouard, trois photographies de Maraclé et de Nephin et l’index des noms de lieu et de personne.

5Il est question, dans ce livre, avant tout d’une étude généalogique qui se base sur un nouveau répertoire de sources. Comme il est bien connu, les recherches sur la généalogie représentent un champ d’études parmi les plus difficiles, car elles sont conditionnées par le nombre et l’état des sources, les variations de l’onomastique et les acquis, souvent peu convaincants, de l’historiographie antérieure. La situation est d’autant plus compliquée lorsqu’il s’agit des travaux sur les dynasties nobles, souvent objet d’affirmations tendancieuses, et non sur des groupes de personnes plus consistants. Toutefois, l’a. parvint à reconstruire l’arbre généalogique des seigneurs de Maraclé et de Nephin, en nous présentant une continuité depuis la première moitié du xiie jusqu’au xiiie et même xive s.

6Tout cela serait bien monotone, si H. E. Mayer n’avait pas procédé, en tant qu’historien, à placer ces personnages dans le contexte politique et militaire de leur époque, en passant par les conquêtes de Saladin, par la guerre de succession dans la Principauté d’Antioche, par la guerre de Saint-Sabas, jusqu’à la chute de l’Orient Latin provoquée par Baybars et ses successeurs et le repli des « Latins » en Chypre et en Petite Arménie. Cela justifie aussi la publication de sa recherche sous forme d’un (petit) livre et non comme un (long) article. De plus, cette étude des réalités « mineure » de la Terre Sainte nous offre de nombreux détails, quelquefois pittoresques, sur la vie des personnes et sert à illustrer la complexité de la situation politique des États comme le comté de Tripoli, au rythme de luttes pour le pouvoir, révoltes et insubordinations.

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Pour citer cet article

Référence papier

Kristjan Toomaspoeg, « Hans Eberhard Mayer, Die Kreuzfahrerherrschaften von Maraclea und Nephin [The Crusader Seigneuries of Maraclé and Nephin] »Cahiers de civilisation médiévale, 248 | 2019, 395-397.

Référence électronique

Kristjan Toomaspoeg, « Hans Eberhard Mayer, Die Kreuzfahrerherrschaften von Maraclea und Nephin [The Crusader Seigneuries of Maraclé and Nephin] »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 248 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/3927 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.3927

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Auteur

Kristjan Toomaspoeg

Université de Salento

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