Chrétien’s Equal. Raoul de Houdenc. Complete Works, Nigel Bryant (trad.)
Chrétien’s Equal. Raoul de Houdenc. Complete Works, Nigel Bryant (trad.), Cambridge, D.S. Brewer (Arthurian studies, 90), 2021, 247 p.
Full text
1L’ouvrage de Nigel Bryant consiste en une traduction, en langue anglaise, de l’ensemble des œuvres de Raoul de Houdenc à partir de diverses éditions des textes, y compris La Voie de Paradis (The Path to Paradise) dont l’attribution à Raoul de Houdenc est sujette à caution et n’est généralement plus admise par les spécialistes de cet auteur, qui renvoient ainsi, faute de mieux, au pseudo-Raoul. N. Bryant fait d’ailleurs état de cette situation dans son introduction et rappelle que Raoul de Houdenc n’est très probablement pas l’auteur de ce texte (« He was surely not the man who composed the Path to Paradise », p. 28), mais donne néanmoins en clôture du volume la traduction du poème allégorique, dans le cadre de présentation commun à l’ensemble du livre et des œuvres traduites. Celles-ci sont, dans l’ordre : Le Roman des Ailes (« The Romance of the Wings », p. 37-46), Meraugis de Portlesguez (« Meraugis of Portlesguez », p. 47-123), La Vengeance Raguidel (« Sir Gawain and the Avenging of Raguidel », p. 124-198), Le Borjois borjon ou le Dit de Raoul de Houdenc (« The Burgess’s Burgeoning Blight », p. 199-203), Le Songe d’Enfer (« The Dream of Hell », p. 205-214) et La Voie de Paradis (« The Path to Paradise », p. 215-230).
2Elles sont précédées d’une assez courte introduction (« Introduction », p. 1-31) qui présente très rapidement Raoul de Houdenc, possiblement chevalier et ménestrel, en reprenant succinctement les données établies ou débattues antérieurement par Keith Busby (Le Roman des Eles. The Anonymous Ordene de Chevalerie, K. Busby [éd.], Amsterdam/Philadelphia, J. Benjamins, 1983) et Gilles Roussineau (La Vengeance Raguidel, G. Roussineau [éd.], Genève, Droz [Textes littéraires français, 561], 2004) sur l’identité de l’auteur, tout en mettant l’accent sur le caractère humoristique de son œuvre. N. Bryant passe ensuite en revue les différentes œuvres attribuées à Raoul, selon de brèves notices d’une à cinq pages qui alternent avec des présentations plus thématiques, portant sur l’allégorie et la satire, les effets de distanciation (« Alienation », p. 18-19), de divertissement, la question de la performance orale de certaines parties des textes, ou encore le thème de la largesse. Tout ceci est traité de façon extrêmement rapide et un peu décousue, selon une volonté purement introductive à destination d’un public non connaisseur de Raoul de Houdenc, sans analyse approfondie, mais en disséminant quelques éléments notionnels et factuels essentiels à la compréhension et à la contextualisation littéraire des textes. Le thème du divertissement (« Entertainment », p. 19-23) revient ainsi sur les présentations initialement distinctes de Meraugis (p. 9-15) et de Raguidel (p. 15-18), tandis que la rubrique « Performance » complète un peu les données sur la dialectique courtoise et chevaleresque de Meraugis et l’emploi du dialogue dans les romans.
3Dans l’ensemble, ces pages présentent une ambition à la fois critique et introductive sur l’œuvre attribuée à Raoul, mais dans les deux cas le lecteur risque de rester un peu sur sa faim. Du point de vue critique, la brièveté des notices et le caractère très condensé et sélectif des informations ne rendent pas suffisamment compte des différents aspects de l’œuvre. Certes, ce n’est pas là l’enjeu du livre et, d’ailleurs, la plupart des informations renvoie aux analyses développées dans le récent et très bon ouvrage collectif Raoul de Houdenc et les routes noveles de la fiction. 1200-1235 (Sébastien Douchet [dir.], Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence [Senefiance, 66], 2018). Mais cela a pour conséquence de rappeler, de façon partielle ou incomplète, des éléments qui ici manquent d’assise et de mise en perspective avec un cadrage contextuel plus précis. Ainsi, la technique du dialogue auctorial est-elle quasi exclusivement traitée sous l’angle de l’humour (p. 18-19), un aspect certes important de l’œuvre de Raoul de Houdenc, mais qui mériterait d’être complété par d’autres analyses. De même, la question de l’identité de l’auteur de Meraugis et de la Vengeance Raguidel se trouve-t-elle aussi réduite essentiellement à ce point et à cet argument, alors que l’on pourrait attendre un développement sur la place de ces romans dans la production des romans arthuriens en vers de seconde génération qui se caractérisent par une dimension comique ou parodique. Les travaux de Francis Gingras et d’Isabelle Arseneau auraient ainsi pu être convoqués pour étayer cet aspect ou, du moins, le lecteur aurait-il pu y être renvoyé en note. De même, l’argument de l’humour semble suffire presque à lui seul à prouver que La Voie de Paradis n’est pas l’œuvre du même auteur. L’argument de la tonalité est certes tout à fait juste, mais les tenants et aboutissants de ce débat sur l’attribution du texte auraient gagné à être davantage exploités ou, du moins, mentionnés, en incluant par exemple l’article d’Alexandre Micha (« Raoul de Houdenc est-il l’auteur du Songe de Paradis et de la Vengeance Raguidel ? », Romania, 68/271, 1944, p. 316-360, repris dans A. Micha, De la chanson de geste au roman. Études de littérature médiévale, Genève, Droz, 1976). Aussi l’introduction peine-t-elle un peu, finalement, à remplir sa fonction de présentation initiale, dans la mesure où elle présente les textes par touches, sans les inscrire fermement dans un contexte précis, sans résumer non plus pleinement les œuvres avant de les commenter. Ainsi, l’affirmation inhérente au titre « Chrétien’s equal » n’est-elle jamais vraiment étayée, ni même explicitement rappelée au cours de cette introduction. Certes les premières lignes (p. 2) se font-elles l’écho du Tournoimenz Antecrist, où Huon de Méry place justement à égalité – du moins sur le plan de la coordination syntaxique – « les diz Raol et Crestïen », mais sans citer le texte, ce qui est regrettable. Le rapport à Chrétien de Troyes revient ensuite au fil des remarques sur Meraugis à propos des personnages féminins, mais de façon clairement insuffisante par rapport à ce que laisse espérer le titre. En quoi Raoul peut-il être considéré comme « l’égal » de Chrétien ? Sous quels aspects précisément ? Le postulat n’est pas argumenté et le questionnement sur le rapport à l’œuvre de Chrétien reste marginal, dans tous les sens du terme : le caractère épigonal de Raoul ou ses emprunts aux romans de Chrétien sont seulement évoqués de façon beaucoup plus précise dans les notes 61 et 62, mais l’on ne sait pas, au final, si « l’égalité » postulée entre les deux auteurs se situe au niveau de la force matricielle de leur œuvre ou bien de leur postérité, ou encore à un niveau plus littéraire. Enfin, on peut regretter que les citations des textes médiévaux ne soient données que dans la traduction anglaise, sans le texte en ancien français.
4L’introduction se poursuit, p. 31, sur un rappel des éléments de datation puis l’indication des éditions de référence utilisées pour la traduction (p. 32-33) : informations essentielles et fort utiles qui viennent compléter la bibliographie critique (p. 34-35). Celle-ci laisse beaucoup à désirer et reprend essentiellement, mais pas seulement, des ouvrages ou articles cités dans l’introduction. S’il s’agit d’une bibliographie indicative renvoyant aux publications les plus importantes sur Raoul de Houdenc, il manque des références importantes pour compléter les développements qui précèdent sur la parodie (par exemple I. Arseneau, « Meraugis de Portlesguez ou l’art de railler et de faire dérailler la mécanique du roman », dans Le rire et le roman, Mathieu Bélisle [dir.], Études françaises, 47/2, 2011, p. 21-37 ; F. Gingras, « La triste figure des chevaliers dans un codex du xiiie siècle (Chantilly, Condé 472) », Revue des langues romanes, 110/1, 2006, p. 77-97 ; id., « Décaper les vieux romans. Voisinages corrosifs dans un manuscrit du xiiie siècle (Chantilly, Condé 472) », dans De l’usage des vieux romans, Ugo Dionne et F. Gingras [dir.], Études françaises, 42/1, 2006, p. 13-38), sur le traitement du personnage de Gauvain (par exemple Stoyan Atanassov, L’idole inconnue. Le personnage de Gauvain dans quelques romans du xiiie siècle, Orléans, Paradigme [Medievalia, 31], 2000, en particulier chap. III), ou encore sur la place de Raoul dans le développement du genre romanesque. S’il s’agit d’une bibliographie sélective, pourquoi référencer certains articles de revue ou d’ouvrages collectifs plutôt que d’autres, par exemple en ce qui concerne les études de Carine Giovénal et de K. Busby, mentionnées seulement pour une partie, ou bien les travaux de Patrizia Serra, absents de la liste ? Il manque aussi le relevé de l’ensemble des éditions critiques et des traductions – au moins en anglais et en français – de Raoul de Houdenc, ce qui permettrait de mieux situer l’ouvrage de N. Bryant dans l’état actuel des publications sur le sujet. On renverra, pour une bibliographie à jour et complète, à celle de Sébastien Douchet (Raoul de Houdenc et les routes noveles de la fiction, op. cit.).
5En ce qui concerne les traductions, elles sont fidèles aux textes (celle de Meraugis semble s’appuyer en partie sur la traduction en français moderne de Michelle Szkilnik), composées dans un style enlevé et dynamique qui en rend la lecture aisée et agréable. Elles sont accompagnées de quelques notes textuelles qui ont diverses fonctions. C’est là que l’on trouve à nouveau dans cette posture marginale, des renvois aux romans de Chrétien de Troyes, notamment dans la traduction de Meraugis. Cependant, à l’exception de sa propre traduction du Conte du Graal, l’auteur ne renvoie jamais aux éditions des textes cités, mentionnant simplement Yvain, Erec and Enide (n. 6, p. 49) ou Cligès (n. 9, p. 50), ce qui ne permet pas au lecteur de repérer et de comparer précisément les passages. Certaines notes soulignent aussi des problèmes de traduction et d’interprétation du texte et donnent la plupart du temps le terme médiéval commenté, mais il y a quelques exceptions à cette pratique, ce qui ne permet alors pas d’évaluer le choix proposé ni de comparer explicitement avec le passage. D’autres notes encore, à destination d’un public non spécialiste, éclairent certaines allusions à des realia du monde médiéval (par exemple sur le mot « destrier » ou les heures canoniques).
6L’auteur introduit aussi des modifications comme le changement de nom d’un personnage (n. 11, p. 58) pour le distinguer d’un autre personnage du même nom qui apparaît plus loin – Amice devenant ainsi « Amicete » dans Meraugis –, mais il aurait été préférable de maintenir la leçon et de proposer une note explicitant la situation. De même, le titre anglais de la traduction de la Vengeance Raguidel, pourtant bien désigné dans l’édition de référence de la traduction par l'expression « C’est li contes/de la Vengeance Raguidel » (La Vengeance Raguidel, G. Roussineau [éd] op. cit., v. 6104-6105) n’est pas justifié : pourquoi le traduire par « Sir Gawain and the Avenging of Raguidel » ? Certes Gauvain est le personnage principal du roman, mais sa mention dans le titre ne correspond pas à la désignation médiévale du texte, que N. Bryant traduit d’ailleurs tout à fait fidèlement dans l’explicit (p. 198). La double traduction The Burgess’s Burgeoning Blight (donnée à partir des deux manuscrits existants) est en revanche précédée d’une courte introduction justifiant efficacement le titre. La traduction du Songe d’Enfer est la plus fournie en notes de toutes sortes qui permettent une lecture plus éclairée du texte, en contexte, et donc plus approfondie. Enfin, la précédente traduction en anglais du Roman des Ailes par K. Busby, dans l’édition de référence à partir de laquelle l’auteur propose sa propre traduction, aurait dû être mentionnée (et non pas seulement l’édition du texte), de manière à justifier des interprétations parfois différentes sur le texte.
7Pour conclure, l’ouvrage de N. Bryant, publié dans une édition de belle facture, s’adresse sans doute plus, en toute logique, à un public anglophone peu voire pas familier des textes en ancien français qu’à un public francophone qui dispose déjà d’une ou de plusieurs traductions en français pour les textes ici rassemblés (à l’exception du Borjois borjon). Cela explique le caractère relativement léger de l’appareil critique et de l’introduction, qui peuvent néanmoins ménager l’accès à des éditions scientifiques et des études plus approfondies de l’œuvre de Raoul de Houdenc. Le livre présente aussi l’intérêt non négligeable de rassembler pour la première fois l’ensemble de l’œuvre traduite de Raoul et du pseudo-Raoul et d’en faciliter ainsi la connaissance, ce qui n’est pas un petit avantage.
References
Electronic reference
Hélène Bouget, “Chrétien’s Equal. Raoul de Houdenc. Complete Works, Nigel Bryant (trad.)”, Cahiers de civilisation médiévale [Online], 267 | 2024, Online since 15 September 2024, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/19167; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12e6m
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