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Comptes rendus

Liber testamentorum coenobii Laurbanensis (Estudios), éd. José Maria Fernández Catón

Stéphane Boissellier
p. 427-429
Référence(s) :

José Maria Fernández Catón, Liber testamentorum coenobii Laurbanensis (Estudios), León, Centro de estudios e investigación «San Isidoro»/Caja España de inversiones / Archivo histórico diocesano, 2008, 2 vol., 792 pp., 7 cartes (Fuentes y estudios de historia leonesa, 125).

Texte intégral

1La collection Fuentes y estudios de historia leonesa, poursuivie avec une opiniâtreté et une volonté sans faille depuis plus de quarante ans, nous offre, sous son habituelle et sobre jaquette rouge (et, exceptionnellement, dans un somptueux coffret de même nuance), un 125e volume de haute tenue et d’un intérêt scientifique majeur pour l’histoire du haut Moyen Âge hispanique, qui atteste une fois de plus le dynamisme de la médiévistique ibérique – ibérique, puisque, pour une fois, l’entreprise associe portugais et espagnols et porte sur un objet qui relève de l’histoire « castillane » (léonaise, en fait) et portugaise tout à la fois.

  • 1 L’édition des actes royaux reste, elle, nettement plus soutenue, avec l’entreprise des Chancelarias (...)

2Si l’on se place du point de vue portugais, cela fait plus de dix ans (avec la publication enfin complète du monumental Livro preto de la cathédrale de Coimbra [éd. A. de Jesús da Costa et al., Coimbra. 1999]) qu’une entreprise éditoriale d’une telle ampleur n’avait plus été menée à bien, tout au moins en ce qui concerne la publication de documents privés1. Certes, ce petit Liber testamentorum (LT), associant un folio de brèves notes annalistiques (qualifiées pompeusement de chronicon laurbanense) et quarante-huit folios copiant seulement quatre-vingt-six actes – mais la perte d’un cahier est probable – ne supporte pas la comparaison avec le monumental Liber fidei de la cathédrale de Braga (954 actes) ou avec le cartulaire de la cathédrale de Coimbra (663 actes) ; en outre, il contient seulement six actes publics, contre quatre-vingts actes privés. Mais, compilé vers 1118, il figure parmi les plus anciens registres (antérieur à la formation même du royaume portugais, dans les années 1130), et il émane d’une des institutions ecclésiastiques les plus prestigieuses du territoire portugais. La rédaction du cartulaire semble d’ailleurs consécutive à la « restauration », en 1116, du monastère par l’évêque de Coimbra, qui l’avait reçu en 1109 comme un simple bien matériel – à la suite de son étonnante suppression par le comte Henri de Bourgogne (gouverneur du « comté » de Portugal, créé en 1096 par le roi Alphonse VI).

3Le monastère Saints-Mamet-et-Pélage de Lorvão, près de Coimbra, dont les origines ont été discutées à satiété, se distingue par son ancienneté, par son dynamisme culturel – y a été enluminée la célèbre Apocalypse de Lorvão (en fait le commentaire de Beatus de Liebana) et copié un exemplaire du « passionnaire hispanique » – et surtout par sa tradition mozarabe ; monastère originellement de règle ibérique, puis réformé par les clunisiens en 1086 et devenu enfin cistercien (féminin et sous l’invocation mariale), à la suite d’un procès avec l’infante Thérèse, en 1206-1211, cet établissement « de frontière », relevant du royaume léonais durant un siècle (878-987) puis intégré dans la marche andalouse en 987-1064, reflète toute la complexité culturelle des relations entre le califat de Cordoue et les royaumes chrétiens du nord de la Péninsule, et il constitue un des bastions du mozarabisme durant la romanisation liturgique menée, avec l’aide des clercs clunisiens, par les empereurs castillano-léonais. En outre, parmi les actes compilés dans le LT, datant majoritairement du xe s. (surtout avant la prise de Coimbra par al-Mansur, en 987) et du début du xiie, se trouvent des écrits parmi les plus anciens du royaume portugais, notamment les célèbres actes 41 et 47, datés, évidemment par erreur, des années 777 et 811 – et dont la correction a fait couler beaucoup d’encre.

4Cette documentation éclaire notamment la situation du « comté » de Coimbra, en frontière méridionale extrême du royaume de León, qui est moins bien connue que celle du plus septentrional « comté » de Porto. Même si, formé très majoritairement de titres de propriété, ce cartulaire est une source inépuisable de réflexions sur les structures socio-politiques (notamment aristocratiques), les pratiques patrimoniales ou l’organisation économique du temporel, c’est dans le domaine des contacts culturels qu’il est, à mon sens, le plus éclairant ; l’onomastique personnelle et locale y est « chrétienne » mais fortement arabisée, et les pratiques mêmes d’écriture mettent en contact des populations religieusement différenciées mais vivant en commun : en témoigne le document no 15, datant probablement de l’époque où la région appartient à la taifa de Badajoz, qui est rédigé, dans un latin macaronique, en forme de notice (et non pas d’acte) pour mieux adapter un acte, en arabe et de droit coranique, par lequel un « maure » vend des biens au prieur de Lorvão « coram idoneis testibus smaelitis, ut tunc mos erat… »

5L’intérêt de son contenu fait comprendre que la quasi-totalité des actes copiés dans le LT aient déjà été édités, soit dans la collection « nationale » systématique qui a présidé à la naissance de l’histoire méthodique portugaise (les Portugaliae monumenta historica, qui ont publié les actes publics et privés jusqu’en 1100 [Diplomata et cartae I, éd. A. Herculano, Lisbonne, 1867, rééd. Nendeln, 1967), soit dans les deux séries (documents royaux, jusqu’en 1185, et documents « particuliers », jusqu’en 1123) des Documentos Medievais Portugueses qui ont poursuivi chronologiquement la précédente (Documentos régios. I : Documentos dos condes portugalenses e de D. Afonso Henriques A. D. 1095-1185, éd. R. de Azevedo, Lisbonne, 1958-1962 et Documentos particulares. III : A. D. 1101-1115 et IV/1 : A. D. 1116-1123, éd. R. de Azevedo et A. de Jesús da Costa, Lisbonne, 1940-1980), soit enfin dans une étude de l’histoire de Lorvão par le grand diplomatiste portugais Rui Pinto de Azevedo (O mosteiro de Lorvão na reconquista cristã, Lisbonne, 1933). Seuls quelques actes copiés postérieurement à la compilation, en fin du registre, sont totalement inédits.

6Cela n’enlève rien aux mérites de cette nouvelle édition du cartulaire – dont on peut seulement regretter que le titre induise en erreur le lecteur, persuadé de n’avoir affaire qu’à des études (et celles-ci en espagnol, alors que la majorité sont en portugais)... Tout d’abord, les lectures et restitutions des actes antérieurs à 1100 sont largement améliorées par rapport aux règles d’édition obsolètes des Port. Mon. Hist. ; les meilleurs diplomatistes portugais et espagnols (M. A. Rodrigues, J. M. Fernández Catón, J. M. Ruiz Asencio, le codicologue et philologue A. Nascimento) ont joint leurs efforts à cet effet – dans une collaboration internationale exemplaire, où chacun a écrit dans sa langue. Ensuite, le coffret offre, en plus du volume principal d’édition et d’études, un admirable fac-similé du LT : format (inégal) des folios, épaisseur et texture du parchemin, trous et même coutures du support, et bien sûr les couleurs du parchemin et de l’encre, tout est restitué avec la fidélité la plus totale, au lieu des habituels fac-similés qui ne donnent que les deux dimensions de l’image ; le lecteur tient entre les mains le manuscrit lui-même. Un travail artisanal de papeterie époustouflant !

7Enfin et surtout, le volume est pourvu d’un appareil critique et analytique quasiment insurpassable : sur les sept cent quatre-vingt-douze pages, seules les pages 589-717 contiennent l’édition proprement dite ! D’abord deux études historiques exposent, l’une le contexte de la région (par M. J. V. Branco), l’autre l’histoire ancienne du monastère (par A. Nascimento) – cette dernière étant quelque peu décevante, fondée sur une historiographie culturelle et liturgique peu actualisée. Suit l’appareil critique proprement dit, formé par une précieuse description codicologique (par le même A. Nascimento), une étude des copistes et des pratiques d’écritures du scriptorium (par J. M. Ruiz Asencio), un essai sur les cartulaires ibériques et la typologie diplomatique du LT (par M. Herrero de La Fuente et J. A. Fernández Flórez), et enfin un utile (quoique peu synthétique) panorama des cartulaires portugais (par M. A. Rodrigues).

8Trois articles sur la langue des textes (dont un original essai sur « l’expression de l’espace ») précèdent un monumental essai de quelque cent trente pages (par J. M. Fernández Catón) critiquant une à une les cent quinze chartes antérieures à 1118 conservées, en original ou en copie (notamment dans le LT lui-même), dans le chartrier du monastère, ce qui élargit donc la connaissance du lecteur à toute la « collection diplomatique » originelle de l’établissement ; enfin, dernier instrument au service du chercheur, un index verborum très complet, relatif seulement aux occurrences dans le cartulaire, suit l’édition du LT et clôt le volume. Si, dans l’article sur l’onomastique, les propositions d’identifications toponymiques sont fort utiles, il est dommage que les auteurs des études philologiques – comme presque tous les autres, d’ailleurs – ignorent les travaux, certes très récents, de C. Aillet sur les mozarabes « portugais » ; sur le plan pratique, le lecteur est un peu perdu entre la numérotation (factice et donc chronologique) des actes de la collection diplomatique et celle de l’édition des actes du LT (qui suit évidemment le classement originel par le cartulariste, celui-ci ayant choisi un ordre plutôt géographique) : les commentaires érudits de nombreux actes du cartulaire se retrouvent sous un autre numéro dans le régeste critique...

9Les textes du LT sont évidemment un peu écrasés par cette érudition cumulative, qui reprend les acquis de deux siècles de diplomatique : qui osera encore utiliser ces documents pour leur signification proprement historique ? À l’inverse, on a aussi le problème classique des cartulaires anciens, qui copient des chartes censées remonter fort loin dans le passé : les faux et les interpolations y sont légion, et la critique d’authenticité s’y est exercée souvent en vain, ce qui a découragé les historiens positivistes d’utiliser un matériau considéré comme peu fiable. Autre défaut, inévitable : l’abondance des approches érudites du cartulaire entraîne de nombreuses redites et parfois des contradictions – car les membres de l’équipe éditoriale elle-même ne sont pas toujours d’accord dans la critique, ainsi pour la date de l’acte no 41 qui est corrigée en 857 et 917 selon les auteurs. On atteint là les limites de l’érudition pure : les doutes quant aux données des actes ne peuvent être transformés en vraisemblances que par la prise en compte du contexte global.

10Fournissant un texte difficilement perfectible et une somme exhaustive d’érudition critique, cette édition exemplaire rendra les plus grands services aux médiévistes ; seule sa monumentalité risque de décourager encore un peu plus les candidats, de plus en plus rares, à des travaux d’édition...

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Notes

1 L’édition des actes royaux reste, elle, nettement plus soutenue, avec l’entreprise des Chancelarias portuguesas (registres des chancelleries royales du bas Moyen Âge), menée par le Centro de estudos históricos de l’Universidade Nova de Lisbonne, et la parution des registres d’Alphonse III (Chancelaria de D. Afonso III. Livro I, éd. Leontina Ventura et António Resende De Oliveira, Coimbra, Imprensa da Universidade de Coimbra, en cours depuis 2006 [Documentos]), sans parler de la reprise récente de la publication des grandes enquêtes royales du xiiie s. (Portugaliae monumenta historica. Inquisitiones. Inquirições gerais de D. Dinis 1284, éd. José Augusto de Sotto Mayor Pizarro, Lisbonne, Academia das Ciências de Lisboa, 2007 [Nova série, 3]).

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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Boissellier, « Liber testamentorum coenobii Laurbanensis (Estudios), éd. José Maria Fernández Catón »Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 427-429.

Référence électronique

Stéphane Boissellier, « Liber testamentorum coenobii Laurbanensis (Estudios), éd. José Maria Fernández Catón »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18140 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s5

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Auteur

Stéphane Boissellier

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