Carlos M. Reglero de la Fuente. — Cluny en España. Los prioratos de la provincia y sus redes sociales (1073-ca. 1270) ; Id. — El monasterio de San Isidro de Dueñas en la Edad Media. Un priorato cluniacense hispano (911-1478). Estudio y colección documental
Carlos M. Reglero de la Fuente, Cluny en España. Los prioratos de la provincia y sus redes sociales (1073-ca. 1270), León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro »/ Caja España de inversiones/Archivo histórico diocesano, 2008, 866 pp. (Fuentes y estudios de historia leonesa, 122.
Carlos M. Reglero de la Fuente, El monasterio de San Isidro de Dueñas en la Edad Media. Un priorato cluniacense hispano (911-1478). Estudio y colección documental, León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro »/Caja España de inversiones/ Archivo histórico diocesano, 2005, 630 pp., 6 tabl., 6 cartes (Fuentes y estudios de historia leonesa, 106).
Texte intégral
1Résolument engagé depuis quelque temps dans les études clunisiennes, C. M. Reglero de la Fuente nous présente ici un livre fort utile sur « Cluny en Espagne », tant les travaux antérieurs ont été souvent, dans la Péninsule, empreints d’une certaine défiance à l’encontre de ces moines étrangers : accusés à la fin du xviiie s. par le jésuite Masdeu d’avoir introduit de mauvaises pratiques, ils étaient plus généralement coupables d’avoir soumis les monastères hispaniques à un regrettable centralisme extérieur (Yépes, Ramón Menéndez Pidal et même Claudio Sánchez Albornoz). À côté des travaux des historiens français, souvent décriés ou oubliés, les études des historiens anglo-saxons (Ch. J. Bishko, H. E. J. Cowdrey) et allemand (p. Segl) permirent de sortir d’une approche par trop binaire des choses (chap. i : « Historiografía sobre Cluny y España »).
2L’A. oublie résolument cette veine « nationaliste » et, alors que beaucoup de choses restent à faire, circonscrit sagement son travail en le plaçant dans une perspective résolument institutionnelle et sociale, afin de montrer, comme le fit B. Rosenwein, comment Cluny et ses prieurés parvinrent à constituer un réseau social complexe assurant son essor et sa prospérité. Délaissant à juste titre la Catalogne, il parcourt un vaste espace géographique, de la Galice à l’Aragon, sur une période allant de 1073 (première donation par Alphonse VI à Cluny d’un monastère, San Isidro de Dueñas) à 1270, lorsque les prieurés clunisiens amorcent un net déclin religieux – marqué par le relâchement de la discipline – et matériel –avec des aliénations de biens –, avant d’être intégrés vers 1500 à la congrégation de San Benito de Valladolid.
3Ce livre, ambitieux, repose sur un dépouillement systématique des sources, tout particulièrement diplomatiques. Il est augmenté de deux appendices : l’un identifie des personnes inscrites dans le nécrologe de San Zoilo de Carrión (p. 643-669) ; le second reproduit les éditions antérieures de soixante textes intéressant l’histoire clunisienne – principalement des chartes, mais aussi des extraits des Miracula sancti Zoyli. Deux index onomastique et toponymique enrichissent fort utilement un volume de très bonne facture. Le résultat est impressionnant d’érudition : ainsi disséquée, cette histoire de Cluny en Espagne nous livre quantité d’informations remettant en cause bien des préjugés et faisant de ce livre une somme désormais incontournable. Un regret – qui n’est que le revers de la médaille – : cette étude, souvent tributaire des travaux de Ch. J. Bishko, P. Segl et J. Oberste, manque parfois de souffle ; ancrée dans les sources, et parfois très descriptive, elle laisse de côté certains approches qui auraient pu s’avérer novatrice – je pense par ex. au problème d’une écriture diplomatique clunisienne, notamment pendant la période cruciale des années 1100.
4Les sources littéraires, diplomatiques, hagiographiques, normatives sont minutieusement recensées (chap. ii : « Las fuentes »), avec une place à part pour les faux, qui ne constituent pas une spécificité clunisienne, n’en déplaise à Masdeu. L’A. rejette le caractère clunisien de deux chroniques du xiie s., la Chronica Adefonsi imperatoris et la Chronique de Nájera, mais utilise les Miracles de saint Zoïle pour mesurer l’intégration sociale du prieuré de Carrión (p. 409). En revanche, le corpus des sources n’est pas clairement délimité – il oublie la documentation liturgique – et sa présentation n’est guère assortie de précautions méthodologiques.
5Pour son travail, l’A. peut s’appuyer sur son édition de la colección documental du prieuré de San Isidro de Dueñas (2005), qui commence par une présentation des sources (chap. i : « Estudio de las fuentes »), puis expose l’histoire du monastère (chap. ii : « Un monasterio benedictino bajo la protección de reyes y condes [911-1073] »), devenu prieuré (chap. iii : « La edad de oro de San Isidro de Dueñas : integración en la Ecclesia Cluniacensis y expansión del dominio [1073-1132] ») ; après une période de stabilité (chap. iv : « Un priorato cluniacense en el reino de Castilla [1135-1260] »), il connaît une crise matérielle (chap. v : « San Isidro en la Baja Edad Media [1269-1478] : La crisis económica del dominio monástico ») et religieuse (chap. vi : « San Isidro en la Baja Edad Media [1269-1478] : La crisis disciplinaria ») – selon un schéma similaire à celui des autres prieurés hispaniques de Cluny. Ce volume est clos par un catalogue des abbés et prieurs (Apéndice), ainsi que trois index (de los documentos, onomástico, toponímico).
6Les archives de ce prieuré ont particulièrement souffert du déclin du prieuré à la fin du Moyen Âge, puis, surtout, du passage des troupes napoléoniennes et de la confiscation des biens ecclésiastiques : lors d’une première desamortización en 1820, il ne restait plus que 89 parchemins. Aujourd’hui, le bilan s’est aggravé : une recherche dans différents centres d’archives a permis à l’A. de localiser six parchemins originaux destinés à San Isidro (et non pas deux, contrairement à la curieuse présentation de la p. 38). L’éditeur a remédié à cette terrible lacune grâce à plusieurs sources souvent modernes et conservées principalement à Madrid (Archivo Histórico Nacional, Biblioteca Nacional, Real Academia de la Historia) : un Índice des archives de San Isidro, réalisé entre 1683 et 1693, puis augmenté jusqu’au début du xixe s. ; le Libro del Beçerro, cartulaire de la fin du xiie s. perdu mais dont figure une copie dans l’Índice ; un résumé du Libro réalisé en 1594 par Gil Ramírez et transmis par trois copies modernes ; et diverses autres copies, notamment celles réalisées à l’occasion de conflits après l’intégration du prieuré dans la congrégation de San Benito de Valladolid (1478).
7Fidèle à la loi du genre, cette colección documental rassemble pêle-mêle tous ces documents intéressant l’histoire de San Isidro, sans se soucier de leur nature diplomatique ; elle comprend même des documents auparavant conservés à Cluny : deux originaux (nos 33 et 84), quelques copies (sur parchemin ou dans les cartulaires) et les extraits des procès-verbaux des visites et des définitions des chapitres généraux concernant le prieuré. Les transcriptions semblent globalement de qualité, même si, parfois, l’A. se contente de reprendre des éditions antérieures (en particulier G. Charvin pour les visites et les chapitres généraux, ainsi que les chartes du monastère de Las Huelgas et de la cathédrale de Burgos).
8L’histoire de San Isidro montre parfaitement que les relations établies entre les rois et Cluny expliquent largement le succès initial et l’essor des implantations clunisiennes dans la Péninsule (chap. ii : « La monarquía »). Le mouvement commence avec Sanche III le Grand (1000-1035), qui fait introduire les coutumes du monastère bourguignon dans plusieurs monastères – en premier lieu à San Juan de la Peña. Par la suite, plusieurs souverains font montre d’une proximité toute particulière avec Cluny : Ferdinand Ier (1037-1065), qui instaure un cens pour obtenir les prières du monastère et inaugure ainsi une communauté spirituelle, encore bien visible dans les statuts d’Hugues V (1200) ; Alphonse VI (1065-1109), qui double le cens de son père et, le premier, donne un monastère, en l’occurrence San Isidro – inaugurant une série de donations et de privilèges particulièrement nombreux au xiie s. sous Urraca, Alphonse VII et Sanche III de Castille.
9En tout, quatorze monastères sont ainsi concédés par les rois et infants jusqu’en 1226, date de la dernière donation par Ferdinand III de Castille (en faveur de San Zoilo de Carrión) ; il convient d’ajouter les huit monastères dépendants de Santa María de Nájera, l’un des grands prieurés clunisiens (soutenu tout particulièrement par García III, Alphonse VII et Sanche III). Par ailleurs, six monastères, proches de Cluny, restent pourtant des abbayes, parfois en raison de l’opposition des moines comme à Sahagún (1132) et à Cardeña (1142). En revanche, à partir du xiiie s., et surtout à partir de 1230, les donations royales déclinent.
10Si les deux tiers des prieurés sont donnés par des souverains ou des infants, un tiers l’est par l’aristocratie, et d’abord, d’un point de vue chronologique, par la haute noblesse (chap. iv : « La nobleza ») : ainsi San Zoilo de Carrión, donné en 1076 par la comtesse Teresa, mentionnée comme moniale ou comme comtesse dans les nécrologes clunisiens d’outre-Pyrénées, et appartenant à la grande famille des Banu Gómez – qui fait de ce prieuré sa nécropole. Alors que les grands nobles réorientent leurs libéralités vers les nouvelles congrégations (cisterciens, prémontrés…), ils sont remplacés à partir du milieu du xiie s. par la noblesse locale, souvent de modeste extraction : ses donations sont pour elle le moyen d’accroître son prestige local et, parfois après des conflits, son influence au sein du prieuré. Ce recours à d’autres groupes sociaux témoigne alors d’une capacité d’adaptation, qui explique, selon l’A., le succès et la longévité de la présence clunisienne en Espagne.
11Avant le milieu du xiie s., les relations avec l’épiscopat sont facilitées par le nombre important d’anciens clunisiens devenus prélats – même si Bernard de Tolède et les évêques qui lui sont proches semblent constituer un môle de résistance anti-clunisienne (chap. v : « Los obispos »). Le changement sociologique du groupe épiscopal – le dernier clunisien meurt en 1183 – s’accompagne comme dans le reste de l’Europe d’une multiplication des conflits autour de l’exemption, où les principales armes sont, du côté monastique, la falsification diplomatique, et l’excommunication et l’interdit pour l’évêque – qui parvient in fine à imposer sa juridiction et sa fiscalité sur le clergé et les églises des paroisses dépendant des prieurés.
12Les prieurés, souvent implantés en ville ou à proximité, sont aussi confrontés à l’émergence des communautés d’habitants, des concejos (chap. vi : « Concejos, clérigos y campesinos ») ; les conflits, nombreux, concernent surtout le choix des clercs dans les églises dépendants des prieurés et sont souvent réglés par l’évêque ou la justice royale en faveur des concejos, par le biais de convenientiae. Pourtant, ces prieurés parviennent à se constituer localement un réseau de clercs et de laïcs, plus ou moins dépendants, parfois intégrés dans la familia même du monastère ou constituant une confrérie fondée par un pactum ou une convenientia de confraternitate. Ils jouent alors un rôle d’intermédiaire entre le prieuré et la société environnante et peuvent bénéficier de pouvoirs au sein même du monastère – ainsi ces clercs dépendants de San Román de Entrepeñas entre la fin du xiie s. et le milieu du xiiie, qui participent aux décisions du prieuré –, ainsi que de privilèges – la sépulture monastique, la participation à la liturgie monastique. Ce réseau, qui « compense » le progressif retrait du soutien de la royauté et de la haute noblesse, explique alors largement le maintien de Cluny dans la Péninsule.
13Pourtant, le bilan de l’implantation clunisienne en Espagne demeure modeste (chap. vii : « Monasterios y monjes cluniacenses en España ») : entre 135 et 180 moines durant la première moitié du xiiie s., répartis vers 1200 en dix-sept prieurés (dont une abbaye, Cornellana) et dix-sept « sous-prieurés ». Tant et si bien que, à rebours des questionnements de l’A., l’on se demande quels sont les facteurs culturels qui expliquent une implantation si réduite et si limitée d’un point de vue géographique – au nord de la Péninsule. La question mérite d’autant plus d’être posée que, jusqu’au début du xiiie s., les Francos sont nombreux dans les prieurés hispaniques, tout particulièrement au poste de prieur. Se trouve ainsi posé tout le délicat problème de l’acculturation de ce monachisme, de cette Ecclesia puis de cet ordre (à partir du début du xiiie s.), organisé de manière très monarchique à l’échelle de l’Occident (chap. viii : « La provincia de Hispania y Cluny »). Comme ailleurs, la province d’« Espagne » est confiée au début du xiie s. à un camerarius, qui devient fixe après 1142 : ce prieur (celui de Carrión à partir de 1220) gouverne au xiiie s. avec l’aide d’un chapitre provincial. Au total, nous disposons désormais d’une solide étude, qui, nous l’espérons, suscitera de nouvelles investigations dans un domaine encore largement inexploré.
Pour citer cet article
Référence papier
Thomas Deswarte, « Carlos M. Reglero de la Fuente. — Cluny en España. Los prioratos de la provincia y sus redes sociales (1073-ca. 1270) ; Id. — El monasterio de San Isidro de Dueñas en la Edad Media. Un priorato cluniacense hispano (911-1478). Estudio y colección documental », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 485-487.
Référence électronique
Thomas Deswarte, « Carlos M. Reglero de la Fuente. — Cluny en España. Los prioratos de la provincia y sus redes sociales (1073-ca. 1270) ; Id. — El monasterio de San Isidro de Dueñas en la Edad Media. Un priorato cluniacense hispano (911-1478). Estudio y colección documental », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sy
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