Louis-Patrick Bergot, Réception de l’imaginaire apocalyptique dans la littérature française des xiie et xiiie siècles
Louis-Patrick Bergot, Réception de l’imaginaire apocalyptique dans la littérature française des xiie et xiiie siècles, Genève, Droz (Publications romanes et françaises, 270), 2020, 696 p.
Texte intégral
1Le livre de Louis-Patrick Bergot soulève un problème de taille et comble une lacune dans les études de philologie médiévale. Il s’agit d’une enquête d’ampleur, érudite et originale, sur la tradition des écrits apocalyptiques et leur influence sur la littérature médiévale. Deux textes se trouvent au centre de la focale, une apocalypse canonique, celle de Jean, et une apocalypse apocryphe, celle de Paul. Le style est agréable et l’argumentation facile à suivre, l’auteur fait preuve de finesse d’analyse et de force interdisciplinaire, dans la mesure où de nombreuses connaissances théologiques sont mobilisées et convoquées pour apporter plus de lumière sur une question peu traitée. Le livre est structuré en trois parties et il comporte à la fin des index particulièrement utiles, des transcriptions des passages apocalyptiques n'ayant pas encore été édités – qui serviront à tous ceux qui souhaiteront se pencher sur la question – et une bibliographie sur laquelle nous reviendrons.
2Si la première partie fait le tour, de manière rigoureuse et érudite, de la tradition manuscrite des apocalypses (p. 32 sq.), la seconde se concentre sur la recherche d’outils narratologiques plus efficaces pour la compréhension de la transmission du matériel mouvant qu’est celui des apocalypses vers la littérature médiévale, comme l’hypotexte et l’intertexte (p. 209 sq.). C’est ainsi que l’auteur problématise de manière originale le concept de paraphrase (p. 219 sq.) qu’il semble valoriser face à ceux d’emprunt ou de transfert. Enfin, la troisième partie se propose de sonder « l’archéologie » (terme quelque peu forcé malgré tout) de l’univers mental de l’homme médiéval face à l’au-delà des apocalypses et amorce des questionnements de type anthropologiques. Des textes peu étudiés, comme le Dit des trois signes, sont convoqués. L’auteur parvient même à dépasser la tripartition classique des matières et envisage une matière infernale (p. 400 sq.). Enfin, les problématiques anthropologiques témoignent d’un sens aigu de l’analyse des données dans un contexte synchronique et diachronique.
3Ce travail passionnant soulève malgré tout quelques problèmes. Ils concernent non pas les interprétations de l’auteur, qui souvent emportent l’adhésion du lecteur, mais surtout les choix qu’il semble opérer au milieu des données foisonnantes de sa matière. Il est ainsi intéressant de chercher à dégager les traits apocalyptiques dans la Chanson de Roland, mais dans ce cas pourquoi avoir laissé de côté un texte bien plus révélateur sur la question, comme Le Tournoiement de l’Antéchrist ? De même, le prologue du roman arthurien l’Estoire del saint Graal, à juste titre analysé dans une perspective apocalyptique, est avant tout associé à l’Apocalypse de Jean, alors que l’auteur anonyme mentionne à plusieurs reprises saint Paul et que le prologue peut être de manière pertinente associé aussi à l’Apocalypse de Paul. Ceci ramène au centre de la discussion le problème de « l’apocryphie » comme intertexte des romans arthuriens, et ceci bien au-delà des deux apocalypses qui intéressent L-P. Bergot. Or, on se demandera, compte tenu des rapports étroits entre la problématique du livre et celle des évangiles apocryphes, pourquoi l’auteur semble ignorer les travaux majeurs sur la question comme ceux de Michel Zink, Élisabeth Pinto-Mathieu, Claudio Galderisi ou Francesco Zambon. Toujours du point de vue des apports bibliographiques, le chapitre consacré au contexte historique de la diffusion des apocalypses se limite à faire le point sur les travaux de Jacques Le Goff, en laissant de côté ceux de Jean Delumeau, de Patrick Henriet ou d’autres historiens dont les recherches auraient pu être fort utiles aux analyses de l’auteur et ceci d’autant plus qu’elles sont souvent interdisciplinaires.
4Ces quelques critiques n’enlèvent rien à l’importance d’un travail qui pose des jalons incontournables pour la recherche sur l’écriture apocalyptique dans les études médiévales, met de l’ordre dans une tradition manuscrite fort complexe et attire l’attention sur des passages méconnus de ces trésors de la pensée antique et médiévale.
Pour citer cet article
Référence électronique
Cătălina Gîrbea, « Louis-Patrick Bergot, Réception de l’imaginaire apocalyptique dans la littérature française des xiie et xiiie siècles », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 267 | 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/19781 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12e77
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