Elizabeth Tyler. — Old English Poetics. The Aesthetics of the Familiar in Anglo-Saxon England
Elizabeth Tyler, Old English Poetics. The Aesthetics of the Familiar in Anglo-Saxon England, Woodbridge, York Medieval Press, 2006, XVI-194 pp.
Texte intégral
1L’objet de l’étude d’Elizabeth Tyler dans Old English Poetics est clairement annoncé dès le départ : il s’agit de « la stabilité des conventions stylistiques de la poésie vieil-anglaise » (p. 1), dont les origines remontent à la fin du viie s. (hymne de Cædmon). Poésie essentiellement orale, elle fut conservée sous forme écrite pendant la seconde moitié du xe s. et la première moitié du xie s., vraisemblablement au moment où cette tradition de composition littéraire a pris fin, faisant ainsi un parallèle possible avec la poésie des troubadours en France. Pendant cette longue période, et même avant – car les caractéristiques prosodiques de cette poésie ont été apportées par les tribus germaniques au moment de leur arrivée dans le pays (milieu du ve s.) – la forme poétique, du point de vue de style, reste inchangée.
2C’est un constat qui doit surprendre, car la période en question, qui témoigne d’une stabilité stylistique très marquée, voit l’arrivée et l’implantation d’une nouvelle religion (dès la fin du vie s.), ainsi que l’installation de nombreux changements d’ordres politique, social et culturel, phénomènes qui auraient dû laisser une trace de leur influence sur la production poétique. Sur ce point, une comparaison avec la forme de la poésie vieil-haut-allemande est révélatrice : tandis que cette dernière perd progressivement sa caractéristique essentielle – le vers allitéré (ou la rime initiale) – peut-être sous l’influence de l’Église, la poésie vieil-anglaise se montre beaucoup plus tenace, gardant le style ancien jusqu’à la fin de sa période de créativité, alors que l’influence chrétienne s’impose plus tôt que chez Otfrid et ses compatriotes.
3Soucieuse des difficultés qui s’attachent à toute tentative d’analyse du corpus poétique vieil-anglais – car il est à la fois fragmentaire et déséquilibré – l’A. avertit son lectorat dès le départ des problèmes multiples auxquels elle va se voir confrontée. D’abord le style poétique est extrêmement conventionnel (le concept est central dans la démarche d’E. Tyler) et se heurte inéluctablement aux attentes esthétiques modernes qui pourraient le juger, peut-être non sans raison, comme simpliste, voire primitif. Ensuite, la notion d’auteur, d’un corpus lié à un individu, dont l’identité est connue ou non, ne trouve pas sa place ici, non pas parce que les pertes sont trop importantes (elles le sont), mais parce que cette conception de la « littérature » ne faisait pas partie des mentalités de l’époque. Enfin, l’impossibilité de dater avec probabilité (inutile de parler en termes de certitude) ce corpus poétique, dans son ensemble ou individuellement, poème par poème, fait disparaître toute possibilité d’imposer un cadre proprement historique (où prime la notion de continuité), souvent considéré comme indispensable dans la construction d’une signification ou d’une théorie littéraire.
4Le mouvement de l’ouvrage est du particulier vers la généralité. Le caractère conventionnel de cette poésie est illustré d’abord (dans les deux premiers chapitres) par une appréciation de la place centrale accordée au concept du trésor, puis par une analyse, assez détaillée, de cinq termes utilisés pour exprimer ce concept, traités individuellement et aussi à l’intérieur de séquences où ils forment des champs associatifs avec d’autres termes habituellement sélectionnés par les poètes : c’est le phénomène de la collocation verbale, à l’intérieur de laquelle se situe la formule poétique, sujet de la seconde partie de Old English Poetics.
5Le premier chapitre démontre l’importance du trésor dans le corpus et insiste sur son rôle positif à travers tous les genres examinés, sauf dans deux situations bien précises : d’abord lorsqu’il est délibérément caché (on pense au dragon, troisième adversaire de Beowulf, dans le poème du même nom) ; puis, lorsqu’il est empêché de circuler librement, lorsqu’il tombe entre les mains d’un avare qui le prive de sa fonction bénéfique au sein de la société (on pense à Heremod, repoussoir de Beowulf, dans le même poème).
6La partie centrale de l’ouvrage, le deuxième chapitre, est nourrie par une discussion des cinq termes qui portent la signification « trésor », sélectionnés habituellement par les poètes : maðm, hord, gestreon, sinc et frætwe. La présentation ressemble trop à un catalogue, et il est parfois difficile de savoir quelle importance accorder à tel ou tel exemple. Cependant, la méthodologie employée permet à l’A. d’avancer un nombre d’observations tout à fait nouvelles qui devraient inciter la poursuite de recherches dans ce domaine. On apprend, par exemple, des cinq termes examinés, deux – hord et sin – figurent, au dépend des autres, assez souvent dans des contextes religieux. Il s’agit d’un cas proposé de ce que l’on pourrait désigner par la phrase « discrimination lexicale » qui, bien que connue chez les critiques, mériterait d’être travaillée davantage. Par ex., on observe à travers les propos de l’A. que la présence de trésor dans les poèmes incontestablement tardifs en date et indubitablement religieux en orientation est beaucoup moins marquée en comparaison aux autres compositions, de caractère religieux ou non, qui s’appuient sur une base plus proche du monde païen dont elles sont issues. Encore, seul le terme frætwe fonctionnerait dans des évocations thématiques, associé comme il est au monde aristocratique (mais, est-ce le cas du corpus poétique vieil-anglais en lui-même ?). De façon générale, des distinctions sémantiques proposées ici, fines et innovantes, méritent l’attention de tous ceux qui se pencheront sur ces poèmes.
7La seconde partie constitue à la fois un complément et une preuve des propositions avancées dans la première. En effet, l’A. reprend toute une suite de travaux effectués depuis les années 1960 consacrés à la oral-formulaic theory qui voyait un lien entre une thématique quelconque et sa réalisation linguistique, comme si on versait des éléments poétiques dans un moule. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer l’originalité des poètes vieil-anglais. Tout en reconnaissant la nature traditionnelle et conservatrice de ce corpus, E. Tyler réussit à démontrer qu’en dépit de ces traits (que l’on pourrait supposer constituer une mesure décourageante pour la créativité), l’aspect novateur de la poésie vieil-anglaise ne s’est jamais perdu.
Pour citer cet article
Référence papier
Stephen Morrison, « Elizabeth Tyler. — Old English Poetics. The Aesthetics of the Familiar in Anglo-Saxon England », Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 99-101.
Référence électronique
Stephen Morrison, « Elizabeth Tyler. — Old English Poetics. The Aesthetics of the Familiar in Anglo-Saxon England », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18923 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128ti
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