Ben Ramm. — A discourse for the Holy Grail in Old French Romance
Ben Ramm, A discourse for the Holy Grail in Old French Romance, Woodbridge, Boydell & Brewer, 2007, x-182 pp. (Gallica, 2).
Full text
1L’étude de B. Ramm sur le Graal dans les romans médiévaux est d’une extrême audace et originalité. L’A. annonce d’emblée son intention, qui est d’appliquer les concepts mis en œuvre par Lacan et par Žižek au discours arthurien sur le Graal. Une telle témérité mérite d’être mise en valeur, même si l’étude ne parvient pas à éviter les deux risques majeurs d’une telle analyse, à savoir le spéculatif et la confusion.
2L’introduction est particulièrement bien rédigée et exhaustive. Avant d’exposer les bases de son raisonnement, l’A. fait le tour des recherches sur le Graal (p. 4 et s.) et met en évidence, à juste titre, la fracture discursive créée par le roman inachevé de Chrétien de Troyes. Il souligne également le rapport solide qui s’établit entre quête et questionnement, entre le discours et le phénomène (p. 7), tout en détachant avec subtilité l’assonance présente dans la Première Continuation entre enquerre et querre. La structure lacanienne présentée dans le livre 17 du Séminaire est ensuite décrite, et l’A. présente les concepts d’agent, vérité, autre et production ainsi que celui de discours du maître, de savoir et de sujet barré (p. 14). Les équations lacaniennes sont ensuite appliquées aux romans de Perlesvaus et de la Queste del saint Graal (p. 15-31) : le discours du Maître est considéré comme dominant dans le Perlesvaus et celui de l’Université – de transmission d’un savoir – prévaut dans la Queste.
3Le premier chapitre (p. 31-62) traite du problème de l’identité et de la méconnaissance dans le Perlesvaus. L’épisode central que l’A. choisit d’analyser est la scène quelque peu déconcertante des deux tombes dont l’un renferme la dépouille de Joseph d’Arimathie, annoncée par une inscription, alors que l’autre semble contenir le même corps puisqu’il est question des tenailles avec lesquelles les clous de la croix ont été enlevés. Cet épisode est l’occasion pour B. Ramm de démontrer que la relation entre le Maître et le savoir apparaît comme un résultat de la production du discours (p. 47). Par la suite, la méconnaissance est étudiée surtout à travers les nombreux écus que Perlesvaus change dans le roman, ce qui mène les autres personnages à le confondre.
4Le deuxième chapitre est consacré à la Queste et à la distinction entre chevaleries célestielle et terrienne. La chevalerie est ainsi perçue à la fois comme sacrée et comme une abjection, dialectique qui constitue le fil rouge dans la démonstration de ce chapitre. Une partie est consacrée au paradoxe bien saisi de la chevalerie célestielle qui, tout en se revendiquant de Dieu, manifeste des traits qui dépassent largement l’Église (p. 69 et s.). Toujours en s’appuyant sur Lacan, l’A. discute la notion de séparation qui passe par l’aliénation et prend comme objet d’étude Lancelot, la figure de la Queste la plus susceptible de convenir à ce genre de démonstration. Les ermites sont vus, à travers le binôme de Žižek « ermite-saint », à la fois comme des générateurs du désir de l’autre et comme des écrans destinés à cacher l’inconsistance de la Queste.
5Dans le troisième chapitre (p. 90-122) est traitée la question du péché, où le pécheur incarne le discours lacanien de l’Hystérique (déjà annoncé dans le chapitre antérieur par l’étude de Lancelot). Le rôle du Graal comme révélateur de ce discours est discuté à partir des textes de Chrétien et de Robert de Boron et l’A. livre des analyses successives sur les protagonistes de la légende du Graal. Enfin le dernier chapitre (p. 122-149) prend comme point de mire les rêves de mort et les rêves extatiques.
6La conclusion de l’étude est particulièrement peu flatteuse pour la quête du Graal et ses protagonistes. Galaad apparaît comme une figure du pervers qui établit un pacte avec l’Autre, en l’occurrence Dieu, une espèce de contrat suicidaire selon lequel il offre sa vie afin de voir Dieu, ce qui en fait compte beaucoup plus pour lui. Son sacrifice n’est alors que mensonge. Et B. Ramm de conclure qu’entre le discours du Maître et celui de l’Hystérique se place le discours du Graal ; cependant, loin de créer un abîme entre les deux, le Graal met en évidence leurs similitudes. Vue plutôt comme un leurre pour le désir de l’autre, la Queste est plutôt dans le registre de l’abjection que de la sacralité.
7L’originalité de cette recherche est d’avoir souligné les aspects négatifs de la quête du Graal, sa dimension de séduction, voire de tentation, ainsi que son ambiguïté. C’est une intuition particulièrement correcte et jamais assez explorée. Néanmoins, de nombreux développements sont spéculatifs, jonglant avec des concepts incommodes et difficiles à vraiment appliquer aux romans médiévaux. Limiter le Perlesvaus et la Queste à l’algèbre lacanienne ne peut qu’engendrer des conclusions partiales.
8Par ailleurs, le postulat de départ est lui-même spéculatif, car si les raisons qui font que le discours de l’Université domine la Queste sont évidentes, il n’en est pas de même pour le Maître et le Perlesvaus, association que l’A. ne prend jamais la peine d’argumenter de manière solide. De même, l’étude aurait beaucoup gagné à faire un plus grand effort quant à la clarté et au style de son propos : trop de raccourcis, un va-et-vient entre des concepts laissés sans suffisamment d’explication – d’autant plus qu’ils sont utilisés dans un contexte médiéval –, obscurcissent et rendent particulièrement difficile la lecture. Enfin, cette recherche semble être plutôt un hommage rendu à Lacan et à Žižek qu’un discours sur le Graal : le point de départ n’est pas la source médiévale, mais le discours lacanien, et l’A. donne l’impression in fine d’en vouloir prouver l’efficacité.
References
Bibliographical reference
Cătălina Gîrbea, “Ben Ramm. — A discourse for the Holy Grail in Old French Romance”, Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 90-92.
Electronic reference
Cătălina Gîrbea, “Ben Ramm. — A discourse for the Holy Grail in Old French Romance”, Cahiers de civilisation médiévale [Online], 217 | 2012, Online since 01 July 2024, connection on 13 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18823; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128tb
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