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Chronique

La dynastie des comtes Taillefer en Angoumois. À propos d’une exposition et d’un colloque récents*

Sophie Bressan
p. 105-110

Notes de la rédaction

* « La dynastie des comtes Taillefer. Histoire du comté d’Angoulême de 866 à 1246 », exposition mise en place le 5 août 2011 à Via patrimoine et visible en visite libre jusqu’en mars 2012 ; « Aristocratie et noblesse au Moyen Âge (ve-xve siècles) », colloque organisé par Sophie Bressan-Verdier tenu à Angoulême les 29, 30 et 31 août 2011.

Texte intégral

1Le lundi 29 août 2011 s’ouvrait à Angoulême la session « Approche de l’époque médiévale » de l’université d’été de l’Association pour la valorisation du patrimoine à Angoulême et en Charente, Via patrimoine qui organisait un colloque intitulé « Aristocratie et noblesse au Moyen Âge (ve-xve siècle) », en écho à l’exposition « La dynastie des comtes Taillefer. Histoire du comté d’Angoulême de 866 à 1246 », mise en place le 5 août 2011 à Via patrimoine et visible en visite libre jusqu’en mars 2012 dans la salle Marguerite de l’Hôtel de Ville d’Angoulême.

  • 1 Sophie Bressan-Verdier, « Une famille : les comtes Taillefer d’Angoulême (866-1202) », mémoire de D (...)

2L’exposition sur les comtes Taillefer propose une synthèse thématique de l’histoire de la famille Taillefer fondée sur une analyse sociologique insistant sur deux mots-clés : « la famille » et « la noblesse »1. La famille Taillefer apparaît en 866 sous le règne de Charles le Chauve et disparaît en 1246 à la mort d’Isabelle, la fille unique du dernier comte Taillefer, devenue reine d’Angleterre par son mariage avec Jean sans Terre. Trois phases organisent son histoire : la naissance du lignage (866-989), l’affirmation du lignage (989-1181), l’extinction du lignage (1181-1202). La naissance du lignage se fonde sur deux ancêtres, Vulgrin (866-886) et Guillaume II Taillefer (926-962), qui donnent à leurs descendants une ascendance carolingienne et une identité guerrière. L’affirmation du lignage (989-1181) correspond au passage d’une famille élargie à une famille unique réalisée grâce à une habile politique matrimoniale qui permet de confondre croissance démographique et domination territoriale. L’extinction du lignage (1181-1202) se produit au moment où les comtes d’Angoulême doivent faire face aux intrusions royales des deux monarchies capétienne et Plantagenêt, et ce alors que les derniers comtes meurent sans héritiers masculins. Après 1202, l’histoire de la famille Taillefer devient celle des Plantagenêt et des Lusignan. Mais Isabelle Taillefer se révèle la digne héritière de ses ancêtres à l’âme insoumise. Son histoire, ses deux mariages, sa révolte, constituent les derniers actes de l’histoire de la dynastie des Taillefer.

3En quatre siècles, en douze générations, les Taillefer gardent la même attitude, inflexible, à l’égard d’eux-mêmes et de leurs contemporains : ces hommes issus de la haute aristocratie germanique restent des guerriers redoutables, victorieux dans les duels et dans les guerres internes au comté d’Angoulême, révoltés infatigables face aux Plantagenêt.

4L’éducation familiale et la transmission des gestes publics, politiques et guerriers, de père en fils expliquent la pérennité de la famille Taillefer. Cette continuité dynastique s’illustre parfaitement avec le choix des prénoms pour les enfants de sexe masculin héritiers du titre comtal et avec la construction d’une nécropole familiale à l’abbaye de Saint-Cybard. La mainmise que les Taillefer opèrent sur les affaires religieuses du comté, qu’il s’agisse de l’évêché d’Angoulême ou des monastères angoumoisins, leur permet de bâtir solidement leur « État » et de le maintenir.

5Cette constance a impressionné leurs contemporains, la littérature s’est emparée de leur sur nom emblématique pour forger un modèle de héros-guerrier véhiculé par les chansons de geste ou autres écrits épiques.

6La dynastie des comtes Taillefer est mal connue, même sur le plan local. Le premier enjeu consistait donc à la faire connaître. En ce sens l’exposition fait œuvre de communication. Inscrite dans un esprit de découverte, d’éveil et de vulgarisation de l’histoire médiévale, elle a pour objectif initial de mobiliser le public angoumoisin à l’égard de son passé. Il convenait donc – deuxième enjeu – de créer « un esprit médiéval » capable de répondre autant aux attentes du public qu’aux exigences du médiéviste. Aussi la mise en valeur de contenu scientifique de l’exposition repose-t-elle sur une approche esthétique et didactique.

7L’exposition révèle les trois visages biologiques, politiques et mythiques de la famille Taillefer selon l’image d’une famille personnifiée en un seul personnage. Elle repose sur une vision chrono-thématique et répond à trois questions : comment la dynastie des Taillefer a-t-elle fait pour réussir à se maintenir à la tête du comté de l’Angoumois de la seconde moitié du ixe siècle au début du xiiie siècle ? En quoi la famille Taillefer appartient-elle à la noblesse ? Comment les comtes Taillefer ont-ils marqué la construction du territoire charentais ?

8L’exposition se constitue de vingt-sept panneaux-textes, construits de manière identique : un titre, une introduction sous la forme d’une interrogation, un texte simple et un résumé. L’ensemble est illustré par un dessin, une « enluminure contemporaine » créée par Martine Ortiz. Une numérotation générale des panneaux de 1 à 13 permet de donner un sens à la visite. Le premier panneau présente les sources relatives à l’écriture de l’histoire de la famille Taillefer. Les panneaux suivants [panneaux 2, 3-1, 3-2, 4-1, 4-2] retracent de manière chronologique l’histoire de la famille, de sa naissance à son extinction. Les panneaux 5-1 et 5-2 appréhendent la famille elle-même et l’histoire de sa parenté. Le panneau 6 évoque les faits d’armes des comtes Taillefer [fig. 1]. Les panneaux 7-1 et 7-2 abordent la pitié des comtes et les constructions-fondations religieuses dont ils sont responsables. Quatre panneaux (8-1, 8-2, 8-3,8-4) évoquent les rapports de force ou d’entente des comtes avec le duc d’Aquitaine, avec les rois, avec les évêques d’Angoulême. En dix panneaux (9-1, 9-2, 9-3, 9-4, 10-1, 10-2, 11-1, 11-2, 11-3, 11-4) sont décrits les différents pouvoirs des comtes : foncier, administratif et judiciaire. Les deux derniers panneaux 12 et 13 reviennent sur la mise en scène littéraire des Taillefer et sur le personnage d’Isabelle Taillefer. Chaque panneau se suffit à lui-même et peut se lire de manière totalement autonome, offrant cette liberté aux visiteurs d’être eux-mêmes acteurs de leur parcours.

9La mise en scène graphique appuie cette démarche. L’ensemble (la couleur de fond des panneaux qui vise à rappeler un parchemin, la police des caractères ni médiévale, ni administrative, l’insertion des motifs fleuris) invite le spectateur-voyageur à se promener dans le Temps en lui suggérant un « esprit médiéval » tel que son imaginaire le construit en fonction de l’image et des informations que nous avons mis à sa disposition, en fonction aussi de son esprit critique et d’initiative.

10Afin de pallier la réticence possible du visiteur face à la quantité de textes, nous avons opté pour une écriture pédagogique d’où découle la structure commune des panneaux. Chaque panneau pose donc une question, à laquelle les différents titres de paragraphes et le résumé répondent, donnant des clefs de lecture simples et suffisantes pour comprendre et retenir l’histoire de cette famille. Parallèlement, la citation directe des sources (par exemple la charte de fondation du castrum de Montignac) et l’utilisation d’un vocabulaire spécifique et précis privilégient l’exactitude scientifique et permettent au visiteur de suivre ce parcours en s’initiant à la démarche des médiévistes.

11Trois cartes permettent de situer l’histoire des Taillefer dans l’espace et de visualiser le comté d’Angoumois à l’intérieur du royaume de France, en fonction de son évolution territoriale et face aux Plantagenêt. Se fondant sur une cartographie de recherche dont elles constituent une sorte de synthèse, elles ont le mérite de mettre en valeur le comté d’Angoulême de telle sorte que le public puisse retenir que l’Angoumois médiéval assoit sa configuration à l’intérieur du département de la Charente actuelle, mais que l’État féodal des Taillefer empiétait au Nord sur le Poitou, à l’Est sur le Limousin, au Sud sur le Périgord, à l’Ouest sur la Saintonge et même le Bordelais.

12Enfin, une généalogie simplifiée (laissant de côté les branches secondaires), mais tenant compte des dernières recherches prosopographiques (insérant les origines, désormais connues de Vulgrin Ier), finit d’insérer la famille Taillefer dans la durée. L’idée d’un arbre dans sa version végétale paraissait évidente. S’inspirant de représentations présentes dans les imagiers médiévaux, comme « l’arbre du droit » et l’arbre de Jessé, mais sans faire de la copie, Sabine Eichler a composé un dessin à décor végétal d’un arbre, sans tronc ni racine, qui grimpe sans fin vers le ciel à l’image du Temps qui avance sans cesse et de la science historique qui en étudie les dimensions. Cet arbre suggère la vision verticale de la parenté du temps des Taillefer : des branches bourgeonnantes indiquent chaque génération ; des feuilles de couleurs différentes distinguent les liens de sang et les mariages ; des feuilles nervurées ou non désignent les hommes et les femmes.

13Les Taillefer n’ont pas laissé de manuscrits enluminés. Les monuments publics, privés et religieux qu’ils ont fondés, habités ou connus et laissés sont en très grande partie détruits, qu’il s’agisse des édifices religieux (l’abbaye de Saint-Cybard, l’abbaye de Saint-Amant-de-Boixe, l’abbaye de La Couronne…) ou des édifices castraux (Andone, Montignac, Bouteville, Marcillac, le palais Taillefer…). Pour exposer de manière esthétique et visuelle leur histoire, il a fallu vaincre ce vide documentaire. À partir d’une sélection d’enluminures des xiie-xve siècles (les spécialistes et amateurs les plus éclairés reconnaîtront les enluminures-modèles des xiiie, xive et xve siècles, comme certaines scènes du Codex Manesse), M. Ortiz a mis en situation les personnages historiques. Les dessins ont été réalisés à la gouache pour rappeler l’intensité de la couleur des œuvres médiévales, puis repris au crayon de couleur afin de donner plus de finesse aux mouvements et apporter un côté « rafraîchissant » aux scènes assurant crédibilité historique et originalité. L’ajout de cette touche contemporaine personnelle, douce et animée, poétique et féérique qui recrée l’éclat et la subtilité des œuvres des imagiers médiévaux dont l’artiste s’est inspirée fait appel à « l’imagination médiévale » de chacun.

14Il paraissait utile de proposer à un public non spécialiste, mais cultivé, attentif et curieux, des ouvertures au-delà du sujet de l’exposition, permettant une vision plus générale du Moyen Âge. Les Taillefer étant des bellatores issus de la haute aristocratie germanique, la perspective de réunir une session d’études portant sur la noblesse s’imposait. Le colloque, dont le programme a été élaboré en fonction de l’histoire des Taillefer, a réuni pendant trois jours treize conférences d’histoire, de castellologie, d’histoire de l’art, de littérature et d’études cinématographiques, avec comme objectif de répondre à la question « Qu’est-ce qu’être noble au Moyen Âge ? ».

15La première journée d’étude fut consacrée à présenter les critères de définition de la noblesse médiévale. Dans sa conférence d’introduction au colloque, « Aristocratie et noblesse au Moyen Âge », Martin Aurell a défini la problématique d’un point vue chronologique, thématique et historiographique, rappelant que « l’aristocratie et la noblesse [étaient] des constructions sociales complexes, ouvertes et mouvantes, qui se laissent difficilement appréhender ». Partant des deux étymologies grecque et latine et des Étymologies d’Isidore de Séville, M. Aurell a insisté sur le fait que la noblesse est de l’ordre de la perception d’autrui. Il a exposé cette définition en distinguant la vision des nobles par les hommes du Moyen Âge de la vision des nobles aujourd’hui en fonction des différentes écoles historiques (les marxistes, les wébériens, les historiens qui intègrent les études des sociologues). La famille et la généalogie prestigieuse, la pratique de la guerre à cheval, la possession de terres, de seigneuries et une culture lettrée (le savoir et les manières), le regard des autres (l’honneur et la honte) apparaissent comme les principaux critères à retenir pour définir le noble… M. Aurell a précisé la complexité des rapports de la noblesse face à la royauté des Plantagenêt. La noblesse dépend de la formation ou de l’effondrement de l’État. Dans l’Empire Plantagenêt, la noblesse qui collabora à la mise en place de l’État se trouva confrontée à la volonté politique d’Henri II de gouverner de manière plus affirmée. L’ensemble des mesures juridiques prises par le souverain, appuyées par la mise en place d’une propagande, renforça la royauté au détriment des pouvoirs locaux seigneuriaux. Face à cette centralisation, la noblesse riposta jusqu’à imposer à Jean sans Terre la Magna Carta.

16L’intervention de Christian Rémy intitulée « Aristocraties et fiefs : l’exemple des confins de l’Angoumois et du Périgord » a mis en avant les châtellenies du Sud-Ouest de la Charente, mal connues et souvent difficiles à identifier. Cette aristocratie fournit plusieurs exemples qui permettent de définir la noblesse médiévale comme un corps social autant homogène que pluriel. Après avoir montré comment les nobles se font connaître dans les actes (la nomination du titre, la possession, leur réseau lignager en fonction des témoins présents, le choix des prénoms, l’utilisation de sceaux…), C. Rémy a examiné les hiérarchies internes de cette noblesse, son ancrage territorial et ses comportements sociaux. Nous retiendrons qu’il distingue trois sphères hiérarchiques : celle des comtes d’Angoulême, des vicomtes de Limoges et des vicomtes de Castillon, celle des grands maîtres de châteaux (les Villebois-Cognac, les Montmoreau…) et celles des chevaliers.

17Notre conférence, « La famille Taillefer, comtes d’Angoulême de 866 à 1202 » a repris de façon plus détaillée le contenu de l’exposition. Sous la plume des chroniqueurs, en particulier dans l’Historia pontificum et comitum engolismensium, les Taillefer apparaissent comme des figures guerrières et des hommes pieux. Ces deux dimensions « l’amour des armes et l’amour de Dieu » correspondent parfaitement aux comportements des bellatores.

18La deuxième journée a permis d’évoquer le cadre de vie des nobles et leur vie quotidienne. La dernière journée a abordé des questions d’histoire religieuse et culturelle afin d’appréhender la mentalité et les croyances des milieux aristocratiques. Animées par Marie-Pierre Baudry-Parthenay deux conférences d’archéologie médiévale (« Le château au Moyen Âge : un lieu de vie et un lieu de pouvoir pour les nobles » ; « De la demeure noble à la résidence princière, le château à la fin du Moyen Âge »), ont permis d’appréhender le château au Moyen Âge. Le public a pu comprendre ce que représente cet édifice pour les nobles ; comment le donjon est devenu un espace de vie politique ou publique et un espace de vie privée ; et de quelle manière s’organise cet édifice à l’intérieur. Au moyen de nombreux exemples (Doué-la-Fontaine, Langeais, Loches, Montbazon, Pons, Falaise, Douvres, Etampes, Gisors, Château Gaillard…), dont le castrum d’Andone, résidence des comtes d’Angoulême, jusqu’à ce que Guillaume IV (989-1028) décide de transférer cette dernière à Montignac (panneau 9-3), présentés par deux diaporamas mêlant photographies, enluminures, plans et dessins, M.-P. Baudry-Parthenay est parvenue à retracer l’histoire du donjon roman, insistant sur le fait que ce modèle n’a pas été inventé par les Normands, mais que c’est grâce à eux que sa formule s’est diffusée tout au long des xie-xiie siècles et a connu un réel succès, devenant des édifices plus vastes qui réunissent aula, camera et capella.

19Danièle Alexandre-Bidon a abordé la vie quotidienne des nobles de la fin du Moyen Âge, non plus à travers les monuments mais grâce à l’iconographie médiévale. Deux conférences (« Vivre noblement » et « Apprendre à devenir noble : éducation et instruction des jeunes aristocrates dans l’Occident médiéval »), là encore, ont invité les participants à interroger les images, à mieux comprendre ce qu’elles expriment et révèlent de la société nobiliaire (ses gestes, ses comportements, ses activités). Vivre noblement signifie vivre au château, vivre au milieu d’une foule immense, vivre de manière oisive et vivre en représentation en sachant se comporter. Quand on est noble, on vit au-dessus. L’élévation du château, ou encore les lits et les bancs surélevés volontairement en vue de montrer son rang, les armoiries sont autant d’objets qui appartiennent à l’expression de la noblesse. L’instruction des jeunes aristocrates commence très tôt. L’enfant qui naît noble au sein du lignage apprend à devenir noble dès sa naissance. De nombreux objets (vaisselles, tablettes, livres) représentés dans les enluminures prouvent qu’il existe un programme éducatif des jeunes enfants fondé sur l’apprentissage des lettres et des prières. L’apprentissage des codes comportementaux passe quant à lui par un apprentissage visuel et pratique : les petits enfants sont conviés à assister aux grandes cérémonies ; de même ils sont très vite habitués à la présence des chevaux, des faucons, au port d’armure, etc.

20Le troisième jour a vu s’élargir encore la thématique. Comme beaucoup de familles nobles, les Taillefer ont établi une mémoire familiale fondée sur le modèle des ancêtres. Ils ont construit une mémoire généalogique qui repose sur les hommes et les héritiers du titre comtal portent le prénom de « Guillaume », puis de « Vulgrin », réactualisé au xiie siècle par Guillaume V (1087-1120). Ils ont aussi construit une nécropole en l’abbaye de Saint-Cybard qui, comme le gisant d’Isabelle Taillefer à Fontevrault, souligne cette volonté d’entretenir la mémoire de la famille. L’analyse de ces comportements méritait d’être davantage fouillée de façon à proposer aux visiteurs de l’exposition une comparaison entre les agissements des Taillefer et ceux des autres familles nobles, comtales ou royales. Anne Embs a ainsi évoqué le phénomène des « nécropoles dynastiques dans la France médiévale (xe-xiiie siècles) ». Citant Foulques III Nerra (« […] avant je ne suis rien, car je ne sais pas où sont enterrés mes ancêtres. »), A. Embs a expliqué que l’aristocrate ne peut pas accepter d’être mort de façon anonyme. Elle a montré que l’abbaye de Fontevrault, souvent présentée comme le modèle fondateur des nécropoles dynastiques, pourrait être l’aboutissement d’un long processus qui a vu le jour dans les milieux aristocratiques préoccupés par la conservation de la mémoire de leur lignage. Avant le rayonnement des nécropoles royales (abbaye de Saint-Denis, abbaye de Fontevrault), elle observe l’existence de nécropoles précoces et abondantes : celle de Foulques III Nerra, celle des comtes Taillefer en l’abbaye de Saint-Cybard, celle de l’abbaye de Maillezais pour le comte de Poitiers, celle des vicomtes de Baumond dans la Sarthe, celle des comtes de Blois, etc.

21Edina Bozoky est revenue sur ces rapports entre la religion et le pouvoir en abordant « La passion des reliques et les seigneurs laïcs (ixe-xiiie siècles) ». Elle a insisté sur l’intérêt que les grands laïcs portaient à la possession et au contrôle des reliques, objets de culte mais aussi instruments de pouvoir. L’assistance a découvert des phénomènes et des événements peu connus du grand public. En lien avec l’exposition, elle a analysé de nombreux exemples locaux de collections, de vols ou querelles de reliques. Elle a notamment résumé l’épisode des reliques de la Croix que le comte d’Angoulême, Audoin Ier (886-916), refusa de rendre aux moines de Charroux (panneau 7-1)

22Dès le xiie siècle, la littérature s’empare du personnage réel « Guillaume II Taillefer » et met en scène un personnage guerrier du nom simple mais signifiant « Taillefer ». Au xiiie siècle, la Chronique dite saintongeaise permet d’affirmer qu’il existe une geste épique écrite en l’honneur des Taillefer qui tend à rappeler par la création d’un ancêtre, Taillefer de Léon, contemporain de Charlemagne, l’origine carolingienne de la dynastie Taillefer. Là encore, le colloque a montré que l’invention d’un ancêtre imaginaire appartenait aux modes de représentation de la pensée médiévale de la société nobiliaire et que la mise en scène littéraire des Taillefer n’était pas un cas unique. Le mariage d’Isabelle Taillefer avec Hugues de Lusignan semblait tout indiqué pour demander à Myriam White-Le Goff d’évoquer Mélusine, la fée fondatrice du lignage des Lusignan. Sa conférence sur « Mélusine : ancêtre imaginaire et lignage poétique » est revenue sur un des phénomènes connus de la pensée de l’aristocratie médiévale : l’invention d’un ancêtre prestigieux, réel ou imaginaire, féminin ou masculin, qui renvoie soit au temps réel de l’Histoire, soit à un passé mythique souvent féerique. Selon M. White-Le Goff la fée serpente, femme amante, mère attentive, dragonne énigmatique, met en avant, d’une manière poétique, certaines valeurs religieuses, morales ou guerrières emblématiques de l’identité nobiliaire : Mélusine est une femme amoureuse, une épouse dévouée à son époux ; Mélusine est une femme à la maternité heureuse et comblée ; Mélusine est la bâtisseuse de Lusignan ; Mélusine définit la chevalerie et l’esprit de croisade. La noblesse de Mélusine est néanmoins une noblesse en quête d’elle-même dont la mise en scène littéraire véhicule une aristocratie idéale.

23Avec la conférence de Cătălina Gîrbea sur « Noblesse de sang et noblesse de l’esprit, paradoxes et tensions dans la légende arthurienne », le public a pu découvrir l’image de la noblesse dans la littérature arthurienne et percevoir de manière plus complexe les personnages de la Table ronde qui souvent fascinent et qui ont construit notre imaginaire collectif. Pour C. Gîrbea, la noblesse arthurienne se fonde sur une dualité qui oppose la noblesse de sang (la couronne) à la noblesse de l’esprit (l’auréole). Après avoir défini ce que sont la chevalerie et la légende arthurienne, elle a présenté les rapports de la chevalerie avec la royauté, puis les rapports de la chevalerie avec l’Église.

24La conclusion a ouvert le colloque sur le regard contemporain que notre société porte sur le Moyen Âge via un média et un art, le cinéma. L’actualité cinématographique est venue à notre rencontre puisque pour la première fois, à notre connaissance, le personnage d’Isabelle d’Angoulême interprété par Léa Seydoux dans le dernier film de Ridley Scott, Robin de Bois, apparaît à l’écran. La conférence finale « La vision contemporaine que le cinéma porte sur l’aristocratie médiévale » a donc complété l’analyse que les historiens pouvaient faire de la noblesse grâce aux œuvres cinématographiques. François Amy de la Bretèque a rappelé que le cinéma était un art des représentations qui transmettait un discours sur l’Histoire, un état des représentations collectives émanant de l’époque où le film fut créé. Il a montré que, dans un film, on reconnaît un noble à son épée, une épée germanique, souvent magique, par opposition au fleuret, marqueur des films de cape et d’épées, et au glaive, marqueur des péplums.

25Grâce à quelques extraits (Les Visiteurs, La Passion Béatrice, Le Moine et la sorcière, Le seigneur de la guerre, Robin des Bois) il a précisé que le cinéma occidental présentait la noblesse médiévale selon trois visions : une vision rêvée et une noblesse idéalisée, une vision réaliste et une noblesse critiquée, une vision qui tente de concilier les deux premières. Il a terminé son exposé en disant que le cinéma était un mode d’écriture de l’Histoire. Car le cinéma est une affaire de regards : on ne filme pas le passé, on le reconstitue. En effet, le cinéma n’a pas pour vocation de raconter l’Histoire ou de présenter une vérité historique brute, mais de divertir. Mais pour construire le film, le réalisateur peut faire appel à des conseillers techniques et historiques. Si le chercheur peut apprendre quelque chose au cinéaste, parallèlement le cinéma peut apprendre quelque chose à l’historien car l’image a besoin d’une réponse.

26La session d’études a été suivie d’un circuit intitulé « Sur les pas des Plantagenêt » qui a conduit les participants au Mans, à Angers, Chinon et Fontevrault afin de découvrir les sites patrimoniaux liés à la famille des Plantagenêt. Ce voyage-étude, réalisé en étroit binôme avec Nathalie Guillaumin, a mêlé commentaires architecturaux et commentaires historiques afin d’insister sur la complémentarité des clefs de lecture offertes par l’histoire de l’art et l’histoire. Il a été conçu pour que les participants puissent réentendre l’ensemble des problèmes évoqués par les conférences et par l’exposition en les associant à un monument, une trace matérielle. Ainsi la visite de l’Hôpital Coëffort (aujourd’hui l’église Sainte-Jeanne d’Arc) au Mans a été l’occasion de raconter au public les démêlés de l’affaire Thomas Becket en insistant sur l’importance des gestes des deux protagonistes. Les Taillefer n’ont pas non plus été oubliés. La visite de l’abbaye de Fontevrault, par ex., a permis d’évoquer la vie, la mort et les funérailles de chacun des quatre personnages les mieux connus de la dynastie des Plantagenêt, tout en donnant aux participants l’occasion de porter un dernier regard sur le gisant d’Isabelle Taillefer avant de revenir sur Angoulême et de, peut-être, redécouvrir l’ensemble de l’exposition.

27Il s’agissait de permettre à l’homme du xxie siècle en général, et aux habitants charentais en particulier, de partir à la rencontre du passé de l’Angoumois médiéval tout en abordant des problématiques politiques et sociales propres au groupe social auquel les comtes Taillefer appartenaient. Exposition, visites, conférences, ont concouru à rendre accessible au public les dernières connaissances et les problématiques les plus récentes sur la question. En retour, le travail mené pour la mise en forme de l’exposition (mise au point bibliographique et rédaction) ouvre de nouvelles perspectives de recherches sur la famille Taillefer. L’ensemble des travaux disponibles pour monter ces actions reposait sur l’étude des sources françaises : il nous semble important d’interroger désormais les sources anglaises. Parallèlement, la figure majeure d’Isabelle Taillefer rend patente la nécessité d’approfondir certaines problématiques, comme la question des femmes, leur place et leur rôle au sein de la famille.

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Notes

1 Sophie Bressan-Verdier, « Une famille : les comtes Taillefer d’Angoulême (866-1202) », mémoire de DEA [dactyl.], Université de Poitiers, 2 vol., 2003.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Bressan, « La dynastie des comtes Taillefer en Angoumois. À propos d’une exposition et d’un colloque récents* »Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 105-110.

Référence électronique

Sophie Bressan, « La dynastie des comtes Taillefer en Angoumois. À propos d’une exposition et d’un colloque récents* »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18952 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128tm

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