Bernard Guidot, trad. — Girart de Vienne
Bernard Guidot, Girart de Vienne, Paris, Champion, 2006, xlv-260 pp. (Traductions des Classiques français du Moyen Âge, 74).
Texte intégral
1La chanson de Girart de Vienne, l’un des textes épiques les plus importants du cycle de Guillaume d’Orange, a fait l’objet en 1977 d’une belle édition due à W. Van Emden dans la collection de la Société des anciens textes français. L’intérêt de ce poème, œuvre du trouvère Bertrand de Bar-sur-Aube, est de rattacher l’histoire d’un baron révolté contre son roi, Girard de Vienne ou de Fraite, à la fois au cycle de Narbonne – Girard est présenté comme l’oncle d’Aymeri, qui fait ici une entrée fracassante sur la scène épique – et à la tradition rolandienne, puisque l’un des moments essentiels du poème est le combat entre Roland, neveu de Charles, et Olivier, neveu de Girard, Roland devenant bientôt le fiancé d’Aude, sœur d’Olivier : Girart de Vienne devient ainsi un prélude à la Chanson de Roland.
2Il était donc souhaitable que ce texte fasse l’objet d’une traduction qui le mette à la portée d’un vaste public et facilite son accès aux étudiants. B. Guidot, familier à la fois du travail d’édition et de celui de la traduction (outre ses traductions de deux textes du cycle des Lorrains, Garin le Lorrain et Gerbert de Metz, on peut citer son édition et sa traduction du Siège de Barbastre), s’est chargé avec bonheur de cette tâche. Une introduction développée (45 pages) présente les caractéristiques littéraires les plus notables du texte : univers du conflit, types de personnages, importance de la parole, présentation d’un rapport exceptionnellement respectueux des chrétiens avec un juif. Des notes abondantes et érudites justifient ou commentent la traduction de certains passages ; elles sont accompagnées d’un index des noms propres et d’un choix de références bibliographiques qui embrasse les différentes questions posées par la chanson.
3La traduction vise à la fois la fidélité au texte et la clarté dans l’expression. B. Guidot n’esquive pas, par ex., les clichés ou épithètes de nature caractéristiques du style épique ; mais il s’efforce de les rendre accessibles au lecteur contemporain : « corant tot abrivez » (v. 2480) est heureusement traduit par « à toute vitesse », « le bons vasaus cremuz » (v. 2695) par « vaillant vassal qui suscite la crainte » ; de même « ne se prise un denier » (v. 4207) est rendu par « il n’aura plus la moindre estime pour lui ». Parfois l’équivalent proposé pourrait être resserré : dans le portrait d’Aude, la traduction de l’expression « le sanc vermeil li est el vis monté » (v. 3396) par « son visage, au gré des émotions, pouvait se caractériser par un bel incarnat » développe un peu trop une formule sans doute banale, comme le rappelle la note, mais qui renvoie au topos du portrait féminin (voir Blanchefleur dans le Conte du Graal, « li vermauz sor le blanc asis », v. 4182), lequel associe la blancheur parfaite et la couleur vermeille : on pourrait suggérer « et l’incarnat du sang vermeil paraît sur son visage ».
4Nous avons donc affaire à une traduction à la fois exacte et fluide, qui permet de goûter la qualité de l’écriture de Bertrand de Bar-sur-Aube. Si le texte n’offre pas en général de très grandes difficultés d’interprétation, certains passages demeurent délicats. On louera le traducteur de n’avoir pas éludé ces difficultés et de s’être expliqué sur ses choix, qu’il appuie à juste titre, sur les notes et le glossaire de l’édition Van Emden. Nous signalerons seulement quelques passages pouvant donner lieu à discussion.
5Au v. 1873 : on peut penser que c’est la reine qui se laisse tomber en arrière (sur un coude ?) et échappe ainsi au couteau lancé par Aymeri ; v. 3721 : il vaudrait peut-être mieux garder le neutre (« quanque ») et traduire « Tout ce que vous regardez n’est pas vôtre », même si Girard fait effectivement allusion à Aude, comme le relève immédiatement Lambert ; v. 3816 : « de l’autre part » pourrait désigner plutôt le camp des adversaires de Lambert, c’est-à-dire celui des Viennois, dont il est important pour son honneur qu’il reçoive un gage ; v. 4939 : « sor » fait effectivement difficulté, à moins que l’« ermin peliçon » ne désigne le tapis sur lequel est parfois placé le guerrier qui s’arme (voir Charlemagne dans Aspremont, v. 3503-3504).
6Ces quelques remarques n’ôtent évidemment rien à la grande qualité d’une traduction sûre et qui garde le souffle de l’épopée médiévale.
Pour citer cet article
Référence papier
François Suard, « Bernard Guidot, trad. — Girart de Vienne », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 473-474.
Référence électronique
François Suard, « Bernard Guidot, trad. — Girart de Vienne », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18358 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sp
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