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Politique et courtoisie à l’automne des troubadours

Politics and 'Courtoisie' at the End of the Period of the Troubadours
Miriam Cabré
p. 113-124

Abstracts

The article reflects on the political use of courtliness in troubadour lyrics, which extends the political connotations of this poetic tradition well beyond the genre of sirventes. This issue is discussed diachronically, illustrating it mainly with examples composed in the Crown of Aragon. The extant poems by King Alphonse the Troubadour and his great-grandson Peter the Great, as well as poetry from their milieu, reveal a desire to prove the king to be above all a paragon of courtly virtues. In addition, when compositions by their political enemies are taken into consideration, trying as they do to undermine the courtly status of both Alphonse and Peter, troubadour poetry is shown as a battleground for the appropriation of courtliness, in the context of highly volatile political conflicts.

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  • 1 Cet article s’inscrit dans le cadre des projets Mecenazgo y creacion literaria en la corte catalano (...)

1Nul doute que les troubadours se sont rendus universellement célèbres et se sont érigés en pères du lyrisme européen grâce à leur formulation de l’amour et de la courtoisie, c’est-à-dire, d’un système de valeurs, d’une imagerie du sentiment amoureux et d’un univers courtois qui ont subsisté sous des formes poétiques raffinées et codifiées pendant deux siècles en tant qu’une tradition savante1. Bien que la tradition des troubadours s’inscrive dans une thématique amoureuse diffusée pendant deux siècles dans les cours les plus puissantes d’Europe occidentale, il n’est pas surprenant qu’un lyrisme qui, semble-t-il, a vu le jour à la cour de Guilhem de Peitieu, l’un des grands de son époque, ait réservé une place importante à l’idéologie, la politique et la guerre. Dans cette étude, nous souhaiterions définir quelques paramètres quant à l’intégration de l’amour et de la politique au sein d’une dialectique de pouvoir et de courtoisie comme préambule à la lecture d’une des manifestations de lyrisme troubadouresque tardif. Comme nous le verrons dans l’échange poétique qui eut lieu en 1285, à la veille de l’invasion de la Couronne d’Aragon par l’armée française, presque tous les participants ont pleinement conscience de cette dialectique, et l’utilisent pour défendre leur position politique.

Amour et politique dans la lyrique des troubadours

  • 2 Nous apportons cette précision afin de différencier les troubadours dans ces territoires, des trouv (...)
  • 3 Sur le début du rayonnement des troubadours dans l’Italie nord-occidentale : Valeria Bertolucci Piz (...)
  • 4 Sur Rambertino Buvalelli, voir l’édition critique : Rambertino Buvalelli, Le poesie, E. Melli (éd.) (...)

2Dès ses débuts, la lyrique des troubadours est empreinte de connotations pouvant être facilement politisées. Sans aller jusqu’à s’interroger sur les origines de ce lyrisme, ni sur les possibles intentions politiques et idéologiques de Guilhem de Peitieu lorsqu’il choisit le vernaculaire comme langue poétique, nous rappellerons deux exemples rapides, un peu plus tardifs, de l’utilisation politique de cette poésie, en apparence consacrée en priorité à l’amour et au plaisir. Ces exemples très significatifs, nous conduisent aux deux territoires qui avaient adopté la tradition poétique en occitan comme la leur : la Marche de Trévise et la Couronne d’Aragon qui s’inscrivent totalement dans la grande tradition des troubadours2. Les premières manifestations d’un foyer autochtone de lyrisme troubadouresque sont très révélatrices de la connotation politique et idéologique de ladite tradition : une connotation qui, comme nous le disions, venait de loin. À Trévise, l’adoption et la production autochtone du lyrisme des troubadours se produit au sein des luttes politiques des grandes familles de nobles (concrètement, les Este contre les Da Romano, sans oublier sur le versant occidental de la Péninsule, les Malaspina dans la Toscane et les autres cours nord-occidentales)3, dans un des foyers de la tension politique imbriqué entre papauté (côté sud) et empire (côté nord). Mis à part la noblesse, les villes ont dans la Marche de Trévise, un pouvoir et une organisation politique très importants, et leur participation constitue le point de départ de ce que l’on connaîtra par la suite sous le nom de contribution cittadina (citadine) des trévisans à la culture lyrique jusqu’alors entièrement de cour. Nous ne devons pas oublier, cependant, que les cours et les villes participent d’un réseau d’alliances et de pouvoir : les nobles possédaient une demeure dans les villes dont ils sont souvent les potestà (poste de gouvernement temporaire et d’élu). Si nous tenons compte de ces éléments, nous comprenons mieux que le premier troubadour qui, de source sûre, est italien, Rambertino Buvalelli, bien qu’appartenant à la noblesse mineure soit un juriste, formé à Bologne, qui au cours de sa brillante carrière a rempli plusieurs fois la charge de potestà4. À première vue, son œuvre ne laisse pas apparaître la fulgurante activité politique de l’auteur, étant donné qu’il s’agit d’une œuvre intégralement consacrée à l’amour. Cependant, si l’on considère le fait que toutes les chansons d’amour sont dédiées à « Restaur » ou « Belh Restaur », c’est-à-dire Béatrice d’Este, la fille du plus important membre de la noblesse guelfe, nous constatons alors que la poésie amoureuse, peut très bien être un geste politique, d’alliance, d’appropriation ou de participation dans un cadre et une idéologie donnés.

  • 5 Sur les troubadours et la Catalogne : Stefano Asperti, « I trovatori e la corona d’Aragona: rifless (...)
  • 6 Les deux pièces du roi Alphonse sont la chanson « Per maintas guizas m’es datz » (Chrestomathie pro (...)
  • 7 Sur le traitement de ce sujet chez les troubadours : Lucia Lazzerini, Letteratura medievale in ling (...)
  • 8 La citation provient de Gérard Gouiran, L’amour et la guerre : l’œuvre de Bertran de Born, Aix-en-P (...)

3Le second exemple nous conduit à la Couronne d’Aragon et à une appropriation encore plus manifeste de la tradition troubadouresque et de ses connotations idéologiques5. Le roi Alphonse d’Aragon, au milieu du xiie siècle « institutionnalise » la relation entre la couronne et les troubadours, c’est-à-dire qu’il continue à accueillir les troubadours et les jongleurs qui visitent la Couronne d’Aragon. Cependant, les allusions dans leurs œuvres (par leur nombre comme par leur contenu) dénotent un changement important, tout en construisant une image éminemment royale, qui incarne toutes les vertus chevaleresques et courtoises. Encore plus significatif, le roi s’initie également à la composition poétique, à la manière de son arrière-grand-père Guilhem de Peitieu. Nous conservons comme témoignage de ceci une chanson et un débat avec Giraut de Bornelh. En effet, Alphonse a composé un poème dans le genre le plus prestigieux du lyrisme troubadouresque : la canso, il a aussi débattu avec un des troubadours les plus célèbres de l’époque sur les aspects de la théorie amoureuse troubadouresque6. Le thème du débat, posé par Giraut, semble (très certainement) choisi pour montrer l’habileté poétique, dialectique et courtoise du roi : est-ce que le fait d’accepter un amoureux riche et puissant représente autant d’honneur pour la dame que d’en avoir un pauvre7 ? Il s’agit donc de décider si les puissants peuvent être d’aussi bons amants que les amoureux courtois de condition sociale plus humble. Le roi Alphonse argumente et finit par démontrer que certains puissants pouvaient être tout aussi courtois et bons troubadours que le plus aguerri des poètes. Pour bien comprendre la question posée, discutée également par d’autres troubadours, il faut rappeler que le troubadour Bertran de Born avait attaqué le roi en le caractérisant comme « Tal que·s lausa en chantan / e vol mais diners c’onor » (« ce qui fait son éloge dans ses chansons, et préfère l’argent à l’honneur »)8. Ainsi, Alphonse semble se servir de ce débat comme un moyen de s’intégrer activement dans le prestigieux monde poétique qui servirait bien d’autres mécènes, tout en réfutant les accusations de ses ennemis politiques. Avec l’aide de Giraut de Bornelh, il répond tacitement à ceux qui, comme Bertran, veulent le bannir du monde de la courtoisie.

  • 9 Sur l’ensemble de pièces attribuées à des membres de la maison de Barcelone : Irénée Cluzel, « Prin (...)
  • 10  Sur le roi Alphonse le Troubadour : Martí de Riquer, « La Littérature provençale à la cour d’Alpho (...)

4C’est un moment emblématique dans le processus d’adoption du lyrisme troubadouresque par la maison royale de Barcelone. Désormais, elle accueillera les troubadours au sein de ses cours et contribuera même à la création poétique de façon épisodique, mais délibérée9. Par ce geste, Alphonse se munit d’un des signes d’identité propre aux grands seigneurs occitans parmi lesquels il cherchait sa place en tant que comte de Provence. Il crée par ailleurs, une communion culturelle entre ses vassaux des deux côtés des Pyrénées, légitimant ainsi son pouvoir royal. L’intérêt plus directement politique, tel que l’ont étudié Martí de Riquer et Martin Aurell10, est manifeste, mais il ne faut pas sous-estimer le prestige implicite qu’impliquait pour un grand seigneur l’association au lyrisme des troubadours ainsi que son appropriation et l’identification aux valeurs de la courtoisie.

  • 11 Voir Stefano Asperti « Testi poetici volgari di propaganda politica (secoli xii e xiii) », dans La (...)

5En marge de l’utilisation politique, ou peut-être devrait-on dire idéologique, du lyrisme troubadouresque en tant que poésie amoureuse, nous trouvons et ce de façon croissante au xiiie siècle, un nombre non négligeable d’œuvres poétiques clairement politiques c’est-à-dire à thématique ouvertement politique, que ce soit ou non dans un cadre courtois. Il s’agit d’une sorte de composition poétique à plus faible attestation qui, très certainement devait disparaître plus facilement que la composition lyrique de caractère amoureux au fur et à mesure que son contenu politique perdait de l’actualité. Certains chansonniers nous démontrent qu’il existe des poèmes, axés sur des événements ou sur une des factions, que l’on a regroupé, choisi et classé selon ce critère. On a conservé ainsi, un corpus considérable d’œuvres troubadouresques du xiiie siècle qui donnent leur opinion, critiquent, dénigrent ou commentent d’une certaine façon un événement ou un personnage d’actualité. Comme le montrent les études réalisées par Martin Aurell et plus récemment celles de Stefano Asperti11, au xiiie siècle, les troubadours participent activement aux principaux conflits de la frange occitano catalane que ce soit par le chant ou l’épée. La frange occitane est un des foyers de conflit entre les pouvoirs européens et on trouve des témoignages de ces luttes aussi bien locales qu’européennes dans les échanges de coblas à contenu politique (c’est-à-dire des strophes indépendantes auxquelles répondent d’autres troubadours) et dans les sirventes qui circulent (compositions souvent plus complexes, que nous commenterons ultérieurement). C’est principalement autour de la croisade contre les Albigeois et des conflits angevins que l’on trouve la plus grande production de ce type de poème. C’est-à-dire, pratiquement pendant tout le xiiie siècle, et toujours sur le thème de la lutte en vue de soutenir l’hégémonie européenne du roi de France, avec l’appui de la papauté contre l’empereur et souvent contre les intérêts de la Castille, de l’Angleterre et de la Couronne d’Aragon.

  • 12 Pour une caractérisation et typologie des coblas : Elisabeth W. Poe, « Cobleiarai, car mi platz: Th (...)

6La politique agit comme un stimulant sur la production d’œuvres que ce soit celles de troubadours professionnels, au service d’une cause ou d’un grand, ou bien celles de troubadours occasionnels, des nobles qui utilisent le fait politique pour s’exprimer, attaquer, ou défendre leur parti en se servant du cadre défini par la poésie des troubadours. Ces commentaires ou pamphlets politiques peuvent s’inscrire dans des modèles formels très variés, comme le montrent les diverses pastorelas où le contenu politique a substitué l’habituel dialogue amoureux. Cependant, les deux genres qui recueillent le plus fréquemment les opinions politiques des troubadours sont les coblas et les sirventes. Ce sont deux formes qui permettent le débat bien que de façon très différente. Les coblas répondent habituellement à un schéma formel relativement simple, que les divers participants copient sur celui qui a ouvert le débat12. Ce sont des œuvres généralement faciles à comprendre qui devaient permettre une diffusion rapide. Elles requièrent, comme toute la production des troubadours, une formation rhétorique et musicale mais dans un degré moindre que d’autres formes plus élevées et artificieuses.

  • 13 S. Asperti, « L’eredità lirica… » (art. cit. n. 11).

7S’il n’en avait été que des coblas (ou autres poèmes qui tout simplement dénigrent l’ennemi), la poésie de type politique n’aurait jamais réussi à s’intégrer au sein de la plus prestigieuse production des troubadours. De prime abord, la politique n’était pas un thème privilégié par le lyrisme troubadouresque. La forme simple, plus accessible au public et au compositeur ne contribuant pas à dignifier ces compositions, comme l’illustre un autre célèbre débat de Guiraut de Bornelh, avec cette fois Raimbaut d’Aurenga. Au contraire, beaucoup de troubadours se vantaient de la difficulté technique de leurs œuvres. Le filon du lyrisme de contenu politique aurait pu être une arme politique utile sur l’instant, mais elle n’aurait pas augmenté le prestige de ceux qui la produisaient et n’aurait probablement pas pu figurer dans les chansonniers en tant qu’œuvres de référence pouvant offrir des modèles de composition durable. Comme il apparaît dans les études de Stefano Asperti mentionnées plus haut13, la tradition lyrique satirico-politique occitane accuse un changement radical, grâce à l’œuvre de Bertran de Born et au succès obtenu. En général, les sirventes de Bertran de Born vont au-delà du dénigrement et de la satire de l’adversaire, cette particularité caractérise, cependant, ceux de son ami, Guillem de Berguedà. Bertran de Born crée un langage, un style et un contexte très caractéristique qui se situe souvent aux abords de la saison mythique du printemps, afin de recréer une image idéale, combative et militante de la chevalerie et de la noblesse féodale, tout comme les valeurs qu’elles incarnent. Grâce à cette poésie, la satire s’est insérée au sein du canon poétique courtois utilisé par la tradition troubadouresque : aussi bien par son style soutenu, plus conforme aux canons des troubadours, que par l’utilisation du contrafactum, avec des modèles empruntés à la canso. La poésie d’actualité s’est retrouvée ainsi au même niveau que le lyrisme amoureux et le sirventes s’est consolidé en tant que guide d’un discours politique au ton élevé.

  • 14 S. Asperti, « Testi poetici volgari… » (art. cit. n. 11).

8Bertran de Born ouvre donc la voie à une poésie politique et d’actualité intégrée au sein du système poétique des troubadours, une voie que suivront de nombreux poètes de la fin du xiie siècle et du xiiisiècle. Comme nous le rappelions, il existe deux points culminants dans la production de sirventes politiques : la croisade des albigeois (1209-1229) et les conflits angevins (1260-1300), deux moments où, pour exprimer la protestation ou pour définir la position de certaines factions, on utilise la voie ouverte par Bertran de Born14. La participation de la Couronne d’Aragon et du roi Pierre le Catholique dans le premier de ces conflits, jusqu’à sa mort à la bataille de Muret en 1213, est bien connue. L’exemple que nous avons cependant, choisi de commenter ici, correspond à la deuxième période (1260-1300) et à pour protagoniste un autre Pierre, son petit-fils Pierre le Grand (né en 1240, roi de 1276 à 1285).

Pierre le Grand, le lyrisme, la courtoisie et la politique

  • 15 Voir S. Asperti (art. cit. n. 5) et Miriam Cabré, Cerverí de Girona: un trobador al servei de Pere (...)

9Déjà en tant qu’infant (rappelons qu’il n’a accédé au trône qu’à l’âge de 36 ans), Pierre se distingue en deux aspects qui le rendent très intéressant vis-à-vis du thème qui nous occupe. D’un côté, il fait preuve d’un souci notable pour ce qui concerne la politique internationale et les alliances antiangevines c’est-à-dire contre la France et concrètement contre Charles d’Anjou. Par cette attitude, il sympathise souvent avec la Castille et l’Angleterre. De l’autre, Pierre le Grand récupère la figure du mécénat militant propre à la tradition des troubadours, avec l’intention de profiter de son prestige et de projeter une image de dirigeant cultivé, courtois, mécène des arts et chevaleresque. Son ambition politique antiangevine et sa volonté de diffuser cette image courtoise, sont deux caractéristiques qui le distinguent radicalement de son père, Jacques le Conquérant. Ces particularités se manifestent également dans l’œuvre littéraire qui émane de son entourage. Nous pouvons l’apprécier, par exemple, aussi bien dans l’œuvre de Cerverí de Girona qui a été à son service pendant vingt ans, que dans la chronique de Bernat Desclot15. Tout comme son intervention dans le cycle des coblas (sur laquelle nous reviendrons) nous le confirme.

  • 16 Pour une discussion plus détaillée de ces aspects : Miriam Cabré (op. cit. n. 15), p. 193-249.

10L’œuvre de Cerverí de Girona illustre parfaitement le dessein de Pierre : donner de soi une image associée à la courtoisie et ainsi tirer parti du prestige que le mécénat des troubadours conférait aux grands seigneurs. Il est intéressant d’observer, en ce sens, que le lien entre le troubadour et le prince est à peu près contemporain du début de l’activité politique autonome de l’infant Pierre, qui se traduit par des contacts internationaux à tendance antiangevine. Toute la poésie de Cerverí – au cours de l’étape qui précède le couronnement de Pierre le Grand – associe son mécène à la protection de la courtoisie et aux vertus courtoises et le représente aussi comme un futur gouverneur idéal16. C’est également à cette période que nous trouvons les seuls exemplaires de poésie à tendance ouvertement politique et polémique dans l’œuvre de Cerverí, toujours en faveur des intérêts de Pierre le Grand. Ils correspondent à un moment difficile dans la trajectoire politique de l’infant, qui se situe dans la première moitié de la décade des années soixante-dix, peu avant la mort de son père et de son accession au trône. C’est à ce moment-là, comme nous le disions, qu’il commence à développer son activité politique internationale ce qui l’oppose notamment à Charles d’Anjou. En tant que lieutenant de son père, il joue un rôle important dans la politique intérieure du royaume ce qui l’oppose à la noblesse rebelle et surtout à Ferran Sanxis, son frère consanguin, allié de Charles d’Anjou et chef de la noblesse révoltée. Fruit de cette période de grande tension politique, Cerverí compose une série de sirventes dont le Meg sirventes « Can aug en cort critz, e mazans, e brutz » sur lequel il convient de s’attarder car il nous servira de contrepoint pour analyser l’intervention poétique du roi Pierre en 1285.

  • 17 En ce qui concerne le poème de Bernart de Rovenac : Los trovadores: historia literaria y textos, Ma (...)
  • 18 Cette interprétation des événements, qui correspond bien à l’attitude des sirventes de Cerverí, est (...)

11Ce Meg sirventes répond à un poème du languedocien Bernart de Rovenac qui attaque férocement l’infant Pierre17. Il est intéressant de rappeler en quels termes se fait l’attaque de Bernart de Rovenac pour analyser comment lui réplique Cerverí. Tout en évoquant le style caractéristique de Bertran de Born, et plus précisément quelques figures de style qui lui permettent de dépeindre des scènes de guerre au ton épique, Bernart de Rovenac recrée la scénographie propre à Bertran qui, comme nous le rappelions auparavant, avait comparé le thème de la guerre au digne thème de l’amour. Les deux derniers vers de cet exorde lui servent à démontrer que Pierre le Grand (qui n’était alors que l’infant Pierre) n’est ni noble ni courtois c’est-à-dire qu’il ne participe pas à cette image idyllique de la chevalerie courtoise que Bertran avait rendu emblématique et qui sert, ici, de contrepoint à l’infamie de l’infant Pierre qu’il accuse de briser des trêves et d’agir comme un bourreau. Tout le poème s’articule autour de ces agissements qui font référence à l’assassinat (ou exécution c’est selon) du noble Guillem Ramon d’Òdena commis sur l’ordre de Pierre et aux conclusions que l’on peut en tirer quant à son caractère faux et vil. C’est pour cette raison que Bernart incite tous ceux qui pactisent avec Pierre à se méfier et appelle les Catalans à la révolte, conséquence directe de la disqualification de Pierre en tant que futur roi. Le poème s’adresse à Ramon de Cardona qui, conjointement avec Ferran Sanxis, se trouvait à la tête d’une révolte dirigée contre la couronne et tout particulièrement contre Pierre. Le ton menaçant et cette insistance à disqualifier l’infant en tant que gouvernant ainsi que l’appel à la révolte des Catalans s’alignent sur la position de la noblesse. Mais elles renforcent surtout les soupçons que nourrit l’entourage de Pierre à l’encontre de son frère consanguin selon lesquels ce dernier, fort de l’appui de la noblesse et de Charles d’Anjou, voudrait l’assassiner et prendre sa place sur le trône18.

12Après avoir traité du genre d’accusations qui circulaient contre Pierre, qui, comme nous l’avons vu, commencent avec son exclusion de l’univers de valeurs courtoises, il est intéressant de voir en quels termes lui réplique Cerverí. Le Catalan ne tombe pas dans le piège qui consiste à dignifier les accusations du Languedocien en y répondant par une réplique spécifique et ponctuelle qui les démentent. En revanche, il réplique à l’imitation que Bernart de Rovenac fait de Bertran de Born, par une nouvelle recréation selon le style de ce dernier. Le contexte qu’il dépeint, cependant, n’est pas générique comme celui du Languedocien, mais il prépare les accusations à suivre. Cerverí dépeint d’un côté la guerre juste, c’est-à-dire la guerre entre les rois et non celle des nobles contre leur seigneur, et de l’autre, les représailles victorieuses menées à bien par le seigneur, qui avec l’aide de Dieu rétablit un système que la noblesse corrompue avait bouleversé. Après cette description, Cerverí juge le comportement des nobles (dont Rovenac a tant fait la louange) qui accompagnent Ramon de Cardona dans la révolte. L’hommage fait à Bertran de Born ne se limite pas à cet exorde de réplique mais englobe l’utilisation d’un « meg sirventes ». Cerverí prépare avec cette épigraphe la plaisanterie finale grâce à laquelle il dénigrera et disqualifiera son adversaire. Au lieu d’un sirventes, la réplique de Cerverí est un demi-sirventes, un choix qu’il justifie ainsi : d’un côté, il ne désire pas poursuivre sa composition parce qu’il rappelle que les nobles le paieront en monnaie française (livres tournois) et de l’autre, parce que de cette façon Bernart de Rovenac, qui est un demi jongleur, peut la terminer et recevoir donc un demi harnais comme récompense de la part du très courtois infant Pierre.

13Nous assistons donc, à un échange de sirventes dans un registre élevé, avec une référence explicite à la tradition inaugurée par Bertran de Born. Ce dialogue dignifie un contenu de diffamation et de contre diffamation. Le cœur de la réplique de Cerverí, c’est la disqualification du troubadour qui exprime l’opinion contraire, mais c’est aussi le rétablissement de la condition de l’infant Pierre en tant que modèle de vertus courtoises, modèle auparavant nié par Rovenac. Que ce soit dans le sirventes de Rovenac ou dans la réplique de Cerverí, le chef du parti défendu (Ramon de Cardona et l’infant Pierre respectivement) se voit couvert d’éloges en termes d’autorité morale et courtoise. Dans les autres sirventes de Cerverí, le troubadour a pour habitude d’attaquer les ennemis de Pierre en s’appuyant sur des réflexions morales et doctrinales et sur un patron formel complexe. À défaut d’une attaque concrète à laquelle répondre comme dans ce demi sirventes, dans les autres sirventes de Cerverí, l’infant Pierre reste dans l’ombre ou occupe la position élevée de modèle de la courtoisie, à l’écart du monde corrompu et des comportements bas que son troubadour se voit forcé à dénoncer.

L’échange poétique de 1285

  • 19 Édité par Martí de Riquer en tant qu’ensemble, altérant l’ordre des manuscrits (le narbonnais C et (...)
  • 20 Mis à part celle-ci, on n’a conservé qu’un seul autre poème de Pierre le Grand, au sein d’un échang (...)

14D’un second moment de grande tension politique, nous débouchons sur un cycle de coblas (simples ou doubles avec tornada) dans lequel interviennent le maître de Béziers Bernart d’Auriac, le roi Pierre le Grand, le catalan Pere Salvatge, le comte de Foix et un auteur anonyme francophile19. Après la conquête de la Sicile par Charles d’Anjou, Pierre le Grand avait été excommunié, interdit et dépossédé. On prévoyait, comme conséquence ultérieure, en 1285, une invasion française qui, sous le nom de croisade, jouissait de la bénédiction papale, afin de ravir le royaume au roi excommunié et de l’offrir à Charles de Valois, fils du roi français. Nous ne conservons aucun poème de Cerverí de cette époque, ce qui nous fait supposer que son activité poétique avait cessé. Comme dans le cas de l’échange entre Bernart de Rovenac et Cerverí, l’intervention catalane au cycle de 1285, qu’il s’agisse de Pierre le Grand ou de Pere Salvatge, est la réponse à une attaque. Quand le troubadour qui l’avait servi pendant tant d’années ne peut reprendre ses sirventes qui défendent Pierre le Grand, de quels recours poétiques se vaut le roi20 ? Son intervention continue à développer l’image de modèle de courtoisie que Cerverí avait contribué à diffuser. Et il recherche, à cette occasion, l’aide de Pere Salvatge, un membre de sa suite, pour élaborer une réplique de contenu partisan sans se départir de son image élevée en tant qu’amoureux troubadouresque peu soucieux de guerre et de politique.

15Voyons l’échange poétique, reconstitué selon l’ordre choisi par Martí de Riquer. Bernart d’Auriac, maître de Bèziers, commence le cycle poétique à la veille de l’invasion de la Couronne d’Aragon par les Français :

I
Nostre reys qu’es d’onor ses par,
vol desplegar
son gomfano,
don veyrem per terra e per mar
las flors anar ;
et sap mi bo,
qu’aras sabran Aragones
qui son Frances,
e·ls Catalas estregz cortes
veyran las flors, flors d’onrada semensa,
et auziran dir per Arago
«oï noni» en luec d’«oc» e de «no».

II
E qui vol culhir ni trencar
las flors, be·m par
no sap quals so
li ortola, que per gardar
fan ajustar
tan ric baro ;
quar li ortola son tals tres
que quascus es
reys plus ricx que·l Barsalones,
e Dieus e fes es ab lur e crezensa.
Donc quan seran outra Mon Canego
no·y laisson tor ni palays ni maizo.

III
Catala, no·us desplassa ges
si·l reys frances
vos vai vezer ab bels arnes,
qu’apenre vol de vostra captenensa,
et absolver ab lans’et ab bordo,
quar trop estaitz en l’escominio.

[I. Notre roi, qui n’a pas d’égal en honneur, veut déployer son gonfalon, ce pour quoi nous verrons par terre et par mer comment avancent les fleurs ; et cela me plaît parce que maintenant les Aragonais sauront qui sont les Français, et les Catalans, avares de courtoisie, verront les fleurs, des fleurs à semence d’honneur, et ils entendront dire en Aragon oui et non au lieu d’oc et no. II. Et qu’il veuille cueillir ou abîmer les fleurs, il me semble qu’il ignore qui sont les horticulteurs qui pour veiller dessus ont rassemblé autant de barons puissants ; parce que les horticulteurs sont trois, de telle sorte que chacun est un roi plus puissant que le roi barcelonais, et Dieu, la foi et la croyance les accompagnent. Donc, quand ils seront au-delà de la montagne du Canigou qu’ils n’y laissent ni tour, ni palais ni maison. III. Catalans, ne vous déplaise si le roi français vient vous voir avec un bel harnais, c’est qu’il veut savoir comment vous vous comportez et (veut) vous absoudre par la lance et l’estoc, car cela fait trop longtemps que vous êtes excommuniés.]

16Bernart possède un petit corpus poétique, à tendance française, comme celui de Johan Esteve, lui aussi maître de Bèziers, également présent dans le chansonnier C. Par conséquent, lorsqu’il parle de « notre roi », il se réfère au roi français, Philippe III, et les trois horticulteurs sont Philippe III lui-même et ses fils Charles de Valois (roi d’Aragon par décision papale) et Philippe (roi consort de Navarre), tous deux neveux de Pierre le Grand. Il annonce aux Catalans une invasion prochaine qui changera leur langue et leur gonfalon. À partir de ce moment, ils parleront français et auront pour emblème les fleurs de lys. Il menace, quiconque résisterait, du pouvoir des rois impliqués, forts de l’aide de Dieu. Il conseille, par conséquent, aux Catalans d’accepter ce salut forcé, une absolution à coups de lance qui supprimera l’excommunication qu’ils subissent par la faute de leur roi. Le ton est désinvolte, les comparaisons d’une certaine manière joyeuses mais sans arriver à imiter le ton de Bertran de Born. Nous avons affaire à un registre inférieur, mais avec des références au cadre de la courtoisie dont les Catalans sont avares et les Français, c’est ce que nous devons comprendre, friands.

17La réponse de Pierre le Grand, qu’il ne se rabaisse pas, cependant, à adresser à l’interlocuteur réel (qu’il s’agisse du maître d’Auriac ou de l’ennemi français) mais à son courtisan Pere Salvatge, reprend ce ton avec quelques variantes :

I
Peire Salvagg’, en greu pessar
me fan estar
dins ma maizo
las flors que say volon passar
senes gardar
dreg ni razo ;
don prec a sselhs de Carcasses
e d’Ajanes
et als Guascos prec que lor pes
si flor mi fan mermar de ma tenensa.
Mas tals cuja sai gazanhar perdo
que·l perdos l’er de gran perdecio.

II
E mos neps, que sol flors portar,
vol cambiar,
don no·m sap bo,
son senhal, et auzem comtar
que·s fai nomnar
rey d’Arago.
Mas, cuy que plass’ o cuy que pes,
los mieus jaques
si mesclaran ab sos tornes :
e plass’a Dieu que·l plus dreyturiers vensa,
qu’ieu ja nulh temps per bocelh de Breto
no layssarai lo senhal del basto.

III
Si midons qu’es ab cors cortes,
ples de totz bes,
Salvagge, valer mi volgues,
e del sieu cors me fes qualque valensa,
per enemicx no·m calgra garnizo,
ab sol qu’ ieu vis la sua plazen faisso.

[I. Pere Salvatge, je suis très préoccupé par les fleurs qui veulent venir chez moi, sans regarder ni droit ni raison ; ce pour quoi je prie les Carcassonnais et les Agenais et demande aux Gascons de regretter si les fleurs amenuisent mes domaines. Mais il y en a un qui pense gagner son pardon là-bas, et le pardon lui sera une grande perdition. II. Et mon neveu, qui à l’habitude de porter des fleurs, veut changer son emblème, ce qui me déplaît, et nous entendons dire qu’il se fait appeler roi d’Aragon. Mais, cela m’est égal si ça plaît ou non, mes jaquesos se disputeront avec ses livres tournois, et plaise à Dieu que gagne celui qui y a le plus droit, car moi je ne changerai jamais l’emblème du bâton pour le flacon de Bretagne. III. Si ma dame, dont le cœur courtois est plein de toute bonté, Salvatge voulait m’honorer et me faire quelque don de sa personne, je n’aurais plus besoin d’armure contre l’ennemi, si je pouvais seulement voir son plaisant visage.]

18Le roi exprime, donc, sa préoccupation quant à cette métaphorique invasion de fleurs héraldiques auxquelles s’opposent les bâtons catalans (aujourd’hui connus sous le nom de barres). Il annonce un autre combat métaphorique, parallèle, qui aura lieu entre les différentes monnaies : les jaquesos et les livres tournois, monnaies respectivement courantes en Aragon et en France (rappelons que c’est en livres tournois que la noblesse traîtresse voulait payer Cerverí dans le demi-sirventes que nous avons commenté précédemment). Pierre insiste, de plus, sur deux éléments nouveaux : au lieu de parler de l’aide de Dieu, il invoque le droit que lui confère la couronne qu’il porte selon lequel il espère obtenir l’aide de ses vassaux et des Anglais (rappelons aussi que la Gascogne et l’Agenais étaient sous domination anglaise). D’un autre côté, et c’est cet élément que nous voulons souligner, le roi s’abrite derrière la courtoisie. En suivant la représentation qui émanait de l’œuvre de Cerverí, Pierre le Grand se positionne par-dessus tout comme un amoureux courtois. Malgré la préoccupation que suscite en lui l’action illicite de ses proches parents français qui mettent en péril son règne, Pierre présente l’amour de sa dame comme son intérêt suprême. Cet amour, de plus, est sa meilleure armure, qui nous devons le supposer, pourra vaincre les très puissants ennemis. Il répond ainsi implicitement à « l’avarice » supposée ou au manque de courtoisie que Bernart attribuait aux Catalans.

19Dans sa réponse, Pere Salvatge parfait l’image courtoise du roi, il lui recommande, en tant qu’amoureux, de ne se préoccuper que d’amour et dépeint la guerre comme une grande collecte de fleurs, en profitant du fait qu’elles abondent en été :

Senher, reys qu’enamoratz par
no deu estar
ab cor felo
contra flors, ans deu arbirar
cum puesca far
ab bon resso
culhir las flors en aissel mes
on l’estius es,
e las flors naysson plus espes,
els culhidors sian d’aital valensa
qu’en pueg ni en pla, en serra ni·n boysso
no laisson flor de sai Monbaulo.

[Seigneur, un roi qui semble amoureux ne doit pas avoir le cœur plein de colère contre les fleurs, mais doit plutôt penser, pour sa bonne renommée, à comment faire pour réussir à ramasser les fleurs en ce mois d’été où les fleurs abondent, et pour que les ramasseurs soient d’une valeur telle qu’il ne reste ni dans les collines ni dans les plaines ni dans les montagnes ni dans les bois une seule fleur d’ici à Montbolo.]

  • 21 Dans les deux dernières interventions du débat, il y a des différences substantielles dans les édit (...)

20Le cycle poétique continue avec l’intervention de Roger Bernat de Foix, qui même si elle s’adresse à Pere Salvatge, réplique en vérité à Pierre le Grand sur un ton ironique. La cible première de son ironie est précisément l’image d’amoureux courtois que veut projeter le roi aragonais au-delà des mondaines préoccupations guerrières21 :

I
Salvatz[e], tuitz ausem cantar
e’namorar
rei d’Arragon.
Digatz me se poria tant far ;
c’a mi no par,
ses lo lion
que si asemble en tot ar[n]res
contra·l Frances,
si que·l sieu afar sia ges.
E car el dis que·l plus dreituriers vensa,
de failir tost a cascun lai raison ;
per o sapchatz qu’eu deteing Castelbon.

II
Mas qui a flor se vol mesclar
ben deu gardar
lo sieu baston,
car Frances sabon grans colps dar,
et albirar
ab lor bordon.
E no·us fizez en Carcases
ni·n Agenes
ni·n Gascon, car no l’amon de res,
depos vas mi a faita la faillenza.
En breu de temps veirem nos Brogoignon
cridar : « Monjoi ! » e·l crid’en Aragon.

[I. Salvatge, nous entendons tous chanter et être amoureux le roi d’Aragon. Dites-moi s’il réussira (à moi il me semble que non) sans le lion à se présenter tout armé contre le Français, de sorte que son affaire soit accomplie. Et comme il dit que gagne celui qui y a le plus droit, là-bas tous ont des raisons d’échouer bien vite ; sachiez que c’est pour ça que je possède Castellbò. II. Mais qui veut se battre contre des fleurs doit faire bien attention à son estoc car les Français savent en asséner de grands coups ; et n’ayez pas confiance en les Carcassonnais ni en les Agenais ni en les Gascons, parce qu’ils ne l’aiment guère depuis qu’il m’a failli. Nous verrons bientôt le Bourguignon crier « Monjoi ! » pour nous et le crier en Aragon.]

  • 22 Voir les interprétations divergentes de Riquer et Paterson sur ce sujet et plusieurs aspects de la (...)

21Le comte de Foix, donc, se réfère au chant amoureux de Pierre le Grand de façon ironique, mais doute qu’il puisse se mettre d’accord avec le lion (qui représente sûrement le roi anglais, aux vassaux duquel Pierre a demandé de l’aide). Il constate surtout que si, comme le dit le roi aragonais, le gagnant est celui qui y a le plus droit, il ne prédit pas la victoire de Pierre. Le comte de Foix avait eu des disputes territoriales avec lui qui l’incitent, maintenant, à douter de sa loyauté. Roger Bernat termine la strophe en se targuant de posséder Castellbò, un territoire que lui réclamait Pierre le Grand22. Le roi aragonais l’avait échangé avec le comte de Foix, qu’il avait fait emprisonner jusqu’en 1283. Ce dernier refusait de le lui céder alléguant que le roi avait été excommunié. Par conséquent, Roger Bernat prévient quiconque veuille s’opposer aux Français de la force militaire de l’ennemi et de l’aide incertaine des alliés sur laquelle ils espèrent pouvoir compter. Selon ses dires, ni les Carcassonnais, ni les Agenais, ni les Gascons n’appuieront le roi Pierre lorsqu’ils sauront comment celui-ci l’a traité. Et il termine son intervention par l’évocation – selon le style de Bertran de Born – des cris que l’on entendra pendant la bataille, des cris qui vont s’entendre tout de suite en Aragon.

22Jusqu’ici, nous avons un débat poétique sur un fait politique d’actualité, formulé selon les paramètres de la tradition troubadouresque et où les participants présentent la courtoisie comme une valeur qui caractérise leur faction. Le ton change complètement dans la dernière intervention faite par un auteur anonyme, qui se rajoute à l’échange poétique pour attaquer le parti aragonais :

I
Frances c’al mon non a par,
degran forzar,
e Berguingnon
les patarins a romevar ;
e qui clamar
s’an d’Arragon
al gran foc seran menatz pres,
com rason es,
e gitad’ al vent lor cenes.
E quan seran de vostra obediensa
faran tal fin qu’al mar per lo sablon
saviaran, com l’arma a perdison.

II
L’escaran veirem empinhar
n’i plus scampar
poir’a raison,
e sieu seigner veirem ligar
et aforcar
come laron.
Non i sera lo premier mes ;
e·l trait que fes
cridar, don destrui nostra fes,
nos chalzer’on per aucir soa semenza,
e pois veirem chascun de soa maison
e de son sen morir en la preison.

[I. Les Français, qui n’ont pas leur égal en courage, et les Bourguignons, doivent forcer les hérétiques à se rendre en pèlerinage et ceux qui se plaignent à Aragon seront emmenés bien vite devant le bûcher, comme il doit être, et leurs cendres jetées au vent ; et quand ils seront sous votre pouvoir ils finiront, du sable à la mer, comme l’âme va à la perdition. II. Nous verrons pendre le brigand (?) et il ne pourra plus échapper à la justice et nous verrons son seigneur être attaché et emmené au gibet comme un voleur, et il ne sera pas le premier à être pendu ; et le trait qu’il avait annoncé pour détruire notre foi, nous allons le recharger pour tuer sa semence, et ensuite nous verrons tous ceux de sa maison et de sa pensée mourir en prison.]

23Terminées l’ironie, la courtoisie, les références à la savante tradition troubadouresque. L’auteur anonyme francophile, dans ses deux strophes fait totalement fi du ton et des paramètres courtois du débat poétique précédent et compose une harangue violente, voire brutale, en direction des Français pour qu’ils arrivent à vaincre les hérétiques aragonais, les fassent exécuter comme tels et fassent disparaître cette lignée damnée de la surface de la terre.

  • 23 Jaume Torró, « La noblesa, la lírica, la caça i la cortesia », Mot so razo, 3, 2004, p. 7-15, suit (...)

24Nous avons vu comment des personnages de différentes conditions sociales prennent la parole dans l’une des dernières œuvres de la tradition satirique troubadouresque et qu’ils ont à leur disposition une gamme de stratégies et de registres assez variée lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts ou d’attaquer leurs ennemis. Nous avons pu constater la différence de ton qu’il existe entre ceux qui, d’une certaine manière, s’approprient la dignité que confère la tradition troubadouresque comme l’indiquent les échos délibérés de Bertran de Born et le poème de l’auteur anonyme, totalement étranger à cette tradition. La consigne de la faction catalane – dont nous avons exposé brièvement les antécédents poétiques – semble être clairement celle d’incarner la courtoisie sans se rabaisser à traiter de politique ou de dénigrement. Le cycle poétique de 1285 est emblématique, par conséquent, d’une certaine ambiance catalane qui réclame de façon militante le bagage culturel des troubadours et d’une faction occitane, qui, politiquement, tourne déjà son regard vers Paris (où vers la Naples angevine). Nous pourrions dire que la politique culturelle de Pierre le Grand et son appropriation de la courtoisie sont parallèles à sa politique antiangevine, et que le lyrisme des troubadours a perduré en Catalogne au moins jusqu’au xve siècle grâce à cette politique culturelle de la lignée barcelonaise qui était, alors, consolidée23.

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Notes

1 Cet article s’inscrit dans le cadre des projets Mecenazgo y creacion literaria en la corte catalano-aragonesa (s. xiii-xv): evolucion, contexto y biblioteca digital de referencia (MEC FFI2014-53050-C5-5-P) et El llegat trobadoresc en la construcció de la identitat europea: l’aportació de les corts catalanoragoneses medievals (2015 ACUP 00127).

2 Nous apportons cette précision afin de différencier les troubadours dans ces territoires, des trouvères ou des poètes de l’école sicilienne, qui avaient créé une tradition linguistiquement autonome, tout en se reportant au modèle des troubadours. Pour un aperçu sur cette question : Miriam Cabré, « Italian and Catalan Trobadours », dans The Troubadours: an Introduction, S. Kay et S. Gaunt  (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 127-140.

3 Sur le début du rayonnement des troubadours dans l’Italie nord-occidentale : Valeria Bertolucci Pizzorusso, « Nouvelle géographie de la lyrique occitane entre xiie et xiiie siècle. L’Italie nord-occidentale », dans Scène, évolution, sort de la langue et de la littérature d’oc, Actes du VIIe Congrès international de l’AIEO, Rome, Viella, 2003, vol. II, p. 1313-1322. Pour les troubadours et l’Italie, outre le tour d’horizon détaillé dans Corrado Bologna, « La letteratura dell’Italia settentrionale nel Duecento », dans Letteratura italiana. Storia e geografia, 1: L’età medievale, A. Asor Rosa (dir.), Torino, Enaudi, 1987, p. 101-188, voir également les articles dans la Revue des Langues Romanes, 120, 2016 et le projet L’Italia dei trovatori (url : http://www.idt.unina.it/index.html). Sur les troubadours à Trévise, Este et Malaspina, voir respectivement : Il Medioevo nella Marca: trovatori, giullari, letterati a Treviso nei secoli xiiie xiv, Atti del convegno (Treviso, 28-29 settembre 1990), M. L. Meneghetti et F. Zambon (dir.), Treviso, Edizioni Premio Comisso, 1991 et I trovatori nel Veneto e a Venezia, Atti del Convegno internazionale (Venezia, 28-31 ottobre 2004), G. Lachin (éd.), Roma/Padova, Antenore (Medioevo et Rinascimento veneto, 3), 2008 ; Guliana Bettini Biagini, La poesia provenzale alla corte estense. Posizioni vecchie e nuove della critica e testi, Pisa, ETS, 1981, p. 58-60 et Gilda Caïti-Russo, Les troubadours et la cour des Malaspina, Montpellier, Publications de l’Université Paul Valéry, 2005.

4 Sur Rambertino Buvalelli, voir l’édition critique : Rambertino Buvalelli, Le poesie, E. Melli (éd.), Bologna, Pàtron (Testi e saggi di letterature moderne, 2), 1978, p. 35-60 et Elio Melli, « Nuove ricerche storiche sul trovatore bolognese Rambertino Buvalelli », dans Studi filologici, letterari e storici: in memoria di Guido Favati, G. Varanni et P. Pinagli (éd.), Padova, Antenore (Medioevo e Umanesimo, 28), 1977, vol. II, p. 425-448, et plus récemment Maria G. Capusso, « Rambertino Buvalelli Ges de chantar no·m voill gequir (BdT 281.5) », Lecturae tropatorum, 4, 2011, p. 1-37.

5 Sur les troubadours et la Catalogne : Stefano Asperti, « I trovatori e la corona d’Aragona: riflessioni per una cronologia di riferimento », Mot so razo, 1, 1999, p. 12-31 [révisé www.rialc.unina.it/bollettino.htm]. Pour un panorama de la persistance de la tradition en Catalogne : Miriam Cabré, « La lírica d’arrel trobadoresca », dans Història de la Literatura Catalana. Literatura Medieval, I: Dels orígens al segle xiv, L. Badia (dir.), Barcelona, Enciclopèdia Catalana/Barcino/Ajuntament de Barcelona, 2013, p. 219-296. Sur les Catalans dans la lyrique des troubadours : Mariona Viñolas, « The Image of Catalans in Troubadour Poetry », dans Spaces of Knowledge: Four Dimensions of Medieval Thought, Newcastle-upon-Tyne, Cambridge Scholars, 2014, p. 89-100.

6 Les deux pièces du roi Alphonse sont la chanson « Per maintas guizas m’es datz » (Chrestomathie provençale [6e éd.], K. Bartsch (éd.), Genève/Marseille, Slatkine reprints/Laffite reprints, 1973) et le débat « Be·m plairia senher en reis » (The cansos and sirventes of the troubadour Giraut de Borneil, R. V. Sharman (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1989). Voir la nouvelle édition et la datation proposée par The Troubadour ‘Tensos’ and ‘Partimens’, R. Harvey et L. Paterson (éd.), Cambridge, D. S. Brewer (Gallica, 14), 2010, vol. II, p. 699-705. Sur le contexte culturel du débat : Miriam Cabré, « Mécènes et troubadours dans la Couronne d’Aragon », Europe, 950-951, 2008, p. 126-136.

7 Sur le traitement de ce sujet chez les troubadours : Lucia Lazzerini, Letteratura medievale in lingua d’oc, Modena, Mucchi, 2001, p. 104-110.

8 La citation provient de Gérard Gouiran, L’amour et la guerre : l’œuvre de Bertran de Born, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1985, 2 vol., p. 507-530, v. 37-38 : « Molt m’es descendre car col ».

9 Sur l’ensemble de pièces attribuées à des membres de la maison de Barcelone : Irénée Cluzel, « Princes et troubadours de la maison royale de Barcelone-Aragon », Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, 27, 1957-1958, p. 321-373.

10  Sur le roi Alphonse le Troubadour : Martí de Riquer, « La Littérature provençale à la cour d’Alphonse II d’Aragon », Cahiers de Civilisation Médiévale, 2, 1959, p. 177-201 et Martin Aurell, « Les troubadours et le pouvoir royal : l’exemple d’Alphonse Ier (1162-1196) », Revue des langues romanes, 85, 1981, p. 53-67. Pour un bilan sur la politique catalane en Occitanie : Id , « L’expansion catalane en Provence au xiie siècle », Estudi General, 5-6, 1985-1986, p. 175-197 ; Id , « Els fonaments socials de la dominació catalana a Provença sota Alfons el Cast (1166-1196) », Acta historica et archaelogica mediaevalia, 5-6, 1984-1985, p. 83-110 et Pere Benito, « L’expansió territorial ultrapirinenca de Barcelona i de la Corona d’Aragó: guerra, política i diplomàcia (1067-1213) », dans Tractats i negociacions diplomàtiques de Catalunya i de la Corona catalanoaragonesa, M. T. Ferrer i Mallol, P. Benito i Monclus, M. Riu, et al. (dir.), Barcelona, Institut d’Estudis Catalans (Memories de la Secció Històrico-Arqueològia, 83), 2009, vol. 1, p. 13-150.

11 Voir Stefano Asperti « Testi poetici volgari di propaganda politica (secoli xii e xiii) », dans La propaganda politica nel basso Medioevo, Atti del XXXVIII Convegno storico internazionale (Todi, 14-17 ottobre 2001), Spoleto, Cisam, 2002, p. 533-559 et Id. « L’eredità lirica di Bertran de Born », Cultura Neolatina, 64, 2004, p. 475-525 ; comme Martin Aurell, La Vielle et l’épée : troubadours et politique en Provence au xiiie siècle, Paris, Aubier (Collection historique), 1989, et également l’article classique de Martí de Riquer, « Il significato politico del sirventese provenzale », dans Concetto, storia, miti e immagini del Medio Evo, V. Branca (éd.), Florència, Sansoni, 1973, p. 287-309.

12 Pour une caractérisation et typologie des coblas : Elisabeth W. Poe, « Cobleiarai, car mi platz: The Role of the cobla in the Occitan Lyric Tradition », dans Medieval Lyric. Genres in Historical Context, W. D. Paden (éd.), Urbana/Chicago, Illinois University Press (Illinois Medieval Studies), 2000, p. 68-94. En ce qui concerne la production poétique des puissants, avec abondance de débats : Carlos Alvar, « Reyes trovadores », dans Scène, évolution, sort de la langue et de la littérature d’oc, Actes du septième Congrès international de l’Association internationale d’études occitanes (Reggio Calabria-Messina, 7-13 juillet 2002), R. Castano, S. Guida et F. Latella  (éd.), Roma, Viella, 2003, vol. I, p. 15-24.

13 S. Asperti, « L’eredità lirica… » (art. cit. n. 11).

14 S. Asperti, « Testi poetici volgari… » (art. cit. n. 11).

15 Voir S. Asperti (art. cit. n. 5) et Miriam Cabré, Cerverí de Girona: un trobador al servei de Pere el Gran, Barcelona/Palma, Universitat de Barcelona/Universitat de les Illes Balears, 2011, ainsi que Stefano Cingolani, Historiografia, propaganda i comunicació al segle xiii: Bernat Desclot i les dues redaccions de la seva Crónica, Barcelona, Institut d’Estudis Catalans (Memories de la Secció Històrico-Arqueològia, 68), 2006 et Miriam Cabré, « Wielding the Cross: Crusade References in Cerverí de Girona and Thirteenth-Century Catalan Historiography », dans Crusades and Poets, L. Paterson et S. Parsons (éd.), Londres, Boydell & Brewer, sous presse.

16 Pour une discussion plus détaillée de ces aspects : Miriam Cabré (op. cit. n. 15), p. 193-249.

17 En ce qui concerne le poème de Bernart de Rovenac : Los trovadores: historia literaria y textos, Martí de Riquer (éd.), Barcelona, Planeta (Ensayos Planeta de linguística y crítica literaria, 34-36), 1975, 3 vol., p. 1373-1375 ; pour le poème de Cerverí : Obras completas del trovador Cerverí de Girona, Martí de Riquer (éd. et trad.), Barcelona, Instituto Español de Estudios Mediterráneos, 1947, p. 105-108 ; Lírica, J. Coromines (éd.), Barcelona, Curial (Autors catalans antics, 6), 1988, vol. II, p. 118-122, ainsi que mon édition en cours sur le site Narpan  (www.narpan.net). Voir le commentaire dans M. Cabré (op. cit. n. 15), p. 184-185. Sur l’ensemble des sirventes de Cerverí : Miriam Cabré, « Per a una cronología dels sirventesos de Cerverí de Girona », Trobadors a la Peninsula Ibèrica, V. Beltran Pepio, M. Simo et E. Roig (éd.), Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat (Textos i estudis de cultura catalana), 2006, p. 135-150.

18 Cette interprétation des événements, qui correspond bien à l’attitude des sirventes de Cerverí, est présentée par la chronique de Bernart Desclot, voir M. Cabré (art. cit. n. 15).

19 Édité par Martí de Riquer en tant qu’ensemble, altérant l’ordre des manuscrits (le narbonnais C et le toscan I) pour restituer le sens historique et la logique des réponses : Martí de Riquer, « Un trovador valenciano: Pedro el Grande de Aragón », Revista Valenciana de Filología, 1, 1951, p. 273-311 ; ainsi que Los trovadores… (éd. cit. n. 17), p. 1590-1600, et également l’édition récente de Linda Paterson dans le Repertorio informatizzato dell’antica letteratura occitanica e trobadorica (PC 57.3, 325.1, 357.1 et 357.2, url : www.rialto.unina.it) avec des notes historiques. Nous suivons ici l’édition Paterson. Sur la date du cycle, voir aussi S. Cingolani (op. cit. n. 15), p. 93. Voir également Agnès et Robert Vinas, La croisade de 1285 en Roussillon et Catalogne, Pollestres, TDO Éditions, 2015 : pour l’ensemble de témoins, surtout de caractère historiographique, sur cet événement. Sur le profil de Pere Salvatge comme troubadour : M. Cabré (op. cit. n. 15), p. 33. Sur les problèmes concernant la transmission et l’ordre des coblas : François Zufferey, Recherches linguistiques sur les chansonniers provençaux, Genève, Droz, 1987, p. 67-69, « Intavulare »: Tavole di canzonieri romanzi, I: Canzonieri provenzali. II: BNF, I (fr. 854), K (fr. 12473), W. Meliga (éd.) et A. Ferrari (dir.), Modena, Mucchi (Intavulare, 1), 2001, p. 55 ; et Fabio Zinelli, « D’une collection de tables de chansonniers romans (avec quelques remarques sur le chansonnier Estense) », Romania, 122, 2004, p. 46-110, en part. p. 57-59.

20 Mis à part celle-ci, on n’a conservé qu’un seul autre poème de Pierre le Grand, au sein d’un échange de coblas (Martí de Riquer [art. cit. n. 19]), mais selon ce qu’affirme Cerverí dans ses compositions, Pierre était l’auteur d’une œuvre plus large. Voir aussi M. Cabré (op. cit. n. 15), p. 166, au sujet des coblas échangées entre Pierre et Peironet, sur lesquelles plusieurs questions restent ouvertes.

21 Dans les deux dernières interventions du débat, il y a des différences substantielles dans les éditions de Riquer et Paterson, détaillées par les notes de Paterson.

22 Voir les interprétations divergentes de Riquer et Paterson sur ce sujet et plusieurs aspects de la deuxième strophe. Sur le double rapport de vassalité de Roger Bernat de Foix : Santiago Sobrequés, Els Barons de Catalunya [4e éd.], Barcelone, Vicens/Vives (Història de Catalunya: Biografies catalanes, 3), 1980, p. 95-98.

23 Jaume Torró, « La noblesa, la lírica, la caça i la cortesia », Mot so razo, 3, 2004, p. 7-15, suit les traces de cette voie poétique associée à la dynastie barcelonaise.

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References

Bibliographical reference

Miriam Cabré, “Politique et courtoisie à l’automne des troubadours”Cahiers de civilisation médiévale, 238 | 2017, 113-124.

Electronic reference

Miriam Cabré, “Politique et courtoisie à l’automne des troubadours”Cahiers de civilisation médiévale [Online], 238 | 2017, Online since 01 January 2021, connection on 09 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/1882; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.1882

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