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Comptes rendus

Amancio Isla Frez. — Memoria, culto y monarquía hispánica entre los siglos x y xii

Thomas Deswarte
p. 422-424
Référence(s) :

Amancio Isla Frez, Memoria, culto y monarquía hispánica entre los siglos x y xii, Jaén, Universidad de Jaén, 2007, 348 pp.

Texte intégral

1Fidèle à sa tradition d’écriture, Amancio Isla Frez signe ici un livre qui s’apparente moins à un ouvrage monolithique, charpenté de manière rigoureuse, qu’à une promenade dans les buissons de l’histoire politique, religieuse et culturelle du royaume de León. Il ne s’agit donc ni d’une synthèse, ni d’une recherche systématique et exhaustive, mais de l’étude de quelques grands thèmes pendant une période allant de la fin du xe s. à la mort d’Urraca (1126), énergique reine du royaume depuis la mort de son père, Alphonse VI, en 1109. Revers de la médaille d’une telle formule : des notes en bas de pages parfois rapides ; des citations latines trop rares ; enfin, l’absence d’index et de conclusions (générale et partielles).

2Mais ne boudons pas notre plaisir ! La pensée, originale, est servie par une grande érudition et une plume alerte et vigoureuse. L’A. nous prouve ici qu’il est bien l’un des historiens les plus brillants de sa génération : toujours au contact des sources, il sait s’ouvrir à de nouvelles problématiques, en particulier à celles venues de l’autre côté des Pyrénées, tout en évitant d’appliquer au forceps à l’histoire ibérique certains concepts historiographiques « français » – je pense par ex. à la notion de « féodalité », dont une historiographie hispanique use et abuse sans aucune précaution méthodologique…

3Neuf chapitres sont consacrés à ce long xie s., partagé entre une tradition gothique réactivée et de nombreuses innovations souvent venues d’outre-Pyrénées, tout particulièrement autour du thème de la memoria. Dans une perspective isidorienne, celle-ci comprend à la fois la narratio rei gestae et les actions effectuées « pour maintenir le souvenir du défunt » (chap. i : « Prólogo », p. 11). À cet égard, l’on aurait aimé voir cités les travaux de J. Wollasch, K. Schmid et O. G. Oexle, afin de mieux saisir l’actuel concept historiographique de memoria et son rôle dans l’élaboration d’une « conscience de soi » et des pratiques sociales. Une telle réflexion méthodologique et historiographique aurait permis d’approfondir la dimension sociale de la commémoraison des défunts, étudiée au travers des donations royales (chap. iii : « Donaciones a la Iglesia y oraciones por los reyes »).

4Assurément, l’A. rappelle à juste titre l’ancienneté de la doctrine de la prière pour les morts et de sa dimension liturgique ; pourtant, cette prière ne semble connaître de réelle concrétisation sociale que fort tard, à partir du milieu du xe s., quand par ex. certaines donations royales sollicitent de manière explicite les prières des communautés religieuses : quels sont alors les « lieux » de la mémoire royale ? Peut-on distinguer une « mémoire » laïque d’une religieuse ? Les dons aux églises, qui participent d’une incontestable cohérence de la société, ne sont-ils pas aussi parfois sous-tendus par des conflits – selon l’intéressante perspective proposée par Ph. Buc (« Conversion of objects », Viator, 28, 1997, p. 99-143.) ?

5De manière plus spécifique, comment expliquer cet intérêt grandissant pour les prières des communautés religieuses ? L’A. invoque le contexte belliqueux des dernières décennies du xe s. : la recherche d’une sécurité spirituelle répondrait à l’insécurité provoquée par les dévastations d’al-Mansour… Pourtant, là encore, seule une analyse serrée de la documentation permettrait de prouver ou d’infirmer un tel impact des offensives du vizir. Quatre autres hypothèses sont relativisées, notamment pour des raisons chronologiques, alors qu’elles demanderaient à mon avis une analyse approfondie : une possible transformation du document d’archive ; la diffusion de la règle de saint Benoît et de l’« esprit clunisien » (p. 81-82) – aspect malheureusement négligé dans un autre chapitre consacré aux « Clunizaciones » (chap. ix), où l’A. relativise la présence institutionnelle de Cluny sous Ferdinand Ier et affirme la nette dimension religieuse du lien unissant ce roi au monastère bourguignon et concrétisé par le versement d’un cens – ; et l’essor des communautés canoniales.

6De fait, les chapitres cathédraux se développent à partir du début du xie s. (chap. iv : « Canónicas y renovación eclesiástica en el siglo xi »). Manifestement fidèles à d’anciennes traditions ecclésiastiques, notamment à la « règle de saint Isidore », ils sont l’objet d’une réglementation spécifique lors des conciles de Compostelle I (1056/1059) et de Compostelle II (1063). Deux communautés sont bien étudiées : celle de León bénéficie du testament de l’évêque Pélage en 1073 ; celle de Santiago, qui rassemble sept clercs, est créée par l’évêque Cresconius, avant d’être décriée au siècle suivant dans l’Historia Compostellana en raison de son caractère « archaïque » – selon l’intéressante lecture proposée par l’A.

  • 1 Alexandre P. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg : die Deutung des Krieges im christlichen Spa (...)

7Si le néo-gothisme demeure un aspect important de l’idéologie royale durant le haut Moyen Âge, il est néanmoins absent du choix des lieux de sépulture des souverains (chap. ii : « La muerte y los enterramientos regios »). Dans une tradition toute romaine, ils reposent dans des panthéons situés dans les capitales successives du royaume : Oviedo (Santa María), León (Santa María, San Salvador, San Isidoro). Cette coutume est interrompue par Alphonse VI, qui, à l’instar des grands nobles de son temps, choisit de reposer dans un monastère, en l’occurrence Sahagún, pensé comme l’équivalent de Cluny en Espagne. La mort du souverain est aussi l’occasion d’affirmer sa sainteté – malgré l’absence de toute reconnaissance officielle. Citons ainsi Alphonse Ier (757), dont le corps est miraculeusement enlevé par les anges d’après la Chronique d’Alphonse III (fin du ixe s.). Mais s’il est possible que le chroniqueur s’inspire ici du récit de la mort d’Herménégilde par Grégoire le Grand dans ses Dialogues, doit-on y voir une comparaison explicite entre le roi et le martyr ? Cette hypothèse – déjà proposée par A. Bronisch1 – ne tient pas pour la bonne et simple raison que le chroniqueur asturien ne mentionne jamais explicitement le fils de Léovigilde… Il faut donc y voir un procédé littéraire classique, qui consiste à prouver la sainteté d’une personne en empruntant un ancien discours hagiographique – voire plusieurs, notamment ici la vita sancti Martini (J. E. López Pereira, « Continuidad y novedad léxica en las Crónicas Asturianas », Mittellateinisches Jahrbuch, 24-25, 1989-1990, p. 295-310, p. 305).

8Trois chapitres sont spécifiquement consacrés aux trois chroniques rédigées durant cette période. La Chronique d’Iria, qui raconte l’histoire des vingt-deux évêques d’Iria (561-985), est la plus problématique, ne serait-ce qu’en raison des incertitudes entourant sa datation (chap. vi : « Una vuelta al Cronicón iriense »). Comme la majorité des historiens, l’A. opte pour le début du XIIe siècle au terme d’une analyse très subjective, en bonne partie fondée sur une comparaison systématique avec l’Historia Compostellena : bien que très différents dans leur écriture et dans leur but (la Compostellana s’intéresse d’abord à Diego Gelmírez, 1100-1140, auquel elle consacre 266 chapitres sur 268 !), ces Gesta episcoporum témoignent selon l’A. de préoccupations réformatrices similaires, comme la dénonciation de l’incontinence, de l’avarice et de l’injustice épiscopales, et la défense des espaces sacrés et des clercs ; elles révèleraient aussi les tensions existants à cette époque entre l’évêque et les chanoines – dont les points de vue seraient défendus respectivement par l’Historia Compostellena et la Chronique d’Iria. Pourtant, aucun des éléments précités ne me paraît constituer un critère de datation, même relatif ; le raisonnement semble même circulaire, puisque les preuves avancées reposent toutes sur l’hypothèse d’une telle datation… Le terminus de la Chronique d’Iria (985) ne peut-il pas somme toute constituer une solide base de datation ? Sinon, comment expliquer une interruption si précoce du récit ? En outre, ces deux œuvres ne peuvent-elles pas être différenciées à partir d’autres éléments, notamment le récit des origines du siège, qui commence avec l’époque suève dans la Chronique d’Iria et avec l’invention de la tombe apostolique au neuvième siècle dans l’Historia Compostellena ? Gageons qu’une réponse à ces questions permettrait de compléter la riche analyse de l’A.

9Mieux connues sont la Chronique de Sampiro, rédigée par un clerc proche du roi vers 1023 selon l’A., et la « mal llamada » Historia Silense, probablement écrite durant la deuxième décennie du xiie s. (chap. vii : « Una crónica leonesa, la llamada “Historia silense” » et chap. viii : « El Pseudo-Pedro : Historia palatina y percepciones aristocráticas »). La première, qui continue la Chronique d’Alphonse III depuis son règne jusqu’à l’avènement d’Alphonse V en 999, exalte l’autorité royale au moyen d’un discours très néo-gothique contre les rebelles. La Silense témoigne d’un projet plus original, une biographie d’Alphonse VI demeurée inachevée et dont il ne subsiste que la préface. Elle est rédigée non pas à Silos mais probablement à San Isidoro de León ; comme le propose l’A., l’expression de Domus Seminis pourrait même désigner de manière poétique et biblique la « maison des générations », c’est-à-dire le panthéon royal. En tout cas, cette « chronique » ne peut pas être rattachée à l’ordinaire du lieu, Pierre ; la nouvelle appellation de « Chronique du pseudo-Pierre » ne me paraît donc guère plus pertinente que l’ancienne… Dans ce jeu des identifications, n’oublions pas non plus que P. Henriet a relancé l’hypothèse d’une Silense rédigée par un moine de Sahagún installé à León (« Conférence », EPHE, Livret-annuaire, 19, 2003-2004, p. 235-239, p. 238).

10Ce « tratado moral » synthétise l’ancien et le neuf. La Silense relit l’histoire dans une perspective très néo-gothique, puisque Ferdinand Ier et Sancha permettent l’union de deux familles gothiques, descendant de Reccarède via le duc Pierre ; mais elle s’inspire aussi de modèles formels (Vita Karoli d’Eginhard) et idéologiques (Constantin) exogènes, afin de placer Alphonse VI au-dessus de tous ses prédécesseurs, au terme d’un cycle historique de restauration ; Rome et Tolède sont derrière les termes d’« empereur », d’« orthodoxe » (Reccarède) et d’Hispania. Enfin, elle accentue l’approche providentielle et morale de l’histoire en dénonçant tout particulièrement les guerres entre chrétiens, comparées à la lutte entre Caïn et Abel et à la guerre entre les anges.

11Demeure l’énigme des relations entre la Chronique de Sampiro et l’Historia Silense. En effet, dans les manuscrits, la Chronique est intégrée dans la Silense, entre la mort d’Ordoño II (924) et l’avènement d’Alphonse V. Cette « interpolation » fut forcément réalisée très tôt, puisque la Chronique de Nájera (ca 1180) reprend à son propre compte les deux textes ainsi disposés ; mais est-elle destinée à remplacer des folios perdus (J. M. Ruiz Asencio) ou résulte-t-elle d’un choix assumé de l’auteur de la Silense (J. Pérez de Urbel, A. Isla Frez) ? Seule une nouvelle édition critique des deux œuvres permettra peut-être un jour de répondre à cette question.

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Notes

1 Alexandre P. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg : die Deutung des Krieges im christlichen Spanien von den Westgoten bis ins frühe 12. Jahrhundert, Münster, Aschendorff, 1998, p. 135-139 (trad. esp., Reconquista y Guerra Santa : La concepción de la guerra en la España cristiana desde los Visigodos hasta comienzos del siglo XII, Grenade, Universidad de Granada, 2007).

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Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Deswarte, « Amancio Isla Frez. — Memoria, culto y monarquía hispánica entre los siglos x y xii »Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 422-424.

Référence électronique

Thomas Deswarte, « Amancio Isla Frez. — Memoria, culto y monarquía hispánica entre los siglos x y xii »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/18120 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/128s3

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