Sylvain Gouguenheim. — Les Chevaliers teutoniques
Sylvain Gouguenheim, Les Chevaliers teutoniques, Paris, Taillandier, 2007, 775 pp. (Moyen Âge).
Texte intégral
1L’ouvrage de Sylvain consacré à l’ordre teutonique est divisé en quatre parties : un ordre militaire ; la conquête de la Prusse ; un souverain ; une grande puissance européenne.
2L’essentiel de l’ouvrage est consacré à la naissance en mars 1198 de l’ordre Teutonique, à son développement jusqu’à son déclin au xvie s. En voici les grandes lignes. Le 19 février 1199 le pape Innocent III approuve la militarisation de l’Ordre et lui confère comme règle celle du Temple pour ses activités militaires et celle de l’Hôpital pour ses missions caritatives. Le pape Honorius III lui accorde en 1211, à la demande de l’empereur Frédéric II, le manteau blanc des Templiers, manteau orné d’une croix noire. En janvier 1221, Honorius III confère aux Teutoniques l’égalité de droits et de privilèges avec les ordres du Temple et de l’Hôpital.
3Le berceau de l’Ordre est la Terre sainte, la Sicile sa première terre d’élection grâce à Frédéric II et au grand-maître Hermann de Salza. Dès la fin du xiie s. et le début du xiiie, l’Ordre prend pied en Allemagne grâce aux princes laïcs allemands. Frédéric II multiplie les dons de terres, d’hôpitaux et de droits de patronage. L’Ordre acquiert également des biens en Italie.
4D’abord appelés en 1211 en Hongrie où il reçoit du roi André II le Burzenland, il entre en conflit avec l’évêque de Transylvanie puis est expulsé en 1224 parce qu’il prend trop d’importance. Dans les années 1226-1228, il est appelé en Prusse par Conrad, le duc de Mazovie, afin de l’aider à lutter contre les Prutènes païens et de christianiser le pays. En échange de son aide, Conrad lui offre la terre du Culmerland.
5La règle de l’ordre Teutonique est définitivement rédigée entre 1244 et 1250, mais le plus ancien manuscrit date du 1er octobre 1264. Cette règle reçoit plusieurs modifications jusqu’au xve s. C’est un ordre lié à la papauté qui multiplie les privilèges qui lui assurent l’autonomie. Chevaliers de la Vierge, les Teutoniques se qualifient de « nouveaux Macchabées » en référence aux combattants juifs révoltés sous la conduite de Judas Macchabée contre le roi Antiochos IV Épiphane, au iie siècle avant J.-C.
6S. Gouguenheim expose de façon claire la vie quotidienne des Teutoniques ; leur statut ; leur hiérarchie ; leur recrutement ; l’organisation territoriale avec le grand-maître, les Landmeister à la tête des trois principales branches de l’Ordre, l’Allemagne, la Prusse et la Livonie : le maître d’Allemagne, le maître de Prusse (cette fonction disparaît en 1324 après l’installation de l’Ordre à Marienburg et elle est absorbée par celle du grand-maître) et le maître de Livonie ; les commandeurs, chefs des commanderies et des baillages. Nous sont présentés la culture des Teutoniques, la liturgie, les ouvrages réalisés au sein de l’Ordre et à son intention, par ex. le Passional, les livres de Judith et d’Esther, de Daniel, d’Esdras et Néhémie, des Macchabées, qui doivent soutenir le moral des combattants, les chroniques de l’Ordre, par ex. celle de Pierre de Dusbourg, son adaptation allemande par Nicolas de Jeroschin, la Kronike von Pruzenland, l’Ancienne Chronique des grands-maîtres. Il est question de ces chroniques, qualifiées à juste titre d’œuvres de propagande, en plusieurs endroits de l’ouvrage.
7Dans la deuxième partie est relatée la conquête de la Prusse : la présentation des Prutènes, leur christianisation, leurs révoltes, la bulle papale de Rieti (1234), qui fait de l’Ordre l’unique maître de la terre de Prusse, la Bulle d’or de Rimini (1226/1235) délivrée par Frédéric II pour Hermann de Salza et accordant à celui-ci les mêmes droits que les princes d’Empire, la guerre de conquête (1230-1283) avec l’édification des châteaux de l’Ordre ; l’insertion de cette guerre, qui devient une guerre internationale quand les princes d’Empire viennent au secours de l’Ordre, dans la croisade universelle.
8La troisième partie montre comment l’Ordre construit sa domination en éliminant ses rivaux, crée des institutions, encadre le pays, délimite et défend ses frontières, bref se conduit en chef d’État, sans avoir de modèle à imiter parmi les autres ordres militaires.
9La quatrième partie traite des relations diplomatiques de l’Ordre avec les puissances voisines. Ces relations sont pacifiques avec la Hanse ou les principautés scandinaves ; elles sont plus complexes avec les Polonais. Après la conquête de la Prusse, la Lituanie païenne devient l’ennemi principal. Les Lituaniens menacent directement les possessions de l’Ordre. Surtout, ils constituent en quelque sorte l’ennemi naturel d’un Ordre dont la légitimité repose sur l’idéologie de la croisade et sur le combat contre les païens. La conversion du souverain lituanien, Jagellon, en 1386, ainsi que son union avec l’héritière de la couronne polonaise placent les Teutoniques dans une situation inconfortable. Ils tentent vainement de légitimer la poursuite de leur lutte. La bataille de Tannenberg (1410), où meurent de nombreux chevaliers de même que le grand-maître Ulrich de Jungingen, marque le début du déclin des Teutoniques. Cependant ce sont surtout des difficultés internes de même que l’opposition des villes de l’État teutonique et de la noblesse qui s’allient au roi de Pologne qui causent la perte des Teutoniques.
10Après la Guerre de Treize Ans (1454-1466) et la seconde paix de Thorn (1466), la Prusse occidentale est intégrée à la Pologne ; les Teutoniques ne conservent que la partie orientale de la Prusse avec Königsberg et le grand-maître devient vassal du roi de Pologne. En 1525, le dernier grand-maître, Albert de Brandebourg devient luthérien et prend le titre ducal : s’agenouillant devant le roi de Pologne, Sigismund Ier, il lui rend hommage. La domination teutonique en Prusse prend fin, et la Prusse orientale, qui demeure un pays de langue allemande, est intégrée à la Prusse. Seule la Livonie demeure indépendante avant d’être vaincue par Ivan le Terrible, au xvie s.
11Après la sécularisation de 1525, il ne reste à l’Ordre que les biens du Saint Empire, où la guerre des paysans fait rage. À partir de 1590, ce sont les Habsbourg d’Autriche qui deviennent les grands-maîtres de l’Ordre. Celui-ci est dissout par Napoléon en 1809 dans les États de la Confédération du Rhin. Toutefois il survit, adopte en 1835 de nouveaux statuts et réside à Vienne. À partir de 1929, les grands-maîtres sont pour la première fois des ecclésiastiques. Interdit et persécuté par les nazis, l’Ordre se reconstitue après 1945 : toujours installé à Vienne, dans la Singerstraße, il se consacre encore de nos jours à des actions caritatives.
12La liste des dignitaires de l’Ordre jusqu’au milieu du xvie s., une abondante bibliographie – non commentée –, un index des noms propres complètent l’ouvrage, qui est remarquable de rigueur, de précision, de détail érudit et écrit dans une langue sans apprêts, mais très fluide. La mise en forme, très austère (il n’y a en particulier aucune illustration ni photographie), est assez soignée (peu de coquilles ou fautes d’impression). Mais pourquoi prendre pour la page de couverture cette miniature du manuscrit de Manesse représentant le poète allemand du xiiie s. Tannhäuser (la seule explication donnée est « illumination, Zurich, 1310-1340 »), et pourquoi opter pour la dénomination « ordre Allemand » qui évoque un tout autre ordre, l’ordre allemand ?
Pour citer cet article
Référence papier
Danielle Buschinger, « Sylvain Gouguenheim. — Les Chevaliers teutoniques », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 470-471.
Référence électronique
Danielle Buschinger, « Sylvain Gouguenheim. — Les Chevaliers teutoniques », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18335 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sn
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