Bernard Merdrignac. — Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants
Bernard Merdrignac, Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 232 pp. (Histoire).
Texte intégral
1Le sous-titre quelque peu énigmatique de ce volume ne laisse pas deviner qu’il s’agit d’un recueil d’articles parus entre 1983 et 2004, plus ou moins fortement remaniés ou actualisés, et augmentés d’une introduction et de trois contributions originales. Comme l’A. avait déjà fait paraître en 1993 un ouvrage d’ensemble sur les saints bretons du haut Moyen Âge à l’intention d’un large public, il a cette fois pris le parti de réunir quelques études caractéristiques de son cheminement intellectuel et scientifique – une sélection très restreinte par rapport à sa production totale en matière hagiographique. Leur remise à jour est signalée par un changement de titre. La période visée va de l’époque mérovingienne jusqu’au xiiie s. environ. L’image du glaive à double tranchant, illustrée sur la couverture par une enluminure tirée d’un Beatus espagnol du xie s., sert à évoquer des récits hagiographiques qui reposent sur des oppositions binaires (nature/culture, ordre/désordre, etc.) en même temps qu’un « outillage mental à double tranchant » (J. Le Goff) qui serait celui des hagiographes bretons. L’expression « glaive à double tranchant » se trouve d’ailleurs dans la Vie carolingienne de saint Guénolé.
2L’introduction dresse un bilan des études sur l’hagiographie considérée comme source de l’histoire de la Bretagne, par la refonte radicale d’un article paru en 2000 dans la Revue d’histoire de l’Église de France. Le premier chapitre se présente comme un tableau d’ensemble de l’hagiographie bretonne, destiné à paraître en anglais dans l’encyclopédie Celtic Culture publiée en 2006 sous la direction de J. T. Koch – mais qui ne s’y trouve pas. Les chapitres suivants sont regroupés en fonction de thématiques apparentées : les rapports entre l’homme et l’animal, les géants dans les origines bretonnes, les rapports de genre, le croisement des représentations socio-économiques avec les conceptions idéologiques. Il ne faut donc pas y chercher d’étude monographique sur un texte, un dossier ou un saint en particulier ; l’A. s’exerce plutôt à les mettre en valeur comme témoins de la civilisation bretonne du haut Moyen Âge, notamment dans sa dimension celtique. Le dernier chapitre (xi) sert de conclusion partielle, par l’observation d’une récurrence de la perspective pascale adoptée par les hagiographes bretons, sur la lancée des travaux du chanoine J. Raison du Cleuziou.
3Au fil de la lecture de cette compilation, des répétitions permettent de bien saisir les principales lignes de force de la réflexion, de la méthode et de l’argumentation propres à l’A. La distance est grande qui le sépare d’un A. de La Borderie († 1901), qui voulait écrire directement l’histoire des origines bretonnes à partir de l’hagiographie du haut Moyen Âge ; B. Merdrignac appartient plutôt à l’âge de l’histoire des mentalités et de la linguistique structurale. Pour lui, des traits récurrents fondent l’homogénéité de la production hagiographique bretonne : importance de la tradition orale bien avant les premières mises en écriture, existence fréquente de recensions écrites anciennes perdues, conciliation de croyances pré-chrétiennes (parfois propres au monde celtique) avec l’orthodoxie chrétienne, rapports dialectiques entre culture savante et culture populaire, affleurements mythologiques ou folkloriques qui permettent de remonter jusqu’à des époques antérieures à l’acculturation des Bretons face au monde romano-franc.
4La domination de l’hagiographie dans le corpus des sources écrites relatives à l’histoire de la Bretagne du haut Moyen Âge contraint les historiens à y chercher des appuis. Mais il faut d’abord relever le double défi critique de la datation (au moins relative) des œuvres conservées et de l’évaluation de leur valeur comme témoins d’histoire. Sur ces deux points, B. Merdrignac appartient à une école de pensée qu’on pourrait qualifier d’optimiste. D’un côté, il attribue en effet aux œuvres une date souvent plus ancienne qu’il ne convient, à notre avis ; de l’autre, il estime avoir affaire en la société bretonne à un milieu fortement traditionaliste, où les souvenirs et pratiques sociales ont pu se maintenir longuement, même sans le secours de l’écrit, avant d’être enregistrés par des hagiographes.
5Ce n’est pas le lieu d’examiner ici ces questions en détail : nous avons pris position dans un Répertoire raisonné paru en 2009. Mais dans la mesure où l’avant-propos annonce que les articles regroupés dans le recueil examiné ici sont « actualisés dans leur apparat critique et leur présentation », quelques déficits doivent être signalés :
6Page 33 : la présentation de la thèse de F. Kerlouégan sur la disjonction comme mode stylistique caractéristique de la latinité brittonique (1972) devrait faire état des réserves de M. Winterbottom (1977). Page 47 : une étude sur les loups dans la Vie de saint Hervé devrait mentionner le travail d’A.-Y. Bourgès (2003). Le dernier état de nos travaux (2001) sur saint Samson (p. 40 et 140) et sur saint Lunaire (chap. x) n’est pas pris en compte, nonobstant leur présence dans les renvois bibliographiques. Nos positions actuelles sur la date de la Vita Ia sancti Samsonis (p. 115) ou sur le diacre Hénoc (p. 116) sont déformées.
7Au total, le présent recueil fournit un échantillon bien représentatif de l’apport de B. Merdrignac aux études hagiographiques et à l’histoire de la Bretagne ; il rend le service de faciliter l’accès à des publications dispersées, pas toujours faciles d’accès hors de Bretagne. Il s’orne de plusieurs indications sur des travaux en cours ou des aspects à explorer à l’avenir. Il est opportunément complété par des listes substantielles de sources et d’études pertinentes. La facture matérielle du volume dessert malheureusement l’entreprise : il tombe en morceaux dès la première lecture.
Pour citer cet article
Référence papier
Joseph-Claude Poulin, « Bernard Merdrignac. — Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants », Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 435-436.
Référence électronique
Joseph-Claude Poulin, « Bernard Merdrignac. — Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18162 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s8
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