Robert A. Maxwell. — The Art of Medieval Urbanism. Parthenay in Romanesque Aquitaine
Robert A. Maxwell, The Art of Medieval Urbanism. Parthenay in Romanesque Aquitaine, University Park, Pennsylvania State University Press, 2007, XIII-375 pp., 286 ill.
Texte intégral
1Ce livre correspond à la publication d’une thèse soutenue en 1999 et dirigée par W. Cahn. Le terme de « thèse » prend ici tout son sens : la spécificité de l’angle de vue est assumée. Le propos est interdisciplinaire et aborde « une anthropologie de l’urbanisme » à travers ses images, réelles ou rêvées. L’art monumental, ou plus particulièrement l’aspect formel des églises romanes et de leur décor, considéré comme signe, est placé au cœur de l’enquête. Il est éclairé par la littérature courtoise, l’iconographie des sceaux et monnaies, l’écriture de l’histoire et les mythes contemporains. Il est jugé essentiel dans la fabrication d’un paysage urbain et même d’une véritable « identité » urbaine. La ville de Parthenay constituerait un laboratoire pertinent parce qu’on y construisit une dizaine d’églises entre 1050 et 1200, relativement bien préservées, et qu’une sorte de déclin ultérieur en aurait d’une certaine façon figé l’image.
2Arrêtons-nous un instant : le terme « urbanisme » utilisé dans le titre pourrait abuser un lecteur français, pour lequel le concept correspondant supposerait avant tout une synthèse archéologique de longue durée, une analyse de l’écheveau des rues, une démarche régressive effectuée à partir du cadastre et des plans anciens, une analyse précise de l’enceinte ou un repérage des localisations dans les cartulaires et chroniques… Mais on ne peut s’égarer quand on sait que l’A., qui enseigne à Philadelphie mais fréquente assidument les murs du CESCM, est un excellent spécialiste d’art roman, et qu’il a rédigé sur le sujet parthenaisien aussi bien des monographies (« Parthenay-le-Vieux. Église Saint-Pierre », dans Monuments des Deux-Sèvres, Paris, 2004, p. 209-215 ; « Romanesque Construction and the Urban Context. Parthenay-le-Vieux in Aquitaine », Journal of the Society of Architectural Historians, 66/1, 2007, p. 23-59) que l’interprétation de découvertes de fragments de sculpture dans les collections américaines (voir ainsi Bulletin monumental, 162/3, 2004, p. 165).
3Après une introduction méthodologique et épistémologique témoignant d’une grande culture et émaillée de citations, les études particulières qui tissent l’essentiel du contenu sont insérées dans une articulation en sept chapitres dont les titres sont très conceptuels, tout en respectant une logique chronologique : « Parthenay et le paysage de l’Aquitaine romane », « Du castrum à l’oppidum : la constitution d’un domaine », « Le “style” et les politiques d’urbanisation », « Construire une identité urbaine », « Construire l’histoire : un roman familial et les légendes urbaines », « Du castrum au signum : une iconographie de l’urbanisme », « La fin d’une époque ? ».
4À la suite d’une description de la ville médiévale et d’une annonce du rôle-clé de la priorale Saint-Pierre, peu restaurée et peu modifiée, la première partie est essentiellement historique (avec une bibliographie, des références et des argumentaires qu’il conviendrait peut-être d’actualiser). On notera les singularités de Parthenay, « ville sans pedigree » par rapport aux autres agglomérations de la région qui bénéficient d’un substrat antique plus déterminant. La deuxième partie continue à suivre l’évolution topographique, mais la thèse majeure de l’ouvrage est introduite par la fondation d’une église dédicacée au Saint-Sépulcre, qui ne commémore pas nécessairement une croisade ou un pèlerinage précis (motif qui en dissimule souvent d’autres, comme l’écrit justement l’A.). On sera ou non convaincu par cette première preuve d’un « discours urbain », quoique le propos, qui ne touche encore que l’événement et non les formes manifestées (le bâtiment a disparu), soit bien étayé. Remarquons que le Sépulcre, comme Saint-Paul et plus encore Saint-Pierre, sont très extérieurs au noyau urbain, ce qui est évidemment pris en compte, mais paraît paradoxal au regard du fil rouge de l’interprétation.
5La troisième partie, dans le titre de laquelle le mot « style » a une valeur proclamatoire, est fondamentale quant à l’affirmation d’une identité de la ville par le vocabulaire roman, la sculpture des chapiteaux fournissant les arguments majeurs au regard d’une période de plus de cinquante ans. Cela peut sembler curieux à un lecteur plus attentif à l’architecture, qui s’attendrait à ce que ce soit l’agencement, les lignes ou les couleurs des silhouettes et des volumes (d’ailleurs mal connus dans leur configuration médiévale, reconnaissons-le) qui brossent le paysage de la ville. Les premiers chapiteaux sculptés, dits « à feuilles grasses », et notamment ceux de Saint-Paul (une dépendance de Cormery), témoigneraient d’une soumission à l’aura de Poitiers : il s’agit, toutefois, de moins insister sur le fait que « que la concorde entre les deux villes trouve sa traduction dans la sculpture que de considérer que ces relations placent Poitiers comme un modèle urbain légitime et supérieur ». Alors que des courants plus riches de diversité irriguent bientôt le Poitou et même sa capitale, Parthenay acquiert une progressive autonomie stylistique. Notons ici une interprétation historicisante du phénomène, car il est mis en relation avec la victoire politique de Joscelin de Parthenay (1075) sur le comte-duc et l’évêque.
6C’est évidemment le chantier de Saint-Pierre de Parthenay-le-Vieux, véritable melting pot pour les artistes, qui « illustre, peut-être mieux qu’aucune autre église, l’émergence d’une production monumentale propre à Parthenay » : aussi cette œuvre bénéficie-t-elle de développements substantiels. L’essentiel de la construction est placé entre la charte de fondation de 1092 et la signature d’un autre acte « dans le cloître » en 1119. Elle est analysée par ses campagnes (on trouvera dans l’article contemporain du Journal of the Society of Architectural Historians une lecture archéologique plus précise), d’est en ouest, grâce à l’appui d’une vaste mise en perspective. Les similitudes avec Saint-Eutrope de Saintes introduisent l’hypothèse de l’engagement de quelques-uns des artistes saintongeais après 1096, bien que l’A. se montre très prudent : l’image qui émerge n’est pas celle d’un atelier constitué et hiérarchiquement organisé, mais celle de groupes qui se distinguent les uns des autres à la fois par l’épannelage, les motifs et la facture.
7Le mot « chantier » est préféré à celui d’« atelier », reconnu comme impropre, car mettant artificiellement l’accent sur un site plus que sur la production des œuvres ; parallèlement, l’A. se demande s’il convient de parler de « sculpteurs » ou de « maçons ». L’iconographie elle-même dépend de cette fluidité alimentée par des « sculpteurs vagabonds », qui a entraîné une véritable « fragmentation artistique » et des sujets relativement hétéroclites, avant qu’une plus grande concentration d’exécutants ne favorise de véritables programmes.
8La quatrième partie revient sur la notion de ville, qui est historique mais aussi littéraire : replacer les églises dans leur contexte ou plutôt analyser les relations entre les formes des unes et l’évolution de l’autre obligeait à insérer au début de chaque chapitre ce type de développement, quelque peu large et touffu. Remarquons une notation pertinente qui alimente la thèse principale : quand les seigneurs de Parthenay adoptent des sceaux, leurs motifs sont inspirés des façades de leurs églises. L’église Sainte-Croix est l’un des monuments illustrant l’évolution des formes dans la première moitié du xiie s., bien que sa partie orientale ait été pourvue d’un voûtement angevin dans les années 1160-1180. Celle de Saint-Laurent, encore plus composite et trahie, est également convoquée pour brosser le développement monumental de cette époque. Notre-Dame-de-la-Couldre et Saint-Jean complètent un ensemble qui présenterait beaucoup d’unité : usage des mêmes carrières, types des voûtes, piles ou bases, techniques de montage du mur ou calibre de la pierre de taille, inspiration venue de Saint-Pierre qui donne enfin de la « consistance » à ce style… Bien que l’A. attire avec pertinence l’attention sur la mise en œuvre, les liens les plus étroits sont évidemment démontrés par la sculpture de chapiteaux. Au-delà même de Parthenay se crée une aire artistique (le marqueur visuel que constituent les clochers est remarquable) plus large que le domaine politique du seigneur, mais qui correspondrait tout de même à une aire d’influence féodale.
9La cinquième partie est essentiellement consacrée à l’évolution de l’aristocratie et aux représentations qu’elle se faisait d’elle-même. La sixième partie est entamée par les images de villes et d’architectures dans les enluminures (Jérusalem céleste) et sur quelques autres supports. Elle est étayée, du point de vue des églises de la ville, par la façade de Notre-Dame-de-la-Couldre ou plutôt ses vestiges, car le frontispice serait postérieur au chevet. L’édifice jouerait un rôle privilégié dans l’histoire de la ville et dans celle de la dynastie des Larchevêque. Certes, les fragments répertoriés sont remarquables, mais faut-il créditer aussi amplement un chantier qui est devenu une sorte de mythe ? Toutes ces attributions, dont on pourra trouver fragile (ou non) le montage intellectuel, donnent de la matière pour mener des comparaisons avec les autres façades d’Aquitaine et pour parler de « programme », terme auquel est préférée l’expression de « mastication exégétique » empruntée à J. Leclercq.
10Après cette analyse, l’A. propose de reconnaître le phénomène urbain comme une herméneutique propre à penser une suite d’associations iconographiques (à commencer par le roi David) : « les représentations symboliques des qualités urbaines – soutenues par des modèles bibliques et des arguments théologiques », liées entre elles par les murs qui les portent, seraient aptes « à aiguiser les perceptions de la condition urbaine ». Il y a là, dans le détail, beaucoup d’idées intéressantes, mais qui ne suffisent peut-être pas à renforcer le ciment de la thèse, ciment disposé, chapitre après chapitre, autour des pierres que sont les monuments.
11Bien que son titre sonne comme un déclin, la septième partie fait état de la continuité du développement monumental entre 1170 et 1220, avec la Maison-Dieu, Saint-Jacques, la léproserie Sainte-Catherine, sans compter le château et les fortifications. Mais le « discours urbain » aurait changé de nature et se serait dilué dans le destin commun des villes situées entre deux pouvoirs. L’A. se demande si, face au succès du style angevin qui se manifeste à la fois dans les motifs sculptés et dans le type de voûtement, il existe « encore un style parthenaisien ». Les établissements mentionnés, tout autant que le poids politique des Plantagenêts, entraînent une évocation des villes voisines de Thouars et Bressuire.
12En général, les cartes et plans de ville publiés ne sont ni nouveaux ni scientifiquement exemplaires : ce n’est pas ici que l’on cherchera des matériaux d’appui. Mais les quelque trois cents pages de l’ouvrage sont abondamment illustrées d’autant de clichés, d’excellente qualité, dont la mise en parallèle est très souvent éclairante (par ex. pour les archivoltes et corbeilles présentées p. 156-159). Ajoutons la publication de quelques textes, des notes, une ample bibliographie, un index : aussi cet ouvrage mérite-il de faire date.
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Andrault-Schmitt, « Robert A. Maxwell. — The Art of Medieval Urbanism. Parthenay in Romanesque Aquitaine », Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 432-435.
Référence électronique
Claude Andrault-Schmitt, « Robert A. Maxwell. — The Art of Medieval Urbanism. Parthenay in Romanesque Aquitaine », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18155 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s7
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