Comment Harold prêta serment : circonstances et interprétations d’un rituel politique
Résumés
Le voyage de l’earl Harold Godwineson en Normandie et le serment qu’il prêta au duc Guillaume – événements rapportés par plusieurs chroniqueurs ainsi que par la Tapisserie de Bayeux – ont fait l’objet de nombreuses discussions de part et d’autre de la Manche. Cet article tente de résumer les débats qui ont eu lieu autour des circonstances, des formes et des motivations de ce serment, puis avance une interprétation. En prenant en compte le jeu complexe auquel se livrent alors les membres de la cour anglo-saxonne et les princes du Nord de la France, il devient possible d’entrevoir d’autres explications pour ce voyage et pour ce serment. Au lieu de voir dans ce rituel du serment une erreur politique d’Harold, un piège dont il se serait maladroitement tiré ou encore un prélude au parjure, on peut l’interpréter comme un moment de haute stratégie et de communication politique dont les deux participants n’avaient pas nécessairement la même compréhension.
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Mots-clés :
conquête normande de l’Angleterre (1066), serments, politique et diplomatie, Harold Godwineson (roi d’Angleterre), Guillaume le Conquérant (roi d’Angleterre), îles britanniques, Normandie, FranceKeywords:
norman Conquest of England (1066), oaths, politics and diplomacy, Harold II Godwineson (king of England), William I the Conqueror (king of England), British Isles, Normandy - politics, FrancePlan
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Cet article a fait l’objet de deux présentations dans le cadre d’ateliers organisés à Boulogne-sur-Mer en octobre 2009 et à Paris I en novembre 2010. L’auteur remercie les participants de ces journées pour leurs remarques et leurs suggestions.
Introduction : un très vieux débat
- 1 Guillaume était le petit-fils de Richard II, frère d’Emma, la mère du Confesseur.
- 2 Je laisse en anglais le mot earl (vieil anglais eorl), que les sources du xie s. traduisent en géné (...)
- 3 Ian Howard, « Harold II : A Throne-worthy King », dans King Harold II and the Bayeux Tapestry, éd. (...)
1Quelques mois ou quelques années avant la mort en janvier 1066 du roi Édouard le Confesseur et sa propre accession au trône, son beau-frère Harold Godwineson se rendit sur le continent. Le but de ce voyage était de confirmer à Guillaume le Bâtard, duc des Normands et parent d’Édouard1, que ce dernier l’avait désigné comme son successeur. Or, au lieu de débarquer comme prévu dans un port normand, Harold fit naufrage sur les côtes picardes, aux environs de la baie de Somme. Capturé par le comte Guy de Ponthieu, il fut « racheté » par le duc Guillaume, qui le traita honorablement : il le convia à la chasse, l’emmena à la guerre, lui remit des armes. Harold s’acquitta alors de la mission que son souverain lui avait confiée et promit au Normand, par un serment prêté sur des reliques, de faciliter sa succession après la mort d’Édouard et d’être jusque-là son délégué en Angleterre. Fils et héritier de l’earl des Ouest-Saxons Godwine2, apparenté par sa mère Gytha à la dynastie royale de Danemark et d’Angleterre, beau-frère du roi par sa sœur la reine Édith, Harold administrait en effet tout le sud du pays, ce qui faisait de lui le second personnage du royaume : en termes de pouvoir, de prestige et de richesse, il ne le cédait qu’au roi lui-même3. Cependant, rentré en Angleterre, Harold oublia son serment et, au début du mois de janvier 1066, se fit désigner comme héritier par le souverain mourant, usurpant le trône avec le consentement de tous les grands du royaume. Il paya ce parjure de sa vie le 14 octobre 1066 lors de la gigantesque ordalie que fut la bataille de Hastings, entraînant avec lui dans sa chute tout le peuple anglais.
- 4 À rebours de l’usage qui se répand depuis quelques années, je parlerai ici de « Tapisserie de Bayeu (...)
- 5 Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi [désormais Poitiers, GG], éd. Ralph H. C. Davis et Marjorie (...)
- 6 Guy d’amiens, Carmen de Hastingae proelio, éd. Frank Barlow, The Carmen de Hastingae proelio of Guy (...)
- 7 Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum [désormais Jumièges, GND], éd. Elisabeth van Houts, (...)
- 8 Chronique anglo-saxonne [désormais ASC], ms. C, D et E, éd. David Dumville et Michael Lapidge, The (...)
- 9 Jean de Worcester, Chronicon ex chronicis [désormais Worcester, Chronique], éd. Ralph R. Darlington(...)
- 10 Vita Ædwardi regis [désormais VÆR], éd. F. Barlow, The Life of King Edward Who Rests at Westminster (...)
- 11 Eadmer, Historia novorum [désormais Eadmer, HN], éd. Martin Rule, Eadmeri Historia novorum in Angli (...)
- 12 Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum [désormais Malmesbury, GRA], éd. Roger A. B. Mynors, (...)
- 13 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum [désormais Huntingdon, HA], éd. Diana Greenway, Henry, Archd (...)
2Telle est l’histoire rapportée – par fragments et avec quelques variations – par diverses sources composées au lendemain de la Conquête dans des milieux favorables au duc et soucieux de justifier le nouveau pouvoir de celui qui était devenu Guillaume le Conquérant : la tenture brodée communément appelée Tapisserie de Bayeux, sans doute produite pour l’évêque de Bayeux et earl de Kent Odon, demi-frère du Conquérant4 ; l’Histoire de Guillaume le Conquérant de Guillaume de Poitiers, archidiacre de Lisieux et chapelain du duc5 ; le poème composé peu après la bataille de Hastings par l’évêque Guy d’Amiens6 ; et l’Histoire des ducs de Normandie de Guillaume de Jumièges, plus tard complétée par Ordéric Vital et Robert de Torigni7. En revanche, les sources anglaises – la Chronique anglo-saxonne, dont trois versions principales (C, D et E) nous décrivent les événements de ces années8, la Chronique de Jean de Worcester qui s’en inspire largement9, ou la Vie du roi Édouard qui repose à Westminster rédigée dans l’entourage de la reine Édith, veuve du Confesseur10 – restent muettes sur cette traversée. Ce n’est que tardivement que des sources insulaires, désormais anglo-normandes, font allusion à ce voyage. Le moine Eadmer de Cantorbéry le mentionne dans son Histoire des événements récents, écrite au début du xiie siècle, mais il en donne une explication totalement différente : Harold ne se serait pas rendu en Normandie afin de prêter serment à Guillaume mais dans le but de ramener deux de ses parents, retenus comme otages à la cour du duc11. Guillaume de Malmesbury, qui écrit son Histoire des rois des Anglais dans les années 1120, évoque pour sa part une partie de pêche en Manche qui aurait mal tourné, une tempête ayant drossé la barque d’Harold sur les côtes picardes12. Henri de Huntingdon considère enfin, dans son Histoire des Anglais dont la plus ancienne version date des environs de 1130, que l’earl souhaitait en réalité se rendre en Flandre, mais qu’une tempête le fit dévier de la route prévue13.
3La controverse a longtemps fait rage sur les circonstances de ce voyage : aux temps de l’histoire patriotique, elle a vu s’affronter historiens français et anglais, soucieux de légitimer les actions de leurs champions nationaux. Quelles étaient les véritables intentions d’Édouard quant à sa succession ? Souhaitait-il réellement léguer son royaume à son parent normand ou avait-il d’autres plans en tête ? D’ailleurs, s’est-il activement intéressé à ce que deviendrait son royaume après sa mort ? Harold Godwineson a-t-il effectivement accompli cette traversée, a-t-il vraiment prêté serment, et si oui, que contenait ce serment ? La forte divergence entre sources normandes et anglaises est-elle due à une volonté des secondes d’excuser ou d’exonérer Harold de toute responsabilité dans la catastrophe qu’avait représentée ce voyage et le parjure qui s’en était suivi, ou à la propagande orchestrée par Guillaume et par ses proches après sa victoire ? De toute évidence, dès les premières années qui suivirent ce voyage, ses raisons et ses circonstances exactes avaient été oubliées de la plupart des auteurs, et ceux-ci, tout comme les historiens modernes, s’ingéniaient déjà à élaborer des théories afin d’en démêler la signification.
- 14 L’ouvrage critique fondateur en la matière est celui d’Edward A. Freeman, The History of the Norman (...)
- 15 Pour la dernière décennie, on peut mentionner dans la bibliographie anglophone les travaux suivants (...)
- 16 Les seules publications scientifiques en français à aborder cette question ces dernières années son (...)
4De nombreux historiens, depuis plus de deux cents ans, se sont à nouveau penchés sur les sources pour tenter d’en rendre compte14. Pourquoi donc, au vu de l’abondance bibliographique qui caractérise ce sujet, s’en saisir encore une fois et proposer une énième contribution au débat ? La première raison est que la plupart des discussions récentes se sont tenues à l’intérieur du monde anglophone, dans divers ouvrages de synthèse, biographies et articles portant sur le règne d’Édouard le Confesseur et la Conquête normande15 : il semble donc utile de proposer au public francophone un aperçu de ces débats16. La seconde tient au fait qu’une question a été relativement négligée par les différents auteurs qui se sont intéressés aux événements qui ont précédé la mort du Confesseur : la plupart d’entre eux se sont concentrés sur les intentions du roi quant à sa succession, ainsi que sur la date et les motivations du voyage d’Harold, mais n’ont que peu prêté attention au moment même du serment et aux raisons pour lesquelles il a pu être amené à le prononcer. En effet, s’il est entendu qu’Harold a traversé la Manche et a séjourné plusieurs semaines en Normandie dans les mois ou les années qui ont précédé son accession au trône et si, comme on le verra, la réalité du serment ne fait guère de doute, comment se fait-il que l’earl ait fait une promesse aussi contraire à ses propres intérêts ? Un ou deux ans avant de devenir roi des Anglais avec le consentement du roi mourant et celui de tous les grands présents à Westminster, pourquoi se serait-il lié par un engagement aussi peu conforme aux événements qui l’ont suivi ?
- 17 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5) p. 70.
- 18 Ainsi ibid., II, 11, p. 118.
- 19 Ibid., 12, p. 120.
- 20 La mention de la visite de Guillaume à Édouard est dans ASC (voir éd. cit. n. 8), ms D, s.a. 1052 ((...)
- 21 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
- 22 C’est le portrait qui se dégage en particulier de l’étude de S. Baxter, « Edward the Confessor » (a (...)
- 23 D. C. Douglas, « Edward the Confessor, Duke William of Normandy, and the English Succession », Engl (...)
- 24 R. Allen Brown, The Normans and the Norman Conquest, Woodbridge, Boydell, 1985.
- 25 P. Bouet, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 31 ; P. Maurice, Guillaume le Conquérant (op (...)
5À cette question, trois réponses principales ont été apportées par les sources et leurs commentateurs. La première est celle que proposent les sources favorables aux Normands, les premières à évoquer le voyage de l’earl : Harold a prêté serment parce que son souverain, le roi Édouard, le lui avait ordonné. Pour Guillaume de Poitiers, le contenu du serment était le suivant : après avoir confirmé au duc, qui le savait depuis longtemps, qu’Édouard souhaitait faire de lui son successeur, Harold lui jura fidélité, promit d’être son représentant (vicarius) à la cour d’Édouard et, à la mort de ce dernier, de mettre toutes ses forces au service d’une succession normande ; en attendant, il fortifierait le château de Douvres et y installerait une garnison pour le compte de son futur souverain17. Ce n’est qu’après, plus précisément sur son lit de mort, qu’Édouard aurait changé d’avis – même les sources les plus favorables au duc l’admettent18 – et qu’Harold, en acceptant le trône au lieu de soutenir la candidature de Guillaume comme il s’y était engagé, serait devenu parjure. Guillaume de Poitiers prétend par ailleurs que le serment prêté par Harold n’était que la confirmation de celui prêté treize ans plus tôt par l’ensemble des grands d’Angleterre, et donc entre autres par Godwine, le propre père d’Harold19 : ce premier engagement se serait fait au cours de l’année 1051-1052, pendant laquelle Édouard a peut-être reçu son cousin d’outre-Manche, a sans aucun doute correspondu avec lui par l’intermédiaire de l’archevêque de Cantorbéry Robert Champart et a pu envisager une succession normande20. Le biographe du Conquérant insiste tout particulièrement sur le fait que le serment d’Harold a été prononcé « de manière volontaire » (libens ipse) et avec clarté (le verbe utilisé est distinxit)21 : le crime reproché à Harold n’est pas le faux serment, la dissimulation ou la fourberie, mais bien le parjure, la rupture délibérée d’un engagement pris devant Dieu et les hommes. Reste dans ce cas à expliquer pourquoi le Confesseur aurait, si peu de temps après le voyage d’Harold, désigné ce dernier comme son héritier. Un tel retournement n’a certes rien d’impossible, surtout de la part d’un souverain longtemps indécis quant à cette question de la succession22, mais il mériterait au moins une explication plausible. Cette première version de faits, surtout défendue de ce côté-ci de la Manche, le fut aussi par les Britanniques David C. Douglas23 et R. Allen Brown24, spécialistes d’histoire normande. Si elle est aujourd’hui peu présente dans les publications académiques, elle domine en revanche largement dans les manuels et les ouvrages de vulgarisation français25.
- 26 M. K. Lawson, The Battle of Hastings (op. cit. n. 15), p. 29-30.
- 27 E. A. Freeman, The History of the Norman Conquest (op. cit. n. 14), vol. 3, p. 671.
- 28 Ainsi dans Jim Bradbury, The Battle of Hastings, Stroud, Sutton, 1998, p. 63-65 ; Frank McLynn, 106 (...)
- 29 F. M. Stenton, Anglo-Saxon England (op. cit. n. 2), p. 529.
- 30 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 96.
6En sens inverse, Michael K. Lawson a rappelé la grande répugnance des historiens et du public anglais à admettre l’idée d’une promesse d’Édouard à Guillaume et d’un engagement d’Harold dans ce sens26. L’hypothèse inverse, reposant sur l’idée d’un serment extorqué, voire truqué, a donc depuis longtemps la faveur des historiens anglais, surtout depuis que les travaux d’Edward Freeman l’ont érigée en explication canonique en affirmant que « l’histoire (tale) selon laquelle Édouard le Confesseur aurait envoyé Harold, ou selon laquelle Harold aurait consenti à une mission qui lui interdisait, et qui interdisait à tout Anglais, tout espoir de succéder au trône, est tout simplement absurde et impossible27 ». Certes, cette « version anglaise », surtout sous sa forme la plus extrême qui exonère Harold de toute fourberie, est surtout présente dans des manuels ou dans des ouvrages destinés au grand public28, mais elle est aussi défendue dans la synthèse toujours très influente de Frank M. Stenton29 ou dans la biographie du Conquérant par David Bates30.
- 31 Eadmer, HN (éd. cit. n. 11), p. 8.
- 32 Y. Coz, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 65.
7L’idée n’est certes pas neuve, elle a toujours été caressée avec une certaine affection par les patriotes anglais soucieux de sauvegarder la réputation du dernier roi anglo-saxon : déjà au début du xiie siècle, Eadmer de Cantorbéry l’avait avancée31. En jurant sous la contrainte, Harold ne se serait pas senti lié par le serment, et son parjure n’en serait que plus excusable. En termes strictement juridiques, un serment extorqué n’avait en effet guère de valeur, et une pénitence légère pouvait permettre au jureur malheureux de s’en libérer. Mais cette version des faits ne fait que déplacer la question : non seulement elle ne permet pas d’expliquer les raisons du voyage, mais elle ne précise pas les moyens dont aurait disposé Guillaume pour forcer Harold à lui jurer fidélité. Le principal problème ici est que, comme nous le montrerons plus loin, nous ignorons la teneur réelle du serment, et qu’il est difficile de raisonner dans le vide : entre un simple engagement d’amitié et les promesses très concrètes évoquées par Guillaume de Poitiers, il y a un monde. Les deux premières explications reposent donc sur une même vision des choses : Harold et Guillaume étaient fondamentalement adversaires, et leurs positions étaient radicalement inconciliables. Que le serment ait été imposé à Harold par Édouard lui-même et par son ancienne promesse, ou qu’il lui ait été extorqué par Guillaume, le séjour de l’earl en Normandie doit être vu comme « une comédie diplomatique dont les deux acteurs multiplient les proclamations de paix en fourbissant leurs couteaux32 ».
- 33 Malmesbury, GRA, II, 228 (éd. cit. n. 12), vol. I, p. 418.
- 34 VÆR, introduction de F. Barlow (éd. cit. n. 10), p. xxvi-xxviii et p. xlv.
- 35 Ibid., I, 5, p. 48.
- 36 Ibid., I, 7, p. 80 : « ad sacramenta nimis, proh dolor, prodigus ».
- 37 Ibid., I, 5, p. 50-52.
8Cela nous amène à une troisième hypothèse, que je retiendrai finalement, et qui nous est suggérée à la fois par Guillaume de Malmesbury, qui prétend que l’initiative du serment revint à Harold lui-même33, et par un passage bien connu, et maintes fois commenté, de la Vie du roi Édouard. Cette vita, sans doute l’œuvre d’un hagiographe flamand ou lotharingien, émane de l’entourage de la reine Édith, épouse du Confesseur et sœur de l’earl Harold34 ; elle tend à exalter le rôle éminent que jouaient alors à la cour et dans le royaume les deux frères de la reine : Harold, earl des Ouest-Saxons, et Tostig, earl des Northumbriens. Or, si le second ne fait l’objet d’aucune critique, sauf peut-être celle d’une trop grande rectitude morale35, le premier est égratigné au chapitre 7 du livre I et se voit accusé d’être « hélas trop prodigue en serments »36. Que signifie cette expression ? L’entourage de la reine considérait-il qu’Harold prêtait trop aisément serment, se liait trop facilement par la parole ? En faisait-il trop grand usage, les tournant à son avantage ? Ou cela signifie-t-il qu’il donnait trop, qu’il était trop prodigue, dans les serments qu’il prêtait ? Cette critique adressée à Harold a souvent été considérée comme une allusion voilée au serment prêté au duc Guillaume, même si rien ne permet de l’affirmer avec certitude. En partant de cette hypothèse, certains ont cherché à reconstruire le caractère d’Harold, entreprise pour le moins délicate et hasardeuse mais néanmoins passionnante. La Vie du roi Édouard nous apprend en effet qu’Harold, qui connaissait bien la situation politique des principautés du Nord de la France, se sortait avec aisance et dérision de toutes les situations, et ne se laissait pas tromper par les propos que pouvaient lui tenir les « principaux hommes de Gaule »37.
9Ni naïf, ni contraint, ni manipulé, comment et pourquoi Harold aurait-il prêté serment, et dans ce cas quel serment ? Est-il possible qu’en utilisant le serment pour parvenir à ses fins, il se soit vu sorti d’affaire et ait cru ne pas s’être laissé tromper par l’un de ces princes des Gaules qu’il se flattait de bien connaître ? Ce qu’Harold a dit correspondait-il vraiment à ce que Guillaume a entendu ? Se pourrait-il alors qu’Harold n’ait pas considéré son expédition continentale comme la catastrophe que les événements ultérieurs allaient révéler ?
Date et contexte du voyage
- 38 Sten Körner, The Battle of Hastings. England and Europe, 1035-1066, Lund, Gleerup, 1964, p. 137.
- 39 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 96-97.
10Commençons par rappeler ce que nous pouvons savoir du voyage lui-même, et tout d’abord de sa date. Il est quasiment certain qu’Harold fut présent à la cour du duc Guillaume pendant plusieurs semaines dans les années ou les mois ayant précédé la mort du roi Édouard. Comme l’ont montré les historiens qui se sont attelés au dossier, il est peu probable (même si rien n’est jamais certain dans le monde de la critique historique) que la propagande normande ait inventé cette histoire de toutes pièces : pour citer Sten Körner, dont l’étude minutieuse a consisté dans les années 1960 à décortiquer l’ensemble des sources et à les situer dans leur contexte historique, le « seul point » sur lequel cette propagande n’est pas démontable est précisément la réalité du voyage et du serment d’Harold, qui ont bien eu lieu mais qui doivent être replacés dans le contexte plus large des relations entre l’Angleterre et les principautés continentales38. D. Bates résout par ailleurs de manière habile le seul élément qui pourrait jeter un réel discrédit sur l’historicité du serment en montrant comment les trois localisations différentes mentionnées par Guillaume de Poitiers (Bonneville-sur-Touques), la Tapisserie (Bayeux) et Ordéric Vital (Rouen) peuvent résulter d’un dédoublement des cérémonies (un accord entre les deux hommes dans la résidence ducale de Bonneville et une cérémonie religieuse à la cathédrale de Bayeux) et d’une erreur ou confusion d’Ordéric39. Reste donc à en préciser la date.
- 40 E. A. Freeman, A History of the Norman Conquest (op. cit. n. 14), vol. 3, p. 240-246 et p. 684-694.
- 41 La date me semble fermement établie par les arguments de F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. (...)
- 42 Les witan (littéralement les « sages ») étaient les grands du royaume, laïcs et ecclésiastiques, qu (...)
- 43 Le mot ætheling, intraduisible en français ou en anglais moderne, désignait en vieil anglais un pri (...)
- 44 Philipp Grierson, « A Visit of Earl Harold to Flanders in 1056 », English Historical Review, 51, 19 (...)
- 45 Eric John, Reassessing Anglo-Saxon England, Manchester, Manchester University Press, 1996, p. 186-1 (...)
- 46 La campagne bretonne de 1064 a été récemment étudiée par F. Neveux, « L’expédition de Guillaume le (...)
- 47 Poitiers, GG, I, 45 (éd. cit. n. 5), p. 74.
11L’hypothèse la plus probable, proposée par E. Freeman40 et réaffirmée dans de nombreux ouvrages, daterait ce voyage à l’été 106441. Le placer plus tôt, par exemple à l’occasion d’un séjour sur le continent attesté en 1056, semble en effet difficile : à ce moment, le roi et les witan42 anglais s’occupaient d’organiser le retour au pays de l’ætheling43 Édouard l’Exilé, neveu du roi, et leur projet était sans nul doute d’en faire l’héritier présomptif de son oncle. Philip Grierson, qui a identifié ce séjour de l’earl en 1056, ne propose d’ailleurs pas de suivre Harold jusqu’en Normandie, mais plutôt jusqu’à Rome comme le suggère un passage de la Vie du roi Édouard44. Je ne suis pas non plus convaincu par la proposition d’Eric John de situer cet épisode en novembre 1065, au lendemain de la révolte des Northumbriens et du bannissement de Tostig, deux événements liés et bien datés par ailleurs45 : il faudrait en effet faire place, en l’espace d’un bon mois, au voyage, au naufrage et à la captivité d’Harold, aux négociations entre Guillaume et Guy de Ponthieu pour son rachat, à sa réception à Rouen, à sa campagne aux côtés du duc contre les Bretons, à son serment et à son retour en Angleterre46. La campagne bretonne aurait alors eu lieu au début de l’hiver, une période peu propice aux entreprises militaires. Tout cela s’accommode mal d’un séjour à l’automne, d’autant plus que Guillaume de Poitiers précise que les blés étaient encore verts au moment de l’expédition bretonne47. Le début de l’été 1064 paraît donc une date beaucoup plus raisonnable ; le printemps et le début de l’été 1065, avant donc la révolte northumbrienne, en seraient éventuellement une autre.
- 48 E. Mason, The House of Godwine (op. cit. n. 15) ; I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15).
- 49 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 29-30.
- 50 S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 105. Cf. VÆR, I, 6 (éd. cit. n. 10), p. 6 (...)
12Une fois établies la réalité et la date de l’événement, il nous faut essayer d’éclaircir la situation qui prévalait à la cour d’Édouard le Confesseur dans les dernières années de son règne. Plusieurs études récentes ont permis de mieux comprendre les jeux politiques intenses qui se déroulèrent dans l’entourage du roi pendant les années 1060 à 1065. Stephen Baxter et Nicholas Higham ont, chacun de leur côté, insisté sur le rôle croissant des fils de l’earl Godwine, leur mainmise sur les affaires publiques et leur proximité de plus en plus grande avec le trône. Ces deux auteurs ont mis en lumière l’ascension quasi naturelle des earls Harold et Tostig, respectivement second et troisième fils de l’earl décédé en 1053, sans pour autant verser dans l’apologie de la famille Godwine dont les accents patriotiques, dominants dans l’œuvre d’E. Freeman dans les années 1870, sont toujours sensibles dans deux ouvrages biographiques récents48. Entre 1055 et 1057, une série de décès opportuns écarta plusieurs personnages dont les liens de parenté avec le Confesseur auraient pu faire des héritiers d’un roi dont le mariage avec Édith était resté stérile49. En particulier, la mort inopinée de son neveu Édouard l’Exilé à l’été 1057 rendit impossible toute solution évidente et consensuelle pour la succession. Ce prince, récemment arrivé sur le sol anglais puisqu’il avait passé l’essentiel de sa vie d’adulte à la cour de Hongrie, ne laissait que trois enfants, dont un seul fils, Edgar ætheling, alors âgé de cinq ans. Comme l’a montré S. Baxter, le Confesseur semble s’être peu après retiré de la gestion effective des affaires pour se consacrer à une vie de piété et de loisirs, dont la chasse était sans doute le principal50.
- 51 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 29 ; S. Baxter, « Edward the Confessor » (...)
- 52 Sur ce dernier, cf. Veronica Ortenberg West-Harling, « Un prince-évêque anglo-saxon au xie siècle : (...)
13Les décès répétés des années 1055-1057 ont aussi écarté du chemin des deux frères Godwineson toute une série de hauts personnages sans prétention évidente à la succession, mais qu’il aurait fallu apaiser en cas de tentative en direction du trône51. Après les décès des earls Siward, Odda, Raoul de Mantes (un autre neveu du Confesseur par sa sœur Godgifu) et Leofric de Mercie, les deux frères Godwineson purent favoriser la nomination de leurs deux cadets, Gyrth et Leofwine, comme earls. En 1058, ils parvinrent à faire exiler l’earl des Merciens Ælfgar, fils de Leofric et, même si cet exil ne fut pas durable, les Godwineson contrôlaient vers 1060 quatre earldoms sur les cinq que comptait alors le royaume. À la tête des deux archevêchés, ils avaient placé des hommes de confiance : Stigand à Cantorbéry et Ealdred à York52. Enfin, la reine elle-même était leur sœur. En cas de décès du roi Édouard, la succession de l’un d’entre eux apparaissait donc beaucoup plus facile à mener à bien que cinq ans auparavant, quand il avait fallu envisager le retour d’un neveu du roi exilé en Hongrie, un candidat de compromis acceptable pour l’ensemble des grands du royaume.
- 53 F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. n. 20), p. 29-30.
- 54 S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 98-103.
14En quoi la situation de 1064-1065 pouvait-elle différer de celle de 1060, et justifier un déplacement d’Harold sur le continent ? Remarquons d’abord deux évolutions lentes, avant d’évoquer un changement soudain. Le jeune Edgar ætheling, petit-neveu du roi, n’a semble-t-il jamais été considéré par son grand-oncle comme un héritier crédible : en dehors d’une brève mention dans le Liber vitae de Winchester, il n’apparaît pas dans les sources aux côtés du roi, et reste par exemple absent des listes de souscription des diplômes royaux. Son jeune âge n’explique pas tout : Édouard lui-même avait souscrit les chartes de son père Æthelred dès son âge le plus tendre53. De même, sa quasi-absence du Domesday Book suggère que son grand-oncle ne l’avait pas doté de biens importants : de façon cruciale, il ne semble pas avoir été mis en possession des terres traditionnellement dévolues aux æthelingas, les princes du sang susceptibles d’accéder au trône54. Mais l’enfant devenait peu à peu un adolescent : en 1064, il devait avoir une douzaine d’années. Élevé à la cour, il s’approchait dangereusement d’un âge où il pourrait commencer à réunir autour de lui un petit groupe d’amis et de fidèles, chose qui aurait non seulement toujours manqué à son père, ancien exilé dépourvu de tout réseau local, mais qui avait aussi perpétuellement fait défaut au roi Édouard lui-même, qui avait passé la plus grande partie de son existence à la cour des ducs normands. Si les deux frères Godwineson voulaient maintenir l’influence et l’importance de leur famille, il allait falloir trouver des solutions alternatives en multipliant contacts et alliances.
« Une discorde maléfique née d’un désastre entre frères »55
- 55 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 58 : « discors uitium fraternis cladibus ortum ».
- 56 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms E, s.a. 1063.
- 57 Voir par ex. VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 48.
- 58 E. M. Tyler, « The Vita Ædwardi » (art. cit. n. 10), p. 144-149.
15C’est là que se situe la seconde évolution de la période. En effet, si la meilleure solution pour rester au sommet était d’obtenir pour eux-mêmes le trône, une couronne royale ne se partage pas. La rivalité croissante entre les deux frères n’est certes pas un fait avéré et établi de ces années, du moins avant la révolte des Northumbriens contre Tostig en octobre 1065, à l’issue de laquelle les rebelles obtinrent du roi, et par l’entremise d’Harold lui-même, la destitution et le bannissement de leur earl. Il est même établi que les deux frères ont su coopérer pour le bien du royaume et de leur lignage, par exemple dans la campagne de 1063 contre le roi gallois Gruffydd ap Llywelyn de Gwynedd56. Non prouvée avant 1065, une telle rivalité est toutefois probable. Certes, le biographe du roi Édouard, proche de la reine Édith, tente en permanence de mettre les deux frères sur le même plan et d’exalter leur belle coopération, du moins jusqu’à la révolte fatale57. Leur querelle, ouverte à partir de l’automne 1065, est présentée par l’auteur comme brutale et soudaine : il en fait un nouvel affrontement d’Étéocle et de Polynice, avec des accents inspirés de la Thébaïde de Stace, débouchant à terme sur la mort des deux protagonistes58.
- 59 VÆR, I, 2 (éd. cit. n. 10), p. 26-29.
- 60 Rhona Beare, « Godwin’s Sons as Birds », Prudentia, 32, 2000, p. 25-52. La bernache nonnette, dont (...)
- 61 R. Beare, « Godwin’s Sons » (art. cit. supra), p. 52.
- 62 VÆR (éd. cit. n. 10), p. 26-27, n. 57.
16Cette vision d’une union étroite entre frères, soudain brisée par les événements de l’automne 1065, pourrait bien n’être que le reflet des désirs de la reine, leur sœur, elle aussi soucieuse des intérêts de la famille. La philologue Rhona Beare a proposé de voir dans un passage en vers de la Vie d’Édouard, dont elle date la composition d’avant les événements d’octobre 1065, une allusion à cette mésentente. Le passage, d’interprétation assez difficile, présente la fratrie des fils de Godwine comme quatre fleuves se répartissant entre deux camps (partes) eux-mêmes comparés à des oiseaux59. Rien ne permet, d’après le seul texte, de dire quels frères composent précisément chacune des deux partes, mais il apparaît que l’auteur, dans une sorte d’allégorie, compare deux des frères (Harold et Leofwine si l’on suit R. Beare) à des hirondelles ou à des martinets volant à une haute altitude, et les deux autres (Tostig et Gyrth) à des oies bernaches dévorant le bois duquel elles seraient nées60. Comme le reconnaît l’auteur, les identifications ne sont pas certaines car on est ici dans le registre de l’énigme et de l’écriture à clé : il est ainsi possible que les deux partes soient composées des guerriers Harold et Tostig d’une part, et des jeunes inexpérimentés Gyrth et Leofwine d’autre part61 ; F. Barlow propose au contraire de voir en Tostig et Gyrth les oiseaux de haut vol, et en Harold et Leofwine les dévoreurs62. L’explication proposée par R. Beare cadre bien avec la réputation de cupidité de Tostig – une des raisons de la révolte de 1065 – et avec l’idée selon laquelle, par sa querelle avec son frère, il a dévoré sa propre famille. Cependant ni Gyrth ni aucun autre frère n’a jamais suivi Tostig dans son opposition fratricide à Harold, et par ailleurs l’auteur anonyme de la Vie est toujours élogieux à son égard : jamais il ne rejette sur lui la responsabilité de la querelle. Rien n’autorise donc une identification précise des « hirondelles » et des « bernaches » mais, malgré son obscurité, ce passage permet d’argumenter en faveur d’une forme de mésentente plus profonde entre les frères, pas nécessairement ouverte mais bien connue de l’auteur, antérieure à la révolte northumbrienne.
- 63 Ibid., I, 2, p. 26 : « Illa profunda petit tranans inimica uoratrix » ; A. F. J. Van Kempen, « The (...)
- 64 E. M. Tyler, « The Vita Ædwardi » (art. cit. n. 10), p. 150-152.
- 65 VÆR, I, 7 (éd. cit. n. 10), p. 82.
- 66 R. Beare, « Godwin’s Sons » (art. cit. n. 60), p. 32.
- 67 Worcester, Chronique, s.a. 1065 (éd. cit. n. 9), vol. 2, p. 598.
- 68 E. Mason, The House of Godwine (op. cit. n. 15), p. 125-126.
- 69 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 46-50.
- 70 Ibid., I, 5, p. 50.
17L’historien néerlandais Ad van Kempen a par ailleurs remarqué dans un article récent que ce même passage en vers de la Vie du roi Édouard mentionne une « dévoreuse hostile » (inimica uoratrix), et il propose d’y voir la comtesse Judith de Flandre, épouse de Tostig63. Cette identification me semble peu probable : les femmes ne manquaient pas dans la famille de Godwine, et je ne vois pas bien ce qui, dans ce passage, permettrait de désigner la seule Judith ; au contraire, l’hagiographe, sans doute lui-même flamand64, est élogieux vis-à-vis du comte Baudouin V, frère de Judith65. En outre, le texte de la Vie ne parle pas de uoratrix en référence à une personne, mais en référence à une des deux partes entre lesquelles se seraient divisés les fils de Godwine : il y a pour lui une pars uoratrix et une pars qui s’envole vers le ciel66, ce qui disqualifie l’interprétation d’A. van Kempen. Il apparaît d’ailleurs que, si la reine penchait en faveur d’un de ses frères, c’était plus du côté de Tostig que de celui d’Harold. À Noël 1063 ou 1064, Édith aurait ainsi fait assassiner pour le compte de Tostig un certain Gospatric, membre de la haute aristocratie northumbrienne, à l’occasion de son séjour à la cour67 : Tostig faisait d’ailleurs assassiner dans le même temps à York deux parents de la victime68. La Vie du roi Édouard présente en général Tostig comme le plus généreux, le plus courageux mais aussi le moins calculateur, le moins « prudent » des deux frères69 – même si, selon son auteur, aucun des deux ne laissait transparaître ses projets les plus intimes70. Fort de l’appui de la reine, de l’amitié du roi, de la neutralité de ses frères cadets (et peut-être du soutien actif de l’un d’entre eux), de son expérience dans le Nord (un élément qui avait toujours manqué aux rois des Anglais) et de l’amitié du comte de Flandre, Tostig apparaissait au milieu des années 1060 comme beaucoup mieux placé que son aîné Harold ; lors de la campagne galloise de 1063, il avait par ailleurs montré qu’il ne lui cédait en rien pour la valeur militaire. Harold, s’il voulait lui-même parvenir à hériter de la couronne, devait donc rendre la candidature de Tostig impraticable : pour cela, il lui fallait trouver d’autres appuis, et si possible détacher de son cadet ceux qu’il possédait déjà.
- 71 F. M. Stenton, Anglo-Saxon England (op. cit. n. 2), p. 575.
- 72 S. Baxter, The Earls of Mercia. Lordship and Power in Late Anglo-Saxon England, Oxford, Oxford Univ (...)
- 73 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 15-16.
- 74 I. W. Walker Harold (op. cit. n. 15), p. 157-158 place ce mariage au printemps 1066. Cela n’a rien (...)
- 75 VÆR, I, 7 (éd. cit. n. 10), p. 76.
- 76 Ibid., I, 7, p. 80.
- 77 Ibid., I, 7, p. 80-82.
18Le changement soudain, déjà identifié par F. Stenton comme « un des événements déterminants du xie siècle »71, est sans doute à placer durant l’hiver 1062-1063. La mort de l’earl Ælfgar, ennemi acharné des fils de Godwine, et tout particulièrement d’Harold, qui l’avait semble-t-il calomnié en 1058 et avait provoqué son exil provisoire, rendait possible un rapprochement entre Harold et les héritiers d’Ælfgar, les très jeunes Eadwine et Morcar, dont le premier devint rapidement earl des Merciens à la suite de son père72. A. van Kempen a insisté sur l’importance de ce retournement : Harold était désormais libre de pousser ses propres ambitions en écrasant les Gallois jusqu’ici alliés à Ælfgar, mais aussi de proposer une alliance à ses deux héritiers73. En tuant le roi Gruffydd de Gwynedd, Harold « libérait » aussi une princesse mariable en la personne d’Ealdgyth, sœur des deux fils d’Ælfgar et épouse de Gruffydd : l’earl de Wessex l’épousa en effet, à une date difficile à déterminer entre la mort de son premier époux (août 1063) et le printemps 1066, sans doute plus tard que tôt dans cette fourchette, scellant ainsi son alliance avec la maison de Mercie74. Dans ce nouveau contexte, Tostig apparaissait comme plus ou moins gênant : son earldom de Northumbrie représentait une charge à marchander contre le soutien des fils d’Ælfgar, avec lesquels Tostig entretenait, nous dit la Vie du roi Édouard, « une haine due à une vieille rivalité »75. Ses difficultés permanentes avec l’aristocratie northumbrienne, qui lui reprochait sa cupidité et l’accusait de gouverner de façon tyrannique, en faisaient par ailleurs un parent encombrant. Était-il temps, pour Harold, de tourner la page et d’écarter son frère ? Les invectives lancées par Tostig en novembre 1065 contre Harold en présence de la cour, l’accusant d’avoir planifié la révolte northumbrienne pour le pousser à l’exil76, ne sont pas nécessairement le produit du délire d’un homme dont les ambitions politiques étaient en train de s’effondrer et, même si le biographe flamand (et derrière lui la reine Édith) ne veut pas y croire77, elles n’ont rien d’improbable.
- 78 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 34.
19À cette date, à l’automne 1065, le roi Édouard paraissait encore vigoureux puisque c’est lors d’une chasse avec Tostig que lui parvint la nouvelle du soulèvement northumbrien. Mais une détérioration de son état de santé et une désignation in extremis de l’earl préféré de la reine comme successeur n’étaient pas à exclure. Quel que soit le rôle joué par Harold dans le déclenchement de la révolte, et peut-être ne faut-il pas nécessairement lui prêter des calculs aussi machiavéliques, il sut aisément se saisir de l’occasion pour lever l’hypothèque que représentait la présence de son puîné dans l’entourage royal. Pour citer N. Higham, « l’accord avec les petits-fils de Leofric [c’est-à-dire les fils d’Ælfgar] et l’exclusion de Tostig rendaient de fait inutile l’élévation d’Edgar [ætheling] à la royauté comme une figure neutre d’ascendance royale irréprochable »78.
Un voyage pour quoi faire ?
- 79 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 50-52.
- 80 P. Grierson, « A Visit of Earl Harold » (art. cit. n. 44).
20Devenir le candidat incontournable, et pour cela écarter Tostig, isoler Edgar ætheling, trouver des alliés dans le royaume et en dehors : voilà le possible programme d’Harold dans les années 1063-1065. C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre son attitude trouble lors de la révolte northumbrienne ; c’est aussi dans cette perspective qu’il faut analyser son voyage de 1064. Le biographe du roi Édouard nous dit qu’Harold s’était rendu sur le continent pour « voir ce qu’il pourrait obtenir d’eux s’ils pouvaient lui être utiles dans la gestion de n’importe quelle affaire » et qu’il était ainsi devenu « bien connu d’eux par son nom et sa réputation »79. Que ces propos fassent référence à son possible voyage de 1056 à Saint-Omer80, à sa traversée de 1064 ou aux deux événements, il semble évident qu’Harold était réputé en Angleterre pour sa bonne connaissance du royaume franc occidental. Pourquoi donc se serait-il jeté dans la gueule du loup ?
- 81 TB, scène 4.
21La première remarque à faire est qu’il est impossible d’établir avec certitude la destination envisagée par l’earl. De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une partie de pêche, comme devait plus tard le prétendre Guillaume de Malmesbury : les chiens et les faucons que, selon la Tapisserie de Bayeux, Harold emportait avec lui sur son navire81, peuvent être lus comme des cadeaux diplomatiques à offrir à un potentat continental – mais lequel ? Le naufrage dans le Ponthieu a clairement résulté d’une erreur de navigation ou d’une tempête, et nous ne pouvons donc pas affirmer, comme le prétendent les sources normandes, qu’il souhaitait effectivement se rendre en Normandie.
- 82 Huntingdon, HA, II, 25 (éd. cit. n. 13), p. 23.
- 83 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 7-8.
- 84 Voir à ce sujet Mark Gardiner, « Shipping and Trade between England and the Continent in the Eleven (...)
- 85 Alain Derville, Saint-Omer des origines au xive siècle, Lille, 1995, p. 63-66.
- 86 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. C, s.a. 1065.
- 87 A. F. J. Van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 8, y voit une « erreur de jug (...)
- 88 Poitiers, GG, I, 41 (éd. cit. n. 5), p. 68.
22A. van Kempen, reprenant l’affirmation d’Henri de Huntingdon82, suggère qu’il se rendait en Flandre : il aurait décidé de débarquer en Ponthieu pour éviter d’accoster dans les ports de Wissant et de Boulogne tenus par le comte de Boulogne Eustache II, un vieil ennemi de sa famille83. Cette hypothèse ingénieuse ne me semble pas recevable, et ce pour plusieurs raisons. Si l’on en croit la Tapisserie de Bayeux, Harold a embarqué à Bosham, dans un secteur qui assurait les communications avec les ports normands de Barfleur et des estuaires de la Seine et de la Touques : pour passer en Flandre, il aurait été plus logique de partir de Douvres, un port qui était aussi sous son contrôle, car la logique des communications maritimes au xie siècle voulait qu’on traversât au plus court84. Par ailleurs, à supposer qu’il eût souhaité gagner la Flandre, il aurait pu se rendre directement à Saint-Omer, accessible aux navires de mer et fermement tenue par le comte Baudouin85 : c’est de fait dans ce port que débarqua et séjourna Tostig un an plus tard86. En outre, s’il avait vraiment voulu faire un détour par le sud, rien ne l’empêchait de débarquer en baie de Canche, où Montreuil était alors tenue par un châtelain du roi Philippe Ier, dont Baudouin était le tuteur. Ensuite, si Harold voulait éviter la Normandie, débarquer délibérément en Ponthieu n’était sans doute pas une bonne idée : comme il le savait lui-même pour l’avoir rencontré en 1056 et attesté la même charte que lui, Guy de Ponthieu était un client du Normand87. Il est par ailleurs peu probable qu’Harold ait souhaité se rendre en Flandre : Tostig était le beau-frère du comte Baudouin, et le bon accueil que celui-ci lui fit un an plus tard à l’occasion de son exil montre qu’il n’était pas prêt à abandonner aisément la cause de l’époux de sa sœur. Enfin et surtout, il est difficile d’expliquer pourquoi Harold aurait été emprisonné par le comte Guy de Ponthieu s’il avait débarqué pacifiquement et volontairement sur les côtes picardes. Les dignitaires anglais comme Harold, Tostig, leur frère Gyrth, l’archevêque Ealdred et bien d’autres voyageaient librement et sans difficultés sur le continent européen et étaient reçus de manière honorable par les princes territoriaux. En revanche, en cas de naufrage ou de débarquement inopiné et non planifié, la situation pouvait s’avérer très différente. Guillaume de Poitiers nous apprend ainsi que « l’habileté de l’avarice a enseigné à certains peuples des Gaules la pratique détestable, barbare et tout à fait étrangère à la justice chrétienne » de tendre des pièces « aux puissants et aux riches », de les emprisonner et de les torturer88. Une telle attitude n’a rien d’étonnant de la part d’un comte de Ponthieu désargenté. Qu’il ait eu ou non l’habitude de se conduire en naufrageur et de tendre des embuscades sur les chemins, le comte Guy n’était visiblement pas celui qu’Harold venait rencontrer, et il ne l’avait pas prévenu de son passage sur ses terres.
- 89 Les détails de la querelle sont présentés dans ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. D, s.a. 1052 (recte 10 (...)
- 90 Jumièges, GND, VII, 13 (32) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 162.
23Si Harold ne venait voir ni Guy de Ponthieu, ni Baudouin V, qui pouvait-il chercher à rencontrer en « Gaule » ? L’hypothèse d’un voyage vers Boulogne n’est guère séduisante : la mauvaise entente entre la famille de Godwine et Eustache II, beau-frère du roi Édouard, est un fait bien attesté89. On a dit que le roi Philippe Ier, encore mineur, était alors sous la tutelle du Flamand : ce n’est donc pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Reste donc le duc normand : par élimination, l’hypothèse semble la plus plausible. De fait, face à l’alliance flamande sur laquelle s’appuyait son frère, quel meilleur contrepoids qu’une alliance normande ? Mieux encore : le duc Guillaume étant le gendre du comte Baudouin par sa fille Mathilde, un tel rapprochement pouvait, en cas de conflit entre les deux frères, mettre le Flamand face au choix cornélien de soutenir le mari de sa fille ou celui de sa sœur, et pouvait potentiellement le neutraliser. Une alliance entre Tostig et Guillaume aurait certes été dans l’ordre des choses, mais Tostig, au sommet de son influence, n’en avait alors nul besoin. Il en alla tout autrement après l’exil de Tostig et l’avènement d’Harold, sacrilège et traîtreux aux yeux de Guillaume : Ordéric Vital affirme dans les additions qu’il fit au début du xiie siècle aux Gesta de Guillaume de Jumièges que l’earl déchu des Northumbriens rendit visite au duc normand au printemps 1066 et tenta, mais trop tard, ce rapprochement qui quelques années plus tôt aurait paru logique90.
- 91 Eadmer, HN (éd. cit. n. 11), p. 6.
- 92 TB, scène 14 : A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 79-80, reprend et adapte l’hypothèse de Ric (...)
- 93 David Crouch, The Normans : The History of a Dynasty, Londres/New York, Hambledon & London, 2002, p (...)
- 94 A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 58-59.
- 95 Les deux hypothèses sont examinées, avec une préférence pour la seconde, par E. Mason, The House of (...)
24Cependant, et quelles qu’aient été les ambitions réelles d’Harold, qu’allait-il faire dans cette « galère » ? Pourquoi se rendre auprès d’un prince qui avait personnellement des vues sur la couronne anglaise ? Si Harold ne s’était vu confier aucune mission spécifique auprès de Guillaume de la part de son souverain, et certainement pas celle de lui promettre la couronne, s’il lorgnait lui-même sur le trône, et s’il cherchait des alliés, que pouvait-il trouver auprès du Normand ? Il pouvait d’abord, comme le prétendit Eadmer quelques décennies plus tard, chercher à ramener en Angleterre son neveu Hakon et son frère Wulfnoth, otages du duc depuis le début des années 105091 : une scène non légendée de la Tapisserie de Bayeux, où Harold, en pourparlers avec le Normand, désigne un personnage barbu ou mal rasé (un prisonnier ?), a été interprétée dans ce sens92. Cette explication est d’autant plus séduisante qu’Eadmer était un proche compagnon de l’archevêque Anselme de Cantorbéry : or ce dernier, devenu prieur de l’abbaye du Bec en 1064, avait sans doute accès à des informations de grande qualité auprès de la cour normande93. Ce n’est certes pas une raison suffisante pour adopter unilatéralement la version d’Eadmer – comme le font David Crouch et Andrew Bridgeford94 – mais on admettra qu’elle permet d’éclairer un grand nombre d’obscurités sur les raisons de ce voyage. Quelle qu’ait été la raison de leur présence en Normandie, comme garants de la promesse faite par Édouard à Guillaume en 1051, ou comme prisonniers amenés par l’archevêque Robert Champart lors de sa fuite en 105295, revenir en leur compagnie aurait été un triomphe sans précédent et lui aurait assuré la sympathie et le soutien de nombreux membres de l’aristocratie anglaise, à commencer par sa sœur et ses frères, tout en manifestant de manière éclatante la haute estime dans laquelle le tenait le duc.
- 96 D. C. Douglas, William the Conqueror (op. cit. n. 20), p. 169 ; S. Baxter, « Edward the Confessor » (...)
- 97 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. C, s.a. 1051.
- 98 Poitiers, GG, II, 12 (éd. cit. n. 5), p. 120.
25Et d’ailleurs, les intentions de Guillaume étaient-elles connues en 1064 ? Il est vrai qu’Harold, pour citer la Vie du roi Édouard, « connaissait bien les princes de la Gaule » et leurs projets, mais l’hypothèse selon laquelle les ambitions du duc auraient été inimaginables aux yeux d’Harold mérite d’être explorée. La première et sans doute unique promesse d’Édouard à Guillaume était déjà ancienne puisqu’elle pourrait dater de la fin de l’année 1051 lorsque Guillaume rendit visite à son cousin en Angleterre, ou à la rigueur de l’été 1052, quand l’archevêque déchu Robert Champart fuit précipitamment l’Angleterre pour se réfugier sur le continent96. Elle pourrait même être beaucoup plus ancienne : Eadmer la date d’avant 1041, pendant la jeunesse du duc, lorsque le futur roi Édouard, alors prince exilé, vivait encore en Normandie, sans réel espoir de retrouver le royaume que son père Æthelred II avait perdu par deux fois. Dans les deux cas, la promesse avait pu rester secrète et Harold, exilé en Irlande pendant les événements de 1051-105297, pourrait n’en avoir jamais entendu parler – sauf bien sûr si, comme le prétend Guillaume de Poitiers, tous les grands du royaume, dont l’earl Godwine lui-même, avaient prêté serment au Normand dans ce sens98 : mais ce point, avancé par le seul archidiacre de Lisieux, n’a rien d’assuré. Il est par conséquent possible qu’Harold ait été au courant de cette promesse, mais qu’il l’ait considérée comme dépassée ou comme peu pertinente. Et l’on ne peut écarter entièrement l’hypothèse que cette promesse, absente de toute source anglaise antérieure au xiie siècle, ait été purement et simplement inventée par la propagande normande.
- 99 F. Barlow, « Edward the Confessor’s Early Life, Character and Attitudes », English Historical Revie (...)
26Rien n’interdisait donc à Harold de traverser la Manche pour tenter de se faire un allié de Guillaume. On a souvent fait de la famille Godwine des patriotes anglais, farouchement opposés à toute succession étrangère, et particulièrement normande, mais cette vision est une reconstruction romantique et nationaliste due à des historiens comme E. Freeman, et elle n’a de sens qu’a posteriori, une fois connus les événements des années 1066-1071 et la mainmise normande sur le royaume insulaire. F. Barlow a même défendu l’idée selon laquelle Godwine lui-même, et non le roi Édouard, aurait été à l’origine du rapprochement entre l’Angleterre et la Normandie en 1051 : à l’issue d’un conflit qui en 1049 avait opposé d’une part la noblesse lorraine et le comte Baudouin V de Flandre, appuyé par le roi Henri Ier et le duc Guillaume, et d’autre part l’empereur Henri III et le roi Édouard, appuyés par le pape Léon IX et le comte d’Anjou, Godwine aurait orchestré un retournement des alliances en proposant une « Triple Entente » entre sa famille et les dirigeants flamands et normands99. Il est certain qu’à l’issue de cette guerre, on assista à deux mariages : d’une part celui de Guillaume et de Mathilde, la fille du comte de Flandre, et d’autre part celui de Tostig et de Judith, la sœur de Baudouin V. La promesse faite à Guillaume fut-elle le fait d’Édouard ou de Godwine ? L’earl de Wessex fut-il – suprême ironie historique – le premier à faire miroiter au duc l’espérance de la couronne anglaise ? Le possible serment prêté par ce dernier au Normand, mais aussi la présence d’otages à la cour normande, laissent au moins planer le doute sur ces événements alors vieux de près de quinze ans.
- 100 La Tapisserie, dans un de ses passages les plus mystérieux (TB, scène 15), fait référence à une cer (...)
- 101 La plupart des commentateurs situent ce mariage après l’exil de Tostig à l’automne 1065, voire aprè (...)
- 102 Le parallèle avec le mariage flamand de Tostig est avancé par Kelly Devries, The Norwegian Invasion (...)
- 103 Poitiers, GG, II, 32 (éd. cit. n. 5), p. 156. Il pourrait s’agir d’Adelize, dont le nom pourrait au (...)
27Mais même si l’on ne suit pas cette interprétation peut-être un peu trop habile, il faut insister sur le fait que rien ne permet d’affirmer que, dès avant 1066, les fils de Godwine étaient hostiles au Bâtard et qu’ils défendaient un anachronique programme d’indépendance nationale : leur hostilité à l’archevêque Robert Champart à la fin des années 1040 était purement conjoncturelle et ne devait rien à l’origine normande de l’archevêque. Même si cette hostilité s’étendait (ce qui n’est pas certain) à l’ensemble de l’entourage normand du roi Édouard, elle n’était pas le signe d’une détestation particulière à l’égard des Normands, et encore moins de leur duc : faire de la famille de Godwine une famille attachée à une Angleterre pure de toute ingérence étrangère serait un non-sens. De fait, la famille avait d’abord prospéré sous Cnut, un souverain danois dont Godwine avait été le beau-frère et le premier lieutenant, et la perspective du règne d’un étranger, nécessairement contraint à de fréquentes absences, n’avait rien pour déplaire à ses héritiers – à condition bien sûr qu’ils pussent conclure avec lui une alliance comparable à celle que leur père avait nouée avec Cnut. Or en 1064, Harold avait au moins une sœur à marier : un mariage a pu être envisagé pendant sa visite en Normandie entre celle-ci et un membre de l’entourage du duc100. Et, si du moins son propre mariage avec Ealdgyth de Mercie n’avait pas encore eu lieu, ce qui est probable101, épouser une parente du Normand pouvait apparaître comme une alternative intéressante à un mariage mercien, et comme un contrepoids utile face à l’alliance flamande de Tostig102 : Harold ne mettait manifestement pas tous ses œufs dans le même panier. C’est en tout cas ce que suggère Guillaume de Poitiers, qui affirme que le duc Guillaume projetait de donner à Harold une de ses filles en mariage103.
- 104 Snorri Sturluson, Haralds saga Sigurðarsonar, chap. 76, trad. [fr.] Régis Boyer, La saga de Harald (...)
- 105 Hemings þáttr Áslákssonar, chap. 10, trad. [fr.] R. Boyer, Les sagas miniatures (Þættir), Paris, Be (...)
28Les réécritures ultérieures de ce voyage d’Harold ont mis en avant ce projet de mariage, quitte à l’enrichir de prolongements plus ou moins scabreux. Au xiiie siècle en Islande, Snorri Sturluson rapportait ainsi que les fiançailles s’étaient faites à l’initiative de la duchesse Mathilde, l’épouse du Bâtard, pendant le séjour de l’earl anglais, alors que le duc, son épouse et leur invité « passaient toujours de bons moments ensemble, à s’amuser en buvant »104. En écrivant qu’Harold « restait longtemps le soir à parler avec la femme » du Normand, qui au contraire « allait se coucher de bonne heure », Snorri suggérait une intrigue amoureuse entre la duchesse et son invité anglais et en faisait l’origine de ce projet de mariage, destiné à permettre aux amants de se revoir. L’auteur anonyme d’un þáttr (récit court) plus tardif rapportait même explicitement qu’il y avait « trop grand amour » entre Harold et la reine, ce qui aurait amené les deux amants à « se concerter pour que [Harold] demande en mariage la fille de [Guillaume] et de [Mathilde] »105. Ces récits rocambolesques, tout à fait typiques de la manière islandaise, montrent toutefois l’importance de ce projet de mariage dans la compréhension que les hommes des deux siècles suivants eurent de ce séjour d’Harold en Normandie ; ils ne sauraient évidemment constituer un indice de la réalité de ce projet en 1064.
- 106 Seul F. McLynn, 1066 (op. cit. n. 28), p. 158, évoque brièvement la possibilité qu’un Édouard vieil (...)
- 107 Bruno Dumézil, « Les ambassadeurs occidentaux au vie siècle : recrutement, usages et modes de disti (...)
29Une dernière hypothèse peut être envisagée ici, qui n’a à ma connaissance jamais été proposée106. Si, au lieu de voir dans Harold l’initiateur du voyage, l’on s’en tient aux propos des auteurs pro-normands qui affirment qu’il a été envoyé à Guillaume par le roi Édouard, peut-on concevoir qu’on l’ait dépêché en Normandie pour l’écarter de la cour dans un moment crucial, et avec le secret espoir qu’il échouât ? Rappelons que c’est dans les mois précédant ou suivant la visite d’Harold à Guillaume que la reine et Tostig se débarrassèrent de trois de leurs ennemis, enclenchant les événements qui devaient mener à la révolte northumbrienne. Si Édouard et son épouse favorisaient Tostig, ou à ce compte-là Guillaume, auraient-il pu envoyer Harold s’humilier et se couvrir de ridicule à la cour du Normand ? Ces pratiques diplomatiques douteuses, où le messager se retrouve lui-même victime de celui qui l’a envoyé, sont bien connues, et pas seulement comme motif littéraire : un exemple a été récemment mis en lumière par Bruno Dumézil à travers le cas du duc mérovingien Gontran Boson, dont l’ambassade à Constantinople a pu être planifiée précisément dans ce but107. Envoyer Harold en Normandie, c’était l’écarter pour un temps, lui faire courir le risque d’une traversée et faire en sorte qu’il ne puisse s’acquitter avec succès de sa mission, quelle qu’elle ait pu être. Cette hypothèse, malgré son caractère a priori séduisant, n’est cependant pas soutenable : non seulement rien dans les sources ne la justifie, mais elle supposerait aussi de la part du roi Édouard et/ou de son entourage un machiavélisme particulièrement retors et une piètre opinion des talents diplomatiques d’Harold, toutes choses difficiles à admettre !
- 108 TB, scène 12.
- 109 M. Parisse, La tapisserie de Bayeux (op. cit. n. 4), p. 74-75 ; A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15 (...)
- 110 Malmesbury, GRA, II, 228 (éd. cit. n. 11), vol. I, p. 418.
30En tout état de cause, quelles qu’aient été les intentions précises d’Harold, de Tostig ou d’Édouard et quelle qu’ait été leur connaissance des intentions de Guillaume, tout fut remis en cause par la capture de l’earl. En devenant le prisonnier de Guy de Ponthieu, Harold se retrouvait dans une situation imprévue et très inconfortable. Vers qui se tourner pour réunir rapidement une rançon ? La Tapisserie de Bayeux montre un nuntius moustachu (un Anglais, donc, si l’on se fie aux codes utilisés dans l’œuvre) prévenant Guillaume de la capture d’Harold108. L’épisode est certes placé par la Tapisserie après l’arrivée de messagers de Guillaume auprès de Guy, mais certains commentateurs le considèrent comme un flash-back, un retour en arrière de la narration, car les deux envoyés de Guillaume chevauchent de la droite vers la gauche entre le palais normand et le château de Guy109. Il n’en reste pas moins que la Tapisserie suggère que les négociations pour la rançon d’Harold ont été menées au moins en partie par un Anglais de sa suite : l’earl n’a pas été livré pieds et poings liés au Normand, et l’on peut donc penser que c’est à lui qu’il s’est adressé pour le délivrer. Cette hypothèse rejoint en partie le récit de Guillaume de Malmesbury, qui prétend qu’Harold a suborné un homme de Guy pour qu’il porte un message au duc Guillaume110. Et vers qui d’autre, d’ailleurs ? Envoyer un messager au-delà de la mer était sans doute trop risqué – non pas en raison des dangers inhérents au voyage (Harold venait de traverser une mer que bien des voyageurs parcouraient), mais parce que, comme on l’a vu, une partie de la cour lui était hostile et aurait pu avoir intérêt à le laisser croupir en prison. Solliciter Baudouin de Flandre ou Eustache de Boulogne n’était pas une bonne idée au vu des circonstances. Restait le duc Guillaume, seigneur de Guy et but probable du voyage de l’earl. Ce dernier s’est-il délibérément placé dans la dépendance de son bienfaiteur, devenant son obligé, ou a-t-il été pris de vitesse par le duc, qui ne lui a pas laissé le temps de contacter ses amis et ses alliés en Angleterre ? En tout cas, qu’il ait été sollicité par Harold ou qu’il se soit très opportunément saisi de l’occasion qui se présentait à lui, Guillaume allait jouer avec beaucoup d’habileté la nouvelle carte qu’il venait d’acquérir.
« Presque mort » ou « bien récompensé » ?
- 111 L’ambiguïté du français, qui désigne par le même mot l’hôte qui reçoit (l’amphitryon) et l’hôte qui (...)
- 112 C’est ce qu’affirme par ex. A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 77 : « one of the gravest poli (...)
31Voilà Harold à la cour de Guillaume : un rapport asymétrique et inégalitaire, s’est instauré entre eux, l’un étant l’hôte et l’autre l’invité au sein d’un rapport d’hospitalité111. Doit-on nécessairement penser qu’en faisant appel au duc, l’earl commettait une erreur politique112 ? Être invité à partager la table et les loisirs d’un hôte rusé et retors n’était certes pas un sort enviable, mais il valait toujours mieux que de pourrir dans les oubliettes (même imaginaires) du comte Guy.
- 113 De obsessione Dunelmi, § 7, éd. Thomas Arnold, Symeonis monachi opera omnia, Londres, Longman, 1882 (...)
- 114 Alpert de Metz, De diversitate temporum, II, 12, éd. Georg-Heinrich Pertz, Monumenta Germaniae hist (...)
- 115 Poitiers, GG, I, 46 (éd. cit. n. 5), p. 76.
32D’une telle situation, on pouvait au xie siècle ressortir la tête haute, mais on pouvait aussi connaître une fin tragique : plusieurs récits de l’époque témoignent à la fois de ces deux issues, montrant ainsi qu’elles ne s’excluaient pas l’une l’autre. Dans un épisode rapporté par un auteur anonyme de Durham, dans le Nord de l’Angleterre, l’earl Ealdred de Bamburgh (mort en 1038) repartit rassuré d’une invitation chez son ennemi intime Carl113 ; l’histoire de la faide qui opposa les comtes saxons Balderic et Wicmann (mort en 1016), rapportée à la fois par Alpert de Metz et Thietmar de Mersebourg, est tout à fait comparable114. Dans les deux cas, l’invité rentra chez lui à la fin de la réception, assuré de l’amitié et de l’honneur de son hôte et ennemi désigné : dans le texte de Durham, Carl raccompagna Ealdred « comme pour lui faire honneur » ; chez Thietmar, Balderic quitta le logis de Wicmann « bien récompensé et affectueusement salué ». Or l’un comme l’autre eurent à se repentir de leur naïveté : Ealdred fut assassiné par son « ami » Carl dont, il est vrai, il avait fait tuer le père Thurbrand ; Wicmann fut abattu sur ordre d’Adèle, l’épouse de Balderic. Dans les deux cas, la future victime apparaissait d’abord comme bénéficiaire des nouveaux liens d’amitié et de l’hospitalité honorable qu’elle avait reçue : le meurtre du nouvel ami n’en était que plus infâme, et donc exceptionnel, aux yeux des chroniqueurs. L’invité pouvait donc repartir honoré, assuré d’un lien nouveau avec son hôte, pourvu d’un prestige renforcé et lesté de dons substantiels. C’est de toute évidence, au moins en partie, ce qui est arrivé à Harold : à son retour en Angleterre, il ramenait avec lui son neveu Hakon – même si Guillaume gardait l’autre otage, Wulfnoth, sous sa garde – et rapportait les nombreux présents dont le Normand l’avait couvert115.
- 116 Douglas L. Oliver, A Solomon Island Society : Kinship and Leadership among the Siuai of Bougainvill (...)
- 117 Ibid., p. 365.
- 118 Ibid., p. 394.
- 119 Marcel Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » [1re(...)
- 120 D. L. Oliver, A Solomon Island Society (op. cit. n. 116), p. 391. Cf. M. Mauss, « Essai sur le don (...)
33Mais ce n’est pas là le tout d’une réception honorable : on peut aussi bien ne pas s’en tirer intact. L’anthropologue Douglas Oliver a étudié ce point chez les Siuai, un peuple papou de l’île de Bougainville chez qui le prestige (et l’influence qui va de pair) s’acquiert surtout en organisant des festins où l’on donne à consommer des cochons116. Or certains Siuai sont plus riches que d’autres et possèdent plus de cochons. De tels individus, appelés mumi, sont pressés par leurs voisins, leurs parents et leurs amis, d’organiser des repas somptueux, en particulier dans le cadre des muminai, festins compétitifs où un rival, réel ou potentiel, leur offre un grand festin de viande de porc. Ils ne peuvent se dérober à de telles invitations sous peine de perdre la face117. Bien entendu, celui qui a été invité doit inviter à son tour, ou reconnaître implicitement sa « défaite » : s’il n’est pas aussi riche ou influent que son compétiteur, s’il est incapable de mobiliser assez de moyens (cochons et autres) pour rendre le festin, il est battu118. On retrouve ici les trois obligations maussiennes du don : donner, recevoir, rendre119. Un invité battu est alors qualifié du vocable très significatif de « presque mort » : il a le choix entre devenir client de son vainqueur, se désintéresser totalement de ce type de compétition, supporter les injures, tenter de disqualifier son adversaire en l’accusant de tricherie, ou chercher du pouvoir et de l’influence par d’autres moyens. D. Oliver emploie d’ailleurs un vocabulaire qui montre bien le caractère compétitif (Mauss aurait dit « agonistique ») de ces réceptions somptueuses (Mauss aurait parlé de « prestations totales »), puisqu’il parle d’Attaquant, de Défenseur, et de défi120.
- 121 Ces éléments sont amplement développés, et à plusieurs reprises, par Guillaume de Poitiers, mais au (...)
34Au xie siècle non plus, être reçu par un grand seigneur n’était sans doute pas une situation de tout repos, même quand les deux personnages étaient dans un rapport d’égalité – ce qui aurait sans doute été le cas, avec peut-être même un léger avantage pour Harold, nettement plus riche que son compétiteur et secundus a rege dans son propre royaume, s’il avait débarqué comme prévu à Fécamp ou à Rouen. La position devenait réellement délicate quand le rapport était asymétrique, et c’est cela qu’avait entraîné le débarquement malheureux de l’earl sur les côtes picardes : Harold était certes l’invité de Guillaume, mais il était un invité obligé, profondément endetté envers son hôte. Or tout dans les sources suggère que, loin de se comporter durement avec Harold ou de voir en lui un prisonnier à contraindre, Guillaume le traita comme un invité d’honneur, lui prodiguant de nombreux dons, l’invitant à la chasse, lui accordant sa confiance à la guerre et lui offrant une hospitalité de premier choix121.
- 122 Wace, Roman de Rou, v. 5661-5662, éd. Anthony J. Holden, Le Roman de Rou de Wace, vol. 2, Paris, Pi (...)
- 123 I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15), p. 99-102.
- 124 Michael J. Enright, « Lady With a Mead-Cup : Ritual, Group Cohesion and Hierarchy in the Germanic W (...)
- 125 L’idée d’un serment extorqué de manière frauduleuse est tardive et peu vraisemblable. Dans le Roman (...)
35Guillaume apparaît dans ces récits comme un personnage particulièrement habile, voire roué. Comme l’avait compris Wace un peu moins d’un siècle plus tard, « le duc pensa, s’il le tenait, qu’il en ferait bien son espleit » – c’est-à-dire son profit122. Au lieu de pousser son avantage de manière brutale et de contraindre son invité à prêter un serment qui (il le savait bien) serait alors sans grande valeur, il « investit » réellement dans Harold. Il le racheta à Guy –sans doute pour une belle somme, même si Guillaume a aussi pu utiliser la menace et se prévaloir du fait qu’il était le seigneur du comte de Ponthieu – et lui prodigua des honneurs coûteux : sans doute déjà décidé à briguer le trône anglais à la mort du Confesseur, Guillaume voulait se faire un allié du plus puissant earl du royaume, tout comme Harold pouvait espérer trouver dans le duc un soutien pour ses ambitions. Comme le remarque Ian Walker, Harold ne pouvait qu’accepter ces marques de respect ; et quand vint le moment de jurer, quelles qu’aient été ses intentions et sa mission, il jura123. Michael Enright a pu affirmer que, dans le système politique du comitatus barbare, les dons royaux (ici, ducaux) étaient tellement supérieurs à tout ce que pouvait offrir un dépendant que celui qui les recevait se retrouvait « piégé »124 : c’était particulièrement le cas de la terre, mais d’autres dons, comme ceux de nourriture, de boisson et d’hospitalité, étaient tout aussi contraignants. La situation d’Harold n’était certes pas en tous points semblable à l’un de ces hommes ayant reçu de leur prince un don incommensurable que seule le risque d’une mort au combat pouvait racheter : le rang des deux hommes était, on l’a dit, comparable. Mais la situation de déséquilibre créée par l’épisode du Ponthieu avait rompu cet équilibre et, même si le serment ne lui a pas été extorqué par la force ou par la ruse125, Harold ne pouvait pas ne pas jurer : en ce sens, l’hospitalité de Guillaume l’avait bien rendu « presque mort ».
- 126 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 11.
- 127 Ibid.
- 128 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 52.
36Comment se sortir alors d’une telle situation ? Comment rendre au duc ses dons et ses preuves de générosité, ne pas perdre la face et repartir libre et honoré, sans pour autant rien lâcher sur l’essentiel ? Dans l’aventure picarde, Harold avait perdu faucons, chiens et autres présents destinés au duc : dans cette situation de déséquilibre, il n’avait rien à rendre à l’hospitalité calculatrice du Normand – rien sinon sa parole. A. van Kempen pense que c’est Harold qui a ressorti des oubliettes de l’histoire la promesse faite par Édouard à Guillaume126 – une histoire alors vieille de plus de douze ans et peut-être même de vingt-cinq ans. Ce n’est certes pas impossible, mais cela semble peu probable : Harold jouait certes un jeu serré, mais on le voit mal se susciter sciemment un rival supplémentaire. En revanche, une fois que Guillaume eut mis la question sur la table, Harold a pu s’en saisir et abonder dans le sens de son hôte, lui « dire ce qu’il voulait entendre » pour reprendre les termes d’A. van Kempen127. Faire miroiter au Normand une succession improbable et lointaine, dont les witan anglais ne voudraient sans doute pas, n’était pas un prix trop grand à payer pour rentrer à Westminster – et rentrer en vainqueur. On peut même imaginer qu’Harold a déclaré à Guillaume que le roi Édouard l’avait envoyé pour renouveler la promesse de 1051. Harold, nous dit la Vie du roi Édouard au sujet de son voyage à Rome, « passant à travers toutes les embuscades, aux aguets et se riant de tout comme à son habitude, revint chez lui avec l’aide de Dieu »128. Pour cet homme « prodigue en serments », les promesses n’engageaient sans doute que ceux qui l’écoutaient : prononcer un serment dont n’importe quel évêque pourrait le relever dans les mois suivants représentait une voie de sortie certes peu élégante, mais séduisante.
Stratégie politique ou problème de communication ?
- 129 Jumièges, GND, VII, 13 (31) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 160 : « facta fidelitate de regno plurimis (...)
- 130 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
- 131 F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. n. 20), p. 225.
37Mais qu’a exactement juré Harold à son hôte normand ? Il est difficile de répondre à cette question car les sources pro-normandes sont de toute évidence juges et parties. Guillaume de Jumièges dit, de manière assez vague, que « la fidélité fut établie au sujet du royaume par de nombreux serments129 », tandis que Guillaume de Poitiers est beaucoup plus précis et détaille les conditions de cette entrée en fidélité130. Des engagements spécifiques ont-ils été pris en vue de la succession, ou la promesse est-elle restée imprécise ? On voit mal Harold ne pas s’entourer de précautions entourant son serment : « en l’absence d’héritier légitime », « sauf volonté contraire de mon souverain le roi Édouard », etc. En outre, comme le remarque F. Barlow, un engagement ferme et indiscutable en vue de la succession, voulu et mandaté par le roi Édouard, se serait sans nul doute accompagné de la remise par Guillaume d’otages destinés à garantir la bonne application de cet accord négocié entre les deux cours131.
- 132 C. Morton et C. Muntz, « Oaths and claims » (art. cit. n. 20), p. 70.
38C’est donc surtout sur les rapports entre les deux hommes que le serment a dû porter, l’Anglais s’engageant à soutenir le Normand dans son ambition sans pour autant lui promettre explicitement une couronne qui ne lui appartenait pas. Je ne crois pas, comme le pensent Catherine Morton et Hope Muntz, que le serment d’Harold ait été comparable aux divers accords entre souverains connus pour la première moitié du xie siècle, accords par lesquels les deux hommes se promettaient assistance et s’assuraient mutuellement la succession : un tel accord aurait été conclu en 1040 entre Harthacnut, le prédécesseur d’Édouard, et le Norvégien Magnus le Bon ; un autre, plus difficile à saisir, a pu lier Cnut le Grand et son compétiteur Edmond Côte-de-Fer, le demi-frère du Confesseur132. Or ces accords supposaient l’égalité entre les partenaires ; le serment d’Harold apparaît au contraire foncièrement inégalitaire.
- 133 Jumièges, GND (loc. cit. n. 129) ; Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70 : « illic Heraldus ei (...)
- 134 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70 : « iam satelliti suo accepto per manus ».
- 135 Ibid. : « ante iusiurandum terras eius cunctumque potentatum dedit petenti ».
- 136 Ce trait avait déjà été remarqué par Jean Flori, L’essor de la chevalerie, xie-xiie siècles, Genève (...)
39En effet, il apparaît probable qu’Harold est alors devenu l’homme de Guillaume et qu’il lui a juré fidélité. Guillaume de Jumièges comme Guillaume de Poitiers parlent avant tout d’une fidelitas jurée par un sacramentum133. Guillaume de Poitiers précise qu’Harold est devenu le satelles de Guillaume, c’est-à-dire littéralement un membre de sa mesnie, et que le duc l’a reçu en cette qualité per manus, geste typique de l’hommage vassalique134 ; puis le biographe du Conquérant ajoute que le duc, « avant le serment, lui remit à sa demande les terres et la totalité du pouvoir135 ». On aurait donc là, sous la plume de l’archidiacre de Lisieux, une succession assez classique : hommage, investiture, serment136.
- 137 TB, scène 21.
- 138 D’après J. Flori, L’essor de la chevalerie (op. cit. n. 136), p. 66-67, Édouard Perroy voyait dans (...)
- 139 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
- 140 Ibid., I, 43, p. 70.
- 141 TB, scènes 16 à 21 (campagne bretonne) et scènes 22-23 (serment).
40La Tapisserie de Bayeux, quant à elle, montre le duc donnant des armes à Harold137, geste dans lequel certains commentateurs ont vu une forme d’adoubement138 ; sans faut-il plutôt y voir une marque de reconnaissance du Normand vis-à-vis de l’earl anglais et une acceptation par le second de la supériorité du premier. Or Guillaume de Poitiers place le serment139 puis le don d’armes140 avant la campagne de Bretagne, tandis que la Tapisserie de Bayeux les place après celle-ci et dans l’autre ordre141. Le premier a sans doute raison en ce qui concerne le don d’armes : parti d’Angleterre sans équipement lourd, puis fait prisonnier par Gui de Ponthieu, Harold avait de toute manière besoin de recevoir un armement pour participer à une campagne comme celle de Bretagne ; mais rien n’empêche que Guillaume ait procédé à une seconde remise d’armes, plus cérémonielle, à l’issue de l’expédition bretonne. Peut-être plus ancienne que le récit du clerc de Poitiers, moins farouchement hostile à Harold mais globalement favorable au Normand, la Tapisserie pourrait toutefois conserver l’ordre logique des événements en ce qui concerne le serment, le duc ayant emmené Harold à la guerre avant de recevoir de sa part un serment vassalique. Mais quelles que fussent les assurances reçues du Normand, en se recommandant à lui avant ou après la campagne, et peut-être à plusieurs reprises, suivant en cela des procédures connues sur l’île comme sur le continent, mais dont les formes précises et la signification pouvaient varier, Harold s’engageait nécessairement en promettant ce qui ne pouvait aller à l’encontre de son souverain, et sans doute aussi de ses propres ambitions : avant tout ne pas nuire aux intérêts de son seigneur, lui venir en aide dans ses guerres, l’assister de son conseil – le contenu d’un serment vassalique classique. Restait à savoir quels pouvaient être les intérêts du seigneur et où pouvaient le conduire ses guerres : l’époque féodale est pleine de ces conflits entre un vassal et son seigneur, du moment que l’intérêt de ce dernier consiste à marcher sur les plates-bandes du second !
- 142 TB, scène 23.
- 143 Je remercie Martin Aurell pour m’avoir signalé cette belle formule, citée dans son article : « Appr (...)
- 144 Je remercie François Bougard pour avoir attiré mon attention sur ces images et sur l’analyse qu’en (...)
- 145 Pierre Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe siècle à la fin du xie siècle. Croissance et mutatio (...)
- 146 Par exemple sur le site communautaire Clioweb, destiné aux professeurs d’histoire-géographie [consu (...)
41Comment comprendre alors les sentiments des protagonistes d’un tel serment ? Étaient-ils dupes l’un de l’autre ou faisaient-ils preuve de duplicité, comprenant parfaitement les intentions de leur compétiteur ? S’agit-il d’un problème de communication, d’une incompréhension due à la distance culturelle entre un Anglais et un Français, ou avons-nous affaire à des stratégies parfaitement conscientes, chacune des deux parties prévoyant d’exploiter un même rituel de manière différente ? Sans doute y eut-il un peu des deux. De fait, la seconde interprétation est en phase avec l’usage que certains hommes du xie siècle pouvaient faire du serment, pratique omniprésente dont Harold était, nous dit-on, si prodigue. Le visage d’Harold dans la Tapisserie de Bayeux semble a priori bien renfrogné : un long trait oblique et descendant barre son visage de gauche à droite142. La formule de Gérard Giordanengo, pour qui le serment féodal était bien souvent prêté « le sourcil froncé, l’œil torve et la bouche amère »143, semble s’appliquer parfaitement à cette scène. Analysant les images du Liber Feudorum de Cerdagne144, Pierre Bonnassie remarquait aussi les « visages fermés » et les « regards obliques » d’hommes qui, comme Dalmaz de Berga ou le comte Raimond Guifred dans l’image commentée par l’auteur, semblaient jurer une fides faite entièrement de défiance : pour l’historien de la Catalogne, le miniaturiste avait su rendre avec talent « la profonde duplicité, lourde de trahisons potentielles, que recouvrent parfois les promesses de foi »145. Harold aurait-il donc juré sous la contrainte, décidé à ne rien respecter de ce qu’il promettait ? Cette interprétation n’a rien de certain. Un gros plan146 montre en effet que le trait qui barre son visage a été brodé immédiatement au-dessus d’un autre trait beaucoup plus court : il représente donc plus probablement, au-dessus de la bouche, la moustache dont les artistes de la Tapisserie affublent ordinairement l’earl de Wessex et la plupart des Anglais.
- 147 Sur ces deux derniers personnages, tous deux apparentés au Confesseur par sa sœur Godgifu, cf. infr (...)
- 148 P. Bonnassie, La Catalogne… (op. cit. n. 145), p. 776.
- 149 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 53-71.
42Que la défiance et la méfiance aient été présentes au moment du serment, nul n’en doute ; mais que le serment ait été prêté et reçu par deux protagonistes sachant pertinemment qu’il ne valait rien et qu’il serait bientôt rompu, voilà qui n’est pas certain. Harold et Guillaume étaient certes en compétition pour un même prix, un prix qui ne se partageait pas, mais la nécessité d’écarter par ailleurs d’autres compétiteurs que chacun d’eux pouvait ressentir comme plus dangereux et plus pertinents – Tostig, Edgar ætheling, Harald de Norvège, mais aussi Eustache de Boulogne ou Gautier de Mantes147 – pouvait les pousser à enterrer provisoirement leurs différends pour conclure une entente mutuellement profitable : pour citer à nouveau P. Bonnassie, « au niveau supérieur, les conventions féodales ne sont souvent que des pactes de non-agression, où l’engagement du fidèle se borne à ne pas attaquer son seigneur dans son corps, ses membres et ses honneurs148 ». La couronne anglaise pouvait-elle être comprise comme un des « honneurs » de Guillaume ? Elle ne l’était pas encore au moment du serment, mais nul doute qu’aux yeux du Normand elle l’était en devenir ; l’Anglais au contraire, pour qui la couronne anglaise était évidemment hors des possessions du Normand, a ainsi pu prêter un tel serment sans prévoir pour autant de se parjurer. En devenant l’homme de Guillaume et en lui promettant de soutenir ses intérêts, Harold s’engageait donc à peu de frais envers un prince étranger dont les capacités d’intervention en Angleterre pouvaient sembler réduites et dont les ambitions s’étaient jusqu’ici surtout manifestées en direction de ses voisins continentaux, dans le Maine, dans le Vexin ou en Picardie149.
- 150 Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, III, II, 103, éd. M. Chibnall, The Ecclesiastical History o (...)
- 151 L’importance de Godgifu, de ses mariages et de sa descendance est mise en lumière par E. Van Houts, (...)
- 152 F. Neveux, « L’expédition de Guillaume… » (art. cit. n. 46), p. 630-631.
43Reste à explorer une autre possibilité : celle d’un serment qui, au moins dans une large mesure, aurait présidé à un engagement de dupes. Chacun des deux interlocuteurs poursuivant le même but, se sont-ils entièrement compris ? Est-il possible que Guillaume n’ait pas bien perçu les ambitions d’Harold, qu’il ne l’ait pas considéré comme un rival possible ? On sait que le Bâtard ne s’entourait pas de précautions quand il lui fallait éliminer un concurrent. Ordéric Vital rappelle ainsi comment il avait à la même époque emprisonné, et aurait peut-être fait empoisonner, le comte de Vexin Gautier de Mantes et son épouse Biota, sœur du défunt comte Hugues IV, ses rivaux pour le contrôle du comté du Maine mais aussi, potentiellement, pour la couronne anglaise150. Gautier de Mantes (ou de Pontoise, comme l’appelle Ordéric) était en effet le fils de Godgifu, sœur du Confesseur, alors décédée, et du défunt comte de Vexin Drogon ; il était le frère aîné de l’earl Raoul de Mantes, lui aussi décédé au moment des faits, qui avait été avant sa mort une personnalité importante de la cour anglaise, et le beau-fils du comte Eustache II de Boulogne, alors veuf de la même Godgifu151. En laissant Harold repartir librement, chargé de présents et accompagné de son neveu Hakon, Guillaume choisissait donc délibérément de ne pas éliminer son rival. A-t-il réellement pu penser avoir frappé un grand coup et s’être fait un allié précieux au sommet de l’aristocratie anglaise ? Harold, après tout, n’était pas de sang royal, il s’était bien battu pour lui en Bretagne, il venait de lui jurer fidélité et était devenu son homme ; en acceptant d’être investi par lui, il avait à ses yeux accepté sa souveraineté à venir sur l’Angleterre. L’earl avait aussi pu constater de visu l’efficacité de l’armée normande : la campagne bretonne était en effet, comme le rappelle François Neveux, une démonstration de force de la part de Guillaume, un message adressé aux Bretons comme à l’earl de Wessex152. Guillaume pouvait donc à bon droit espérer qu’Harold quittait la Normandie convaincu de la légitimité et la réalité des intentions du duc, mais aussi de sa puissance et de sa détermination, et qu’il s’abstiendrait donc de se dresser sur sa route. Les événements du mois de janvier 1066 allaient se charger de le détromper.
- 153 Voir Ann Williams, The English and the Norman Conquest, Woodbridge, Boydell, 1995, p. 73-74, sur le (...)
44D’un autre côté, on ne peut nier qu’Harold, une fois « presque mort », pouvait avoir intérêt à prolonger son séjour, et ce quels qu’aient été ses instructions et ses projets personnels. Si sa mission était bien de porter un message à Guillaume, il avait intérêt à se conduire comme un invité honorable, à se faire « bien voir » de celui qui serait peut-être un jour son roi ; il avait aussi intérêt à revenir chargé de présents et de récits de son expédition pour faire savoir aux autres nobles anglais – à ses frères, mais aussi aux membres de la maison de Mercie et aux hommes de l’entourage d’Édouard – qu’il était personnellement en faveur auprès de Guillaume, le futur roi. Mais même si, comme je le pense, Harold n’envisageait pas à ce moment-là une accession de Guillaume au trône anglais, il n’en avait pas moins tout intérêt à s’attirer la bienveillance d’un allié potentiel et à montrer à ses pairs, par les présents reçus de Guillaume et par la libération d’un ou plusieurs otages, que le Normand le soutenait : dans ce dernier cas, peut-être vit-il avec horreur le piège se refermer sur lui en découvrant les intentions réelles de son hôte ? Il pouvait aussi trouver là l’occasion d’observer son futur adversaire, d’étudier ses techniques de guerre et de jauger sa détermination. Certes, il avait accepté de prêter serment, et même de recevoir du duc « les terres et l’ensemble du pouvoir ». Un tel « don », qui ressemble fort à la remise d’un fief, n’est pas impossible, même si seul Guillaume de Poitiers le mentionne. Mais une telle parole pouvait être interprétée différemment par les deux hommes : pour Guillaume, il s’agissait bien sûr d’affirmer sa souveraineté sur l’Angleterre ; mais Harold, qui venait d’un pays où commende personnelle et investiture foncière n’étaient pas aussi liées que sur le continent153, pouvait y lire la simple assurance que le duc reconnaissait sa position et ne chercherait pas à lui disputer la maîtrise de ses vastes pouvoirs si, de son côté, il ne l’attaquait pas.
45Remarquons pour finir que l’attitude adoptée par Harold et les mots qu’il put alors prononcer, en privé ou solennellement, avaient deux publics possibles, et non pas un seul. Le duc Guillaume, bien sûr, était le premier destinataire de ses paroles, et son entourage fut témoin des engagements, quels qu’ils aient été, qu’Harold prit alors devant lui. Mais les gestes et les paroles d’Harold étaient aussi destinées, par-delà la Manche, à ceux qui en Angleterre pourraient un jour le soutenir : à sa sœur la reine Édith, à ses frères cadets Gyrth et Leofwine, à ses éventuels beaux-frères merciens et à tous les witan du royaume, il signifiait qu’il était l’ami du duc normand, en mesure grâce à cette amitié de faire libérer un membre de sa famille et de revenir chargé de dons honorables et nombreux. Il n’est pas impossible qu’en quittant les côtes normandes, Harold ait pensé s’être habilement tiré d’un fort mauvais pas. Édouard était en bonne santé, Tostig ne pouvait rien tenter avant la mort du roi, lui-même restait célibataire et la fille d’Ælfgar restait mariable : il suffisait d’attendre et le temps ferait son œuvre.
Conclusion
- 154 John Gillingham, « William the Bastard at War », dans Studies in Medieval History presented to R. A (...)
46Être reçu par un puissant, accepter de se mettre en position de débiteur, était donc un jeu dangereux dans cet Occident du xie siècle, mais ce n’était pas nécessairement la chronique d’une mort annoncée : il y avait de vrais enjeux de prestige et d’intérêt pour l’hôte comme pour son invité et l’un comme l’autre pouvaient et devaient en courir le risque. Ce n’est qu’en se retirant du jeu qu’on admettait sa défaite. Dans le cas qui nous a ici retenus, Guillaume fut bien sûr, dès le début, le joueur le plus fin et le plus chanceux : il sut profiter du naufrage d’Harold et de sa position de vulnérabilité pour en faire, dès leur première rencontre, son obligé et son débiteur. Harold releva cependant le gant et joua lui aussi le jeu, dans son propre intérêt n’en doutons pas. Si son serment lui a été extorqué, il a perdu cette première manche ; s’il était venu pour cela, il a rendu à Guillaume la monnaie de sa pièce et s’est acquitté de sa dette ; si enfin nous suivons l’interprétation proposée dans ces pages, il a tout promis librement et spontanément – libens, dit Guillaume de Poitiers – et, sans rien donner réellement, est rentré en Angleterre couvert d’honneur et de succès. La seconde manche s’est jouée à distance, et Harold l’a gagnée haut la main : le 6 janvier 1066, c’est lui et personne d’autre qui, désigné par Édouard mourant, fut couronné à Westminster. La troisième manche fut le coup de dés de Hastings : il aurait pu tourner à l’avantage d’Harold154. Dans ce cas, son voyage chez Guillaume deux ans auparavant n’aurait pas nécessairement été occulté, relégué aux oubliettes de l’histoire comme un épisode infamant pour le vainqueur : il aurait sans nul doute été raconté autrement. Le seigneur ne doit-il pas lui aussi défendre et protéger son vassal, sans chercher à lui disputer « les terres et l’ensemble du pouvoir » dont il lui a garanti la possession ?
Notes
1 Guillaume était le petit-fils de Richard II, frère d’Emma, la mère du Confesseur.
2 Je laisse en anglais le mot earl (vieil anglais eorl), que les sources du xie s. traduisent en général par dux, plus rarement par comes. Désignés et révocables par le roi, les earls étaient, dans l’Angleterre du xie s., des officiers royaux chargés de grands commandements militaires régionaux couvrant plusieurs shires. Au milieu des années 1060, il y avait six earldoms dans le royaume. Cf. Frank M. Stenton, Anglo-Saxon England [1re éd. 1943], Oxford, Clarendon, 1971, 547-548. Pour un tableau politique en français de l’Angleterre au milieu du xie s., on consultera les chapitres 4 et 5, rédigés par Stéphane Lebecq et Frédérique Lachaud, de Histoire des îles Britanniques, éd. S. Lebecq, Paris, PUF, 2007, en part. p. 162-164 et p. 179-185.
3 Ian Howard, « Harold II : A Throne-worthy King », dans King Harold II and the Bayeux Tapestry, éd. G. Owen-Crocker, Woodbridge, Boydell, 2005, p. 35-52.
4 À rebours de l’usage qui se répand depuis quelques années, je parlerai ici de « Tapisserie de Bayeux » [désormais TB] : l’expression « Broderie de Bayeux », bien que plus exacte, me paraît en effet inutilement pédante. Pour une vision complète de la source, cf. Lucien Musset, La tapisserie de Bayeux [1re éd. 1967], Paris, Zodiaque, 2002 et Wolfgang Grape, La tapisserie de Bayeux. Monument à la gloire des Normands, Munich, Prestel, 1994. Pour la numérotation des scènes, j’utilise celle de Michel Parisse, La tapisserie de Bayeux : un documentaire du xie siècle, Paris, Denoël, 1983, qui correspond par ailleurs aux chiffres brodés au dos de la toile à l’époque moderne. Je laisse ici de côté les travaux récents de George T. Beech, Was the Bayeux Tapestry made in France ? The case for St Florent of Saumur, New York, Palgrave Macmillan, 2005, qui défend l’idée d’une origine française de l’œuvre, et je m’en tiens à l’hypothèse faisant d’Odon de Bayeux le commanditaire.
5 Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi [désormais Poitiers, GG], éd. Ralph H. C. Davis et Marjorie Chibnall, The Gesta Guillelmi of William of Poitiers, Oxford, Clarendon, 1998. Sauf mention contraire, toutes les traductions sont les miennes.
6 Guy d’amiens, Carmen de Hastingae proelio, éd. Frank Barlow, The Carmen de Hastingae proelio of Guy Bishop of Amiens, Oxford, Clarendon, 1999.
7 Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum [désormais Jumièges, GND], éd. Elisabeth van Houts, The Gesta Normannorum ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, 2 vol., Oxford, Clarendon, 1992-1995.
8 Chronique anglo-saxonne [désormais ASC], ms. C, D et E, éd. David Dumville et Michael Lapidge, The Anglo-Saxon Chronicle : A Collaborative Edition, 10 vol., Cambridge, Clarendon, 1983-2001 ; cf. aussi trad. [angl.] Michael Swanton, The Anglo-Saxon Chronicle, Londres, Dent, 1996.
9 Jean de Worcester, Chronicon ex chronicis [désormais Worcester, Chronique], éd. Ralph R. Darlington et Patrick Mcgurk, The Chronicle of John of Worcester, 3 vol., Oxford, Clarendon, 1995.
10 Vita Ædwardi regis [désormais VÆR], éd. F. Barlow, The Life of King Edward Who Rests at Westminster [2e éd.], Oxford, Clarendon, 1992. Édith, conformément à un usage déjà ancien chez les reines anglo-saxonnes, a fait appel à un auteur flamand pétri de poésie épique latine : Elizabeth M. Tyler, « The Vita Ædwardi : The Politics of Poetry at Wilton Abbey », Anglo-Norman Studies, 31, 2008, p. 135-156.
11 Eadmer, Historia novorum [désormais Eadmer, HN], éd. Martin Rule, Eadmeri Historia novorum in Anglia, Londres, Her Majesty’s stationery office, 1884 (Rolls Series, 81) ; cf. aussi trad. [fr.] Henri Rochais, Histoire des temps nouveaux en Angleterre, Paris, Cerf, 1994. Les noms des deux otages, Wulfnoth (frère d’Harold) et Hakon (son neveu), sont donnés par Ordéric Vital dans ses ajouts aux Gesta de Guillaume de Jumièges : cf. Jumièges, GND, VII, 13 (31) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 160.
12 Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum [désormais Malmesbury, GRA], éd. Roger A. B. Mynors, Rodney M. Thomson et Michael Winterbottom, William of Malmesbury, The History of the English Kings, 2 vol., Oxford, Clarendon, 1998-1999.
13 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum [désormais Huntingdon, HA], éd. Diana Greenway, Henry, Archdeacon of Huntingdon : Historia Anglorum, Oxford, Clarendon, 1996.
14 L’ouvrage critique fondateur en la matière est celui d’Edward A. Freeman, The History of the Norman Conquest of England, Its Causes and Its Results, Oxford, Clarendon, 1867-1879, plusieurs fois réimprimé. De nombreux articles et ouvrages pourraient être cités pour les décennies suivantes, et certains le sont dans les notes qui suivent.
15 Pour la dernière décennie, on peut mentionner dans la bibliographie anglophone les travaux suivants, en précisant que cette liste n’est pas exhaustive : F. Barlow, The Godwins : the rise and fall of a noble dynasty, Londres, Pearson/Longman, 2003 ; David Bates, William the Conqueror [3e éd.], Stroud, Tempus, 2004 ; Stephen Baxter, « Edward the Confessor and the Succession Question », dans Edward the Confessor. The Man and the Legend, éd. R. Mortimer, Woodbridge, Boydell, 2009, p. 77-118 ; Andrew Bridgeford, 1066. The Hidden History in the Bayeux Tapestry, New York, Fourth Estate, 2004 (trad. fr. : 1066. L’histoire secrète de la tapisserie de Bayeux, Paris, Éd. du Rocher, 2005) ; Nicholas J. Higham, « Harold Godwinesson : the Construction of Kingship », dans King Harold II (op. cit. n. 3), p. 19-34 ; Paul Hill, The Road to Hastings. The Politics of Power in Anglo-Saxon England, Stroud, Tempus, 2005 ; Michael K. Lawson, The Battle of Hastings, 1066, Stroud, Tempus, 2007 ; Emma Mason, The House of Godwine. The History of a Dynasty, Londres/New York, Hambledon & London, 2004 ; Ad F. J. van Kempen, « The Mercian Connection : Harold Godwineson’s Ambitions, Diplomacy and Channel-Crossings, 1056-1066 », History, 94/1, 2009, p. 2-19 ; Ian W. Walker, Harold. The Last Anglo-Saxon King [2e éd.], Stroud, Sutton, 2004.
16 Les seules publications scientifiques en français à aborder cette question ces dernières années sont les deux articles de François Neveux, « La Tapisserie de Bayeux en tant que source originale », et de Pierre Bouet, « La Tapisserie de Bayeux, une œuvre pro-anglaise ? », dans La Tapisserie de Bayeux : l’art de broder l’Histoire (actes du colloque de Cerisy-la-Salle, 1999), éd. P. Bouet, B. Levy et F. Neveux, Caen, Presses universitaires de Caen, 2004, respectivement p. 171-195 et p. 197-215. On peut y ajouter quelques ouvrages généraux ou de vulgarisation, qui traitent la question de manière succincte sans vraiment aborder ce problème : Philippe Maurice, Guillaume le Conquérant, Paris, Flammarion, 2002 ; P. Bouet, Guillaume le Conquérant et les Normands au xie siècle, Caen/Condé-sur-Noireau, CRDP de Basse-Normandie/Corlet, 2003 ; Henri Suhamy, Guillaume le Conquérant, Paris, Ellipses, 2008 ; P. Bouet, Hastings. 14 octobre 1066, Paris, Tallandier, 2010, en part. p. 19-21 ; Yann Coz, Guillaume le Conquérant, Paris, J. P. Gisserot, 2011.
17 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5) p. 70.
18 Ainsi ibid., II, 11, p. 118.
19 Ibid., 12, p. 120.
20 La mention de la visite de Guillaume à Édouard est dans ASC (voir éd. cit. n. 8), ms D, s.a. 1052 (recte 1051) ; le voyage de Robert Champart (dit aussi Robert de Jumièges) auprès de Guillaume est mentionné dans Jumièges, GND, VII, 13 (31) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 158 ; sa fuite sur le continent est rapportée par ASC (voir éd. cit. n. 8), ms E, s.a. 1052. Les événements de cette année sont discutés par David C. Douglas, William the Conqueror. The Norman Impact on England, Berkeley/Los Angeles, University of California Press/Eyre/Spottiswoode, 1964, p. 169-170, et par F. Barlow, Edward the Confessor, Berkeley/Los Angeles, Eyre/Spottiswoode, 1970, p. 104-126. On trouvera une bonne discussion récente de cette affaire dans S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 86-95. Cf. aussi P. Hill, The Road to Hastings (op. cit. n. 15), p. 102-103 et p. 134-135. D’autres commentateurs ont supposé que la promesse a pu être faite au début des années 1040, soit avant l’accession d’Édouard au trône anglais : Catherine Morton et Hope Muntz, « Oaths and claims to the crown of England in 1066 », dans Eaed., The Carmen de Hastingae Proelio of Guy Bishop of Amiens, Oxford, Clarendon, 1972, p. 55-72, ici p. 66-67.
21 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
22 C’est le portrait qui se dégage en particulier de l’étude de S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15).
23 D. C. Douglas, « Edward the Confessor, Duke William of Normandy, and the English Succession », English Historical Review, 68, 1953, p. 526-545.
24 R. Allen Brown, The Normans and the Norman Conquest, Woodbridge, Boydell, 1985.
25 P. Bouet, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 31 ; P. Maurice, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 75-79, et H. Suhamy, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 133-140, ne prennent pas vraiment position mais présentent la promesse d’Édouard à Guillaume comme un fait.
26 M. K. Lawson, The Battle of Hastings (op. cit. n. 15), p. 29-30.
27 E. A. Freeman, The History of the Norman Conquest (op. cit. n. 14), vol. 3, p. 671.
28 Ainsi dans Jim Bradbury, The Battle of Hastings, Stroud, Sutton, 1998, p. 63-65 ; Frank McLynn, 1066, The Year of the Three Battles, Londres, Pimlico, 1999, p. 157-161 ; N. J. Higham, The Death of Anglo-Saxon England, Stroud, Sutton, 1997, p. 152-162.
29 F. M. Stenton, Anglo-Saxon England (op. cit. n. 2), p. 529.
30 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 96.
31 Eadmer, HN (éd. cit. n. 11), p. 8.
32 Y. Coz, Guillaume le Conquérant (op. cit. n. 16), p. 65.
33 Malmesbury, GRA, II, 228 (éd. cit. n. 12), vol. I, p. 418.
34 VÆR, introduction de F. Barlow (éd. cit. n. 10), p. xxvi-xxviii et p. xlv.
35 Ibid., I, 5, p. 48.
36 Ibid., I, 7, p. 80 : « ad sacramenta nimis, proh dolor, prodigus ».
37 Ibid., I, 5, p. 50-52.
38 Sten Körner, The Battle of Hastings. England and Europe, 1035-1066, Lund, Gleerup, 1964, p. 137.
39 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 96-97.
40 E. A. Freeman, A History of the Norman Conquest (op. cit. n. 14), vol. 3, p. 240-246 et p. 684-694.
41 La date me semble fermement établie par les arguments de F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. n. 20), p. 221-222. N. J. Higham, The Death of Anglo-Saxon England (op. cit. n. 28), p. 152-155, propose une carte du voyage d’Harold et discute brièvement la question de sa datation.
42 Les witan (littéralement les « sages ») étaient les grands du royaume, laïcs et ecclésiastiques, qui composaient le witenagemot (« conseil des sages »), réuni à intervalles irréguliers par le roi.
43 Le mot ætheling, intraduisible en français ou en anglais moderne, désignait en vieil anglais un prince du sang royal, plus précisément fils (ou plus rarement petit-fils) de roi, et par là même susceptible de prétendre à la couronne. Ce terme, tout comme son équivalent latin clito, pouvait par ailleurs être utilisé comme surnom : on parle ainsi des sources des xie-xiie s. d’Edgar ætheling ou de Guillaume clito, tous deux petits-fils de rois. Cf. D. Dumville, « The ætheling : A Study in Anglo-Saxon Constitutional History », Anglo-Saxon England, 8, 1979, p. 1-33.
44 Philipp Grierson, « A Visit of Earl Harold to Flanders in 1056 », English Historical Review, 51, 1936, p. 90-97. Cf. VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 52.
45 Eric John, Reassessing Anglo-Saxon England, Manchester, Manchester University Press, 1996, p. 186-187.
46 La campagne bretonne de 1064 a été récemment étudiée par F. Neveux, « L’expédition de Guillaume le Bâtard en Bretagne (vers 1064) », dans Le pouvoir et la foi au Moyen Âge en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest. Mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel, éd. J. Quaghebeur et s. Soleil, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 619-638. L’auteur ne discute pas la date de la campagne, qu’il situe prudemment « vers 1064 ». Il me semble que sa date a bien été établie par Katharine S. B. Keats-Rohan, « William I and the Breton Contingent in the Non-Norman Conquest, 1060-1087 », Anglo-Norman Studies, 13, 1991, p. 157-172, ici p. 164-165.
47 Poitiers, GG, I, 45 (éd. cit. n. 5), p. 74.
48 E. Mason, The House of Godwine (op. cit. n. 15) ; I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15).
49 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 29-30.
50 S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 105. Cf. VÆR, I, 6 (éd. cit. n. 10), p. 62.
51 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 29 ; S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 103-104.
52 Sur ce dernier, cf. Veronica Ortenberg West-Harling, « Un prince-évêque anglo-saxon au xie siècle : l’archevêque d’York Ealdred », dans De la mer du Nord à la mer Baltique. Identités, contacts et communications au Moyen Âge, éd. A. Gautier et s. Rossignol, Villeneuve-d’Ascq, Ceges – Lille 3 (à paraître).
53 F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. n. 20), p. 29-30.
54 S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 98-103.
55 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 58 : « discors uitium fraternis cladibus ortum ».
56 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms E, s.a. 1063.
57 Voir par ex. VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 48.
58 E. M. Tyler, « The Vita Ædwardi » (art. cit. n. 10), p. 144-149.
59 VÆR, I, 2 (éd. cit. n. 10), p. 26-29.
60 Rhona Beare, « Godwin’s Sons as Birds », Prudentia, 32, 2000, p. 25-52. La bernache nonnette, dont on ne voit jamais les petits dans l’Europe tempérée car elle se reproduit dans l’Arctique, était considérée comme le produit d’une génération spontanée. La légende est attestée à partir du xiiie s., et plusieurs textes décrivent cet oiseau comme la forme adulte du pouce-pied, un mollusque à coquille qui parasite les épaves et le bois flotté. Le mollusque puis l’oiseau grandissent donc en dévorant leur « mère » de bois.
61 R. Beare, « Godwin’s Sons » (art. cit. supra), p. 52.
62 VÆR (éd. cit. n. 10), p. 26-27, n. 57.
63 Ibid., I, 2, p. 26 : « Illa profunda petit tranans inimica uoratrix » ; A. F. J. Van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 16.
64 E. M. Tyler, « The Vita Ædwardi » (art. cit. n. 10), p. 150-152.
65 VÆR, I, 7 (éd. cit. n. 10), p. 82.
66 R. Beare, « Godwin’s Sons » (art. cit. n. 60), p. 32.
67 Worcester, Chronique, s.a. 1065 (éd. cit. n. 9), vol. 2, p. 598.
68 E. Mason, The House of Godwine (op. cit. n. 15), p. 125-126.
69 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 46-50.
70 Ibid., I, 5, p. 50.
71 F. M. Stenton, Anglo-Saxon England (op. cit. n. 2), p. 575.
72 S. Baxter, The Earls of Mercia. Lordship and Power in Late Anglo-Saxon England, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 48 ; Id., « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), carte 11.
73 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 15-16.
74 I. W. Walker Harold (op. cit. n. 15), p. 157-158 place ce mariage au printemps 1066. Cela n’a rien d’impossible, mais rien n’empêche non plus que le mariage ait eu lieu quelques mois plus tôt : cf. N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 31. La date du mariage n’influe d’ailleurs que peu sur notre argumentation, même si le projet de mariage entre Harold et une fille de Guillaume est plus facile à admettre si le premier n’avait pas encore épousé la fille d’Ælfgar.
75 VÆR, I, 7 (éd. cit. n. 10), p. 76.
76 Ibid., I, 7, p. 80.
77 Ibid., I, 7, p. 80-82.
78 N. J. Higham, « Harold Godwinesson » (art. cit. n. 15), p. 34.
79 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 50-52.
80 P. Grierson, « A Visit of Earl Harold » (art. cit. n. 44).
81 TB, scène 4.
82 Huntingdon, HA, II, 25 (éd. cit. n. 13), p. 23.
83 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 7-8.
84 Voir à ce sujet Mark Gardiner, « Shipping and Trade between England and the Continent in the Eleventh Century », Anglo-Norman Studies, 22, 2000, p. 71-93, ici p. 76-77.
85 Alain Derville, Saint-Omer des origines au xive siècle, Lille, 1995, p. 63-66.
86 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. C, s.a. 1065.
87 A. F. J. Van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 8, y voit une « erreur de jugement » de la part d’Harold. L’hypothèse d’un débarquement précipité et non planifié est plus simple.
88 Poitiers, GG, I, 41 (éd. cit. n. 5), p. 68.
89 Les détails de la querelle sont présentés dans ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. D, s.a. 1052 (recte 1051) ; ms. E, s.a. 1048 (recte 1051). Beau-frère du roi Édouard et du prince Alfred autrefois assassiné avec le consentement (voire la complicité) de Godwine, Eustache s’était violemment querellé avec les hommes de l’earl lors d’une visite en Angleterre en 1051. Sur Eustache II, cf. A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 185-190, et Heather Tanner, « The Expansion of the Power and Influence of the Counts of Boulogne under Eustace II », Anglo-Norman Studies, 14, 1992, p. 251-286.
90 Jumièges, GND, VII, 13 (32) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 162.
91 Eadmer, HN (éd. cit. n. 11), p. 6.
92 TB, scène 14 : A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 79-80, reprend et adapte l’hypothèse de Richard D. Wissolik, « The Saxon Statement : Code in the Bayeux Tapestry », Annuale Mediaevale, 19, 1979, p. 69-97.
93 David Crouch, The Normans : The History of a Dynasty, Londres/New York, Hambledon & London, 2002, p. 82-83.
94 A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 58-59.
95 Les deux hypothèses sont examinées, avec une préférence pour la seconde, par E. Mason, The House of Godwine (op. cit. n. 15), p. 76-77.
96 D. C. Douglas, William the Conqueror (op. cit. n. 20), p. 169 ; S. Baxter, « Edward the Confessor » (art. cit. n. 15), p. 86-95.
97 ASC (voir éd. cit. n. 8), ms. C, s.a. 1051.
98 Poitiers, GG, II, 12 (éd. cit. n. 5), p. 120.
99 F. Barlow, « Edward the Confessor’s Early Life, Character and Attitudes », English Historical Review, 80, 1965, p. 225-251, ici p. 246-250.
100 La Tapisserie, dans un de ses passages les plus mystérieux (TB, scène 15), fait référence à une certaine Ælfgyva : or Harold avait une sœur, sans doute nommée Ælfgifu, pour laquelle on ne connaît aucune alliance (I. W. Walker, Harold [op. cit. n. 15], p. 13). Eadmer, HN (éd. cit. n. 11), p. 8, explique que, cette sœur d’Harold étant morte entre-temps, Harold se serait estimé libéré de son serment.
101 La plupart des commentateurs situent ce mariage après l’exil de Tostig à l’automne 1065, voire après l’accession d’Harold au trône en janvier 1066 : cf. par ex. I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15), p. 158.
102 Le parallèle avec le mariage flamand de Tostig est avancé par Kelly Devries, The Norwegian Invasion of England in 1066, Woodbridge, Boydell, 1999, p. 154.
103 Poitiers, GG, II, 32 (éd. cit. n. 5), p. 156. Il pourrait s’agir d’Adelize, dont le nom pourrait aussi bien être anglicisé en Ælfgyva dans la Tapisserie : cf. I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15), p. 106-107.
104 Snorri Sturluson, Haralds saga Sigurðarsonar, chap. 76, trad. [fr.] Régis Boyer, La saga de Harald l’Impitoyable, Paris, Payot, 1979, p. 120-121. Je remercie Jean-Louis Parmentier d’avoir attiré mon attention sur ces épisodes islandais.
105 Hemings þáttr Áslákssonar, chap. 10, trad. [fr.] R. Boyer, Les sagas miniatures (Þættir), Paris, Belles Lettres, 1999, p. 160. Je normalise les noms propres, que le traducteur a laissés en vieil islandais.
106 Seul F. McLynn, 1066 (op. cit. n. 28), p. 158, évoque brièvement la possibilité qu’un Édouard vieillissant et aigri ait envoyé Harold en Normandie « out of sheer malevolence », pour se venger à la fois de l’earl de Wessex et du duc de Normandie.
107 Bruno Dumézil, « Les ambassadeurs occidentaux au vie siècle : recrutement, usages et modes de distinction d’une élite de représentation à l’étranger », dans Théorie et pratiques des élites au haut Moyen Âge. Conception, perception et réalisation sociale – Theorie und Praxis frühmittelalterlicher Eliten. Konzepte, Wahrnehmung und soziale Umsetzung, éd. F. Bougard, H.-W. Goetz et R. Le Jan, Turnhout, Brepols, 2011, p. 243-259, ici p. 257.
108 TB, scène 12.
109 M. Parisse, La tapisserie de Bayeux (op. cit. n. 4), p. 74-75 ; A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 75-76.
110 Malmesbury, GRA, II, 228 (éd. cit. n. 11), vol. I, p. 418.
111 L’ambiguïté du français, qui désigne par le même mot l’hôte qui reçoit (l’amphitryon) et l’hôte qui est reçu (l’invité) m’amène à réserver le terme « hôte » au premier, et à appeler le second « invité », même s’il n’y a pas eu ici d’invitation formelle.
112 C’est ce qu’affirme par ex. A. Bridgeford, 1066 (op. cit. n. 15), p. 77 : « one of the gravest political miscalculations ever made ».
113 De obsessione Dunelmi, § 7, éd. Thomas Arnold, Symeonis monachi opera omnia, Londres, Longman, 1882-1885 (Rolls Series, 75), t. I, p. 215-220. Cf. aussi Christopher Morris, Marriage and Murder in Eleventh-Century Northumbria : A Study of De Obsessione Dunelmi, York, Borthwick Institute of Historical Research, 1992 ; Richard Fletcher, Bloodfeud : Murder and Revenge in Anglo-Saxon England, Londres, Penguin Press, 2002, p. 122 ; John G. H. Hudson, « Faide, vengeance et violence en Angleterre (ca 900-1200) », dans La vengeance, 400-1200, éd. D. Barthélemy, F. Bougard et R. Le Jan, Rome, École française de Rome, 2006, p. 341-382.
114 Alpert de Metz, De diversitate temporum, II, 12, éd. Georg-Heinrich Pertz, Monumenta Germaniae historica [désormais MGH]. Scriptores, IV, Hanovre, 1841, p. 700-723 ; Thietmar, Chronique, VII, 47, éd. Robert Holzmann, Die Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg und ihre Korveier Überarbeitung, MGH Scriptores rerum Germanicarum, n.s., vol. 9, Berlin, Weidmann, 1935, trad. [angl.] David A. Warner, Ottonian Germany : The Chronicon of Thietmar of Merseburg, Manchester, Manchester University Press, 2001, p. 340-341. L’épisode a été récemment relu par Régine Le Jan, « La vengeance d’Adèle ou la construction d’une légende noire », dans La vengeance (op. cit. n. 113), p. 325-340.
115 Poitiers, GG, I, 46 (éd. cit. n. 5), p. 76.
116 Douglas L. Oliver, A Solomon Island Society : Kinship and Leadership among the Siuai of Bougainville, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1955.
117 Ibid., p. 365.
118 Ibid., p. 394.
119 Marcel Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » [1re éd. 1923-1924], dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF 1950, p. 143-279.
120 D. L. Oliver, A Solomon Island Society (op. cit. n. 116), p. 391. Cf. M. Mauss, « Essai sur le don » (art. cit. supra), p. 151 et Maurice Godelier, L’énigme du don, Paris, Fayard, 1996, p. 52-53.
121 Ces éléments sont amplement développés, et à plusieurs reprises, par Guillaume de Poitiers, mais aussi dans la Tapisserie de Bayeux.
122 Wace, Roman de Rou, v. 5661-5662, éd. Anthony J. Holden, Le Roman de Rou de Wace, vol. 2, Paris, Picard, 1971 (SATF), p. 96-97.
123 I. W. Walker, Harold (op. cit. n. 15), p. 99-102.
124 Michael J. Enright, « Lady With a Mead-Cup : Ritual, Group Cohesion and Hierarchy in the Germanic Warband », Frühmittelalterliche Studien, 22, 1988, p. 170-203, ici p. 188-189.
125 L’idée d’un serment extorqué de manière frauduleuse est tardive et peu vraisemblable. Dans le Roman de Rou, Wace explique que Guillaume aurait fait cacher les reliques sous un drap, ne les montrant qu’une fois le serment prononcé par un Harold peu méfiant. Voir Wace, Roman de Rou, v. 5685-5715 (éd. cit. n. 122), p. 97-98.
126 A. F. J. van Kempen, « The Mercian Connection » (art. cit. n. 15), p. 11.
127 Ibid.
128 VÆR, I, 5 (éd. cit. n. 10), p. 52.
129 Jumièges, GND, VII, 13 (31) (éd. cit. n. 7), vol. 2, p. 160 : « facta fidelitate de regno plurimis sacramentis ».
130 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
131 F. Barlow, Edward the Confessor (op. cit. n. 20), p. 225.
132 C. Morton et C. Muntz, « Oaths and claims » (art. cit. n. 20), p. 70.
133 Jumièges, GND (loc. cit. n. 129) ; Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70 : « illic Heraldus ei fidelitatem sancto ritu christianorum iurauit. […] in serie summa sacramenti libens ipse haec distinxit ».
134 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70 : « iam satelliti suo accepto per manus ».
135 Ibid. : « ante iusiurandum terras eius cunctumque potentatum dedit petenti ».
136 Ce trait avait déjà été remarqué par Jean Flori, L’essor de la chevalerie, xie-xiie siècles, Genève, Droz, 1986, p. 66-67.
137 TB, scène 21.
138 D’après J. Flori, L’essor de la chevalerie (op. cit. n. 136), p. 66-67, Édouard Perroy voyait dans cette remise d’armes « le plus ancien adoubement connu de l’histoire » : cette interprétation a été combattue par J. Flori, qui a montré qu’il ne pouvait s’agir d’un rite de passage et qui rapproche l’image de la Tapisserie d’une forme d’investiture. Dominique Barthélemy, La chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 2007, p. 176-177, parle pour sa part d’un adoubement ; sous sa plume cependant, le terme ne désigne pas un rite de passage concernant avant tout les jeunes, mais bien toute remise d’armes cérémonielle. Cf. aussi D. Crouch, The Normans (op. cit. n. 93), p. 44 et 83 ; F. Neveux, « L’expédition de Guillaume… » (art. cit. n. 46), p. 624. Dans tous les cas, qu’on adopte l’interprétation et le vocabulaire de J. Flori ou ceux de D. Barthélemy, le rituel montré dans la scène 21 de la Tapisserie représente une relation asymétrique et implique une soumission de l’Anglais au Normand.
139 Poitiers, GG, I, 42 (éd. cit. n. 5), p. 70.
140 Ibid., I, 43, p. 70.
141 TB, scènes 16 à 21 (campagne bretonne) et scènes 22-23 (serment).
142 TB, scène 23.
143 Je remercie Martin Aurell pour m’avoir signalé cette belle formule, citée dans son article : « Appréhensions historiographiques de la féodalité anglo-normande et méditerranéenne (xie-xiie siècles) », dans Die Gegenwart des Feudalismus – Présence du féodalisme et présent de la féodalité – The Presence of Feudalism, éd. N. Fryde, P. Monnet et O. G. Oexle, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, p. 188.
144 Je remercie François Bougard pour avoir attiré mon attention sur ces images et sur l’analyse qu’en propose P. Bonnassie.
145 Pierre Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe siècle à la fin du xie siècle. Croissance et mutations d’une société, Toulouse, Association des publications de l’université Toulouse – Le Mirail, 1976, vol. 2, p. 775 et planche face à la p. 776.
146 Par exemple sur le site communautaire Clioweb, destiné aux professeurs d’histoire-géographie [consulté le 26 novembre 2010].
147 Sur ces deux derniers personnages, tous deux apparentés au Confesseur par sa sœur Godgifu, cf. infra.
148 P. Bonnassie, La Catalogne… (op. cit. n. 145), p. 776.
149 D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 53-71.
150 Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, III, II, 103, éd. M. Chibnall, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, vol. 2, Oxford, Clarendon, 1969, p. 118 ; D. Bates, William the Conqueror (op. cit. n. 15), p. 70, place le décès de Gautier en 1063-1064.
151 L’importance de Godgifu, de ses mariages et de sa descendance est mise en lumière par E. Van Houts, « Edward and Normandy », dans Edward the Confessor (op. cit. n. 15), p. 63-76, en part. p. 63-68.
152 F. Neveux, « L’expédition de Guillaume… » (art. cit. n. 46), p. 630-631.
153 Voir Ann Williams, The English and the Norman Conquest, Woodbridge, Boydell, 1995, p. 73-74, sur les procédures de recommandation dans l’Angleterre d’avant la Conquête et sur les points communs et les différences qui pouvaient exister avec les procédures continentales.
154 John Gillingham, « William the Bastard at War », dans Studies in Medieval History presented to R. Allen Brown, éd. C. Harper-Bill, Woodbridge, Boydell, 1989, p. 141-158, ici p. 146.
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Pour citer cet article
Référence papier
Alban Gautier, « Comment Harold prêta serment : circonstances et interprétations d’un rituel politique », Cahiers de civilisation médiévale, 217 | 2012, 33-55.
Référence électronique
Alban Gautier, « Comment Harold prêta serment : circonstances et interprétations d’un rituel politique », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 217 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18650 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128ro
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