Dimiter Angelov. — Imperial Ideology and Political Thought in Byzantium, 1204-1330
Dimiter Angelov, Imperial Ideology and Political Thought in Byzantium, 1204-1330, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, XVII-453 pp., 4 ill., 4 tabl., 3 cartes.
Texte intégral
1Les Paléologues gouvernèrent l’Empire byzantin après la reconquête de Constantinople en 1261, mais le traumatisme de la prise de la « Reine des villes » en 1204 n’était pas effacé pour autant, ni les conséquences démographiques et économiques de l’occupation latine de la capitale, pendant plus d’un demi-siècle. Michel VIII Paléologue, fondateur de la dynastie, avait dû écarter le jeune héritier légitime, Jean IV Lascaris, pour s’emparer du pouvoir, mais la reconquête de Constantinople, en 1261, fit penser que Dieu voyait ce transfert du pouvoir avec bienveillance. Cette illusion fut balayée par deux nouveaux désastres, la perte de l’Asie mineure, conquise au début du xive s. par les émirs turcs, puis, au milieu de ce même siècle, la guerre civile accompagnée du retour de la peste. Ces crises terribles amenèrent un renouvellement de la pensée politique, envisageant des situations inédites, dont la plus inquiétante était la possible disparition de l’Empire.
2Les byzantinistes se lamentent souvent sur la disette des sources, mais, de ce point de vue, l’époque des Paléologues est privilégiée, comme si la conservation des textes était inversement proportionnelle à la superficie de l’Empire rétrécissant. De nombreuses œuvres sont donc conservées, qui diffusent la pensée politique correcte et laissent parfois entrevoir des critiques à l’égard du pouvoir et de l’aristocratie. D. Angelov offre, pour la première fois, une analyse systématique de leurs discours, dont la langue, produit de la rhétorique byzantine la plus élaborée, ne se distingue pas par sa simplicité. Décrivant les manuels de rhétorique utilisés ou composés à cette époque, repérant les orateurs classiques lus, il analyse les codes de ces discours, beaucoup moins stéréotypés qu’il n’y paraît. Ils laissent en effet transparaître à la fois les préférences personnelles des orateurs et les actes que les empereurs souhaitaient voir soulignés. D. Angelov, arrêtant son analyse en 1330 – date à laquelle l’espoir d’un grand État balkanique grec était encore raisonnable –, n’a pas à prendre en compte la grande crise du milieu du xive s., qui mit en cause la survie de l’Empire.
3La reconstruction de l’État à Nicée introduit à la cour une certaine modestie : les panégyriques impériaux sont peu appréciés ; l’empereur, tout en gardant les formules traditionnelles, se comporte comme un souverain quasi « ordinaire ». L’époque des premiers Paléologues se caractérise par un mélange de tradition et de nouveautés. Michel VIII (1259-1282) s’efforça de renouer avec le dernier moment de gloire antérieur à 1261, celui des empereurs Comnènes, notamment Manuel Ier, voire avec la plus haute antiquité, lorsqu’il érigea une colonne triomphale pour célébrer la reconquête de Constantinople. Mais, dans le même temps, il se heurtait à une double contestation de son autorité, politique avec les Arsénites d’Asie mineure, attachés à la dynastie déchue des Lascarides, et religieuse avec l’opposition farouche à l’Union des Églises.
4Cet affaiblissement du pouvoir impérial s’accentua sous le règne de son fils Andronic II (1282-1328), incapable de sauver les positions de l’Empire en Asie mineure. Les Lascarides et surtout les deux premiers Paléologues se trouvèrent alors confrontés à un grand nombre de complots ou de coups d’État militaires (tableau, p. 120-121). Un autre indice de cet affaiblissement se manifeste par l’absence quasi totale d’initiatives législatives des empereurs de la dynastie des Paléologues.
5Les orateurs, qui ont hérité des Comnènes les principaux thèmes de l’idéologie impériale, usent cependant de la large palette à leur disposition pour souligner les traits réels du souverain. Les Lascarides, et Michel VIII encore, sont exaltés pour leurs vertus militaires, mais Théodore II apparaît comme l’idéal de l’empereur philosophe.
6L’opposition aux deux premiers Paléologues se manifeste en faisant, par contraste, l’éloge appuyé du souverain nicéen Jean III Vatatzès (1222-1254), empereur modèle, soucieux des pauvres et capable d’assurer paix et protection. Les thèmes de la légitimation impériale ne varient guère : au principe dynastique, fondement de l’éloge des héritiers, s’oppose l’élection divine, principale justification des usurpateurs, tel Michel VIII. En revanche, les réflexions sur l’organisation de la société face aux empereurs marquent une évolution remarquable.
7Si l’idéologie officielle de la Romanitas prédomine toujours, même dans l’Empire de Nicée, les références à la Grèce classique se multiplient et les Byzantins revendiquent l’héritage des Hellènes. Mais le principal intérêt de l’époque, c’est la contestation, chez des intellectuels, du pouvoir absolu de l’empereur. Nicéphore Blemmydès entretient une controverse avec son ancien élève, l’empereur Théodore II Lascaris. Ce dernier veut poursuivre une politique de taxation élevée pour entretenir l’armée, vidée de ses éléments étrangers, alors que le second prône une redistribution à un petit nombre de bénéficiaires richement dotés, annonçant le modèle suivi par Michel VIII Paléologue. Quelques décennies plus tard, Thomas Magistros s’oppose aux droits de l’empereur à lever l’impôt et considère que ce dernier doit vivre « du sien », c’est-à-dire de ses propres domaines. Les débats sur les finances publiques dans l’Empire ne sont pas, à cette date, sans parallèle en Occident, comme l’avait déjà noté Angéliki Laiou (« Le débat sur les droits du fisc et les droits régaliens au début du xive siècle », Revue des études byzantines, 58, 2000, p. 97-122). Théodore Métochitès reste sur une position plus classique, soutenant le droit de l’empereur à prélever des taxes, mais insistant sur les effets négatifs de la thésaurisation – qu’avaient pratiquée les empereurs nicéens. Il est en revanche favorable à une large redistribution, principalement en faveur du politikon, la bureaucratie de la capitale. Cette position doit beaucoup à la situation de Métochitès lui-même, principal ministre d’Andronic II, devenu l’homme le plus riche de son temps.
8La nature des rapports qui lient les sujets à l’empereur est remise en cause par l’analyse des types de serments de fidélité à l’empereur. Manuel Moschopoulos, savant lettré, qui connaît la République de Platon et la Politique d’Aristote, s’interroge sur ce point. Chaque sujet de l’empereur doit prêter allégeance, afin d’éviter les déchirements provoqués par la jalousie et l’agressivité invétérées des hommes. Mais, pour une élite, il s’agit d’un « serment impérial » qui contraint donc l’empereur même à rétribuer son auteur. Sinon, le souverain ne saurait exiger un tel serment. La question du serment et de ses formes est devenue capitale dans un Empire en voie de dislocation. L’influence de l’Occident devient manifeste, d’autant que des États latins subsistent dans les Balkans et que nombre d’entre eux sont installés à Péra-Galata, en face de Constantinople.
9Les rapports entre l’Église et l’empereur ne pouvaient qu’être modifiés par le déclin de l’État byzantin. Les patriarches pouvaient se vanter de dominer toute une série de peuples orthodoxes, là où l’empereur ne commandait plus qu’une part de plus en plus minoritaire des provinces peuplées de Grecs. Tous les thèmes traditionnels, l’empereur-prêtre, l’onction devenue réelle – ce qui modifie le rôle du patriarche –, le sens de la donation de Constantin, le droit d’entrée dans le sanctuaire, les prérogatives dans la nomination des patriarches et plus généralement le rôle du souverain dans le gouvernement de l’Église terrestre, notamment en ce qui concernait l’Union des Églises, furent de nouveau analysés par des lettrés, clercs ou laïcs, qui apportèrent toute une gamme de réponses variées. Cependant, dans les faits, le poids de l’Église s’accrut avec la complicité d’empereurs, tel Andronic II, qui accepta toutes les demandes du patriarche Athanase, y compris celle de déterminer les heures d’ouverture des tavernes et des bains. Les tribunaux civils comportèrent désormais des ecclésiastiques à parité et Andronic II accepta d’être soumis à leur juridiction. Les clercs les plus radicaux, interprétant comme les Latins la donation de Constantin, y voyaient le modèle de la soumission du pouvoir impérial à l’autorité de l’Église, c’est-à-dire, à leurs yeux, au patriarche.
10Dans ce brillant panorama, appuyé sur une belle érudition, D. Angelov met en valeur l’originalité de nombreux penseurs de l’époque nicéenne et du règne des deux premiers Paléologues. Il souligne à quel point les Byzantins ont évolué dans leur manière de concevoir le pouvoir et ont parfois abouti à des conceptions proches de celles qui se sont développées en Occident, même si, dans l’Empire, jamais les idées du civisme urbain contemporain des villes d’Italie n’ont trouvé leur contrepartie dans l’Empire. Encore pourrait-on objecter que le mouvement des Zélotes à Thessalonique, au milieu du xive s., présente des traits communs avec l’agitation sociale des cités industrieuses d’Italie.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Claude Cheynet, « Dimiter Angelov. — Imperial Ideology and Political Thought in Byzantium, 1204-1330 », Cahiers de civilisation médiévale, 216 bis | 2011, 451-453.
Référence électronique
Jean-Claude Cheynet, « Dimiter Angelov. — Imperial Ideology and Political Thought in Byzantium, 1204-1330 », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 bis | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18232 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sc
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