Theodore Evergates. — The Aristocracy in the County of Champagne, 1100-1300
Theodore Evergates, The Aristocracy in the County of Champagne, 1100-1300, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2007, 432 pp., 32 tabl., 2 cartes (The Middle Ages Series).
Texte intégral
1Depuis H. d’Arbois de Jubainville dans les années 1860, très peu d’historiens ont travaillé sur la Champagne au xiiie s. On citera l’étude d’E. Chapin sur Les villes de foires de 1937, le grand Dictionnaire historique de la Champagne méridionale d’A. Roserot, publié par son fils en 1942-1948, la monographie de M. Veissière sur Saint-Quiriace de Provins en 1961, celle de M. Belotte sur La région de Bar-sur-Seine en 1973 et un certain nombre d’articles érudits concernant des familles seigneuriales, surtout de la périphérie du comté. Th. Evergates, qui a déjà écrit un livre sur La société féodale dans le bailliage de Troyes en 1975, publie aujourd’hui une belle synthèse sur l’aristocratie du comté dans son ensemble, centrée sur un large xiiie s. Nul n’était mieux préparé que l’A., excellent connaisseur des cartulaires et des registres de la chancellerie comtale, pour écrire cet ouvrage dont les chapitres successifs exploitent avec clarté et pertinence toutes les informations tirées de ces documents.
2Les cent quatre-vingt-seize premières pages offrent un exposé complet de la question du point de vue institutionnel et social. Th. Evergates étudie d’abord les rapports du comte avec ses vassaux, montrant comment les structures féodales ont évolué, le comte parvenant à régler au mieux la dévolution des châteaux entre héritiers, tant garçons que filles, tout en s’assurant par divers moyens que toutes les places fortes du comté lui seraient « jurables et rendables », n’hésitant pas non plus, lorsque l’occasion se présentait, à réunir les châtellenies en déshérence à son domaine propre. Cette première partie se conclut par des remarques intéressantes sur la fluidité du marché des fiefs et la généralisation des pratiques d’amortissement.
3À partir du quatrième chapitre et jusqu’au huitième et dernier, l’éclairage se déplace du comte vers les familles seigneuriales, dont le comportement n’obéit en aucune façon au schéma agnatique et patrilinéaire dans lequel, selon Th. Evergates, G. Duby aurait voulu les enfermer. C’est la famille conjugale qui est examinée ici dans son fonctionnement à travers de nombreux exemples qui donnent vie à un exposé, dont on aurait pu redouter a priori l’aridité. Le rôle de la femme est particulièrement souligné en tant qu’épouse, mais aussi en tant que mère et que veuve. Dévolution successorale, dot et douaire, transmission des noms… font l’objet d’analyses éclairantes, révélant un régime juridique champenois à la fois souple et équitable entre les sexes. À l’aide de soixante-quatre fiches biographiques, Th. Evergates décrit les principales étapes de l’existence de personnages appartenant à la haute aristocratie : date du mariage, des premières relations conjugales, du divorce lorsqu’il se produit, du premier veuvage, du remariage, du second veuvage, de l’entrée en religion parfois, enfin du décès… pour les femmes dont certaines vivent jusqu’à quatre-vingts ans passés et, pour les hommes, date de la majorité, de l’adoubement, du mariage, de la prise de possession du ou des châteaux ou simplement des fiefs quand il s’agit d’héritage sans château, etc., les noms les plus cités étant, entre autres, ceux des seigneurs de Bar-sur-Seine, Châtillon-sur-Marne, Dampierre (de l’Aube), Joinville, Montmirail, Ramerupt, Villehardouin.
4La seconde partie de l’ouvrage est constituée par les preuves, comme on disait jadis, de ce qui est exposé dans la première, soit seize tableaux généalogiques et seize tables quantitatives relatives au nombre des vassaux (1900 à la fin du xiie s. et seulement 800 un siècle plus tard), à l’estage (en regression), au transfert des fiefs, à leur valeur, à la dévolution des châteaux, puis, dans un second temps, à l’âge des comtes et des comtesses, à la différence d’âge entre époux, à la durée des mariages, au nombre d’enfants nés d’une première puis d’une seconde union, à la longévité des individus… bref, tout ce qui a nourri l’étude sociologique d’une élite régionale soumise à son prince entre 1180 et 1285.
5Le classicisme de la démarche dans un paysage bien ordonné, où figurent au moment voulu les preux chevaliers et les nobles dames que l’on attend, fait un peu regretter que l’A. n’ait pas cherché à débusquer quelque gibier plus original : à Vanault-le Châtel, par ex., où en trois générations un nouveau lignage construit un château, par mariage en obtient deux autres, se met à cousiner avec les empereurs Hohenstaufen, case un fils comme prince-évêque de Liège et pour finir hérite du petit mais prestigieux comté de Roucy. Autre terrain de recherche : dans toutes ces familles nobles, n’y a-t-il jamais eu d’enfants illégitimes ? Les textes sont assez muets à cet égard, encore que l’on sache très bien par Robert de Thorigny qu’un bâtard de Thibaud II est devenu abbé de Lagny. Thibaud le Chansonnier eut quatre bâtardes et Henri III un. Il est certainement possible de cerner des zones d’ombre dans la carrière de certains personnages qui n’ont pas toujours voulu oublier ce qu’ils avaient fait. Enfin, il y a l’image que d’aucuns, comme Guy de Bazoches, conservaient d’une ascendance prestigieuse tant en ligne masculine que féminine. La généalogie détaillée qu’il a donnée de ses ancêtres, surtout par les femmes, éclaire l’historien sur des traits de mentalité que beaucoup de membres de l’aristocratie champenoise ont dû partager. Au total, chacun le sait, même dans la meilleure des synthèses, la recherche n’est jamais terminée.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Bur, « Theodore Evergates. — The Aristocracy in the County of Champagne, 1100-1300 », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 467-468.
Référence électronique
Michel Bur, « Theodore Evergates. — The Aristocracy in the County of Champagne, 1100-1300 », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18307 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sl
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