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Comptes rendus

Susan Wood. — The Proprietary Church in the Medieval West

Jean-Hervé Foulon
p. 103-104
Référence(s) :

Susan Wood, The Proprietary Church in the Medieval West, Oxford, Oxford University Press, 2006, XII-1021 pp., 1 carte.

Texte intégral

1Cet ouvrage monumental est le fruit d’un immense travail poursuivi pendant plus de quarante ans, l’œuvre de toute une vie. Il représente donc une entreprise digne d’éloges, tant à travers l’ampleur et la variété des sources utilisées que des vastes dépouillements bibliographiques. Le délai d’élaboration a rendu néanmoins délicat d’intégrer certains livres récents en langue française (L. Pietri pour l’Antiquité tardive, B.-M. Tock, B. Delmaire sur Arras, F. Mazel sur la Provence…). Le terme de Proprietary Church correspond au concept allemand d’Eigenkirche, généralement traduit par « église privée ». Le thème essentiel est de comprendre comment, pourquoi et jusqu’où l’église est devenue objet d’appropriation entre le Bas Empire romain et la fin du xiie s. Mais, le projet dépasse le cadre de la simple « église domaniale » pour tenter de résoudre le paradoxe existant entre une église qui est à la fois propriétaire et traitée comme un objet de propriété (« the church as person and as thing », p. 729). L’espace envisagé couvre les royaumes d’Occident liés à l’empire carolingien, l’Espagne chrétienne, les îles britanniques, l’Italie du Sud, et quelques aperçus en pays scandinaves, permettant ainsi d’utiles comparaisons de situation. La présence d’un bon index facilite l’accès aux cas régionaux.

2Plus que religieuse, l’approche se veut sociale, culturelle et juridique, incluant l’apport de la legal anthropology. C’est, en effet, à travers une réévaluation argumentée de l’œuvre du juriste allemand U. Stutz (créateur de la notion d’Eigenkirche en 1894), que S. Wood a entrepris de construire son ouvrage. Quoique nombre de ses thèses propres à la fin du xixe s. aient été déjà réfutées (ce que l’A. reconnaît p. 1, 100), ce sillon historiographique a influé sur la façon dont le travail a été conçu. Non seulement l’œuvre globale d’U. Stutz apparaît en filigrane tout au long du texte ou des notes, mais le plan même entend réagir contre la transformation du concept en un « système » interprétatif de l’histoire. Après avoir paralysé le contrôle épiscopal pendant 500 ans, l’Eigenkirchenwesen aurait suscité une réaction romaine et causé la réforme grégorienne ! Face à ce système idéologique réducteur, S. Wood a choisi de décrire la réalité des pratiques, de partir de la remarquable diversité des faits, tant au niveau des églises majeures (« Monastères et évêchés : Partie ii ») que des églises mineures (« Les églises domaniales : Partie iii ») entre le ixe et le xiie s., avant d’en venir aux principes théoriques (« Idées, opinion, changement, vie-xiie s. : Partie iv »).

3Une première partie vient introduire le propos en traitant des « Commencements (ive-viiie s.) », car l’A. a senti combien il était utile de décrire la situation de l’Antiquité tardive, avant de débattre de la question disputée des « origines » de l’Eigenkirche (chap. 4), chère aux médiévistes. Cette démarche volontairement pragmatique et empirique explique que l’approche, quoique globalement chronologique, soit davantage thématique et typologique.

4Elle pose néanmoins un triple inconvénient à l’esprit cartésien : un certain manque de clarté, d’abord, qui fait que le lecteur, en l’absence de conclusions en fin de chapitres ou de parties, peut se sentir noyé sous le fourmillement des cas locaux d’époques diverses, avant de parvenir aux idées-clefs de la quatrième partie (l’apport de la réforme monastique, attendu p. 413 ou 681, est développé p. 831) ; une difficulté ensuite à saisir les grandes phases de l’évolution chronologique, du processus de fond qui est à l’œuvre, au-delà des abus qui peuvent exister à chaque époque ; enfin, l’ampleur du livre et le report en quatrième partie de l’idéologie suscitent nécessairement des répétitions (p. 538/565, 700/821…). C’est donc moins la matière, riche, complexe et foisonnante, qui peut poser difficulté, que l’ordonnancement de celle-ci.

5Trois grandes phases chronologiques sont discernables au fil du texte. Au vie s., face à des attitudes de propriétaire tant des évergètes romains que des fondateurs barbares, la législation canonique est claire : à partir de la consécration de l’église, celle-ci appartient au saint et à Dieu. La dotation concédée devient inaliénable et le fondateur renonce à tous ses droits de propriété.

6À l’inverse, le ixe s. représente une étape décisive qui aboutit à légitimer les pratiques de sécularisation et d’appropriation des siècles précédents. Les droits de propriété des lords, leur dominium sur les églises, devenues des bénéfices aliénables, sont reconnus par les souverains carolingiens et par la papauté (av. 830). Néanmoins, l’aspect sacré de la propriété ecclésiastique est maintenu et l’autorité des évêques sur les prêtres soulignée ; ce qui introduit divers niveaux de propriété.

7Enfin, en réaction contre des abus – notamment simoniaques – considérés comme sacrilèges, la réforme grégorienne orchestre après 1050, mais de manière seconde, une vaste offensive contre l’appropriation des églises et des revenus ecclésiastiques par les laïcs. Au xiie s., la loi canonique du patronage établit un modus vivendi entre la réaffirmation de l’incapacité légale des laïcs à posséder des églises, l’acceptation d’un lordship externe sur les églises majeures et la survivance d’attitudes de propriétaire. L’image d’une « Église bureaucratique » face à « l’innocence du monde pré-grégorien » serait toutefois discutable (p. 876).

8À la différence de Stutz, adepte « du tout ou rien », S. Wood propose une perception plus large et plus nuancée de la propriété grâce à une analyse fine du vocabulaire. Celui-ci recouvre dans les actes des sens multiples qui incitent à s’affranchir d’un légalisme rigide. L’étude du processus d’appropriation englobe les bâtiments, la dotation foncière, les revenus pastoraux (dîmes, offrandes…) et les coutumes épiscopales. Les processus de désignation et d’investiture de l’abbé ou du prêtre peuvent aussi refléter un contrôle extérieur direct. Pour l’évêque, le lord et le desservant, propriété et désignation à l’office relèvent d’une question de potestas. La capacité d’aliéner est vue comme le signe marquant du droit de propriété.

9L’idée principale pour résoudre nombre de paradoxes consiste à distinguer différents degrés de propriété et des comportements variables de propriétaire (p. 259, 266, 317, 437, 659, 732, 754…). Ceux-ci se superposent depuis une propriété suréminente et intangible appartenant à Dieu, une propriété théoriquement commune du clergé et des pauvres, en passant par la propriété du fondateur ou du souverain, la concession de la propriété utile à un client, jusqu’à la possession de la tenure presbytérale qui peut réduire le desservant à n’être qu’un simple prêtre gagé. Le don est à la fois permanent et conditionnel. On peut différencier une appropriation au sens strict des églises mineures, d’un lordship au sens large recouvrant monastères et évêchés, mais propriété et autorité se situent de part et d’autre d’une même échelle.

10Si l’A. ne précise pas les relations « brumeuses » existantes entre ces divers niveaux, l’image qui vient spontanément à l’esprit est celle de poupées gigognes. La présence d’une sorte de continuum (p. 3, 855) expliquerait que la propriété de Dieu ne soit pas totalement incompatible avec les multiples formes d’aliénation existantes entre le ixe et le xiie s.

11Trois thèmes ont été abondamment traités. Dans la lignée de son premier ouvrage sur les monastères anglais (1955), le monachisme occupe une place de choix, qu’il s’agisse des processus de contrôle exercés sur les monastères ou bien de leur rôle de propriétaire. La troisième partie représente une remarquable synthèse sur les multiples aspects de l’église domaniale qui forme une petite monographie à elle seule (292 p.). Pour le Midi, d’intéressantes remises en cause des thèses d’E. Magnou-Nortier devraient susciter des discussions, de même que le fait de relativiser l’importance accordée aux « autels » au Nord de la Loire. Enfin, on trouvera des vues stimulantes concernant la conception du pouvoir épiscopal qui oscille entre autorité sacerdotale et attitudes de propriétaire.

12Au final, ce grand livre devrait permettre de clore définitivement le débat lancé par U. Stutz et inciter à renoncer à l’appellation d’église « privée ». Il a surtout le mérite de susciter de nouveaux questionnements, notamment quant aux aspects religieux effleurés par l’A. (p. 103-106, 452, 734, 775…). Les divers degrés de propriété pourraient être mis en relation avec la pensée ecclésiologique chrétienne où l’Église est à la fois Corps du Christ, communauté humaine et bâtiment : voir les rapports unissant la dimension céleste et terrestre de l’Église, la vision de Dieu et l’image du Christ.

13Spiritualité, théologie et rituels liturgiques sont à même d’apporter un éclairage complémentaire pour articuler sur le temps long l’idée de propriété (pour laquelle il existe un héritage biblique), les processus d’appropriation et les aspects proprement chrétiens : image de Dieu suscitant l’acte de donation, dévotion ad sanctos (contre la notion païenne de « lieu sacré »), déposition solennelle de reliques qui apportent à l’édifice un patrimoine de sainteté en accroissant sa « valeur », conception de l’office sacerdotal dont l’A. souligne l’importance croissante en Occident. Autant de pistes d’investigations que des recherches futures seront susceptibles d’explorer, à condition toutefois de reconnaître à l’histoire religieuse un champ autonome sans en faire une simple annexe de l’histoire sociale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Hervé Foulon, « Susan Wood. — The Proprietary Church in the Medieval West »Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 103-104.

Référence électronique

Jean-Hervé Foulon, « Susan Wood. — The Proprietary Church in the Medieval West »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18942 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128tk

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