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Comptes rendus

Heinz Erich Stiene, éd., trad. et introd. — Gervasius von Tilbury, « Kaiserliche Mußestunden ». « Otia imperialia »

Frankwalt Möhren
p. 98-99
Référence(s) :

Heinz Erich Stiene et Gervais de Tilbury, Gervasius von Tilbury, « Kaiserliche Mußestunden ». « Otia imperialia », Stuttgart, Hiersemann, 2 vol., 2009, LIII-302+v-228 pp. (Bibliothek der mittellateinischen Literatur, 6/7).

Texte intégral

1Gervais de Tilbury, né dans les années 1150 et mort après 1222 (dernière mention dans un acte de Montmajour-lès-Arles), moins connu aujourd’hui, est tout de même un des esprits représentatifs de la Renaissance des xiie et xiiie s. D’une famille sans doute proche du pouvoir, il est éduqué à la cour de Henri II Plantagenêt, tout comme Othon (IV in spe, fils du guelfe Henri le Lion et de Mathilde, fille de Henri II), plus jeune d’une vingtaine d’années. Gervais fait ses études de droit canonique à Bologne et enseigne comme magister (ce n’est pas le « master » du Processus de Bologne). En 1177, il rencontre à Venise Frédéric Barberousse et le pape Alexandre III. Dans les années 1180, il semble participer à Reims à la condamnation au bûcher d’une jeune (et belle) cathare qu’il avait rencontrée dans un vignoble. On le voit dans les années suivantes au service de Guillaume II de Sicile et, après 1195 environ, dans le royaume d’Arles (où il épouse une parente de l’archevêque Humbert d’Eyguières). Othon IV le nomme maréchal de ce royaume (nommé en allemand Arelat). Son séjour en Allemagne (après 1222) reste plus qu’hypothétique et sa contribution à l’élaboration de la carte d’Ebstorf (avancée encore par A. Duchesne en 1992) est exclue par la datation nettement plus récente de cette carte (fin xiiie s.) [p. ix-xxii].

2La vie mouvementée de ce personnage relativement haut placé contribue au contenu et à la qualité des Otia imperialia (« Loisirs impériaux »). C’est une compilation tripartite où des textes copiés, des reprises adaptées et des récits personnels se succèdent et se complètent. Le but visé par ce travail semble être l’édification et l’éducation de la société courtoise (p. xxi, avec référence à Rothmann). Élaborée certainement peu à peu pendant des années, la version transmise par les manuscrits est celle dédiée à Othon IV, sans doute après sa défaite à Bouvines en 1214 (p. xvi et s.). Ce geste sympathique devait servir à consoler l’empereur sans fortune. Deux appendices sont postérieurs.

3La préface compare les pouvoirs laïque et ecclésiastique, ne laissant pas de doute sur le fait que l’empereur doit s’accorder avec le pape.

4Le livre i relate en gros la Genèse selon l’Ancien Testament, enrichie de nombre d’histoires et d’historiettes. Sources : Historia scholastica de Pierre le Mangeur (en partie mot à mot), Imago mundi d’Honorius Augustodunensis, aussi Orose, saint Augustin et saint Jérôme. Le premier chapitre parle de la création du monde (Gn 1, 1) et des différents sens du mot mundus. Le deuxième flagelle les cathares que l’empereur doit poursuivre sans pitié. Au troisième chapitre, Dieu met de l’ordre dans le désordre (Gn 1, 4), etc.

5Le livre ii comporte une histoire universelle du monde et des empires, fondée surtout sur Orose et enrichie du savoir contemporain de Gervais, spécialement pour ce qui est de la Russie, la Pologne et la Scandinavie, et il intègre le Provinciale Romanum, une liste « postale » curiale incluant les diocèses bulgares, comme Skopje et Priśtina, unies à Rome en 1204 seulement (chap. 9) [p. xxxii]. L’Historia regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth y contribue pour ce qui est des îles britanniques (histoire version Geoffroi).

6Le livre iii raconte les Merveilles du monde tirées de sources diverses ; Gervais lui-même en a recueilli un certain nombre, comme probablement l’histoire de Virgile Magicien que l’on se raconte à Naples. C’est ce livre surtout qui témoigne de l’intérêt encyclopédique de l’auteur.

7Trente manuscrits écrits en France, en Italie et sur les îles britanniques témoignent de la bonne réception des Otia de même que des citations chez Dietrich von Nieheim (travaillant pour le pape à Avignon et à Rome), Pierre Bersuire, Boccace et Pétrarque et dans les Gesta Romanorum. Deux traductions en ancien français ajoutent à la réputation : celle de Jean d’Antioche, écrite en Terre sainte vers 1290, et celle de Jean de Vignay vers 1323.

8Le texte latin a été publié en entier par le grand Gottfried Wilhelm Leibniz (Hanovre, 1707), de larges extraits ont été publiés par F. Liebrecht (Hanovre, 1856) (avec des remarques toujours valables, surtout en ce qui concerne les motifs des légendes et les croyances) et, dans une édition amplement commentée, par S. E. Banks et J. W. Binns (Oxford, 2002). Le livre iii a vu une traduction en français moderne par A. Duchesne (Paris, 1992). Les traductions en ancien français ont été transcrites par C. Pignatelli et D. Gerner, mais seul le livre iii en a été publié (Genève, 2006 ; sigle du DEAF : JAntOtiaP et JVignayOisivG).

9La traduction en allemand est proche du texte latin, mais elle se lit néanmoins très agréablement. En fait, ce texte moderne est plus lisse que le texte latin qui, lui, manque par endroit d’élégance, ce qui est dû surtout à l’intégration de passages repris de sources diverses, sans les soumettre à un traitement rédactionnel. H. E. Stiene, en scientifique modeste, souligne plus d’une fois qu’il doit beaucoup à l’édition de Banks & Binns et aux commentaires de Zimmermann [p. xliii], mais il vise ici et là plus juste ou donne des informations supplémentaires.

  • Livre i, chap. 1, p. 14, n. 1, origine du monde, avec référence à Boèce dans le texte, référence identifiée avec Boethius, De differentiis topicis, et pas avec les Consolations (éd. B&B, p. 18, n. 6).

  • Livre i, chap. 5, p. 27, n. 17, création de l’étoile de Bethléem par Jésus lui-même : sources (éd. B&B p. 40, n. 2).

  • Livre ii, chap. 26, p. 292, n. 447, note plus pertinente que B&B 528-529, n. 1.

  • Livre iii, chap. 24, p. 333 : « Illud sane non erit omittendum quod vultus Lucanus oculos tenet apertos et terribiles ostendit, quod ad figuram pertinet. Sicut enim leo, rex omnium ferarum, cum dormit oculos aperit… » (Saint Voult de Lucques), où « quod ad figuram pertinet » est traduit dans B&B, p. 603 par « as far as is possible for a portrait », ce qui est inapproprié. H. E. Stiene « Wir wollen aber auch nicht vergessen, daß das Antlitz von Lucca aufgerissene, furchterregende Augen hat, was sich jedoch zum Sinnbild fügt » est certainement correct. JAntOtiaP, p. 196, correspond à cette interprétation : « Vous devez savoir que le voult de Luques tient tousjours les yeulx ouvers et effroyables : c’est par signiffiance de figure, car sy comme le lyon est roy des bestes et tient ses yeulx ouvers quant il dort […] en telle maniere Nostre Seigneur Jesu-Crist, qui est roy des roys, tient ses yeulx ouvers… » ; JVignayOisivG, p. 197 en est proche mais son texte est un peu maladroit, phénomène qui n’est pas rare chez ce traducteur : « […] tient les eux ouvers, et les moustre moult espoentables, et il apartient bien a sa figure, car… ». Visiblement, les auteurs ancien-français connaissaient leur latin.

  • Livre iii, chap. 93, p. 410, n. 197, se trouve une citation du texte latin qui se lit comme distique élégiaque ; la note complète B&B, p. 746 n. 14 (les textes ancien-français ne traduisent pas).

10Ce travail est une contribution apportée non seulement à l’égayement des loisirs de l’homme cultivé moderne ne voulant pas se fier à l’image fantastique du Moyen Âge que dessinent les médias, mais aussi au plaisir et à l’instruction du scientifique. Il pourra par exemple relire ce que l’homme du Moyen Âge savait de la forme de la terre : pour lui, elle était sphérique ; ici l’univers est comparé à un œuf dont l’écaille représente le ciel, le blanc l’éther, le moyeu l’air et la « goutte grasse » du germe la terre elle-même (selon Honorius qui continue les Anciens, v. p. 19, n. 9, avec référence à P. Dronke, Fabula).

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Pour citer cet article

Référence papier

Frankwalt Möhren, « Heinz Erich Stiene, éd., trad. et introd. — Gervasius von Tilbury, « Kaiserliche Mußestunden ». « Otia imperialia » »Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 98-99.

Référence électronique

Frankwalt Möhren, « Heinz Erich Stiene, éd., trad. et introd. — Gervasius von Tilbury, « Kaiserliche Mußestunden ». « Otia imperialia » »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18907 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128th

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