Édouard A. Jeauneau, éd. — Guillelmi de Conchis Glosae super Platonem
Édouard A. Jeauneau et Guillaume de Conches, Guillelmi de Conchis Glosae super Platonem, Turnhout, Brepols, 2006, CXLVI-402 pp., 4 h.-t. (Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis, 203).
Texte intégral
1Entre la première édition des Gloses de Guillaume de Conches sur le Timée que livrait E. Jeauneau en 1965 et la présente édition, due au même spécialiste, les historiens de la culture ont affiné et différencié l’image des penseurs habituellement réunis sous l’étiquette « École de Chartres », avant qu’en 1970 R. W. Southern ne contestât l’existence et surtout l’importance d’une telle « école », caractérisée par des traits humanistes (« Humanism and the School of Chartres », dans Medieval Humanism and other Studies, Oxford, 1970, p. 61-85). Par ailleurs, le xiie s. latin a depuis considérablement gagné en épaisseur et en diversité. Les nouvelles recherches sur Constantin l’Africain ou sur Némésius d’Émèse (dans la traduction d’Alfanus de Salerne) ont par exemple permis de mieux documenter les réceptions de la médecine antique. Dans le cas des gloses de Guillaume de Conches sur le Timée, cet apport se révèle primordial. La bibliographie et l’apparat des sources de la présente édition manifestent bien les progrès de la recherche : plus de soixante-cinq pour cent des éditions de sources mentionnées (près de soixante-dix travaux) sont postérieures à 1965.
2Le projet d’édition des œuvres de Guillaume de Conches dans le Corpus christianorum fut formulé en 1988 et la direction en fut confiée à E. Jeauneau. À ce jour trois volumes sont parus : le Dragmaticon publié en 1997 par I. Ronca, les Glosae super Boetium livrées en 1999 par L. Nauta et les Glosae super Platonem dans la nouvelle version présentée ici. Le lecteur attend encore une nouvelle édition de la Philosophia (confiée à P. E. Dutton), ainsi que les éditions complètes des Glosae super Macrobium (par H. Rodnite Lemay) et des Glosae super Priscianum (par I. Caiazzo), commentaires dont seuls quelques extraits sont aujourd’hui disponibles en éditions critiques. Issues souvent de l’enseignement, les œuvres de Guillaume présentent les formes de complication inhérentes à l’édition de textes médiévaux : problèmes d’authenticité et de datation, mais aussi difficulté à stabiliser un texte transmis partiellement dans divers manuscrits après avoir parfois donné lieu à plusieurs rédactions successives par son auteur, sans exclure la survivance parallèle de réélaborations dues à d’autres auteurs.
3Selon les conclusions de leur éditeur, les Glosae super Platonem de Guillaume de Conches pourraient actualiser ces deux cas de figures. Elles pourraient avoir bénéficié de deux rédactions successives, car elles renvoient à la Philosophia, qui renvoie elle-même aux Glosae. Si cette hypothèse reflète la réalité, le texte édité ici correspond à la seconde rédaction ; E. Jeauneau souligne cependant la dimension conjecturale de la thèse de la double rédaction (p. xxxv), dans la mesure où il n’est pas rare de voir un auteur médiéval renvoyer à une œuvre encore en chantier. D’autre part, l’un des changements majeurs de cette édition par rapport à celle de 1965 est la disqualification du manuscrit V (Venise, Bibl. Marciana, lat. Z. 225), de facture humaniste, contenant une versio longior incomplète des Gloses sur le Timée. Plutôt qu’une troisième rédaction, l’éditeur y voit désormais une réélaboration postérieure, par un autre maître. Par rapport à la première édition de 1965, A. Jeauneau renonce donc à l’indication de plusieurs variantes de V en apparat et à l’édition en appendice du morceau constitué par les chapitres ii-xxii, aberrant par rapport au reste de la tradition manuscrite. Du point de vue codicologique, la seconde importante innovation de cette édition est la prise en compte de trois nouveaux témoins, en sus des huit manuscrits collationnés en 1965 : les manuscrits Q (Pommersfelden, Gräflich Schönbornsche Schlossbibliothek, 261), R (Prague, Bibl. nat. et univ. IV.B.24 [626]), et S (Salamanque, Bibl. univ., 2322).
4La nouvelle édition de 2006 adopte cependant les mêmes principes que celle de 1965. Faisant le choix d’un (même) manuscrit de base (Florence, Bibl. naz., Conventi Soppressi E.8.1398 = F), elle ne prétend pas opérer des révolutions dans le texte de la première édition (p. xcvi) ; elle procède cependant à un réexamen précis de nombreux lieux et variantes. Ces améliorations ne sont pas seulement dues à l’apport de trois témoins supplémentaires, mais aussi à la meilleure connaissance des textes en circulation au xiie s. Une prise en compte accrue des Glosae super Boetium de Guillaume, antérieures, permet à l’A. de modifier quelques appréciations. Il rétablit par exemple les lignes 23-27 du chapitre lv, présentes seulement dans F et que l’édition de 1965 reléguait dans l’apparat : leur conformité avec les propos tenus par Guillaume dans les Glosae super Boetium ne permet pas de les exclure a priori du texte. À cet égard, E. Jeauneau souligne les manques de l’édition critique de la traduction latine du Timée par Calcidius – texte commenté par les médiévaux ; publiée en 1975 par J. H. Waszink, cette édition ne livre que peu de leçons « défectueuses » et ne permet pas de supputer les différences entre les versions utilisées par les commentateurs médiévaux (p. c). Guillaume de Conches commentait manifestement un autre texte que Bernard de Chartres, son probable maître ; il n’ignorait d’ailleurs pas l’existence de versions différentes.
5Du point de vue formel, l’édition de 2006 rétablit les diphtongues ae et oe – en accord avec les réflexions émises par Guillaume dans ses Glosae super Priscianum au sujet de l’importance de cette graphie pour la bonne prononciation (p. ciii).
6De manière générale, elle privilégie la lisibilité du texte. La grande beauté de l’édition reflète parfaitement l’excellence du travail d’édition. La présentation du double apparat – des sources et des variantes – est élégante et claire, l’apparat des sources particulièrement riche : il ne se contente pas de renvois mais cite souvent les propositions auxquelles Guillaume se réfère.
7Enfin, deux appendices permettent d’évaluer l’importance des Glosae super Platonem dans la tradition médiévale. Le premier présente un certain nombre de documents contenant des traces et des extraits de ces gloses et de la Philosophia. Le second livre les Glosulae Digbeianae (ms. Digby 217 de la Bodleian Library), publiées une première fois en 1966 (E. Jeauneau, « Gloses sur le Timée du manuscrit Digby 217 de la Bodléienne, à Oxford », Sacris Erudiri, 17, 1966, p. 365-400). La traduction du Timée par Calcidius y est dotée d’un double système de gloses, interlinéaires et marginales. La plus grande partie de ces dernières sont empruntées aux Glosae de Guillaume ; elles ne s’accordent pas toujours avec les gloses interlinéaires, signalant ainsi l’usage de versions différentes de la traduction de Calcidius.
8L’introduction doctrinale et biographique reprend et met à jour l’introduction de la première édition. La méthode exégétique de Guillaume y est présentée, avec un accent porté sur la notion d’integumentum (id., « L’usage de la notion d’integumentum à travers les gloses de Guillaume de Conches », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 24, 1957, p. 35-100). L’approche du Timée à l’œuvre dans les gloses se caractérise par sa dimension totale : grammaticale, philologique et philosophique. Selon Guillaume, le Timée concerne d’ailleurs toutes les disciplines du savoir philosophique – théologie, mathématique et physique. Il prolonge et parfait les decem uolumina de re publica en étudiant la justice naturelle – l’ordre du monde –, qui est principe de la justice positive.
Pour citer cet article
Référence papier
Catherine König-Pralong, « Édouard A. Jeauneau, éd. — Guillelmi de Conchis Glosae super Platonem », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 475-477.
Référence électronique
Catherine König-Pralong, « Édouard A. Jeauneau, éd. — Guillelmi de Conchis Glosae super Platonem », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18367 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sr
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