Monique Desthieux. — Désir de voir Dieu et amour chez Guillaume de Saint-Thierry [préface de Paul Verdeyen]
Monique Desthieux et Paul Verdeyen, Désir de voir Dieu et amour chez Guillaume de Saint-Thierry, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 2006 (Vie monastique. Monachisme ancien, 45).
Texte intégral
1Le livre étudie la pensée de Guillaume de Saint-Thierry sur la question de la vision de Dieu, comme l’explique de manière claire et détaillée P. Verdeyen dans sa préface. C’est un excellent ouvrage de théologie, combinant la démarche théorique et l’empirisme : l’A. discute à la fois la théologie de Guillaume et ses expériences concrètes en matière de foi, les éléments concrets de sa vie. Ce détour d’ordre historique est non seulement une façon d’aborder le problème de manière exhaustive et complète, mais également de se placer dans la perspective d’un mystique. Ainsi, l’A. fait la différence entre l’approche théorique de Dieu, exclusivement par le biais de la raison, qui est propre à la pensée scolastique et l’approche des mystiques, qui passe par l’expérience de la foi (p. 105).
2M. Desthieux s’applique en introduction à faire un état des lieux riche et complet sur les études consacrées à Guillaume, à sa théologie et à sa vie. Elle aborde avec finesse la délicate question du paradoxe du désir de voir Dieu alors que l’Ancien Testament nous dit qu’il a été enseigné aux Israélites de ne pas regarder Dieu en face (p. 10). L’un des grands mérites de cette étude est de souligner l’importance de la pensée augustinienne pour la théologie de Guillaume, influence essentielle et pas assez souvent soulignée, généralement occultée par les racines orientales du mysticisme médiéval (p. 15). L’A. y revient d’ailleurs ultérieurement, pour rappeler que le désir de voir Dieu est un problème dont les racines profondes se trouvent chez Augustin.
3La première partie du livre est consacrée à la vie de Guillaume, suivie aussi bien sur le plan strictement événementiel que sous l’angle de ses œuvres et de son réseau de relations. Une progression de l’analyse du concret vers le théorique est ainsi enclenchée. Une longue partie est consacrée à l’amitié de Guillaume avec saint Bernard ainsi qu’à la vision que l’abbé de Saint-Thierry manifeste pour son ami (p. 43). Cette approche est d’autant plus précieuse que l’amitié des deux hommes est très importante pour l’évolution de la pensée de saint Bernard. Même si les relations de l’abbé de Saint-Thierry avec ses contemporains sont avant tout discutées dans le premier chapitre, l’A. revient plusieurs fois sur l’influence des contemporains et de leurs écrits sur la pensée de l’abbé, insistant ainsi sur Bernard et sur Richard de Saint-Victor (p. 204).
4Guillaume est perçu comme un homme tiraillé entre ses tâches d’abbé et son désir de suivre une vie entièrement contemplative (p. 40). Ce conflit intérieur n’est pas discuté sous l’angle psychologique, mais bien plus finement comme un conflit entre deux tendances opposées dans le milieu ecclésiastique : un christianisme actif et militant et la dévotion contemplative. Afin de rendre encore plus claire la pensée théorique de Guillaume, l’A. n’hésite pas à se servir de détails pratiques révélateurs, comme le fait qu’il a promu dans son abbaye le silence et la prière intériorisée, de même que la psalmodie plus lente et plus recueillie (p. 52).
5Le rôle de Guillaume dans le conflit entre saint Bernard et Abélard est mis en évidence de manière rigoureuse. M. Desthieux montre les reproches concrets que l’abbé de Saint-Thierry fait à Abélard, de même que les erreurs qu’il relève dans l’œuvre de ce dernier, particulièrement pour ce qui est du Trinitarisme (p. 107). Il est rare dans les études actuelles qu’un chercheur souligne avec tellement de clarté que le danger du système d’Abélard et du rationalisme pour le christianisme est l’agnosticisme (p. 108) ; l’on saura gré à l’A. de ne pas avoir évité ce problème et de contribuer sans ambiguïté à réhabiliter sur ce point les écoles monastiques.
6Sans se contenter d’évoquer les Pères de l’Église ayant constitué une source d’inspiration pour Guillaume, M. Desthieux consacre tout un chapitre à l’une des sources de base de notre théologien, la Bible elle-même, surtout les écrits de saint Paul, en mettant ainsi en valeur ses capacités de réflexion au-delà des exégèses classiques ainsi que son esprit évangélique (p. 132 et s.).
7L’un des problèmes centraux de la pensée de Guillaume, la ressemblance à Dieu vers laquelle tend tout chrétien, qui se retrouve dans le deuxième chapitre, est déjà amorcé dans le premier. De même, M. Desthieux rappelle une fois de plus l’importance d’Augustin, égale pour la pensée de Guillaume à celle d’Origène, et le fait que le désir de voir Dieu est enraciné dans les discussions augustiniennes sur la charité. Le deuxième chapitre, beaucoup plus théorique, se concentre sur les divers aspects liés au désir de voir Dieu, un Dieu à la fois immanent, parce que se trouvant en chaque homme, et transcendant, parce que situé en dehors du monde (p. 185 et s.).
8La théorie de l’homme intérieur et extérieur, chère à Guillaume et probablement inspirée par saint Paul, est discutée amplement (p. 204 et s.), de même que les deux voies principales pour parvenir à voir Dieu, la raison et l’intelligence (p. 218). L’A. fait également un parcours à travers le binôme subtil discuté par l’abbé de Saint-Thierry, l’attention et l’intention, les deux étant essentielles pour le cheminement de l’homme vers Dieu (p. 227).
9Fidèle au principe de la progression qui régit tout le livre, M. Desthieux amorce dans le deuxième chapitre le problème qui sera suivi de très près dans le troisième, précisément la relation entre vue et amour de Dieu (p. 196). Reliés dans une interdépendance très étroite, la vision et l’amour se renforcent mutuellement : ainsi, l’amour mérite la vision et la vision accroît l’amour (p. 336). Elle montre donc l’optimisme fondamental de la pensée de Guillaume sur la nature humaine, à laquelle il est possible de progresser et de parvenir à une élévation spirituelle.
10L’ensemble trouve son terme dans une conclusion claire, structurée en sous-parties qui rendent les raisonnements encore plus systématiques, suivie par une riche bibliographie. On regrettera seulement que, même si une place centrale est faite au rôle du Saint-Esprit dans la pensée de Guillaume (p. 303 et s.), la grâce, tellement importante dans le contexte du désir de voir Dieu, n’est que très peu discutée.
11L’ouvrage est une synthèse magistrale, à la fois documentée et originale, rédigée dans un style agréable, passionné et passionnant, sur un problème central dans la pensée de Guillaume de Saint-Thierry et au-delà de sa personne, du mysticisme cistercien.
Pour citer cet article
Référence papier
Cătălina Gîrbea, « Monique Desthieux. — Désir de voir Dieu et amour chez Guillaume de Saint-Thierry [préface de Paul Verdeyen] », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 457-459.
Référence électronique
Cătălina Gîrbea, « Monique Desthieux. — Désir de voir Dieu et amour chez Guillaume de Saint-Thierry [préface de Paul Verdeyen] », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18267 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sg
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