Georg Jostkleigrewe. — Das Bild des Anderen. Entsehung und Wirkung deutsch-französischer Fremdbilder in der volkssprachlichen Literatur und Historiographie des 12. bis 14. Jahrhunderts
Georg Jostkleigrewe, Das Bild des Anderen. Entsehung und Wirkung deutsch-französischer Fremdbilder in der volkssprachlichen Literatur und Historiographie des 12. bis 14. Jahrhunderts, Berlin, Akademie Verlag, 2008, 446 pp., 7 fig., 4 tabl., 3 cartes (Orbis mediaevalis. Vorstellungswelten des Mittelalters, 9).
Texte intégral
1C’est à partir à partir du roman Mauritius von Craûm, dont le prologue évoque la translatio de la chevalerie de Grèce, à Rome puis en France, ce qui semble contredit par les aventures excentriques du héros, que l’A. pose le problème de la perception réciproque de l’Empire et du royaume de France dans les sources littéraires et historiographiques en langue vulgaire du xiie au xive s.
2Dans une première partie, l’A. étudie la naissance de l’image de l’Autre comme étranger en partant d’une analyse quantitative de l’occurrence des passages concernant l’Allemagne (Germanie, Alemaigne, Tiois pays) dans trois sources françaises (les Grandes Chroniques de France, la Chronique rimée de Geoffroi de Paris et le Manuel d’histoire de Philippe de Valois) et ceux concernant la France (Gallia, Francriche, Kerlingen, Welschiu lant) dans trois chroniques allemandes (la Chronique rimée d’Ottokar de Styrie, la Chronique universelle saxonne et la Chronique rimée de Brunswick). Ce comptage, dont l’A. lui-même souligne les ambiguïtés et la part d’arbitraire, le conduit à conclure que les chroniques allemandes s’intéressent essentiellement à la France pour la période carolingienne, alors que les chroniques françaises conservent un intérêt pour l’Empire depuis la période carolingienne jusqu’au xiiie s.
3L’A. nuance ces résultats en avançant qu’il existe un « savoir caché » et que les historiens en savent plus sur le pays voisin que ce qu’ils écrivent : il donne l’exemple entre autres de la translation des reliques des rois mages de Milan à Cologne par Frédéric Barberousse, connue de Primat dit-il sans que les chroniques françaises en aient fait le récit : en réalité le récit de cette translation se trouve dans la chronique universelle de Robert d’Auxerre et ses nombreux utilisateurs. Il n’y a pas de « savoir caché » mais des sources qui figurent dans les bibliothèques et que les historiens exploitent ou non selon le genre qu’ils traitent et selon les règles de la compilation.
4Parmi les paramètres de la formation de l’image du voisin, l’A. retient, chez les auteurs français, le mode de transmission du pouvoir : si les romans traitent les crises dynastiques quand l’empereur n’a pas d’héritier mâle sur un mode qui n’a rien de spécifique, les chroniques françaises des xiie et xiiie s., tout en reconnaissant le caractère constitutif de l’élection dans l’Empire, sont portées à souligner l’importance de la succession héréditaire et la légitimité dynastique. Pour les textes allemands, le traitement de la nationalité de Charlemagne est révélateur : à la différence des auteurs de chroniques en latin (Otton de Freising, Geoffroi de Viterbe, Alexandre de Roes), qui peuvent jouer sur le double sens de Francia et donner une interprétation allemande de Charlemagne, celui-ci conserve son ancrage originel en « Francriche » dans les textes en allemand. Le Willehalm de Wolfram d’Eschenbach, adaptation de Aliscans, une chanson du cycle de Guillaume d’Orange, représente le transfert de représentations françaises du monde carolingien dans l’espace culturel allemand. Or, si certains princes français en tant qu’individus ne sont pas épargnés, si leur goût de la pompe et de l’ostentation est plus ou moins raillé, Wolfram d’Eschenbach n’en propose pas moins une image positive des Français ; on retrouve celle-ci transposée au xiie siècle dans une œuvre sur la croisade devant Acre, Landgraf Ludwig Kreuzfahrt.
5Dans une seconde partie, l’A. aborde la problématique des relations entre Imperium et regnum Franciae. Sur la question du dominium mundi impérial, les textes allemands, mais seulement s’il est nécessaire, s’appuient sur la théorie gélasienne des deux pouvoirs pour réfuter l’idée de l’exemption du royaume de France, ce qui n’empêche pas qu’en général, celui-ci apparaisse comme un partenaire de même rang. Même la conquête du royaume de Naples par Charles d’Anjou n’est pas envisagée comme un conflit franco-allemand, et la responsabilité de la fin tragique des descendants de Frédéric II est rejetée sur la papauté. Seul, Ottokar de Styrie se montre particulièrement hostile à Philippe le Bel qui représente à ses yeux un danger pour les droits de l’Empire dans les régions frontalières avec la France, sans qu’il s’agisse d’une hostilité structurelle entre le roi et l’empereur.
6Du côté français, dans les romans, qu’il s’agisse de la matière de Rome ou de la matière de Bretagne, l’idée d’un universalisme impérial n’intervient pas. Dans l’historiographie en langue vulgaire des xiiie et xive s., à l’exception d’une formule ambiguë du tournaisien Philippe Mousket, l’A. constate que des chroniqueurs français admettent facilement que l’empereur du Saint Empire puisse revendiquer la souveraineté universelle, sans souligner nécessairement l’indépendance du roi de France. Néanmoins il faut rappeler que dans les chroniques en français comme en latin, cette indépendance est établie non seulement dans la préhistoire des Francs qui n’ont jamais été soumis depuis leur établissement entre le Danube et le Rhin, comme l’écrit le Ménestrel d’Alphonse de Poitiers cité par l’A., mais aussi, comme il aurait fallu le signaler, depuis Charlemagne qui donna la France en alleu à Dieu et à saint Denis selon les six traductions de l’Historia Karoli Magni et Rotholandi, celles-ci compilées dans de nombreuses chroniques dont les Grandes Chroniques de France.
7Pour ce qui concerne les relations entre l’Empire et le royaume de France, G. Jostkleigrewe montre avec raison que pendant tout le xiiie s., une représentation, qui remonte à la Vita Ludovici de Suger, domine l’historiographie dionysienne et les textes qui l’utilisent : la France est le « bouclier » ou le « glaive » de l’Église et en tant que telle s’oppose aux empereurs excommuniés et persécuteurs de la papauté. Ce thème, qui inspire les récits de Bouvines et la description des relations entre Louis IX et Frédéric II, demeure plus présent que ne le dit l’A. dans les récits de la conquête de la Sicile et de l’exécution de Conradin, tel qu’il figure dans les Grandes Chroniques dans la version de Richard Lescot : Manfred est encore présenté comme « l’apert anemi de sainte Eglise et avoit en sa compaignie sarrazins et juis et toute manieres de genz qui estoient contraires à saint Eglise et a la foy crestienne » (ce passage manque dans la note 313, p. 342). Néanmoins, on peut accorder à l’A. que le Ménestrel de Reims, bien qu’il reprenne la propagande pontificale hostile à l’empereur, ne constate aucune hostilité entre Louis IX et Frédéric II, que Guillaume Guiart dans la Branche des royaus lignages fait de la bataille de Tagliacozzo une affaire exclusivement temporelle. En 1306-1307, date où ce dernier écrit, le conflit entre Boniface VIII et Philippe le Bel l’a peut-être conduit à infléchir l’image de la France comme bouclier de l’Église et donc de l’empereur hérétique ou schismatique comme un ennemi du royaume. Il est vrai aussi que Jean le Bel ne parle pas une seule fois, dans son récit sur l’alliance anglo-bavaroise, de l’excommunication de Louis de Bavière ; mais cet exemple n’a pas de signification puisque Jean le Bel est liégeois : bien qu’appartenant à la sphère culturelle française, il n’est pas un représentant de l’historiographie française.
8Parallèlement les chroniques françaises du xiiie s. mentionnent régulièrement « l’amitié » entre le roi de France et l’empereur comme une alliance immémoriale, ce qui reflète l’alliance effective entre les Capétiens et les Hohenstaufen, même à l’époque de Frédéric II. Au xive s., les historiens mettent plus volontiers en avant des serments mutuels de respect des frontières, ce qui ne signifie pas qu’aux yeux des historiens de Saint-Denis, elles soient inviolables : en témoigne le récit des Grandes Chroniques de France de l’entrevue de Quatrevaux entre Philippe le Bel et Adolphe de Nassau où l’extension jusqu’au Rhin du royaume de France est envisagée. Si les historiens français ne nient pas l’existence de conflits entre la France et l’Empire, de façon générale ils parlent d’une coexistence pacifique entre les deux royaumes.
9G. Jostkleigrewe a voulu repenser les représentations réciproques de la France et de l’Allemagne dans la littérature et l’historiographie en langue vulgaire ce qui l’a conduit, on le voit, à des constatations et des réflexions qui ne manquent pas d’intérêt. Cependant un certain nombre de critiques s’imposent : en premier lieu l’A. n’a pas examiné les modalités de la création littéraire, pas plus que celles de l’écriture de l’histoire. Dans ce dernier domaine, il aurait fallu tenir le plus grand compte des règles de la « compilation » exposées à plusieurs reprises par B. Guenée, c’est-à-dire de la nécessité pour les historiens – au moins pour les historiens de métier, qu’ils écrivent en latin ou en langue vulgaire –, de s’appuyer sur des « autorités », de hiérarchiser leurs sources entre audita, visa, lecta pour les faire « concorder ensemble », et enfin de les « ordonner » dans un récit. Si l’on veut saisir la cohérence d’un texte, l’évolution d’un concept ou d’une représentation, il est nécessaire de bien connaître cet arrière-plan technique, en particulier dans le cas des Grandes Chroniques de France, dont les continuations et les remaniements successifs au xive s. ont été étudiés par I. Guyot-Bachy et J.-M. Moeglin (« Comment ont été continuées les Grandes Chroniques de France dans la première moitié du xive siècle », BEC, 163, 2005 ; cet article rend obsolète l’annexe iii) ; la Chronique de France abrégée, composée par Guillaume de Nangis entre 1297 et 1300, puis continuée à Saint-Denis jusqu’en 1384, est une source fondamentale de ces continuations ; elle aurait mérité d’être incluse dans le corpus des sources en raison de son grand succès.
10Par ailleurs l’A. affirme vouloir orienter sa recherche sur la réception des œuvres, ce qui aurait dû être fait à travers une étude du succès des œuvres (nombre et localisation des manuscrits, utilisation par d’autres auteurs). Dans cette perspective, on ne peut pas mettre sur le même plan Primat, à la tête de l’atelier historiographique de Saint-Denis, auteur d’une histoire commanditée par le roi de France et considérée comme une histoire quasi officielle de la monarchie qui a imposé dans tout le royaume et dans les régions francophones de l’Empire (par exemple dans l’historiographie messine) des représentations durables, et le Ménestrel de Reims, un chansonnier anonyme qui cherche à divertir un auditoire de nobles et dont le succès fut mesuré (onze manuscrits). On aurait aimé une présentation précise d’Ottokar de Styrie, de ses sources et de son public puisqu’il est l’historien de langue allemande qui s’est le plus intéressé à la France.
11Il faut aussi tenir compte des genres littéraires dans lesquels les auteurs ont parfaitement conscience de s’inscrire : si les historiens français ne se soucient pas d’argumenter sur la souveraineté universelle de l’empereur, ce n’est pas parce qu’ils n’en ressentent pas la nécessité, c’est que cette tâche n’est pas la leur, mais celle des juristes, qui ne s’en sont pas privés notamment pendant la querelle bonifacienne et sous le règne de Charles V : l’exemption du roi de France par rapport à la souveraineté universelle de l’empereur est affirmée dans une abondante littérature en latin comme en français. Ce n’est évidemment pas un hasard si la question des relations entre le roi de France et l’empereur est posée sur le plan juridique dans les Grandes chroniques de France, dans le récit de la visite de l’empereur Charles IV à Paris : sous Charles V, leur rédaction échappe pour un temps aux historiens de Saint-Denis pour passer dans les mains d’un juriste, le chancelier Pierre d’Orgemont.
12Enfin on peut s’interroger sur la pertinence de la confrontation des deux systèmes de représentations de « l’Autre » : si elle a un sens pour la littérature courtoise allemande qui effectue à partir de la littérature française un véritable transfert de culture, les historiographies en langue vulgaire se développent de façon indépendante en France et en Allemagne ; aussi l’A. est-il conduit à juxtaposer des développements : s’ils répondent aux mêmes questions, ils aboutissent à des conclusions qui, hormis certaines généralités sur l’image de l’autre, n’ont pas de rapports ensemble ; la minceur des conclusions générales (8 pages pour un ouvrage de 398 pages) en témoigne.
Pour citer cet article
Référence papier
Mireille Chazan, « Georg Jostkleigrewe. — Das Bild des Anderen. Entsehung und Wirkung deutsch-französischer Fremdbilder in der volkssprachlichen Literatur und Historiographie des 12. bis 14. Jahrhunderts », Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 424-427.
Référence électronique
Mireille Chazan, « Georg Jostkleigrewe. — Das Bild des Anderen. Entsehung und Wirkung deutsch-französischer Fremdbilder in der volkssprachlichen Literatur und Historiographie des 12. bis 14. Jahrhunderts », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18127 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s4
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