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Comptes rendus

Alain Villes. — La cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l’architecture médiévale [préface de Peter Kurmann]

Claude Andrault-Schmitt
p. 506-508
Référence(s) :

Alain Villes et Peter Kurmann [préface], La cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l’architecture médiévale, Langres, Dominique Guéniot, 2007, 460 pp., 321 fig.

Texte intégral

1Dans sa préface courte et incisive, P. Kurmann s’interroge sur les expressions de « cathédrales secondaires » et « cathédrales classiques » ; il relève justement que les unes pas plus que les autres ne sont homogènes, que l’invention peut se nicher aussi bien dans l’un ou l’autre de ces deux groupes, et qu’il serait bien difficile de placer quelque édifice que ce soit dans un apogée dont la notion même est contredite par l’histoire. Inutile, donc, de s’appesantir sur le fait que le monument traité dans cet ouvrage est « méconnu, voire méprisé », qu’il manque d’unité et qu’il correspond à un diocèse d’une richesse relativement médiocre : cette pierre s’ajoute maintenant à d’autres ; la multiplication des études d’églises gothiques permet heureusement de brosser un panorama monumental de plus en plus juste.

2L’A. est archéologue et historien de l’art. Aussi cette monographie s’appuie-t-elle sur une analyse précise et étayée, qui détermine la distinction entre des étapes de construction, tout en sacrifiant à la nécessité de la mise en perspective annoncée par le sous-titre ainsi qu’à celle de l’étude d’authenticité résultant de la connaissance des dossiers de restauration (dont l’exposé est rejeté à la fin).

3Relevons plusieurs spécificités, en lien avec ce regard particulier. L’importance du trait, tout d’abord, pour guider le raisonnement et le lecteur : de nombreux schémas, dessins, relevés de façade, restitutions, plans et coupes originaux s’ajoutent à des emprunts éclairants à Viollet-le-Duc et à quelques autres prédécesseurs. Ensuite l’insertion, après le glossaire et avant l’index, d’un abondant (90 p.) chapitre intitulé « Mise à jour 2002 » qui traduit bien les préoccupations de l’A. face à des champs d’investigation qu’il a éprouvé le besoin d’approfondir. Enfin, des articulations conçues presque entièrement autour de questions numérotées : 43 en tout, réparties dans les six chapitres, du type « Quel premier projet pour la cathédrale du xiie siècle ? » ; « Quelle forme d’émulation architecturale entre la cathédrale et Notre-Dame-en-Vaux ? » ; « Pourquoi un chevet vitré ? » ; « Pourquoi des colonnes cylindriques ? » ; « Quelle filiation pour la façade nord ? » ; « L’étape flamboyante : historicisme ou conformité ? »…

4Ajoutons que les dossiers historiques ne sont pas présentés initialement, en bloc, mais sont soumis à la lecture de l’objet monumental – à commencer par la topographie et le groupe épiscopal du haut Moyen Âge (question 1). Ce procédé dont on ne se plaindra pas en principe, bien au contraire, est ici souvent déroutant, car les sources textuelles, sans doute considérées comme connues, sont mentionnées sans insister et référencées par la littérature seconde. Il est vrai que J.-P. Ravaux avait montré la voie sous la forme de plusieurs articles substantiels.

5L’ouvrage, qui est annoncé comme tête de collection et dont l’austérité est compensée par l’insertion d’un cahier de photographies en couleur fort intéressant et utile en son milieu, possède donc une forte connotation archéologique, au sens monumental et formel du terme. Il accorde une grande place aux campagnes, hésitations, projets abandonnés, voire aux intentions illisibles dans l’état actuel. Une démarche spéculative est poussée au maximum afin d’alimenter les enquêtes comparatistes, occasion d’évoquer les édifices de Reims, Soissons, Troyes, Amiens, les églises du voisinage champenois et bien d’autres œuvres encore.

6Ecartons les conditionnels trop appuyés, les hypothèses ou les spéculations pour nous limiter au décryptage des volumes actuels de Saint-Étienne – qui auraient mérité d’être présentés plus clairement pour nous permettre de visualiser d’emblée une silhouette caractérisée par deux tours orientales de transept et un chevet sans arcs-boutants monté en deux étapes à la succession inversée (haut, puis bas), et qui présente en conséquence un front oriental à la fois original et paradoxalement cohérent. L’exercice n’est pas facile parce que l’ouvrage ne supporte pas une lecture rapide. Mais les principales étapes sont parfaitement définies, moins dans le texte, qui tient nécessairement compte des inconnues ou interrogations subsistantes, que par le truchement des schémas.

7La tour nord et la crypte recèlent les plus anciennes structures. La cathédrale du xiie s. devait être bien avancée lors d’une consécration par Eugène III en 1147 : la surenchère avec la collégiale voisine de Notre-Dame-en-Vaux, qui ressortit de l’évidence, conduit à proposer des embellissements successifs alternant d’un chantier à l’autre. La partie basse de la tour sud, pleinement gothique et champenoise avec son arcature de soubassement et son passage mural, est difficile à situer chronologiquement, mais il est sûr que le bras sud qui lui est joint s’inscrit parmi les recherches du début du xiiie s. (en rapport avec une arrivée de la relique de saint Étienne en 1205 ?). De même que le bras nord, plus tardif (v. 1215-1220), qui évoque d’autres références, et ouvre, lui, sur une tour déjà complète. Ces éléments latéraux n’ont jamais été datés que par rapport à Notre-Dame de Reims, remarque l’A., qui les recule d’une dizaine d’années et propose de voir dans les travaux du nord « la première étape du renouvellement complet de la cathédrale ».

8« Entre 1230, date d’un sinistre mal défini, et 1256, date de l’acquisition du terrain pour l’édification du porche nord, l’histoire de la cathédrale de Châlons se caractérise par une surprenante multiplicité des campagnes de construction et de leur inspiration. » L’élément le plus étrange et le plus intéressant est sans doute le chevet, attribué par commodité au « maître de 1230 », simple par son tracé en cinq pans mais pourvu d’un triforium (peut-on utiliser ce terme pour une élévation qui n’était pas pyramidale à l’origine ?) et d’un clair étage qui lui fait mériter l’appellation « d’abside vitrée ». Ensuite est entreprise la nef, du moins dans ses travées orientales (v. 1245-1255), selon des principes rayonnants : elle affiche un triforium ajouré et des baies à remplages. La hauteur des étages – accrue jusqu’à 27 mètres sous clef, le système des arcs-boutants et les dessins des quadrilobes des deux niveaux supérieurs différencient cette partie de la face occidentale du bras sud et constituent en partie des innovations.

9Le porche nord montre un dispositif curieux. Il a été surajouté, ce qui modifie la question du tympan, des voussures et statues du « beau » portail qui y ont été réemployés. Avaient-ils été prévus pour embellir la façade occidentale antérieure de type harmonique ? Le lecteur les estimera certainement trop dégradés pour supporter un long commentaire. En revanche, il est certain que l’ajout de trois amples chapelles rayonnantes jointives (autour de 1280 et jusque vers 1300 ?) traduit un repentir important par rapport au projet initial. Elles sont greffées sur un déambulatoire qui enveloppa de façon tout à fait singulière l’abside vitrée en nécessitant la percée en sous-œuvre des arcades du rond-point et de nouveaux accès à la crypte mais pas l’ajout d’arcs-boutants.

10L’influence exercée par l’ensemble des schémas et motifs de la cathédrale Saint-Étienne, parmi lesquels les deux belles roses latérales, est examinée par l’A. dans la ville même (églises disparues essentiellement), à Saint-Amand-sur-Fion et bien au-delà du diocèse (Paderborn). Ensuite seulement, sont énumérées les transformations que connut l’édifice à partir du xve s., étayées par une belle collection de représentations anciennes : élaboration de la plus grande partie de la nef à l’époque flamboyante, hautes flèches en bois faisant écho aux cinq flèches de Notre-Dame-en-Vaux, façade baroque (legs de 1628) associée à des compléments néo rayonnants pour les deux premières travées, flèches de pierre montées après l’incendie de 1668, parallèlement à des restaurations ayant entraîné la suppression des contreforts de l’abside vitrée qui avaient été conservés à l’intérieur du déambulatoire ultérieur. Au xixe s., on « restaura » les tours et bien d’autres éléments, dont le bras sud auquel on donna un aspect rayonnant qu’il n’avait jamais eu, ou les flancs de la nef dont on supprima les chapelles et inventa les corniches.

11L’ouvrage nous permet d’enrichir notre connaissance des formules de ce gothique rayonnant qui a tant impressionné les architectes des xviie et xixe s. sur place, et qui se révèle d’une plus grande richesse et inventivité que ce qui était autrefois admis quand on s’appuyait sur un petit nombre de jalons prestigieux. De plus, les perspectives comparatistes, souvent excessivement étendues mais toujours témoins d’une culture remarquable en matière d’architecture gothique, permettent de fournir un large corpus, qui sera utile à tous, de Saint-Denis ou Saint-Remi de Reims à León en passant par Bourges, Longpont, Saint-Nicaise de Reims ou Altenberg.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Andrault-Schmitt, « Alain Villes. — La cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l’architecture médiévale [préface de Peter Kurmann] »Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 506-508.

Référence électronique

Claude Andrault-Schmitt, « Alain Villes. — La cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l’architecture médiévale [préface de Peter Kurmann] »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18548 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128t4

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