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Comptes rendus – Supplément numérique

Dawn Marie Hayes, Roger II of Sicily. Family, Faith, and Empire in the Medieval Mediterranean World

Aurélie Thomas
Référence(s) :

Dawn Marie Hayes, Roger II of Sicily. Family, Faith, and Empire in the Medieval Mediterranean World, Turnhout, Brepols (Medieval Identities : Socio-cultural Spaces, 7), 2020, 221 p.

Texte intégral

1L’ascension fulgurante en Méditerranée d’une petite famille de hobereaux normands, les Hauteville, n’a jamais cessé de fasciner les historiens : en l’espace d’une vingtaine d’années, la première génération des frères Hauteville est parvenue à s’emparer de tout le Mezzogiorno et de la Sicile, supplantant avec une rapidité inégalée les élites dirigeantes de la région, qu’elles soient lombardes, byzantines ou musulmanes. Roger II de Sicile fut, comme l’étaient son oncle Robert Guiscard et son père le duc Roger avant lui, une figure hors norme, tranchant parmi ses contemporains du xiie siècle. Fondateur d’un royaume centré sur la Sicile, dont les terres s’étendaient de part et d’autre de la Méditerranée et réunissaient des populations de cultures différentes, Roger II fut un politique avisé, un militaire efficace et bien conseillé dont les ambitions s’étendaient bien au-delà du patrimoine Hauteville réuni sous son autorité, à l’Empire byzantin et à la Terre sainte. C’est à cette figure de Roger II, proclamé roi en 1130, que s’intéresse le travail de Dawn Marie Hayes, publié chez Brepols, dans la collection « Medieval Identities : Socio-cultural spaces ».

2Cet ouvrage n’est pas, comme son titre pourrait le laisser penser, une nouvelle biographie du premier roi de Sicile, Roger II. Il s’agit d’un travail de synthèse dans lequel, D. M. Hayes cherche à mettre en lumière les ambitions orientales de Roger II et sa politique d’affirmation du pouvoir, à travers trois axes : les stratégies d’alliance qui sous-tendent aux trois unions de Roger II, d’abord avec Elvira, fille d’Alphonse VI de Castille, puis à la toute fin de son règne avec deux filles de l’aristocratie française ; le culte de Saint-Nicolas de Bari et ses connexions normandes ; et enfin la signification politique et idéologique du célèbre portrait du souverain à Sainte-Marie de l’Amiral à Palerme. Elle apporte ainsi un éclairage complémentaire à la biographie de référence sur le souverain normand de Hubert Houben, parue pour la première fois en 1997 en allemand et rapidement traduite et publiée en anglais en 2002 (H. Houben, Roger II of Sicily. A Ruler between East and West, Cambridge, Cambridge University Press [Cambridge medieval textbooks], 2002). L’ouvrage est également une synthèse des travaux antérieurs de D. M. Hayes, dont le contenu est en grande partie repris ici. Dans la forme, l’ouvrage s’apparente d’ailleurs davantage à un miscellaneous d’articles, toilettés pour rendre le fil de la démonstration plus fluide, qu’à un essai à proprement parler. Il est néanmoins assez cohérent dans son écriture et les conclusions partielles à l’issue de chaque chapitre en facilitent grandement la lecture. L’ouvrage est assez dense, il compte 220 pages, deux cartes (une du monde méditerranéen sous Roger II et une seconde de l’état du royaume rogérien à la mort du souverain en 1153), quatre tableaux généalogiques, un index des noms propres et une bibliographie conséquente. Il est organisé en trois parties : « Famille » (60 p.), « Foi » (46 p.) et « Empire » (47 p.) qui reprennent les trois axes évoqués plus haut et constituent les « pouvoirs obliques » (« Oblique power »), mobilisés par le souverain méditerranéen à l’appui de sa politique d’affirmation personnelle, pour reprendre l’expression employée par D. M. Hayes.

3La première partie, « Family » (p. 33-93), est la plus longue de l’ouvrage et certainement la plus convaincante et la plus novatrice. D. M. Hayes revient sur les stratégies matrimoniales de Roger II, en s’intéressant successivement à son premier mariage avec Elvira, la fille d’Alfonse VI de Castille (Chapitre I), puis à ses deux unions plus tardives avec Sybille de Bourgogne puis Béatrice de Rethel (Chapitre II). D. M. Hayes voit dans le choix initial de Roger II d’une alliance castillane, une volonté de s’allier à un acteur fort de la Reconquista, un ami de Cluny (ordre promoteur de la conversion des musulmans), dont la situation géopolitique et l’attitude conquérante face au monde musulman présentaient de fortes similitudes avec celle du souverain sicilien en 1130. L’hypothèse défendue par D. M. Hayes prend ici le contrepied de la thèse soutenue par Hubert Houben d’une alliance entre les deux souverains, espagnol et sicilien, fondée sur une attitude de « tolérance » supposée à l’égard du monde musulman. D. M. Hayes revient ensuite sur les deux derniers mariages de Roger II, en quête d’héritiers après le décès prématuré d’un quatrième fils en 1149. Ces deux dernières unions, la première avec Sybille de Bourgogne en 1149, la seconde avec Béatrice de Rethel en 1151, apparaissent dictées autant par les relations amicales de Roger II avec le roi de France Louis VI (son seul allié dans le contexte des années 1140) que par les liens très forts entretenus par ces deux lignages avec les États latins du Levant, notamment la famille de Rethel. Ces deux unions de la fin de règne de Roger II rapprochent le souverain sicilien des lignages capétien (Sybille) et carolingien (Béatrice), en même temps qu’elles le lient avec deux familles connues pour leur sensibilité à la croisade et, dans le cas des Rethel, solidement implantée en Terre sainte. Elles confortent la politique anti-byzantine du souverain sicilien et sa volonté de réclamer l’héritage Hauteville en Terre sainte.

4La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse aux dévotions siciliennes à Saint-Nicolas de Myra et à la façon dont les Hauteville, puis Roger II, ont repris ce patronage à leur compte. Cette partie fait le lien de façon très intéressante entre la dévotion préexistante à l’époque byzantine pour Saint-Nicolas de Myra et le développement du culte du saint en milieu normand au xie siècle. D. M. Hayes montre bien comment ce saint militaire, patron des voyageurs, des marins et des marchands, est apparu comme le protecteur naturel d’un royaume dont les territoires s’étendaient de part et d’autre de la Méditerranée et dont la richesse reposait essentiellement sur son commerce et sur sa position stratégique sur la route de la Terre sainte. Cette seconde partie apporte un éclairage nouveau sur le syncrétisme dévotionnel autour de Saint-Nicolas de Bari et sur la participation des Hauteville – dès l’époque de Robert Guiscard – et de Roger II à la promotion de son culte.

5La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse à l’idéologie sous-jacente derrière la célèbre mosaïque représentant Roger II couronné par le Christ, à la mode des empereurs byzantins et revêtu du loros antique, dans la célèbre église de Sainte-Marie de l’Amiral à Palerme. Œuvre de commande du célèbre amiral de Roger II, George d’Antioche, la Martorana a fait l’objet d’une littérature importante, qui a mis depuis longtemps en évidence l’inspiration byzantine et impériale de la mosaïque. D. M. Hayes reprenant les analyses anciennes d'Ernst Kitzinger (E. Kitzinger, The Mosaics of St Mary’s of the Admiral in Palermo, Washington DC, Dumbarton Oaks research library and collection [Dumbarton Oaks studies, 27], 1991) propose une interprétation originale de la présence des fleurs de lys et du loros porté par Roger II, qui marquent à la fois une volonté de Roger II de mettre en avant ses liens avec la dynastie régnante en France (liens renforcés par ses deux dernières unions), tout en affirmant ses ambitions impériales face à Byzance. L’hypothèse est séduisante et bien amenée, mais elle mérite certainement discussion.

6En conclusion, l’ouvrage de D. M. Hayes constitue un apport original qui, en mobilisant le contexte géostratégique et politique de la Méditerranée du xiie siècle, éclaire sous un angle nouveau nos connaissances sur le premier souverain sicilien. Si certaines hypothèses avancées par D. M. Hayes sont discutables, la façon dont elle inscrit son travail dans une perspective large au sens braudélien du terme fait de son ouvrage une nouvelle référence, aussi bien sur la figure controversée du célèbre souverain sicilien que sur le contexte culturel et politique de la Méditerranée du XIIe siècle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélie Thomas, « Dawn Marie Hayes, Roger II of Sicily. Family, Faith, and Empire in the Medieval Mediterranean World »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 267 | 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/19624 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12e6u

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Auteur

Aurélie Thomas

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