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Comptes rendus

Pascal Péron. — Les Croisés en Orient. La représentation de l’espace dans le cycle de la croisade

Christiane Deluz
p. 437-438
Référence(s) :

Pascal Péron, Les Croisés en Orient. La représentation de l’espace dans le cycle de la croisade, Paris, Champion, 2008, 604 pp. (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, 86).

Texte intégral

1À l’intérieur du premier cycle de la croisade, trois chansons (Chanson d’Antioche, Chanson des Chétifs, Chanson de Jérusalem) constituent un ensemble, précédées qu’elles sont par un prologue qui les prend toutes trois en compte. Elles concernent les débuts de la croisade, l’expédition de Pierre l’Ermite avec l’échec de Civetot et la prise d’Antioche, exploits de chevaliers emmenés en captivité après Civetot et enfin siège et prise de Jérusalem dont Godefroi de Bouillon devient roi. Divers travaux ont analysé les remaniements auxquels ont été soumis ces poèmes au cours du xiie s., P. Péron entend leur rendre leur cohérence en étudiant la spatialité, « fortement inscrite dans le texte » dont l’action (cas unique dans les chansons de croisade) se déroule entièrement au Proche-Orient, un espace particulièrement riche. Quelle place, quelle fonction, quel sens sont attribués à l’espace dans cette épopée ? Pour répondre à ces questions, P. Péron examine successivement la géographie de la croisade, l’espace sacré où elle s’inscrit et les modalités de l’espace héroïque, celui des acteurs vainqueurs des forces adverses.

2La géographie de la croisade est abordée en superposant la « carte » historique et la « carte » épique au cours des déplacements des personnages, l’espace épique étant « traversé par le mouvement » selon les mots de F. Suard. Tant les itinéraires vers Jérusalem que la topographie de la Ville sainte et aussi celle d’Antioche sont bien connus grâce aux récits des chroniqueurs et des pèlerins. Malgré quelques incohérences, la réalité géographique est assez bien respectée. Mais l’auteur n’en prend pas moins des libertés, rétractant l’espace pour signifier la hâte des héros à atteindre leur but, ou au contraire le dilatant jusqu’à la démesure quand on quitte la Terre sainte pour un Orient plus ou moins mythique. De même, Jérusalem est moins décrite que figurée par quelques éléments stylisés, Tour de David, Temple, Saint-Sépulcre. Enfin, une opposition est établie entre des lieux saints chers aux chrétiens et la « paienie », l’« estrange païs », terre de l’autre.

3La sacralité de l’espace est fortement marquée, « le poète permet à l’espace sacré d’imprégner le texte de sa puissance ». C’est ce qui donne leur unité aux trois poèmes qui baignent dans une atmosphère religieuse et où le Christ est omniprésent. Le temps de l’Histoire sainte croise sans cesse le temps de la croisade, comme dans les récits de pèlerinage auxquels les trois chansons peuvent s’apparenter par bien des aspects. La figure du héros épique apparaît ainsi un peu différente, imprégnée de religieux.

4Quant à l’espace héroïque, il présente des aspects très divers. Les épreuves rencontrées par les héros sont souvent dues aux « formes agressives de l’espace » : verticalité des murailles d’Antioche ou de la montagne de Civetot, épaisseur des murs de Jérusalem, clôture des marécages ou de la forêt d’Oliferne. P. Péron consacre tout un chapitre à la montagne dans La Chanson des Chétifs, monde hostile par son aridité, son bestiaire effrayant, portant la marque du diable. Autre aspect de l’espace héroïque, l’espace oriental, domaine de Mahomet et des idoles, mais aussi lieu des jardins et vergers entourant les palais royaux ; un espace de l’or et des richesses, mais également de monstres redoutables. « L’espace de l’ennemi devient peu à peu une terre d’aventure où les signes de l’Orient habillent de prestige les chevaliers chrétiens. »

5P. Péron conclut que la spatialité constitue « la structure essentielle » de la chanson. Elle fait entrer l’Orient de la croisade dans l’univers de l’épopée, elle favorise l’intensité épique et assure la fonction idéologique de l’œuvre : réveiller l’enthousiasme pour la guerre sainte. D’autre part, elle modifie le héros qui prend les traits d’un humble pèlerin, noble ou non, et appelé à dépasser ses peurs par un appel aux forces spirituelles.

6Le livre de P. Péron se lit avec grand intérêt tant en raison de la connaissance des sources dont il témoigne que par la rigueur et la finesse des analyses des textes. Il démontre par ex. l’importance attachée aux toponymes et notamment à Jérusalem par la place qu’ils occupent dans le vers d’intonation ou par leur répétition au long des laisses afin de les « faire entrer dans la mémoire épique ». Il s’attache à la valeur des répétitions, des changements dans le temps des verbes dans la construction de tel ou tel espace. Remarquable est à cet égard l’étude du dramatique assaut des murailles d’Antioche dont on ne voit d’abord qu’un pan dans le halo d’une lampe alors que la ville est plongée dans la nuit, mais dont la verticalité effraye et paralyse les chevaliers, tandis que « les regards se croisent du haut en bas de la muraille » ; les croisés finiront par vaincre leur peur et le texte, par une série de répétitions, montre le dynamisme retrouvé. Le seul regret que l’on peut formuler concerne la notion d’espace qui aurait pu faire l’objet d’une définition plus précise. Plus d’une fois on se demande s’il s’agit d’espace ou de lieu, alors que l’un ou l’autre n’ont pas le même poids ni la même fonction.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christiane Deluz, « Pascal Péron. — Les Croisés en Orient. La représentation de l’espace dans le cycle de la croisade »Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 437-438.

Référence électronique

Christiane Deluz, « Pascal Péron. — Les Croisés en Orient. La représentation de l’espace dans le cycle de la croisade »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18183 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128sa

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