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Comptes rendus

Paul Edward Dutton, Micro Middle Ages

Éric Palazzo
p. 479-480
Référence(s) :

Paul Edward Dutton, Micro Middle Ages, Cham, Palgrave Macmillan (The New Middle Ages), 2023, 626 p.

Texte intégral

1Disons-le d’emblée, je considère la publication du dernier livre Paul Edward Dutton comme un événement. Avec ce nouvel opus, l’auteur, bien connu des spécialistes de l’histoire du haut Moyen Âge, mais à mon sens pas suffisamment dans l’espace francophone, réitère avec succès la tentative déjà pleinement réussie de la démonstration du bien-fondé de la micro-histoire (Charlemagne’s Mustache. And Other Cultural Clusters of a Dark Age, New-York/Houndmills/Basingstoke, Palgrave Macmillan [The New Middle Ages], 2004) appliquée cette fois à l’étude de la période médiévale dans son ensemble, toutes disciplines confondues, et ce même si l’essentiel des dossiers présentés par P. Dutton demeure l’apanage du haut Moyen Âge. À partir de six études de cas soigneusement choisis et traités avec brio, l’auteur offre au lecteur un parcours d’une richesse exceptionnelle tant du point de vue de la qualité des analyses menées pour chaque cas étudié que de celui de l’ampleur de la double réflexion méthodologique et épistémologique dont tous les médiévistes devraient dorénavant avoir connaissance, sinon s’inspirer. À la manière de son Charlemagne’s Mustache, dans lequel P. Dutton traitait de plusieurs « petits sujets », du moins en apparence, de l’histoire carolingienne, depuis la moustache des souverains carolingiens juqu’aux tablettes de cire que Charlemagne aimait placer sous son oreiller, en passant par le monde animalier à l’honneur à la Cour d’Aix-la-Chapelle, le présent ouvrage offre un spectre plus large encore de thèmes traités et de périodes de l’histoire médiévale abordées. Le titre du livre occulte l’ampleur de la perspective historique traitée par P. Dutton : en effet, il ne s’agit pas tant ici pour ce dernier de traiter à proprement parler de la micro-histoire que de proposer une série d’études de cas permettant de réfléchir à nouveaux frais sur cette pratique, popularisée dans le courant des années soixante-dix du vingtième siècle. Tel un enquêteur au sommet de son art de l’expertise des moindres indices d’un dossier historique, comparable en cela à Sherlock Holmes – auquel l’auteur rend d’ailleurs un hommage bien mérité, car considéré comme un véritable précurseur de la micro-histoire –, P. Dutton invite le lecteur à un voyage dans le temps et dans l’espace du Moyen Âge occidental à partir de dossiers très divers dont la lecture est passionnante.

2Le coup de maître de P. Dutton me paraît résider non pas dans l’introduction sommaire du début de l’ouvrage, qui n’a pour seul but que de rapidement planter le décor du livre, mais dans la façon dont il surprend le lecteur, au beau milieu du « voyage », avec sa longue discussion sur l’épistémologie et la méthodologie de la micro-histoire. Je considère pour ma part que la lecture de ce chapitre devrait être rendu pour ainsi dire obligatoire pour tous les médiévistes et les apprentis spécialistes du Moyen Âge. P. Dutton y explore en profondeur la complexité des relations entre « les petites choses » de l’histoire et les « grandes choses », à travers une connaissance parfaite de l’historiographie du sujet. Il retrace ainsi de façon détaillée le chemin emprunté depuis plusieurs décennies par les principaux auteurs et leurs publications ayant fait date dans la catégorie, somme toute assez arbitraire, de la micro-histoire, en premier lieu Carlo Ginzburg, mais pas seulement. Dans ce chapitre, P. Dutton pèse en quelque sorte le pour et le contre de l’approche des « petites choses » de l’Histoire et la façon dont elles permettent à l’historien, toutes périodes confondues, un élargissement et une ampleur de vue insoupçonnés sur tel ou tel sujet, ou bien sur des pans entiers de l’Histoire culturelle au sens large de la période médiévale. Avec une grande dextérité, P. Dutton montre l’importance de ne pas considérer l’établissement d’une sorte de hiérarchie à partir des différents éléments que l’Histoire donne à étudier et que, bien souvent, ce qui pouvait apparaître comme une « petite information » se révèle révélatrice d’un thème central de l’Histoire. P. Dutton discute également les éclairages particuliers, comme ceux jadis proposés par Georges Duby dans l’analyse du dimanche de Bouvines ou bien, plus encore, par Emmanuel Le Roy Ladurie dans son exploration du village de Montaillou. D’une certaine manière, la suggestion méthodologique soutenue par l’auteur est celle d’une approche permettant à l’historien de passer sans cesse de la « petite chose » à la « grande », dans une sorte de va-et-vient constant, comme s’il s’agissait d’ajuster en permanence la vision que l’on peut avoir sur un dossier ou un thème, en changeant sans cesse de focale pour explorer « l’objet » étudié. Et P. Dutton de mettre en pratique la méthode défendue dans chacun des cas étudiés au fil des chapitres de l’ouvrage. À cet ensemble méthodologique d’une grande richesse, j’ajouterais la prise en compte de la notion de détail dont, à titre d’exemple, Daniel Arasse a donné la mesure à propos de l’étude des images et de leur iconographie.

3Les six études de cas développées par P. Dutton dans les différents chapitres du livre sont bien trop riches pour pouvoir être exposées l’une après l’autre, de façon détaillée, dans le cadre de ce compte rendu. Après avoir refermé ce livre, il m’a semblé également important de préserver « l’effet de surprise » que produit la lecture de chaque dossier et de ne pas dévoiler les résultats, souvent surprenants, auxquels parvient l’auteur après avoir procédé, pour chaque cas, à une analyse d’une très grande finesse. Comme je l’ai déjà fait brièvement observer au début de ce compte rendu, P. Dutton s’intéresse à des modes d’expressions très variés de la culture médiévale occidentale, depuis des textes appartenant à de multiples catégories (poèmes, chroniques, exégèse…) jusqu’aux sources iconographiques, qu’il manie avec une dextérité que nombre d’historiens de l’art pourrait lui envier. Nombreux et variés sont également les personnages convoqués dans chaque chapitre, depuis Théodulf d’Orléans à Abélard et Héloïse, bien connus de toutes et de tous, jusqu’au moine et diacre de Saint-Emmeran de Ratisbonne, Ellenhart, dont la brève phrase, faisant office de colophon, transcrite au début d’un manuscrit du ixe siècle cache des « choses importantes » relatives à la spiritualité monastique de l’époque carolingienne, en lien avec des événements de l’histoire de la Hongrie médiévale. Les espaces géographiques et les circonstances historiques présentées sont aussi d’une grande variété, depuis les îles anglo-saxonnes qui servent de cadre principal pour l’histoire incroyable des enfants à la peau verte, que P. Dutton aborde aussi à partir d’éléments de la science médicale moderne et dont l’enquête constitue une formidable exploration de la relation que les hommes du Moyen Âge entretenaient avec le « merveilleux » et « l’étrange », des contrées hongroises à partir de la personnalité du diacre Ellenhart, jusqu’aux bords de la Loire avec Théodulf d’Orléans en passant par Paris pour l’incroyable exploration du statut d’Héloïse, de la prostitution et de ses liens avec la philosophie dans cette ville du temps de la floraisons des écoles-cathédrales, ou bien encore, par la Normandie, dans le chapitre consacrée à l’exploration nouvelle de certains détails iconographiques de la broderie de Bayeux. Au sujet de cette œuvre majeure de l’histoire de l’art du Moyen Âge, P. Dutton fait preuve d’une connaissance sans faille de la bibliographie comme des données relatives aux méthodes d’approche de l’iconographie médiévale. Dans ce chapitre consacré à la broderie de Bayeux, mais surtout dans celui consacré à l’un des multiples poèmes de Théodulf d’Orléans, dont le thème principal est celui de la relation entre un fils et son père à partir de la perte d’un cheval, P. Dutton offre au lecteur une démonstration d’enquête iconographique portant cette fois sur les représentations du cheval à l’époque carolingienne et leurs multiples significations, de nature à la fois politique et théologique. Inutile de préciser que pour chacun des dossiers traités, P. Dutton fait preuve d’un sérieux exemplaire dans l’exposé des sources à sa disposition, comme par exemple, pour le manuscrit du ixe siècle contenant la « petite » phrase transcrite par Ellenhart dont l’auteur montre l’ampleur inattendue. Enfin, il faut savoir gré à P. Dutton d’avoir su échapper à la surinterprétation de ces « petites choses » de l’Histoire, du fait notamment de la grande qualité méthodologique appliquée à chaque enquête menée, mais aussi car à aucun moment l’auteur n’a voulu défendre l’idée selon laquelle la micro-histoire serait l’apanage de l’approche historique.

4Je conclus par l’évocation de deux auteurs, l’un médiéval, l’autre contemporain, que P. Dutton convoque naturellement dans son livre. Connaissant l’intérêt de longue date de P. Dutton pour Jean Scot Erigène, on n’est pas surpris de voir le dernier cas du livre traité porter sur un passage du théologien carolingien, où il est fait mention « des larmes de Narcisse », permettant ainsi à P. Dutton d’explorer l’impact de la culture antique sur la pensée de l’auteur du Perypheseon. Enfin, dans le long chapitre central du livre, P. Dutton accorde la place due à C. Ginzburg pour sa part prise dans l’approche de la micro-histoire. Il me semble que le beau livre de Paul Edward Dutton constitue un écho au remarquable essai de C. Ginzburg, dont la cohérence tient à la vision portée par le savant sur son objet d’étude : À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire (Paris, Gallimard [Bibliothèque des histoires], 2001).

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Pour citer cet article

Référence papier

Éric Palazzo, « Paul Edward Dutton, Micro Middle Ages »Cahiers de civilisation médiévale, 267 | 2024, 479-480.

Référence électronique

Éric Palazzo, « Paul Edward Dutton, Micro Middle Ages »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 267 | 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/19686 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12e70

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Auteur

Éric Palazzo

Université de Poitiers, CESCM

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