Odile Redon. — Des forêts et des âmes. Espace et société dans la Toscane médiévale. Études rassemblées par Laurence Moulinier-Brogi [recueil d’articles précédemment parus]
Odile Redon et Laurence Moulinier-Brogi, Des forêts et des âmes. Espace et société dans la Toscane médiévale, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2008, 290 pp., 1 ill., 3 tabl., 2 cartes (Temps et espaces).
Texte intégral
1Comme l’écrit F. Joannèsi dans la préface de l’ouvrage, « c’est de la Toscane médiévale qu’Odile Redon, disparue en 2007, avait fait son champ de recherche privilégié ». L. Moulinier-Brogi a pieusement regroupé ici sous un beau titre une partie de ses travaux consacrés à la géographie historique de la Toscane et notamment à la forêt, à l’érémitisme, à la délimitation de l’espace toscan.
2Dans les études consacrées à la forêt, « l’objectif est de définir des espaces, par l’observation d’une dialectique de la nature et du peuplement humain » (p. 13). Mais plus que l’objectif, ce sont les qualités de l’historienne qui retiennent le lecteur : une grande familiarité avec les paysages, la faune, la flore, les habitats actuels ou les traces qu’ils ont laissées dans la toponymie, une connaissance approfondie de toutes les sources disponibles – y compris, bien sûr, les sources archéologiques –, le souci de cartographier les phénomènes étudiés.
3Les articles repris ici concernent la Montagnola,« ce long dos couvert d’une fourrure boisée qui limite d’un dessin onduleux l’horizon occidental de Sienne ». Ce massif, couvert de chênes et de châtaigniers, est presque désert aujourd’hui. Grâce aux états de contribuables conservés dans les archives siennoises depuis 1248, on peut reconstituer un habitat beaucoup plus dense aux xiiie et xive s. qu’aujourd’hui. Il est constitué de villages groupés – pievi, castra – aux maisons serrées les unes contre les autres et surtout d’un habitat dispersé en hameaux aux structures plus lâches, comprenant la maison et une pièce de terre abritant divers bâtiments, un jardin, un verger ou une vigne.
4L’image dominante est la dispersion ou plutôt, pour reprendre l’heureuse expression d’Odile Redon, « la diffusion de l’habitat » dans tout l’espace forestier. C’est le résultat de défrichements vigoureux qui accompagnent la « siennisation » de la Montagnola à la frontière des contadi de Sienne et de Volterra. Ils sont encouragés par la commune qui crée et entretient routes et chemins. Les bois et les taillis, cependant, n’ont pas disparu, comme le montre le nombre des loups ; l’arbre reste présent au milieu des terres cultivées (chênes, châtaigniers, oliviers, arbres fruitiers). Il nourrit les porcs et le petit bétail.
5C’est aussi le cas dans les autres forêts qui couvrent les marais et les hauteurs de la Toscane méridionale (p. 67 et ss.). Il en va différemment de la « Selva del Lago », aujourd’hui presque disparue, aux portes de la Sienne : c’était au xiiie s. une forêt communale de 7 000 hectares, interdite aux animaux et constituée de taillis de coupe, dont les droits d’usage étaient réservés aux citoyens de Sienne. Les grottes abritaient de nombreux ermites qui hanteront l’imaginaire de la jeune Catherine de Sienne.
6Le second thème présent dans l’ouvrage est celui de l’érémitisme. Plutôt que de s’appuyer sur les légendes hagiographiques qui insistent trop volontiers sur la solitude de l’ermite, l’A. préfère insister sur les liens très variés que l’ermite est forcé d’entretenir avec les institutions ecclésiastiques, avec la société des hommes et même celle des femmes, au moins par l’imagination. À ce propos, j’ai été un peu surpris d’apprendre que la nourriture d’herbes peut aussi bien porter à la dépression que « déchaîner les appétits sexuels ». Ne faut-il pas plutôt accuser l’abus de miel, commun aux ermites et aux ours ?
7Quelques aspects plus importants méritent d’être soulignés : le nombre des ermites d’abord et des recluses, notamment dans les environs de Sienne, le rattachement des ermites à des structures ecclésiastiques éprouvées, les cisterciens parfois, par ex. à Monticiano, où s’était retiré vers 1180 le saint ermite Galgano, les augustins le plus souvent. Parfois l’ermite peut donner naissance à un nouvel ordre approuvé et réglementé par la papauté au xiiie s. : c’est le cas des guillelmites qui ont pour origine Guillaume de Malaval ou Guillaume d’Aquitaine († 1157), auquel O. Redon a consacré deux articles.
8O. Redon insiste surtout sur le rôle civilisateur des ermites ; « en territoire siennois, écrit-elle, la disposition des ermitages sur les routes de l’expansion vers la Maremme méridionale ne laisse guère de doute sur leur insertion dans le projet politique de la commune. Il faut s’y résigner : en réalité, l’ermite médiéval n’est pas plus un sauvage que la forêt n’est un désert ». Elle n’est pas non plus à cette époque une frontière.
9O. Redon s’est intéressée à la notion de frontière, souvent revisitée par les recherches de ces vingt dernières années. On trouvera ici plusieurs études concernant ce thème, notamment quelques aperçus stimulants sur la perception des espaces politiques dans l’Italie du xiiie s.
Pour citer cet article
Référence papier
Georges Pon, « Odile Redon. — Des forêts et des âmes. Espace et société dans la Toscane médiévale. Études rassemblées par Laurence Moulinier-Brogi [recueil d’articles précédemment parus] », Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 92-93.
Référence électronique
Georges Pon, « Odile Redon. — Des forêts et des âmes. Espace et société dans la Toscane médiévale. Études rassemblées par Laurence Moulinier-Brogi [recueil d’articles précédemment parus] », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18830 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128tc
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