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Comptes rendus

Andrew B.R. Elliott, Medievalism, Politics and Mass Media. Appropriating the Middle Ages in the Twenty-First Century (Réédition)

Thomas Ledru
p. 481-483
Référence(s) :

Andrew B.R. Elliott, Medievalism, Politics and Mass Media. Appropriating the Middle Ages in the Twenty-First Century, Woodbridge, Boydell & Brewer (Medievalism, 10), 2021 (Réédition), 235 p.

Texte intégral

1Il s’agit de la réédition au format paperback du livre publié en 2017 par Andrew B.R. Elliott, Senior Lecturer in Media and Cultural Studies à l’Université de Lincoln. Cet ouvrage illustre le fait que le médiévalisme est un champ de recherche aujourd’hui en vogue dans le monde universitaire anglo-saxon. Ce livre comprend une introduction (p. 1-12), huit chapitres (p. 13-204), une bibliographie (p. 205-213) et un index (p. 215-223). Les deux premiers chapitres, plus théoriques, servent à développer la thèse soutenue dans l’ouvrage tandis que les six chapitres suivants, plus concrets, sont des études de cas venant à l’appui de celle-ci.

2Dans l’introduction, A. Elliott prend l’exemple de l’utilisation à des fins identitaires de la figure de Jeanne d’Arc par le Front national (devenu le Rassemblement national en 2018) pour présenter la thèse qu’il soutient dans son livre, à savoir le fait qu’un nombre croissant d’éléments, d’idées, d’événements, d’images ou encore de symboles du Moyen Âge sont aujourd’hui utilisés à des fins politiques ou idéologiques. Ce phénomène, qui est en fait ancien, a toutefois pris une nouvelle dimension au cours des années 2000-2010 avec la démocratisation d’Internet et des réseaux sociaux. A. Elliott se propose donc d’étudier les différentes manifestations de ce qu’il appelle le « banal medievalism », c’est-à-dire les différentes utilisations du Moyen Âge à des fins non historiques, que ce soit par des hommes politiques, des journalistes ou de simples particuliers – et de façon volontaire ou non –, ainsi que le rôle joué par les médias de masse dans la diffusion et donc la popularité des représentations particulières du Moyen Âge qui les sous-tendent.

3Dans le chapitre 1, A. Elliott montre de façon générale que la période médiévale, loin d’être coupée du présent, interfère de plus en plus avec ce dernier. On observe ainsi une multiplication des références au Moyen Âge, sorties de leur contexte historique, dans des situations très variées (discours politiques, journaux, films, jeux vidéo, etc.). Nombre de ces références consistent à convoquer au service du présent des éléments datant de la période médiévale (souvent à des fins politiques) tandis que d’autres consistent à donner une vision plus ou moins subjective de cette même période (souvent à des fins ludiques). Le Moyen Âge devient dès lors un objet élastique et malléable se prêtant à de multiples interprétations, parfois contradictoires, ce qui favorise les confusions entre passé et présent et entre histoire et représentations. A. Elliott met également en évidence le fait que le grand public n’a pas forcément conscience de ce « banal medievalism » car celui-ci est souvent implicite, pouvant prendre des formes anodines (comme le croisé figurant sur la une du Daily Express) ou supposant une certaine culture générale (comme le compte Twitter de Brantley L. Bryant, dans lequel ce dernier se met dans la peau de Geoffrey Chaucer et adopte un point de vue anachronique sur le présent). Dans une perspective chronologique, A. Elliott explique ensuite que la réinvention du Moyen Âge remonte aux humanistes de la Renaissance et a contribué à donner de celui-ci une image plutôt négative.

4Dans le chapitre 2, A. Elliott aborde, toujours de façon générale, le rôle central joué par les médias de masse. Mobilisant la théorie des médias, il présente certaines caractéristiques d’Internet et des réseaux sociaux, notamment leur rapide démocratisation, leur portée potentiellement mondiale, le fait que les contenus qu’ils diffusent peuvent être modifiés par les utilisateurs ou encore le problème des sources de ces contenus, qui ne sont pas forcément citées. Revenant ensuite au Moyen Âge, il souligne alors le lien entre l’importance croissante des médias de masse et l’omniprésence actuelle du « banal medievalism » dans la culture populaire. À l’aide de l’exemple des résultats de recherche obtenus en tapant sur Google des termes comme « medieval », « Crusade » ou « Dark Age(s) », A. Elliott montre que si les références au Moyen Âge (qu’il soit historique ou subjectif) diffusées dans les médias de masse peuvent avoir un caractère ludique ou humoristique, elles servent en fait souvent à critiquer des personnes dont les idées, les propos ou les actes sont considérés comme réactionnaires (par exemple, les personnes opposées à la contraception ou à l’homosexualité). Dans ce dernier cas, Internet et les réseaux sociaux, en diffusant à grande échelle l’image plutôt négative du Moyen Âge qui prévaut aujourd’hui, contribuent de ce fait à ancrer toujours plus celle-ci dans les esprits.

5Dans le chapitre 3, A. Elliott revient plus en détail sur les caractéristiques de cette image plutôt négative de la période médiévale. Il observe ainsi que le Moyen Âge, réduit subjectivement à une période primitive, barbare et fanatique, est fréquemment évoqué aujourd’hui dans les discours politiques et les articles de presse relatifs aux régimes autoritaires, au terrorisme et à l’islamisme. Cependant, le Moyen Âge est en fait mentionné – à chaque fois dans un but péjoratif – dans une grande variété de situations contemporaines, par exemple pour dénoncer le racisme, le sexisme, l’insécurité, les problèmes de logement ou encore le retard technologique. Dès lors, le fait de critiquer des idées, des propos ou des actes (par exemple les attentats islamistes) en les comparant à la période médiévale contribue à faire du Moyen Âge une période radicalement différente de la nôtre. Plus précisément, le Moyen Âge devient ainsi une période repoussoir, rassemblant tout ce qui va à l’encontre des valeurs occidentales actuelles que sont la modernité, le progrès, la raison, le pacifisme ou encore la tolérance. A. Elliott souligne à ce propos le fait que les pays occidentaux croient en l’inéluctable progression de l’humanité vers ces mêmes valeurs et agitent donc implicitement le spectre d’un retour en arrière à chaque nouveau rapprochement critique entre le présent et la période médiévale.

6Dans le chapitre 4, A. Elliott étudie l’utilisation du terme « croisade » par George W. Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Quelques jours après les attentats, le président américain néoconservateur a en effet qualifié de « croisade » la guerre qu’il entendait mener contre le terrorisme. L’emploi de ce terme, abondamment relayé dans les médias, a été critiqué (notamment parce qu’il pouvait être interprété par les musulmans comme un appel à la guerre contre l’islam et accréditait donc la thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington) mais G. W. Bush et son administration ont persévéré dans la même logique médiévaliste et orientaliste. A. Elliott distingue quatre phases dans cette dernière : la première consiste à opposer de façon manichéenne le « camp du bien » (dirigé par les États-Unis) et le « camp du mal » (dirigé par Al-Qaida), la deuxième à considérer qu’Al-Qaida vit comme au Moyen Âge, la troisième à affirmer que cette organisation islamiste est donc incapable de s’adapter au monde moderne, et la quatrième à présenter la « croisade » dirigée contre elle comme une intervention légitime visant à la fois à libérer, pacifier et moderniser le Moyen-Orient. En définitive, si G. W. Bush n’est ni le premier ni le dernier à avoir employé le terme de « croisade » (ce qui illustre à nouveau la prégnance du « banal medievalism »), la façon dont il l’a fait a toutefois contribué, à cause de l’imaginaire lié aux croisades, à creuser le fossé entre les pays occidentaux et le monde musulman.

7Dans le chapitre 5, A. Elliott inverse la perspective en s’intéressant cette fois-ci à l’utilisation du Moyen Âge à des fins politiques et idéologiques par Al-Qaida. Loin de réfuter la critique de G. W. Bush selon laquelle elle vivrait comme au Moyen Âge, cette organisation islamiste l’a reprise à son compte car elle allait dans le sens du retour à la pureté de l’islam ainsi que du rejet de la modernité occidentale qu’elle prônait. De plus, Al-Qaida n’a eu de cesse, notamment à travers les nombreuses déclarations d’Oussama Ben Laden, d’appeler au djihad et au « choc des civilisations ». Cela s’est traduit par la diffusion d’une histoire partiale, dans laquelle les musulmans sont présentés comme les victimes – et ce depuis le Moyen Âge – des attaques incessantes des « croisés » (les chrétiens) et des « sionistes » (les juifs). Dans cette perspective, les interventions militaires récentes des pays occidentaux au sein du monde musulman sont perçues comme la continuation directe des croisades du Moyen Âge, ce qui permet dès lors de légitimer le djihad comme moyen de défendre l’islam (O. Ben Laden a d’ailleurs été comparé dans ce but à Saladin). A. Elliott montre ensuite qu’Al-Qaida est en fait une organisation moderne capable de combattre les pays occidentaux avec leurs propres armes : organisation d’attentats spectaculaires comme ceux du 11 septembre 2001 (dont les cibles ont été choisies avec soin), stratégie de communication sophistiquée (visant à se faire connaître et à susciter la peur) ou encore utilisation d’Internet et des réseaux sociaux (à des fins de propagande ou de recrutement).

8Dans le chapitre 6, A. Elliott change de registre en étudiant le « banal medievalism » d’Anders Behring Breivik, auteur des attentats d’Oslo et d’Utøya le 22 juillet 2011. Pour ce faire, il s’appuie notamment sur son long manifeste (environ 1 500 pages) intitulé 2083 – A European Declaration of Independence. Dans celui-ci, A. Behring Breivik critique le « marxisme culturel » sous l’influence duquel l’Europe serait en cours d’islamisation et, se présentant lui-même comme un chevalier des temps modernes, rêve de faire renaître l’ordre du Temple afin de chasser les musulmans d’Europe. À l’instar de G. W. Bush ou d’O. Ben Laden, il se place donc dans une logique de croisade et de « choc des civilisations ». De même, il utilise le Moyen Âge à des fins non historiques, puisque sa vision fantasmée de la période médiévale – et notamment sa fascination pour l’univers des templiers – vient à l’appui de ses idées d’extrême-droite. A. Elliott expose alors les différentes causes de la radicalisation d’A. Behring Breivik : il identifie en particulier le rôle d’Internet et des réseaux sociaux (les sites, groupes et autres blogs d’extrême-droite) mais également l’influence de certaines figures islamophobes (notamment Paul Ray, de son vrai nom Paul Adam Cinato), la pratique assidue de certains jeux vidéo (comme World of Warcraft et Call of Duty) ou encore ses frustrations personnelles (scolaires, familiales, professionnelles, etc.).

9Dans le chapitre 7, A. Elliott poursuit son exploration des milieux d’extrême-droite à travers l’exemple de l’English Defence League (EDL). Si cette dernière a officiellement démenti tout lien avec A. Behring Breivik, certains de ses membres ont toutefois affiché leur soutien à ce dernier à titre personnel. Il apparaît en effet que l’EDL et d’autres organisations du même type (Traditional Britain Group, Pegida ou Stop Islamization of America) partagent un certain nombre d’idées avec A. Behring Breivik, à savoir la dénonciation de la gauche, de l’islam, de l’immigration et du multiculturalisme, ainsi que l’usage d’une rhétorique transformant la xénophobie et l’islamophobie en défense de la patrie et de l’identité. L’EDL véhicule ainsi une vision subjective du Moyen Âge, servant à discréditer l’islam et à affirmer la prééminence des Blancs et du christianisme au Royaume-Uni et en Europe. Le « banal medievalism » de l’EDL se remarque jusque dans son logo (un bouclier blanc et noir au centre duquel figure une croix rouge) et sa devise (« In hoc signo vinces », devise curieusement associée aux templiers et non à l’empereur Constantin). A. Elliott explique ensuite la persistance de telles idées au sein des milieux d’extrême-droite par le fait qu’elles sont devenues des mèmes, dont la diffusion a été accrue par le développement d’Internet et des réseaux sociaux. En effet, les caractéristiques de ces derniers (notamment la variabilité des résultats de recherche en fonction des centres d’intérêt) contribuent à créer une logique circulaire, qui enferme les milieux d’extrême-droite dans leurs idées.

10Dans le chapitre 8, A. Elliott se penche enfin sur l’utilisation du terme « califat » par l’État islamique (EI), une organisation islamiste qui était au cœur de l’actualité à l’époque où il écrivait son ouvrage. La proclamation du « califat islamique » en Irak et en Syrie en 2014 manifeste la volonté de l’EI de revenir aux premiers temps de l’islam, assimilés à un « âge d’or », ainsi que son rejet des États qui composent aujourd’hui le Moyen-Orient. Comme Al-Qaida, l’EI se place donc dans une logique d’opposition aux pays occidentaux perçus comme des pays sécularisés, corrompus et agressifs. A. Elliott montre ensuite que les médias occidentaux ont repris le terme de « califat » sans le questionner et que celui-ci, ajouté aux violences et aux destructions savamment orchestrées de l’EI, a provoqué une nouvelle flambée de références médiévalistes dans les pays occidentaux. En effet, les commentaires d’hommes politiques, de journalistes ou de simples particuliers comparant l’EI à la barbarie et au fanatisme supposés du Moyen Âge ont à nouveau fleuri alors que, comme Al-Qaida, l’EI n’a rien de médiéval dans son organisation. Dans une sorte de conclusion qui ne dit pas son nom, A. Elliott termine ce dernier chapitre en rappelant quelques traits du « banal medievalism » appliqué à l’EI : la croyance des pays occidentaux en leur modernité et en leur supériorité, l’association par conséquent de l’islamisme à la période médiévale et le rôle des médias dans la diffusion et donc la popularité de ces représentations.

11Ce livre d’A. Elliott s’avère en définitive très intéressant car il explore de façon détaillée les liens complexes qui existent aujourd’hui entre le Moyen Âge, période historique éloignée de nous de plusieurs siècles, et les enjeux politiques et idéologiques du monde actuel, le tout à la lumière des recherches les plus récentes dans le domaine des médias de masse. On pourrait toutefois lui reprocher sa tendance à répéter les mêmes idées au fil des chapitres, ainsi que la rareté des illustrations au regard de l’intérêt du sujet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Ledru, « Andrew B.R. Elliott, Medievalism, Politics and Mass Media. Appropriating the Middle Ages in the Twenty-First Century (Réédition) »Cahiers de civilisation médiévale, 267 | 2024, 481-483.

Référence électronique

Thomas Ledru, « Andrew B.R. Elliott, Medievalism, Politics and Mass Media. Appropriating the Middle Ages in the Twenty-First Century (Réédition) »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 267 | 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/19696 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12e71

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Auteur

Thomas Ledru

Université de Lille – IRHiS (UMR 8529)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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