Teddy Véron. — L’intégration des Mauges à l’Anjou au xie siècle [préface d’Olivier Guillot]
Teddy Véron et Olivier Guillot [préface], L’intégration des Mauges à l’Anjou au xie siècle, Limoges, PULIM, 2007, 403 pp. (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, 15).
Texte intégral
1L’ouvrage de Teddy Véron est consacré au pays des Mauges, pagus minor attesté à l’époque carolingienne (pago Metallico / Medalgie pagi). Il s’agit d’une étude d’histoire politique, issue d’un mémoire de maîtrise soutenu en 2002 à l’université catholique d’Angers (dir. O. Guillot). Disons le de suite : l’auteur fait preuve d’une finesse d’analyse et d’une rigueur inhabituelles (si on le compare à la moyenne des mastérisants) dans un dossier complexe, toujours avec le souci d’ancrer la réflexion dans sa dimension territoriale.
2Le livre est découpé en trois axes (et huit chapitres) : d’abord un état des lieux avant le rattachement à l’Anjou comtal, puis l’analyse du processus d’annexion, enfin l’examen de deux thématiques suite à l’annexion. La moitié de l’ouvrage consiste en un copieux recueil de pièces justificatives (p. 177-354), dont les actes (à la tradition particulièrement soignée) ne sont évidemment pas inédits mais qui, ici réunis, fournissent la matière sur laquelle s’appuient les conclusions de l’A. L’ensemble est desservi par quelques cartes et généalogies, ainsi que par des index nominum et locorum fort utiles.
3L’ouvrage examine les délimitations des Mauges (chap. 1) et sa composition paroissiale (chap. 3). Borné par le cours de la Loire au nord, les Mauges correspondant grosso modo à la section sud-ouest du département du Maine-et-Loire (fig. 2 et 4 de l’ouvrage), ensemble territorial compact d’environ 20 × 20 km. L’étude complète fort utilement celle de J.-P. Brunterc’h sur le pagus d’Herbauge (thèse de l’École des chartes, 1981). Elle permet de mieux comprendre la mise en place des « marches » de la rive gauche de la Loire, zones de confins caractérisées par la non concordance entre juridictions comtale et épiscopale (jusqu’en 1789). L’A. tente aussi (append. 1) de préciser l’étymologie de Montlimart (Mello Martis) qu’il rapproche du dieu Mars Mullo et amorce (notamment à l’aune des travaux de J.-C. Meuret sur la Mayenne) une réflexion sur l’exploitation métallurgique du secteur des Mauges à l’époque antique.
4Certes, les apports de l’archéologie sont peu mis à contribution (il s’agit d’un travail d’histoire du droit), la démarche restant classiquement fondée sur la documentation écrite (surtout des cartulaires). Ainsi, la carte archéologique de la Gaule du Maine-et-Loire (qui figure en bibliographie) s’avère assez peu utilisée (notamment dans le chap. 3, pourtant centré sur une démarche « d’archéologie extensive »). Ne se contentant pas des (nombreuses) sources publiées, l’A. a également consulté des documents originaux, notamment dans la série H des archives départementales du Maine-et-Loire et dans quelques autres dépôts publics (sur les sites de Loudun et de Melle) [p. 173-174], on pouvait s’appuyer sur les travaux récents de l’équipe animée par L. Bourgeois : Les petites villes du Haut-Poitou de l’Antiquité au Moyen Âge. Formes et monuments [APC, mémoire XVII et XXVII] ; Loudun est dans le vol. 1, Chauvigny, 2000, p. 35-66, et Melle dans le vol. 2, Chauvigny, 2005, p. 77-112.
5Le cœur de l’ouvrage tient à l’examen du destin des Mauges, entre le xe et la fin du xie s., des origines du pagus minor fondé, avec ceux d’Herbauge et de Tiffauges, vers 830-850 par Louis le Pieux, pour lutter plus efficacement contre la pression scandinave (qui s’exerça ici fortement encore dans le premier tiers du xe s., chap. 2), jusqu’à son intégration dans le comté d’Anjou. L’absorption de cette zone tampon, disputée par les comtes du Poitou, de Nantes et d’Anjou, est essentiellement due à la politique multiforme du comte (d’Anjou) Foulque Nerra, ici analysée de manière détaillée, et elle se décompose en deux phases, correspondant aussi à deux ensembles territoriaux majeurs : le temporel de l’abbaye Saint-Florent de Saumur et le patrimoine du lignage du vicomte d’Angers (chap. 4).
6T. Véron revisite ce dossier (« l’affaire des Mauges »), qui avait été examiné, avec des conclusions différentes, par O. Guillot (Le comte d’Anjou et son entourage au xie siècle, Paris, 1972) et par B. Bachrach (Fulk Nerra, the Neo-Roman Consul, 987-1040. A Political Biography of the Angevin Count, Berkeley/Los Angeles/Londres, 1993). Foulque Nerra accapare la succession du vicomte d’Angers Renaud Torench, originaire de Vendôme, et donc trop proche des comtes de Blois, en contestant les droits de son fils Renaud II, évêque d’Angers (973-1005), lequel avait voulu transmettre l’héritage au chapitre cathédral. Cette prise en main s’opère à la mort du prélat, en 1005, et avec le soutien de son successeur, un Hubert de Vendôme qui, manifestement, avait été placé à la tête de l’évêché avec le soutien du comte (chap. 5). La seconde phase de l’accaparement des Mauges se déroule en 1026, dans le cadre de la lutte entre Anjou et Blois. La prise de Saumur (alors possession du comte Eudes de Blois) par Foulque Nerra permet à ce dernier de contrôler l’abbaye de Saint-Florent et donc ses dépendances (chap. 6). Rapidement, vers 1026-1028, le comte d’Anjou fonde le château de Montfaucon (hors des Mauges), contre les vicomtes de Thouars, et bénéficie du soutien des moines de Saint-Florent (qui envoient douze hommes sur le chantier). Vers 1032-1037, il fortifie de bois et de terre le site de l’abbaye Saint-Florent-le-Vieil restitué en 1061 sous condition de pouvoir y installer des milites pour les besoins du comte (la défense de la patria) (acte no 40). Le nouveau territoire angevin des Mauges fut d’ailleurs équipé de plusieurs châteaux neufs, souvent implantés dans d’anciens alleux de l’évêque Renaud. Leur répartition, avec les ressorts reconstitués, permet à l’A. de proposer une carte assez précise de l’extension des Mauges (chap. 7 et fig. 23). Dernière touche apportée au projet du comte Foulque Nerra, l’évêché d’Angers s’est rapidement substitué aux évêques de Nantes et de Poitiers, dans les paroisses des Mauges. Le processus s’est particulièrement accéléré sous le prélat Eusèbe Brunon (1047-1081) (chap. 8) et l’acte no 31 est particulièrement révélateur.
7Les quelques monographies de sites castraux constituent un autre attrait de l’ouvrage : Montjean, Beaupréau, Chalonnes, Chemillé, Champtoceaux. Beaupréau, proche de l’église Saint-Martin, en rive droite de l’Èvre (dont l’organisation topographique et sociale est particulièrement mise en lumière par l’acte no 44), est caractérisé par ses liens avec la Bretagne. Le dossier le plus passionnant est celui du castrum de Montrevault. Il s’agit de l’un de ces sites dédoublés, dont la genèse reste toujours difficile à cerner et pour lequel T. Véron rassemble ici un corpus détaillé. La partition de la seigneurie tire peut-être son origine d’une attribution comtale à deux lignages différents. L’A observe le chasement de familles de milites originaires du Vendômois dans les terres relevant du Grand comme du Petit-Montrevault (dont les paroisses sont partagées) : Saint-Pierre-Montlimart, Saint-Rémy, Saint-Nicolas du castrum du Grand-Montrevault, et une demi-douzaine d’autres, constituant la plus grande châtellenie des Mauges, caractérisée par cette indivision entre les deux châteaux.
8Le Grand-Montrevault (paroisse Saint-Rémy), sans doute créé dès 1005-1006, est tenu par la famille des vicomtes de Vendôme, sans doute comme compensation de la perte des Mauges (puis aux vicomtes du Mans). Il occupe la partie frontale d’un long éperon rocheux circonscrit par un méandre de l’Èvre. Le Petit-Montrevault (paroisse de Saint-Pierre-Montlimart) semble légèrement postérieur et sa genèse reste méconnue (peut-être un projet alternatif du lignage de Foulque Normand, possessionné dans la seigneurie et plutôt hostile aux Angevins, quoique issu d’un Roger de Loudun, soutien de Foulque Nerra ?), dans une ancienne zone d’exploitation minière en rive gauche de la Gévrise. Foulque Normand est le premier seigneur connu du Petit-Montrevault (Normannus Fulco de Monte Rebelli, acte no 53) et il semble proche des vicomtes de Thouars : peut-être a-t-il même été exproprié de ses droits seigneuriaux par le comte d’Anjou dans le dernier tiers du xie s. (remplacé par son frère Roger) ? L’A. pense que le partage, qu’il attribue au comte et à l’évêque, s’explique par la volonté de ménager d’anciens bénéficiaires à la suite de l’implantation d’hommes du comte, ce qui, par la même occasion, permettait d’affaiblir leurs possibilités de revirement politique. La prise de contrôle du secteur par la construction du château de Montrevault du temps de Foulque Nerra est clairement décrite par une donation de 1058 en faveur de Saint-Serge d’Angers (acte no 36). On remarque que les deux sites ne sont pas dissociés dans les sources du xie s. et il faut recourir aux généalogies seigneuriales pour déterminer de quel Montrevault il s’agit.
9Avant 1068, Foulque Normand (Fulco cognomento Normannus, filius Rotgerii de Monte Revello, acte no 54) cède à l’abbaye Saint-Serge deux parcelles de son château (le Petit-Montrevault ? il est question du castrum vicecomitis puis du castrum de Foulque) pour y bâtir des maisons (duas areas ad domos faciendas in castello suo, acte no 53). La distinction est toujours délicate : l’acte no 60 (comme le no 74 d’ailleurs) implique un Tescelin de Monte Rebelli et des biens près de l’étang du château (stagnum castelli Montis Rebellis) mais duquel s’agit-il ? En 1063-1082, le vicomte Raoul et Roger de Montrevault font une donation commune (acte no 68). Vers la même époque, un accord est conclu in castello Rotgerii, devant des témoins des moines de Saint-Serge, du château vicomtal (de castello vicecomitis) et du château de Roger (acte no 70). Roger de Montrevault est encore mentionné dans plusieurs actes de la fin du xie s. (nos 76, 77 et 78). L’acte de 1095 (no 79), passé près de l’église de Saint-Quentin puis au château de Montrevault, in aula vicecomitis, voit le vicomte Raoul donner à Saint-Maurice d’Angers l’église neuve Saint-Nicolas et trois arpents voisins in castello meo, en présence de Normand de Montrevault. Les deux seigneurs sont encore impliqués dans une donation en 1096-1106 (acte no 90), d’une terre commune aux deux (inter duos dominos duum castellorum communis) : Raoul, vicecomes de Monte Rebelli, et Normand qui erat dominus Parvi Montis Rebellis. On retrouve les deux parties associées en 1125-1150, Foulque, « vicomte de Montrevault », et Païen, « seigneur du petit château », puis leurs successeurs respectifs Roscelin, fils du premier, et Foulque de Candé, neveu du second (acte no 97). En 1138-1150, le vicomte Roscelin confirme une donation à Montrevault, in camera sua, et Foulque de Candé, fils de Normand, seigneur du Petit-Montrevault, fait de même (acte no 99). Cette série documentaire montre combien l’imbrication est forte et les premières mentions réellement explicites sont une chronique de 1055-1070, exposant les relations entre Saint-Florent et le seigneur Normand du Petit-Montrevault (Montis Rebelli dominus Minoris), et Raoul, vicomte du Grand (Montis Rebelli Majoris vicecomes) [p. 353] ainsi qu’un original de 1089-1096, impliquant à la fois Raoul, dit « vicomte de Montrevault », et Normand dit « seigneur de l’autre Montrevault » (dominus de alio Monte Rebelli), signalant aussi l’existence d’une église Sainte-Marie in castello Monte Rebelli Minoris (acte no 81). Cette église Notre-Dame du castellum de Montrevault est donnée à Saint-Florent en 1096-1101, avec l’aval de Normand de Montrevault, « prince et seigneur » de ce château (acte no 5, confirmé en 1109, no 92 : ecclesia Sancte Marie Minoris Montis Rebellis). Au vicomte Raoul Païen succède son fils le vicomte Foulque, attesté vers 1106 (acte no 91). Le Petit-Montrevault est ensuite plus régulièrement mentionné (no 96).
10La somme de ces études permet à T. Veron de démontrer le caractère neuf de ces sites fortifiés et leur implantation sur les anciennes terres du vicomte d’Angers par la volonté de Foulque Nerra. Ils sont desservis par un réseau de lignages liés au Vendômois, au Loudunois et aussi à Baugé et à Vihiers. L’A. pense que leur installation est la marque de la politique comtale (avec sans doute le concours de l’évêque Hubert, fossoyeur des dernières volontés de son prédécesseur). Il loue le « brillant sens de la stratégie dont fait preuve Foulque Nerra » en réinvestissant d’anciennes forteresses interprétées comme « d’antiques refuges temporaires ou oppida devenus obsolètes » (p. 146). Sur ce point, l’argumentation mériterait sans doute d’être étoffée, notamment pour le Grand-Montrevault (p. 94, n. 4), et on aimerait avoir confirmation de l’absolue fiabilité des sources écrites sur l’histoire de ces sites dont on ignore tout entre l’occupation protohistorique et les premières mentions au xie s. L’A constate en tout cas que, comme dans de nombreuses autres régions (par ex. les pays de la Charente d’A. Debord), ce réseau de places fortes a jeté les bases d’un maillage politique et économique, confirmé par la trame administrative post-révolutionnaire, chacun des châteaux comtaux ayant servi de cadre à un chef-lieu de canton.
11Cet ouvrage bien présenté, au style clair et aux vues profondes, constitue donc la synthèse attendue pour la région des Mauges. Les sources historiques ayant été mises à profit, il reste maintenant à approfondir les questions à partir d’autres regards et, dans cette optique, les dossiers monographiques constitués par l’A. sont des invitations pour les archéologues à se pencher sur les aspects topographiques des sites (comme le fait Ph. Boeckler pour Champtoceaux, depuis 2006).
Pour citer cet article
Référence papier
Christian Remy, « Teddy Véron. — L’intégration des Mauges à l’Anjou au xie siècle [préface d’Olivier Guillot] », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 503-506.
Référence électronique
Christian Remy, « Teddy Véron. — L’intégration des Mauges à l’Anjou au xie siècle [préface d’Olivier Guillot] », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18502 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128t3
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