Harvey Stahl. — Picturing Kingship. History and Painting in the Psalter of Saint Louis
Harvey Stahl, Picturing Kingship. History and Painting in the Psalter of Saint Louis, University Park, Pennsylvania State University Press, 2008, XIV-371 pp., 100 ill., 70 h.-t.
Texte intégral
1Dans un livre splendidement écrit, auquel H. Stahl a consacré deux décennies de recherches, qu’il n’a pu terminer avant sa disparition prématurée en juin 2002, et qui a pu voir le jour grâce aux efforts de celle qui fut son épouse, M. Moss, par un travail méritoire dans les notes et dossiers laissés par l’A., un manuscrit majeur de l’art gothique (ms. Paris, BnF, lat. 10525), pourtant universellement connu et déjà largement étudié, s’enrichit d’un travail de fond résolument nouveau et magistralement documenté et argumenté.
2L’introduction, sur le manuscrit et son histoire, rappelle les données essentielles de cette œuvre que l’on peut dater du milieu des années 1260 ; précise son histoire ; donne un solide état de la question ; et inscrit le complexe programme d’illustrations des psautiers royaux du xiiie s. dans un ensemble au sein duquel tant la Sainte-Chapelle que la Bible moralisée – qui présente une vraie « stratégie rhétorique » – offrent des comparaisons capitales. Le premier chapitre est une étude codicologique essentielle sur la construction matérielle de l’œuvre, et donne des remarques neuves sur la création du cycle enluminé, mais aussi ses légendes, chaque fois au revers de l’enluminure, ainsi que le calendrier, l’héraldique, les additions et corrections. Le second chapitre reprend la question des artistes ; l’A. en identifie cinq, et non six comme Branner, mais reprend la plupart des regroupements et attributions par enluminures définies par son illustre prédécesseur.
3Le troisième chapitre structure l’interprétation du psautier à partir de quatre approches successives. L’analyse de la superstructure architecturale des images est complètement renouvelée : elle se révèle être une évocation directe de l’Église sur terre, dans une forme immuable qui englobe les variations des événements humains, et cette présence porte en elle le symbolisme eschatologique des thèmes de la vie du Christ et de la Vierge, ce qui explique leur absence, souvent remarquée, dans le cycle ; mais elle fait aussi référence à la façade du transept sud de Notre-Dame, et affirme ainsi un usage capétien de l’histoire vétéro-testamentaire.
4Les sources picturales utilisées par les artistes, et la manière dont les compositions antérieures ou contemporaines ont été utilisées, avec des inventions ou des incompréhensions selon les enluminures, sont examinées pour quelques exemples. Les légendes sont placées comme dans aucun manuscrit antérieur ; leur disposition sur la page précédant l’enluminure de la page de gauche, et sur celle suivant celle de la page de droite, crée une nouvelle manière de lire et de voir, et fait des images des diptyques peints ; la page enluminée n’est plus une illustration, mais une peinture autonome, devenue objet de référence. Enfin le style des enluminures est situé dans l’art parisien des années 1260.
5Le quatrième chapitre examine les cycles illustrés introductifs des psautiers, et la modification, au xiiie s., de l’interprétation allégorique traditionnelle des images vétéro-testamentaires. Le cinquième chapitre, lui aussi d’une richesse extrême, propose de voir dans le cycle un « programme royal », qui est également brillamment démontré pour les thèmes très originaux des enluminures des parties du psautier lui-même, comme la figure de Bethsabée nue du Beatus vir. De précieuses annexes donnent entre autres la description du manuscrit, les légendes, le calendrier, des précisions codicologiques, une concordance des attributions entre les mains des enluminures, et une étude de la reliure.
6Au final, les nouveautés et les particularités du Psautier de saint Louis prennent tout leur sens. Le cycle enluminé introductif ne suit pas le calendrier mais le précède. Il ne comporte aucune scène provenant du Nouveau Testament, et si David y apparaît souvent, ce n’est jamais dans un des épisodes de sa vie. L’analyse minutieuse et convaincante fait apparaître les relations subtiles et fortes entre l’œuvre et le roi. Le calendrier commémore les décès de membres de sa famille ; les motifs héraldiques familiaux sont nombreux. Le cycle introductif commence et se termine avec des thèmes iconographiques atypiques pour ces emplacements, ce qui a longtemps fait penser qu’une partie des enluminures en étaient perdues, mais on sait désormais que ce n’est pas le cas, et qu’il possède une cohérence interne, avec un programme iconographique clair, développant des parallèles entre Louis IX et des personnages vétéro-testamentaires.
7Le cycle commence avec les sacrifices de Caïn et Abel, soit deux actes de dévotion inégalement considérés, mais l’épisode est aussi le début de l’histoire de l’Église sur la terre. Et le cycle se termine avec le couronnement de Saül comme premier roi d’Israël, ce qui fait de cet ensemble enluminé une vraie préhistoire de la royauté biblique, si essentielle pour saint Louis, comme cela a été montré entre autres pour les vitraux de la Sainte-Chapelle.
8Avec cette dernière contribution, majeure, à la recherche, H. Stahl nous aura appris que le Psautier de saint Louis est désormais bien à considérer comme le Psautier de saint Louis, qu’il est en relation profonde avec son usage quotidien de la prière, et que la très cohérente vision de l’histoire du monde et du plan du Salut que contient le manuscrit n’est pas du tout en contradiction avec l’itinéraire individuel, les réussites et les doutes, les engagements très personnels d’un roi conscient de sa tâche à l’intérieur et au service d’une cause dont la grandeur le dépasse et l’honore. L’A. montre bien que ce manuscrit correspond à la manière dont Louis IX vivait les idéaux de royauté, et comment ces thèmes, dans les années finales de son règne, se liaient à ses anxiétés personnelles sur l’héritage qu’il allait laisser, au moment où il préparait son départ pour sa seconde, ultime – et fatale – croisade.
9Mais ce livre est aussi une leçon de méthode, dans laquelle l’histoire de l’art la plus complète, à travers des analyses codicologiques, stylistiques, iconographiques, dresse un tableau complet de son objet pour lui donner toute sa résonance dans l’histoire de la culture. On peut simplement regretter que l’éditeur ait choisi, sans explications, de ne reproduire que 56 des 78 enluminures du cycle introductif vétéro-testamentaire présent pourtant au cœur de l’argumentation de l’A., et de nous priver ainsi du matériau complet que l’on attendrait d’un tel livre.
Pour citer cet article
Référence papier
Christian Heck, « Harvey Stahl. — Picturing Kingship. History and Painting in the Psalter of Saint Louis », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 498-499.
Référence électronique
Christian Heck, « Harvey Stahl. — Picturing Kingship. History and Painting in the Psalter of Saint Louis », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18473 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128t1
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