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Comptes rendus

Peter Dinzelbacher. — Warum weint der König ? Eine Kritik des mediävistischen Panritualismus

Jacques Le Goff
p. 459-460
Référence(s) :

Peter Dinzelbacher, Warum weint der König ? Eine Kritik des mediävistischen Panritualismus, Badenweiler, Bachmann, 2009, 138 pp., 7 ill.

Texte intégral

1Dans un petit essai en deux parties, P. Dinzelbacher traite d’abord de la signification des larmes chez les puissants et les héros du Moyen Âge, et ensuite des rituels de guérison au Moyen Âge. Dans les deux cas, son intention est de critiquer la forte tendance chez les médiévistes allemands à accorder aux rituels une importance particulière dans l’Occident médiéval.

2Dans le premier essai, il s’attaque plus spécialement à l’historien G. Althoff en qui il dénonce un utilisateur excessif de ce qu’il appelle le panritualisme. Il critique notamment son article « Der König weint. Rituelle Tränen in öffentlicher Kommunikation » (dans « Aufführung » und « Schrift » in Mittelalter und früher Neuzeit, Stuttgart, 1996), un article qui reprend l’exposé général, clair et précis, que G. Althoff avait présenté dans les colloques de Sèvres (1997) et de Göttingen (1998) qui ont été publiés en un seul volume utile et très intéressant par les Publications de la Sorbonne en 2002 sous le titre Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne. La section « Rituel et institutions », qui couvre une cinquantaine de pages, comprend un article de G. Althoff et un autre de G. Melville. Ces articles sont suivis par deux commentaires français, celui de Ph. Buc et celui de C. Gauvard. Dans sa contribution, G. Althoff signale que l’histoire s’était trop peu, à son avis, préoccupée de l’étude des rituels et que les points de départ de cette étude étaient plutôt à chercher dans l’ethnologie, l’anthropologie, la sociologie, sans oublier l’éthologie et la théologie. Et il indique ses principales sources dans ces domaines dont l’ouvrage de Clifford Geertz (j’y ajouterai pour l’historiographie française l’ouvrage traditionnel d’Arnold van Gennep, Les rites de passage, 1909). Il note que les rituels exprimaient entre autres choses la hiérarchie sociale et dominaient la communication publique au Moyen Âge. Il montre comment les rituels jouent un rôle essentiel, non seulement comme on le croit aisément dans la vie religieuse, mais aussi et peut-être surtout dans la vie politique et sociale. Il analyse les banquets de paix, les rituels de soumission, les rituels des liens féodaux, remarquant que les rituels, tout en donnant l’impression d’actes spontanés, ne faisaient que reproduire un modèle depuis longtemps mis au point. Ainsi, en contradiction avec l’image d’un Moyen Âge en conflit perpétuel, les rituels ont souvent pour but l’établissement du consensus et poussent à accomplir publiquement la plupart des actes importants de la vie sociale.

3À une époque durant laquelle le théâtre était longtemps absent, les rituels tenaient lieu d’une sorte de mise en scène presque incessante et permettaient à un grand nombre d’hommes et de femmes de comprendre aisément l’accomplissement et la signification des actes qui seraient, sans eux, restés connus et compris seulement des puissants et des élites. G. Althoff ne prononce pas le mot, mais à le lire, on a presque l’impression que les rituels produisent une sorte de démocratisation de la vie sociale. J’ajouterai que les rituels ont bien une place importante dans cet univers de signes et de gestes, ce que les historiens français notamment ont de plus en plus tendance à souligner, tels M. Pastoureau dans le domaine symbolique et J.-C. Schmitt dans le domaine gestuel.

4P. Dinzelbacher conteste que, dans les passages assez nombreux dans les chroniques et les romans du Moyen Âge, la nature des larmes qu’y versent souvent les rois soit un rituel d’un pouvoir supérieur de pénitence accordé au souverain et ne s’explique en réalité que par des réactions psycho-sensuelles. J’ai l’impression que, bien qu’il n’y fasse qu’à peine allusion – car ce type d’histoire est encore semble-t-il dans les limbes –, il s’orienterait plutôt vers une problématique d’histoire des passions et des émotions, dont l’initiatrice a été l’excellente médiéviste américaine Barbara Rosenwein, et qui vient d’être développée dans une série d’articles publiée sous la direction de P. Nagy et D. Boquet (Le sujet des émotions au Moyen Âge, Paris, 2008).

5Le second essai de P. Dinzelbacher sur les rituels de guérison me semble poser moins de problèmes, bien qu’il invite à approfondir les nombreuses études sur les guérisons par les saints (qui relèvent en fait de miracles) et à étudier de façon plus poussée que cela n’a été fait jusqu’à aujourd’hui le développement de la médecine dans l’Occident médiéval.

6Pour revenir aux larmes du roi, je souligne d’abord que les réticences de l’A. ont été, dans d’autres perspectives, plus ou moins partagées par Ph. Buc (Dangereux rituels, Paris, 2003). En revanche, C. Gauvard me paraît définir avec beaucoup de justesse l’importance des rituels quand elle montre avec perspicacité dans l’article ci-dessus mentionné qu’ils « créent pour l’ensemble du corps social, de façon nécessairement paradoxale, une plage de liberté et une force de contrainte ».

7Je noterai d’abord qu’il est regrettable pour l’approfondissement de ce débat très intéressant que P. Dinzelbacher n’ait pas développé son allusion aux « larmes refusées à saint Louis », si heureusement mises en valeur par Michelet dans son Histoire de France, ni utilisé l’importante thèse de P. Nagy, Le don des larmes au Moyen Âge (Paris, 2000) qui introduit une nouvelle notion dans cette problématique des larmes médiévales, celle de la « spiritualité ». J’estime personnellement, en lecteur convaincu des Rois thaumaturges de M. Bloch, que les larmes royales ont bien un caractère rituel exprimant l’impuissance des rois face à la volonté de Dieu ou au déchainement du Diable. C’est bien, me semble-t-il, ce rituel qui est utilisé dans la Chanson de Roland, ponctué par les larmes de Charlemagne, dans lesquelles P. Dinzelbacher ne voit qu’une faiblesse féminine, là où selon moi l’auteur de la Chanson veut montrer que ce souverain par excellence, quand il veut manifester son impuissance face au triste sort de son neveu, a recours à ce rituel marquant les limites du pouvoir royal.

8En tous cas, l’essai de P. Dinzelbacher est une contribution intéressante à propos d’un phénomène qui, au Moyen Âge, quelle que soit l’importance qu’on lui attribue, a un rôle central : le rituel. Mais ce rôle ne peut être cerné avec précision que si la notion et le terme lui-même sont confrontés à tout un monde essentiel mais multiple dans l’Occident médiéval, où il rencontre en particulier les aspects liturgiques et symboliques. On verra à cet égard l’excellent article « Rituel » de R. Jacob, dans le Dictionnaire du Moyen Âge, éd. C. Gauvard, A. de Libera et M. Zink (Paris, 2002, p. 1219-1221). Pour la liturgie, il faut de préférence s’adresser aux travaux de P.-M. Gy, et notamment son court article « Rituel » (dans Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, éd. A. Vauchez, t. II, p. 1325), où il note que le terme « rituel » n’est apparu qu’au xvie s. en Italie et où il invite à replacer cette étude dans celle de la liturgie à laquelle il a notamment consacré un livre magistral, La liturgie dans l’histoire, Paris, 1990.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Le Goff, « Peter Dinzelbacher. — Warum weint der König ? Eine Kritik des mediävistischen Panritualismus »Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 459-460.

Référence électronique

Jacques Le Goff, « Peter Dinzelbacher. — Warum weint der König ? Eine Kritik des mediävistischen Panritualismus »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18278 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sh

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