Cristina Noacco. — La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles
Cristina Noacco, La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 286 pp., 30 h.-t. (Interférences).
Texte intégral
1Cet ouvrage constitue la version remaniée et abrégée de la thèse soutenue en 2002 par C. Noacco sur la métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie s. Ce travail aborde un sujet passionnant et complexe : la métamorphose est en effet au Moyen Âge à la croisée du paganisme et du christianisme et elle s’enracine dans des traditions diverses. Étrangement, si l’ouvrage de P. Brunel, Le mythe de la métamorphose (Paris, 1974), témoigne du grand intérêt et de la richesse du sujet (dans une perspective chronologique beaucoup plus large), aucune synthèse centrée sur le Moyen Âge n’existait encore, alors que bien des représentations modernes de la métamorphose s’enracinent dans la vision, plurielle, qu’en avait cette époque.
2Le livre de C. Noacco repose sur un corpus ambitieux : il prend en compte des œuvres très diverses (elle s’intéresse aussi bien aux reprises médiévales d’Ovide qu’à la matière de Bretagne, aux romans de Merlin et à ceux du Graal ; son corpus comprend une cinquantaine de textes) ; il démêle avec clarté et finesse les divers fonds (antique, celtique…) qui ont peu à peu constitué l’imaginaire médiéval de la métamorphose et il réfléchit avec pertinence sur les perspectives chrétiennes, en s’interrogeant à la fois sur le diabolique et le divin.
3Le plan est simple, clair, dynamique et s’inspire en la nuançant de la distinction établie par J. Le Goff entre le magicus, le mirabilis et le miraculosus. Une introduction nourrie (p. 11-19) met en place une opposition qui se révélera féconde entre muance païenne et préchrétienne d’une part et métamorphose chrétienne d’autre part. La première partie (p. 20-72) étudie les théories, le vocabulaire et la poétique de la métamorphose, de façon synthétique, non sans quelques raccourcis que l’on devine imposés par des contraintes éditoriales : prendre en compte, en une cinquantaine de pages, à la fois l’Antiquité gréco-latine, les mythologies du Nord-Ouest européen, le christianisme des Ancien et Nouveau Testaments, aussi bien que le vocabulaire et les procédés de mise en écriture liés à la métamorphose relève de la gageure ; le résultat est convaincant, malgré une opposition latente entre le fond et la forme. La deuxième partie (p. 73-156) étudie les rapports entre paganisme et métamorphose, en distinguant la métamorphose irréversible, en particulier dans les Ovidiana et le Roman de la Rose, et la métamorphose réversible, à travers la guivre du Bel Inconnu et les figures de loup-garou, avant d’aborder la maîtrise de la métamorphose, dans un large corpus, en relation avec l’enchantement. La troisième partie étudie les « perspectives chrétiennes de la métamorphose », à la fois dans sa dimension diabolique et dans sa dimension miraculeuse et théophanique. La conclusion met en évidence d’une part l’investissement inégal des divers genres littéraires médiévaux par la métamorphose, ainsi que le glissement de la métamorphose vers la métaphore. Vingt-six pages de bibliographie, dix pages d’index, un dossier iconographique en couleurs donnant trente représentations (mises en relation avec le texte dans les notes) complètent cet ouvrage très utilement.
4Le sujet pouvait effrayer tant les études ponctuelles concernant la métamorphose sont nombreuses : il n’en était pas moins nécessaire qu’une synthèse construite, au-delà du morcellement des analyses, mette en évidence, comme le fait C. Noacco avec efficacité et finesse, la complexité de ce phénomène pluriel et nuance certaines idées préconçues, comme celle d’une omniprésence de la métamorphose dans la littérature médiévale, et en particulier de la métamorphose chrétienne. Les approches synchroniques sont complétées par des suggestions concernant la diachronie, en particulier autour du passage de la métamorphose « in factis » à la métamorphose comme procédé rhétorique, « in verbis ».
5Quelques rares et discrètes remarques peuvent être faites : les brefs développements consacrés à la mythologie nordique (p. 30-32) et au chamanisme (p. 33) ne trouvent pas vraiment leur place dans l’économie d’ensemble, dans la mesure où la mise en relation avec le corpus n’est pas claire ; l’étude du vocabulaire de la métamorphose présente des remarques intéressantes, par ex. sur la prédominance des formes verbales par rapport aux formes nominales, mais la prise en compte, isolée, du verbe bailler (p. 51) est discutable, dans la mesure où ce verbe, dans l’exemple traité, fonctionne en système avec le nom semblance qui en est le complément ; le principe de rationalisation est mis en avant pour expliquer le travail des auteurs sur la métamorphose, sans que soient suffisamment soulignés les ambiguïtés de la rationalisation et le jeu de concurrence entre les diverses strates de sens produites ; enfin si le Roman d’Alexandre est l’objet d’analyses très intéressantes, par ex. sur les filles fleurs ou la Fontaine de Jouvence, on peut regretter que la figure de l’enchanteur Neptanebus et les diverses versions concernant la métamorphose en dragon (attribuée à Amon) ne soient pas considérées plus en détail, par rapport d’une part à la conception d’Arthur et d’autre part à la légende d’Amphitryon.
6L’ampleur du sujet imposait des choix : C. Noacco a réussi une synthèse remarquable de clarté, ne manquant pas d’ampleur de vue et diversifiant les éclairages avec habileté. On ne peut qu’espérer que C. Noacco poursuive son investigation en prenant en compte un corpus portant sur les xive et xve s., ce qui amènerait à examiner à nouveau l’hypothèse d’une évolution de la métamorphose vers le procédé rhétorique et à explorer le potentiel comique et dramatique du motif : l’étude systématique de l’Ovide Moralisé, du corpus arthurien tardif (Perceforest, Artus de Bretagne), des chansons d’aventures et des attestations dramatiques, pourrait constituer un second volet passionnant.
Pour citer cet article
Référence papier
Christine Ferlampin-Acher, « Cristina Noacco. — La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles », Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 436-437.
Référence électronique
Christine Ferlampin-Acher, « Cristina Noacco. — La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18177 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s9
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page