Les lettres dans l’hagiographie médiolatine (ixe-xiie siècle)
Résumés
Les lettres que certains hagiographes intègrent dans leurs Vitae entre le ixe et le xiie siècle peuvent jouer le rôle de documents probatoires, au même titre que d’autres actes (diplômes, testaments, bulles). L’auteur les utilise, de bonne ou de mauvaise foi, comme les garanties d’un discours hagiographique qui place au premier plan de ses buts une écriture véridique de l’histoire. Néanmoins, les lettres se distinguent de tous les autres actes insérés dans les Vitae à cause d’une parenté générique entre écriture hagiographique et écriture épistolaire : l’une et l’autre prétendent conserver vivante la voix de l’absent ; bien des Vitae sont présentées comme un élément au sein du dialogue épistolaire plus large qui unit l’hagiographe et les familiers du saint, commanditaires et/ou récipiendaires de sa Vie. À partir du xie siècle, le projet historiographique qui faisait de la lettre une preuve semble devenir moins important que le projet spirituel qui voit dans la lettre un témoignage sincère ou un vivant souvenir.
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Mots-clés :
hagiographie, écriture de l'histoire, genre épistolaire, Anselme de Lucques, Didier de Cahors, Sigebert de Gembloux, Rimbert de Brême, Heiric d'Auxerre, Otloh de Saint-EmmeramKeywords:
hagiography, writing history, epistolary genre, Anselm of Lucca, Didier of Cahors, Sigebert of Gembloux, Rimbert, Heiric of Auxerre, Otloh of Sankt EmmeramTexte intégral
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1Nous déployons des trésors d’érudition pour mesurer le degré d’historicité des textes hagiographiques, que nous nous efforçons de répartir en fictions ou récits fiables1. Les hommes du Moyen Âge n’avaient pas des exigences scientifiques moins hautes que nous : si le public médiéval de l’hagiographie prenait plaisir à entendre des histoires de saints d’autant plus merveilleuses qu’elles étaient improbables, il était en même temps difficile à convaincre, voire incrédule quant au fond de ce qu’on lui rapportait2. Les hagiographes pour leur part, même s’ils pouvaient s’abriter derrière des excuses théologiques – les saints peuvent ce que Dieu peut, c’est-à-dire même l’impossible3 – insistent sur leur intention fondamentale de présenter la vie de leur héros comme une histoire véridique4. Ils donnent toutes les garanties possibles de la bonne foi de leur enquête, dont des listes de témoins qualifiés5. Le rôle du témoignage oral direct est bien connu pour fonder la réalité d’un miracle donc la sainteté d’une vie – il connaît un net regain d’intérêt au moment où la pratique des enquêtes préalables à la canonisation s’impose6. Cependant, c’est plutôt l’existence de documents écrits qui est revendiquée avec une fréquence grandissante à partir du ixe siècle par les hagiographes latins pour établir la véracité de leur récit. Au xe siècle par exemple, le moine Rainier explique dans sa lettre-préface à Rathbod comment il a travaillé pour rédiger sa Vie et Miracles de saint Ghislain, dans des circonstances qu’il dépeint comme peu favorables : « […] de nombreux éléments manquent, qui auraient dû figurer dans ce petit ouvrage, mais que je n’ai pas trouvés – ni en les lisant, ni en les voyant, ni en les entendant ; de peur d’être mis en cause comme faussaire, je n’ai osé intégrer ici rien que je n’aie découvert à grand-peine dans des documents ou des parchemins épars – d’autant que la force miraculeuse du Tout-puissant, qui agit toujours d’une façon admirable dans ses saints, n’a pas besoin le moins du monde d’affabulations trompeuses7. » Passé les habituelles considérations sur son incompétence, Rainier veut donc que son commanditaire sache qu’il a eu recours à des documents écrits, qui lui apparaissent comme des garanties suffisamment importantes pour le prémunir contre l’accusation de mensonge ; mais les a-t-il vraiment eus sous les yeux ? Quand une idée revient de plus en plus fréquemment dans les prologues hagiographiques, on est en droit de se demander s’il s’agit d’une nouvelle excuse à la mode ou d’une modification réelle dans les techniques d’écriture des hagiographes. Walafrid Strabon (m. 849)8 lève en partie l’hypothèque de l’excuse topique ; à mi-parcours de la Vie de saint Gall qu’il rédige vers 816-824, il prend en effet le temps de détailler sa méthode, pour prouver qu’il n’a rien inventé, et renvoie à des documents que ses contemporains pouvaient encore consulter :
- 9 « Descriptis his quae priscorum sollertia de vita, fine et virtutibus beati Galli ad nos usque scri (...)
« Le zèle des anciens a transmis jusqu’à nous par écrit des informations sur la vie, la fin et les vertus du bienheureux Gall : après les avoir retracées, nous tenterons désormais de résumer ici les indications de témoins très fiables, consignées dans une lettre du très cher frère Gozbert. Primo, elle indique clairement comment et quand les usages de la vie régulière ont commencé à être observés dans le monastère du bienheureux Gall ; puis elle expose d’une manière vraisemblable par quels miracles la vertu de ce père s’est manifestée à tous, en citant nommément chacun des garants qui les relate. <Walafrid ne reprend pas ces noms qui sont inaudibles en latin> Cependant, si quelqu’un avait le désir de connaître les témoins de ces événements, il pourrait les trouver dans le document écrit que nous suivons. Nous ajoutons aussi à cet ouvrage quelques éléments que nous n’avons pas appris par une attestation écrite, mais par le récit d’hommes fiables. Dans tout ce que nous rapportons, autant que cela dépend de nous, nous nous appliquerons à suivre le fil de la vérité : nous n’ajoutons rien de notre invention par amour de ce qui est faux, ni ne cachons rien selon notre caprice par haine de ce qui est vrai. Et puisque nous suivons ce que d’autres ont écrit ou dit, c’est d’eux que dépend la vérité des faits : pour notre part, nous sommes responsables de l’abrégement des paroles et de l’enchaînement des idées9. »
2Dans ce discours de la méthode, Walafrid réserve une place éminente à une lettre de l’abbé Gozbert, qui joue le rôle que nous attribuons à une source historique : elle donne des informations factuelles (comment ? quand ?) ; elle conserve la chaîne de transmission des faits rapportés (les noms des témoins) ; elle demeure, même une fois utilisée par l’hagiographe, un document séparé auquel on peut se reporter pour plus amples informations.
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3L’hagiographie entre donc en dialogue avec des documents antérieurs, de genres hétérogènes, utilisés à des fins probatoires10. Le travail de l’hagiographe médiolatin implique dès lors un effort de compilation, visant à rassembler sur un saint donné un dossier documentaire, le plus exhaustif possible, actes royaux, testament du saint, lettres qui lui sont adressées ou qui le mentionnent, etc11. Que la critique contemporaine débusque dans ces documents des sources falsifiées12 ne modifie pas ce constat fondamental : à partir du Moyen Âge central (viiie-xiie siècle), des hagiographes citent des documents comme les historiens contemporains utilisent leurs sources, c’est-à-dire comme les preuves qui doivent jalonner un discours de reconstitution du passé. Il y a là une certaine rupture avec les origines de l’hagiographie, qui tendait plutôt depuis le ive siècle à se détacher de l’historiographie chrétienne et de ses méthodes13. La pratique romaine qui consiste à faire écrire aux viiie-ixe siècles les parties historiques des biographies pontificales par les hommes mêmes qui sont chargés de conserver les archives des papes, et notamment leurs registres, est peut-être en partie responsable de cette inflexion14 : de fait, Pierluigi Licciardello montre que la Vie du pape Grégoire le Grand de Jean Diacre ne pouvait naître que dans un milieu d’archivistes et d’historiens15. Que nombre d’hagiographes des ixe-xiie siècles soient aussi des historiens peut ainsi avoir contribué à rapprocher les pratiques d’écriture16. Les différences génériques restent pourtant conscientes et opérantes17. Prenant pour angle d’attaque particulier le phénomène d’intégration des lettres dans les textes hagiographiques du Moyen Âge central, cet article entend contribuer à sa mesure à la réflexion en cours sur ce qui continue à distinguer l’hagiographie de toute écriture de l’histoire18 : il soutient que l’utilisation des lettres par les hagiographes n’est pas réductible à l’utilisation de n’importe quel autre document (diplôme, charte, testament) ; or cela ne tient pas seulement aux caractères propres au genre épistolaire. La tradition hagiographique latine elle-même donne à l’intégration des lettres une signification qui dépasse celle que revêt l’inclusion des mêmes documents dans d’autres contextes narratifs. Mettre en évidence la parenté non seulement stylistique mais même sémiotique du genre épistolaire et de l’hagiographie médiolatine pourrait permettre de mieux préciser ce qui constitue l’originalité de ce discours.
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4L’insertion d’un document s’apparente à première vue à la production d’une preuve écrite. La nouveauté vient de ce que cette preuve n’est pas simplement invoquée mais reproduite : des hagiographes citent in extenso les documents qu’ils ont découverts, là où Walafrid se contentait de renvoyer les curieux aux archives de Reichenau. À quoi bon ? Une première façon de répondre consiste à considérer le statut du texte hagiographique : texte sacralisé, il pourrait comme un trésor mettre en valeur et protéger les documents qu’on lui confie ; il les parerait en même temps de sa propre autorité. Ainsi l’auteur du xie siècle qui ajoute à la Vie de saint Benoît d’Aniane écrite par Ardon au début du ixe siècle deux lettres du saint abbé, entend-il leur donner la valeur d’un testament spirituel : il les présente comme les dernières volontés écrites par l’abbé mourant à sa communauté d’Aniane et à l’évêque Nébridius. Ajoutées à la fin du texte hagiographique, ces deux lettres acquièrent une forte autorité normative du fait du contexte où elles apparaissent et sont dites « plus douces que toutes les richesses », « dictées de sa propre bouche avant son départ de ce monde19 ». Les impératifs que ces lettres formulent à l’égard de l’autorité épiscopale ou concernant l’élection abbatiale deviennent du fait de leur contexte d’apparition des références sacralisées. Le texte hagiographique de plus peut être appelé à une large diffusion : il serait donc choisi pour faire largement connaître des documents importants, capables de rehausser le prestige de telle ou telle institution, en dehors du petit cercle des archivistes. L’auteur de Trèves qui fait semblant d’inclure une lettre du pape Sylvestre dans la Vie de l’évêque saint Agrice qu’il a composée vers 1050-107020 joue-t-il ainsi de cette capacité du texte hagiographique à être à la fois un écrin sacralisant et un présentoir ? Dès les débuts du texte qui doit retracer les origines apostoliques du siège épiscopal, l’auteur cite une lettre pontificale. Elle assure à un saint Agrice bien attesté en 314, qu’il jouit de la primatie sur les Églises de Gaule et de Germanie. Une telle lettre, est-il besoin de le dire, n’a pas d’existence historique au sens positiviste de l’expression : elle commence sa carrière de document d’histoire dans la Vie d’Agricius, après 1050. Elle se comprend bien dans ce contexte d’écriture ottonien-salien : après que le ixe siècle a découvert le pouvoir politique des faux isidoriens, dont les Fausses Décrétales, des lettres papales forgées sur mesure apparaissent dans les textes hagiographiques les plus concernés par la question des pouvoirs épiscopaux21. En l’occurrence, c’est le pape Sylvestre qui est l’origine de la primatie confiée à l’évêque de Trèves Agrice :
« Cet évêque du siège romain, saint Sylvestre, qui avait confié à Agricius l’épiscopat à gouverner avec l’autorité d’une si grande supériorité, s’inquiétait avec une vraie sollicitude de ce que cette dignité – ce statut inviolable que Trèves avait obtenu à ce moment-là, comme nous l’avons dit – ne puisse être modifiée du fait de quelque négligence de ses successeurs ou de la violence injuste de certains, ni tomber en désuétude, ce qu’à Dieu ne plaise : c’est pourquoi ce pape Sylvestre mit par écrit ce privilège, qui devait être porté à Trèves par la main du saint père Agricius. Il fixa par cet écrit d’une perpétuelle fermeté, et sa très antique dignité et l’absolue supériorité de sa noblesse. Il n’est pas infondé, semble-t-il, d’en insérer ici un exemplaire, qui fera connaître qu’il contient ces mots, dans cet ordre :
- 22 « Predictus autem Romane sedis episcopus Siluester, qui ei tam precipuæ auctoritatis episcopatum re (...)
“Par sa crosse [qu’il a remise aux saints Euchaire, Valère et Materne], le chef de l’Église, Pierre, a signifié que Trèves la première devait avoir une primauté spirituelle sur les Gaules et les Germanies, diminuant d’une certaine façon sa dignité pour que tu y participes. Moi, Sylvestre, qui suis son serviteur et successeur indigne, je confirme et renouvelle [ce privilège] au bénéfice du patriarche d’Antioche Agricius, pour l’honneur de la patrie de l’Auguste dame Hélène, patrie qu’elle eut le bonheur d’enrichir avec générosité [des reliques] de l’apôtre Matthias qu’elle fit transporter depuis la Judée avec la clé et d’autres reliques du Seigneur, et d’exalter d’une façon toute spéciale. Que soient séparés de la communion ceux qui contreviendraient en connaissance de cause à ce privilège par jalousie, car souillés comme anathèmes”22. »
- 23 K. Krönert (op. cit. n. 20), p. 371-372.
- 24 « [les dangers et les miracles de saint Agricius] la négligence de nos prédécesseurs, on l’a dit, e (...)
5Les prétentions parénétiques du texte hagiographique sortent à première vue renforcées par l’inclusion de la lettre : le discours initial sur la négligence des élites ecclésiastiques ou la violence des grands est tellement attendu qu’il pourrait passer inaperçu, s’il ne se trouvait fermement étayé par la conclusion canonique du document, et sa formule d’anathème. Les contemporains de l’auteur savent objectivement qu’ils pèchent gravement s’ils oublient ou contredisent la primatie de Trèves. L’inclusion dans la Vita relève bien de la technique publicitaire. Cependant, dans ce cas particulier d’un texte hagiographique focalisé sur l’histoire des origines de l’Église de Trèves, la portée de la lettre ne peut être réduite à celle d’un document juridique. Elle naît aussi de la biographie bien connue de son auteur – Sylvestre est l’évêque qui a baptisé Constantin. Le document garantit ainsi la proximité historique d’Agricius tant avec le pape qu’avec l’impératrice sainte Hélène, mère de Constantin, dont la Vie réécrite (BHL 3776) sert pour ainsi dire d’introduction à la Vie de saint Agrice23. Il permet de formuler, comme une évidence héritée et non comme une revendication actuelle, que la primatie appartient structurellement au siège de Trèves. Le caractère juridique du privilège semble en définitive beaucoup moins important que la reconstruction du passé que la lettre autorise. Car la lettre, du fait des liens qu’elle a établis dès les débuts de la Vita entre Agricius et Euchaire, Agricius et Pierre, Agricius et Hélène, Agricius et Matthias, etc., permet en vérité à l’hagiographe des gloses sur tous ces acteurs, gloses qui constituent de fait l’intégralité de la biographie d’Agricius : comme il le reconnaît volontiers, l’hagiographe ne sait rien du saint évêque, sinon les parallèles ou synchronismes attestés par la lettre24. Ce cas est un cas limite, dans la mesure où la lettre citée n’existe pas en dehors du texte qui l’utilise : il montre néanmoins que la valeur probatoire du document intégré, ou sa force de conviction, ne devrait pas être exagérée ; à aucun moment l’hagiographe ne prétend qu’on trouvera aisément le document dans les archives de Trèves, ni qu’il a une valeur juridiquement contraignante. En revanche, la lettre du pape est un artefact qui permet de faire figurer ensemble, comme sur un portrait de famille où Agricius tiendrait le centre, des acteurs célèbres de l’histoire paléo-chrétienne la plus prestigieuse.
- 25 Je rejoins les conclusions de Kévin Schmidt, « Le média épistolaire dans les Gesta abbatum Trudonen (...)
- 26 Bardo Lucensis, Vita et miracula Anselmi episcopi Lucensis, (BHL 0536-0537), R. Wilmans (éd.), Hano (...)
- 27 Bardo Lucensis (éd. cit. supra), cap. 43, p. 25 : « Tertia itaque nocte post sanctissimi patris ven (...)
- 28 Ibid., cap. 54 puis cap. 56, p. 28.
- 29 Ibid., cap. 65 puis cap. 56, p. 31.
- 30 « Aliud quoque miraculum, quod confratre Vitali Brixiensis ecclesiae presbytero, religiosae vitae v (...)
- 31 « Miraculorum quaedam vel oblivioni tradita vel antea incognita nunc vero comperta notitiae vestrae (...)
- 32 Bien qu’écrit en réaction à une position historiographique dépassée, et sans rapport aucun avec Luc (...)
6La citation d’une lettre dans un texte narratif comme une Vita n’est donc pas seulement la production d’une pièce justificative25. Les hagiographes tissent entre la Vita et le document, dont l’hétérogénéité stylistique est soigneusement conservée, des liens d’échos qui peuvent renforcer l’autorité de l’un et l’autre texte, ou stimuler l’intérêt du lecteur. Le fonctionnement narratif du texte hagiographique repose en grande partie sur le caractère répétitif de sa structure. Les lettres apportent alors, sans changer de thème, une variation stylistique appréciable. La Vie de saint Anselme évêque de Lucques, composée par le pseudo Bardo vers 1086-1087, est un bon observatoire du phénomène dans la mesure où, à la différence de la tendancieuse Vie de saint Agricius, elle cite des lettres récentes et réelles26. Son auteur rédige d’abord une biographie très chronologique et très conventionnelle du saint évêque qu’il a bien connu. Il y ajoute un catalogue de miracles post mortem, rapportés dans l’ordre du calendrier, selon les normes en vigueur, « La troisième nuit après le décès », « la nuit suivant le 31e jour [après sa mort] », « le 39e jour27 », etc. ; pour les miracles qui n’ont pas eu lieu sur place enfin, il copie deux lettres de l’évêque de Mantoue Ubaldus à la comtesse Mathilde28 puis une lettre adressée au même Ubaldus29. Bardo cite manifestement ces lettres parce qu’elles rapportent des miracles qu’il n’a pas vus lui-même, avec tous les signes de validation requis, dont des noms propres si possible prestigieux : dans la lettre à l’évêque de Mantoue, le prêtre Ugo mentionne un autre miracle « que j’ai appris par mon confrère le prêtre Vital de l’Église de Brescia, un homme d’une vie régulière, et par de nombreux autres témoins30 ». La deuxième lettre à Mathilde permet aussi d’insister sur le fait que le document écrit conserve la mémoire d’événements qui seraient tombés sans lui dans l’oubli31. Bardo cependant partage les a priori de ses contemporains sur la valeur du témoignage écrit : il sait bien que la version d’un témoin oculaire est plus sûre que n’importe quel récit rapporté ; dans le cas des miracles qu’il a vus en personne, il ne va pas chercher d’autres sources32. Seulement la citation de lettres présente un avantage que ne possède aucune narration directe : elles explicitent une situation d’énonciation qui répartit des rôles clairs entre auteur et lecteur du texte. Dans le cas des miracles qu’Ubaldus fait connaître à la comtesse Mathilde, la lettre permet à Bardo une mise en abyme de nature à soutenir l’intérêt de son public : tandis qu’il assume pour sa part le point de vue de l’évêque de Mantoue, il prête à son lecteur les sentiments d’une comtesse présentée comme avide de connaître tous les miracles de saint Anselme. Au moment donc où le récit est en train de devenir un catalogue de miracles répétitif, le recours à la lettre justifie qu’on en allonge encore la liste :
- 33 « Dominae Matildae Ubaldus Mantuanus episcopus gaudium et laetitiam. Immenso desiderio vestro desid (...)
« À Dame Mathilde, l’évêque de Mantoue Ubaldus : allégresse et joie ! Pour répondre à l’immensité de votre désir, nous mettons par écrit la joie que vous avez désirée : il y avait une femme de Capri qui se déplaçait comme un animal sur les mains et les pieds ; le Dieu tout-puissant l’a remise debout par les mérites de notre très saint père <Anselme> et lui a permis, comme le demande la nature humaine, de jouir de l’usage de ses pieds pour qu’elle fasse ce voyage <de venir à Mantoue où Anselme est mort>33. »
7L’intérêt que cette adresse présente pour la Vie est double : le plus visible est qu’elle confère aux faits rapportés le caractère indiscutable du témoignage d’un évêque à une comtesse ; d’une façon plus inaperçue, elle est valorisante pour le lecteur dont la sainte curiosité est louée. Bardo conserve d’ailleurs soigneusement toutes les adresses et préambules, tandis qu’il omet toujours les conclusions. Il ne copie donc pas les documents qu’il cite comme on sauvegarderait une pièce d’archive ; il les utilise pour leur contenu, mais aussi parce qu’ils permettent de relancer sa narration ; il les coupe au besoin. L’observation permet de conclure que, parmi tous les documents qui peuvent être mobilisés par les hagiographes des ixe-xiie siècles, les lettres occupent une place à part dans la mesure où toutes leurs spécificités peuvent être exploitées : elles peuvent avoir l’autorité de l’acte juridique ; elles peuvent raconter comme le ferait un témoin bien informé ; elles servent de jalons historiques pour un passé lointain ; elles font entendre des voix passées qui, surimposées au corps du texte, viennent s’ajouter à la voix de l’auteur pour s’adresser à son public.
- 34 Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, G. J. M. Bartelink (éd. et trad.), 2e éd., Paris, Cerf (Sourc (...)
- 35 À la différence des deux lettres citées supra qui sont des ajouts tardifs, l’échange commenté ici a (...)
8Non seulement les lettres ne sont pas des documents comme les autres, mais elles entretiennent avec le genre hagiographique une relation de parenté fondamentale. Depuis Athanase et sa Vie de saint Antoine (ap. 356-av. 376), l’hagiographie est née en effet d’un dialogue épistolaire entre un auteur et ses interlocuteurs, qui lui réclamaient une histoire : et toute Vie reste structurellement cette réponse, sous forme de lettre, qui donne à un public choisi toutes les attestations possibles de sainteté34. Les nombreux prologues hagiographiques entretiennent durant le Moyen Âge central cette idée que toute Vie est la réponse écrite d’un hagiographe à la demande d’une communauté de disciples ; la Vie est en soi une lettre intégrée dans une correspondance, comme Ardon le met en scène dès la première phrase de sa Vie de saint Benoît d’Aniane (m. 821)35 :
- 36 « Dominis merito venerabilibus patribus fratribusque Inda monasterio Deo Iesu famulantibus Ardo ser (...)
« Aux seigneurs – ils le méritent – les vénérables pères et frères du monastère d’Inden qui sont les compagnons de Jésus notre Dieu, Ardon, serviteur de ceux qui servent le Christ adresse son salut. Il y a longtemps déjà, frères bien-aimés, que votre lettre m’est parvenue, toute débordante d’amour et d’une pieuse commémoraison de notre père l’abbé Benoît, qui mentionnait avec affabilité bien que brièvement, son décès et son départ vers le Christ. Dans cette lettre, vous avez jugé bon d’inciter ma petitesse à mettre plus longuement par écrit les débuts de sa vie monastique à l’usage de ceux qui désirent les apprendre mais, voyant cette charge excéder mes forces, j’ai tardé <à répondre>36. »
- 37 Ardo (éd. cit. n. 19), cap. 42, p. 218-219.
- 38 « His ita exceptis et ita se habentibus, nos famuli ex monasterio Inda, uidelicet Deidonus, Leoigil (...)
9Ardon présente donc sa Vie de Benoît comme la continuité d’une œuvre collective rédigée par correspondance. Avec un raffinement stylistique extrême, alors qu’il a commencé son œuvre sous cette forme épistolaire, il la conclut par une longue citation de la lettre qu’il a reçue de la part des frères d’Inden – plaçant la lettre qui a été son point de départ en conclusion puisqu’elle rapporte les circonstances de la mort de Benoît37. Il lui conserve soigneusement sa forme épistolaire, jusqu’à la salutation finale qui légitime son entreprise, et fait écho à son prologue : « Ces faits ainsi rassemblés, tels qu’ils se sont présentés, nous qui servons au monastère d’Inden, Deidonus, Leoigildus, Bertradus et Desiderius, nous te souhaitons, Ardon, notre maître, le salut dans le Seigneur et demandons à ta charité de composer un petit livre suivant la sagesse que Dieu t’a accordée au sujet de la vie de notre père Benoît, puis de nous l’envoyer. Tous nos frères vous saluent, saluez tous les vôtres de votre côté ! Amen38 ».
- 39 « Haec autem crebras ad eum epistolas dirigens, pio studio filium cohortabatur, ut cepta perficeret (...)
- 40 « Tale nimirum de illo rex civibus et episcopis cunctoque populo testimonium dedit, ut iure plebium (...)
- 41 « […] venerabilis viri Adeloldi ...praepositi epistola... testatur, quam hic inserere non piguit, c (...)
- 42 La Vie de Wicbert appartient à la dernière partie de la carrière de Sigebert, revenu (ca. 1071/1072 (...)
- 43 Sigebert de Gembloux, Vita s. Wicberti (BHL 8882), G. H. Pertz (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlun (...)
- 44 « Quod talis tantusque hic vir Dei fuerit ne quis discredat, ipsius domni abbatis Erluini testimoni (...)
10Dans toute Vie en forme de lettre, si d’autres lettres viennent faire entendre la voix des proches du saint, ils se trouvent alors présentés implicitement comme ses premiers, et véridiques, hagiographes. La Vie de saint Didier évêque de Cahors a été pour partie construite au début du ixe siècle selon cette logique épistolaire : son auteur y intègre des lettres de la mère de Didier, non pour les informations qu’elles délivrent, mais pour dresser un portrait moral de leur récipiendaire. « Elle lui envoyait même des lettres nombreuses : elle y incitait son fils avec un zèle louable à mener à leur accomplissement les œuvres entreprises, à conserver sous bonne garde son cœur et son corps et à tendre de toute sa volonté à la conservation des commandements de Dieu. J’ai cru qu’une copie de ces lettres, que nous possédons, devait être insérée dans cette petite lettre en mémorial de reconnaissance, dans le but qu’elles attirent l’attention sur les qualités de cette mère, et l’excellence de la vie qu’elle voulait voir son fils embrasser. Voici ce qu’elles contiennent mot pour mot...39 ». Même quand l’auteur cite la lettre du roi Dagobert qui promeut Didier au siège épiscopal de Cahors, ce n’est pas pour l’autorité juridique dont l’acte royal serait revêtu ; ce n’est pas pour se féliciter de la faveur royale dont jouit l’Église de Cahors plus que pour se scandaliser de l’intrusion du souverain dans ses affaires ; c’est en tant qu’elle porte un témoignage détaillé sur les vertus de Didier40. Or cette tradition selon laquelle l’hagiographe se présente en somme comme l’auteur d’une lettre qui est la Vie, enchâssant d’autres lettres, elles aussi de nature hagiographique, perdure largement au Moyen Âge central. Norbert, abbé d’Iburg (m. 1117), présente ainsi, dans sa biographie de l’évêque d’Osnabrück Bennon (1068-1088), une lettre du prévôt Adeloldus comme témoignage essentiel de sainteté : « Une lettre… du vénérable prévôt Adeloldus atteste sa fidélité, qu’il ne m’a pas coûté d’insérer ici dans la mesure où elle dit la mesure des mérites de cet homme...41 ». De fait, la lettre d’Adeloldus ne permet pas d’en savoir beaucoup plus sur les détails de la carrière de Benno, sinon qu’il a été prévôt de Sainte-Marie d’Hildesheim, mais elle dit tout le respect qu’Adeloldus lui porte – de plus, elle est littéralement hagiographique puisqu’elle raconte un miracle survenu dans Hildesheim assiégée autour des reliques de saint Épiphane. Du fait de la parenté entre genre épistolaire et genre hagiographique, l’existence de lettres envoyées au saint, ou parlant de lui, apparaîtrait presque comme une preuve en soi de Sa Sainteté. Sigebert, abbé de Gembloux (m. 1112)42, n’hésite donc pas longtemps à inventer la lettre décisive à placer en conclusion de sa Vie de saint Wicbert, fondateur de son abbaye43. Il prétend la tirer de la correspondance entre Erluin et Aletran : « Celui qui ne croirait pas que telles furent l’excellence et la grandeur de cet homme de Dieu, qu’il consulte le témoignage du seigneur abbé Erluin, qui vécut très longtemps en sa compagnie, et qui n’ignorait rien de lui44. » Suit une lettre qui a tous les traits de l’écriture hagiographique – prologue sur le « dessein admirable » de la providence divine, considérations sur la lampe qu’on ne peut cacher sous le boisseau qui est le cliché par excellence des prologues hagiographiques, récit chronologique de la conversion de Wicbert et de la fondation de Gembloux avec effets de prose rimée… C’est en pratique une brève Vie de Wicbert sous forme épistolaire, insérée dans la Vie longue – il est probable que les deux ont le même auteur.
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- 48 Vita s. Rimberti, (BHL 7258), G. Waitz (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SR Germanicarum, (...)
- 49 « Hanc epistolam ideo hic posuimus, ut legentibus appareat, quantum, sicut admonet apostolus, studi (...)
- 50 Ian N. Wood, The Missionary Life. Saints and the Evangelisation of Europe 400-1050, Harlow, Longma (...)
11La parenté générique entre lettres et hagiographie peut encore être approfondie. Parmi les rôles qu’on peut assigner au texte hagiographique en effet, la délimitation d’un réseau de parenté et d’alliances autour du saint est l’un des rôles les plus constants que l’hagiographie assume durant le haut Moyen Âge : en citant les noms des proches et des amis du saint, en désignant surtout ceux qui se préoccupent d’entretenir sa mémoire, une Vie explicite et pérennise des liens sociaux fondés sur le principe de la parenté spirituelle quand elle ne crée pas ces liens sur mesure45. Or les lettres sont des vestiges extrêmement clairs d’une relation privilégiée. Comme l’a montré l’exemple de Benno, objet d’un souvenir élogieux parmi les chanoines d’Hildesheim (lettre) même si c’est à Osnabrück qu’on écrit sa Vie, ou celui d’Anselme de Lucques, que le pseudo Bardo de Lucques célèbre, mais à travers la correspondance de l’évêque de Mantoue où le corps d’Anselme repose, les lettres permettent d’esquisser une cartographie de la familia du saint qui dépasse les limites obvies de sa communauté ecclésiastique de rattachement. L’entourage institutionnel est généralement bien représenté dès le prologue par la correspondance entre le commanditaire-dédicataire et l’auteur ; les lettres insérées peuvent venir enrichir la description de cet entourage par la mention de correspondants choisis. Le fait est particulièrement visible dans la biographie de l’archevêque Rimbert (m. 888), composée peu après sa mort dans ce qui pourrait être le cercle des chanoines de l’Église de Hambourg-Brême46. La Vie de saint Rimbert en effet souligne la proximité du saint avec son prédécesseur Ansgar, dans un joli tableau de continuité épiscopale : ce qui est présenté comme une réalité spirituelle (les deux hommes rivalisent d’humilité et se rendent témoignage mutuellement) rejoint la réalité institutionnelle (Ansgar, sans l’imposer comme son successeur, dit de Rimbert qu’il a toutes les qualités d’un archevêque) ; c’est aussi une question d’histoire des textes, puisque la Vie d’Ansgar a été écrite par Rimbert47, tandis que le noyau originel de celle de Rimbert est écrite par un lecteur de celle d’Ansgar sous l’épiscopat d’Adalgaire (888-909)48. Après avoir décrit les années de formation de Rimbert jusqu’à sa consécration archiépiscopale cependant, l’auteur explique comment le saint a voulu devenir moine de Corvey et a su concilier les responsabilités sacerdotales avec les exigences de la règle bénédictine. Le tableau des vertus du saint parvient au chapitre 15 à une réflexion sur l’enseignement que Rimbert dispensait aux chanoinesses de Neuenheerse ; l’auteur cite alors l’intégralité d’une longue lettre de Rimbert sur la virginité et justifie cette insertion par cette conclusion : « Nous avons placé cette lettre ici dans le but que les lecteurs voient clairement à quel point il fut appliqué dans sa doctrine ‘qui est selon la piété’ [I Tim 6:3] selon l’exhortation de l’Apôtre, et combien il fut capable d’exhorter aussi les autres suivant cette doctrine49. » La justification apparaît un peu faible au regard de la longueur du document cité, et de son contenu somme toute banal : l’enseignement de Rimbert est un enchaînement de citations bibliques appuyé sur un passage des Moralia in Job et un extrait d’Augustin. Comme Ian Wood l’a souligné, on a l’impression que la lettre sert surtout de prétexte pour parler de sa principale récipiendaire50 ; dans une introduction qui situe Rimbert dans un réseau familial encore inaperçu de la Vita, l’auteur de la Vie de Rimbert explique dans quelles circonstances la lettre a été écrite :
- 51 « […] epistolasque nonnullas aedificationis plenas ad diversos composuit, quarum una est ad quandam (...)
« […] il composa quelques lettres pleines d’instructions édifiantes pour divers correspondants – l’une d’entre elles est adressée à une servante de Dieu établie dans le monastère qu’on appelle Neuenheerse et à toutes les sœurs qui y vivent dans le service de Dieu. Or cette servante de Dieu dont nous parlons était la nièce du vénérable évêque Liuthard <de Paderborn>, dont nous avons parlé plus haut, qui s’était attaché au saint homme avec tout le dévouement de l’affection, au point non seulement de se comporter lui-même comme un ami de la sainteté, mais encore de faire attention à lui <Rimbert> confier tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, relevait de lui <Liuthard>, et en particulier cette nièce dont nous parlons, qui avait été consacrée à Dieu depuis l’enfance et persévérait dans la virginité – c’est aussi par son propre dévouement qu’elle mérita d’être appelée habituellement par le saint homme l’unique fille de sa prédilection. Bien qu’elle ait défendu qu’on publie son nom pour se prémunir contre la vanité, nous avons cependant décidé – tout en taisant le nom de celle à qui la lettre a été adressée en particulier – de placer ici cette lettre destinée à l’édification des vierges consacrées, qui dit ceci51 […] »
- 52 Fondation confirmée par un diplôme de Louis le Germanique du 13 mai 871 : Die Urkunden Ludwigs der (...)
- 53 Diplôme d’immunité de Charles III du 21 septembre 887 à l’évêque Biso de Paderborn : Die Urkunden K (...)
- 54 Diplôme du roi Henri Ier du 11 mai 935 : Die Urkunden Konrad I, Heinrich I, und Otto I, T. Sickel ( (...)
- 55 « Frater Adalgarius nuper a vobis rediens, dixit mihi, graviter vos ferre, quod parvitatis meae lit (...)
12La lettre de Rimbert n’est manifestement pas citée par sa Vie pour l’originalité de son contenu, mais bien parce qu’elle donne l’occasion au rédacteur de signaler qu’il existe un lien privilégié, voulu par l’évêque fondateur, entre le siège de Hambourg-Brême et le monastère de Neuenheerse. Cette prétention est sans rapport immédiat avec la situation institutionnelle de l’établissement : Neuenheerse a été fondé par Liuthard de Paderborn peu avant 87152. En 887 encore, selon les termes d’un diplôme de 871, l’empereur Charles III a confirmé que l’abbesse Vualdburc/Walburge, « sœur de l’évêque Liuthard » administre librement des biens monastiques reçus de son frère sur leur héritage familial, et placés sous la protection conjointe de l’Église de Paderborn et du roi. Après sa mort, les sœurs jouiront de la libre élection abbatiale53. Ce privilège fait encore l’objet d’un diplôme d’Henri Ier en 935, qui ne connaît aucun lien entre Neuenheerse et Hambourg54. La Vie donne donc une version plus spirituelle de la situation. Sans pouvoir tirer de cette homonymie la moindre conclusion ferme, on doit noter que la lettre qu’elle mentionne sert principalement à situer, à la fois comme un familier du monastère et comme un agent proche de l’évêque Rimbert, un certain « frère Adalgaire » qui porte le même nom que le successeur de Rimbert sur le siège épiscopal. Après l’adresse, la lettre commence en effet par ces mots : « Le frère Adalgaire est revenu de chez vous il y a peu : il m’a dit qu’il vous était bien pénible de recevoir rarement des lettres de ma petitesse55. » L’auteur, qui écrit sous l’épiscopat d’Adalgaire, ne cherche pas forcément à placer le siège de Hambourg-Brême parmi les Églises qui auraient un droit moral d’intervention dans les affaires de Neuenheerse : mais il n’a pas voulu manquer l’occasion de citer cet incipit, et le nom d’Adalgaire.
- 56 « Domino meo et pio domno Martino, si ipse commeatum obtineo, in quaternionibus quos direxistis, ip (...)
- 57 Veronika von Büren, « Heiricus [Autissiodorensis] », dans Clavis des auteurs latins du Moyen Âge. A (...)
13Le texte hagiographique s’intègre donc dans une longue tradition stylistique qui l’apparente au genre épistolaire, avec toutes ses implications sociales. D’où l’importance structurelle des lettres d’envoi ou de dédicace qui accompagnent certains textes hagiographiques. Ces lettres ne peuvent cependant pas être rangées parmi des paratextes utiles seulement à l’historien pour situer le milieu de rédaction d’une Vie : elles constituent déjà un discours hagiographique. En effet, ces lettres vantent l’égale dévotion de l’auteur et du commanditaire envers le saint célébré ; elles ne sont pas seulement un dialogue entre deux interlocuteurs, mais une figure liminaire de ce que l’intercession signifie. Venance Fortunat est particulièrement explicite sur ce point : il s’est plu à détailler (ou embrouiller !) toutes les relations possibles qu’une dévotion commune envers Martin de Tours créée entre les hagiographes que sont Grégoire de Tours et lui-même. Dans la lettre de dédicace à la Vie en vers de saint Martin qu’il envoie à Grégoire, il se propose pour mettre aussi en vers les Miracles de saint Martin que Grégoire a écrits et ajoute : « Pour être présenté par vous à mon maître le bon seigneur Martin lui-même, je vais prendre soin aussitôt de faire transcrire <les Miracles> sur les cahiers que vous avez envoyés, si j’en trouve le loisir, en demandant assurément que sa bonté, par vous ranimée, ne cesse pas d’intercéder pour nous, son humble serviteur56 [...] ». La lettre, qui repose sur un lien social et religieux bien entretenu par des échanges de cadeaux entre Venance et Grégoire, prétend mettre aussi en évidence un rapprochement spirituel d’intercessions croisées, parce que les deux hagiographes ont en commun leurs textes et leur saint de prédilection. Cette tradition bien comprise, on peut se pencher un moment sur le dossier hagiographique de saint Germain d’Auxerre. Il permet en effet d’une façon exceptionnelle de distinguer précisément entre l’usage des lettres par l’hagiographie et leur réutilisation dans des textes à portée historique. Dans l’exceptionnel manuscrit conservé aujourd’hui à Paris, BnF lat 13757 (fin du ixe siècle) Heiric écolâtre d’Auxerre57 a fait consigner ses deux compositions en l’honneur du saint évêque d’Auxerre, à savoir sa Vie métrique et ses Miracles en prose. Il les adresse à Charles le Chauve vers 875-877 avec une lettre de dédicace qui raconte dans quelles circonstances particulières Heiric a dû composer la Vie en vers. Dans sa version de l’histoire du texte hagiographique, les lettres prennent une importance décisive :
- 58 Fol. 3v : « Quicquid igitur littere possunt, quicquid assecuntur ingenia, uobis debent, uobis inqua (...)
« Tout ce que peuvent les belles-lettres, tout ce qu’atteint l’intelligence, c’est à vous qu’elles le doivent, à vous, dis-je, qui, né pour faire toujours ce qui est digne d’un homme, excellez en vertu autant que vous resplendissez de sagesse. Pourquoi ai-je fait valoir ces qualités ? La cause, la voici, c’est Lothaire de divine mémoire, fils de votre majesté, un enfant par l’âge mais un amoureux de la sagesse par son esprit ; je loue la noblesse innée de son âme et les ressources de ses talents, pour reconnaître, d’un seul cœur avec vous, que le cher enfant a surpassé tous les mortels de son âge. Comme il avait été voué à Dieu et confié au bienheureux Germain pour son éducation, selon votre dessein, il conçut pour le saint une dévotion telle et pour le monastère une telle passion que la mort jalouse pensa, on le comprend, à nous disputer sa vie. Et puisqu’il était un enfant d’une intelligence divine, et appliqué au plus haut point à la connaissance des choses, il lui arriva un jour qu’il examinait le contenu de quelque livre de tomber sur deux lettres jumelles. Dans l’une, le très saint Aunaire sixième évêque d’Auxerre et successeur du bienheureux Germain assiégeait de prières le prêtre Étienne l’Africain pour qu’il rédige en vers la Vie de ce même très saint Germain notre père. Dans l’autre, cet Étienne faisait savoir par retour de courrier qu’il obéirait au pontife susdit. J’ai jugé que le mieux était d’insérer ici une copie de ces lettres pour que le raisonnement, porté aux oreilles du roi, puisse dissiper le moindre reste d’ambiguïté58. »
- 59 Les deux lettres ont été éditées indépendamment de l’œuvre d’Heiric et de la tradition relative à A (...)
- 60 « C’est pour cette raison que je prie l’amitié de dilection qui m’unit à toi de ne pas refuser de t (...)
- 61 Sur deux lignes : « EPISTULA AUNARII EPISCOPI AD STEPHANUM PRESBYTERUM PROVINTIAE AFRICAE », fol. 4 (...)
14Heiric cite alors in extenso la correspondance de l’évêque Aunaire (561-605) et de Stefanus Africanus (m. 648)59 : l’évêque d’Auxerre passe commande au prêtre d’une Vie en prose de saint Amâtre et d’une Vie métrique de saint Germain60 ; Stefanus lui répond qu’il n’en est pas capable, mais obéira tout de même. Ces deux lettres ne sont pas habilement fondues dans la préface à Charles le Chauve : au contraire, Heiric insiste sur le fait qu’il s’agit d’une « forma » de ces lettres, c’est-à-dire d’une copie la plus sincère. La mise en page du manuscrit du ixe siècle les met d’ailleurs en valeur comme des documents séparés, au moyen d’un titre rubriqué en onciales61. Or la longueur des lettres contraste fortement avec la brièveté de la mention de la Vie de saint Germain, qui s’y trouve résumée à une petite phrase. Après les avoir néanmoins copiées entièrement, Heiric conclut sur l’effet que cette correspondance du viie siècle a eu sur l’abbé Lothaire, fils de Charles le Chauve :
- 62 Paris, BnF lat. 13757, fol. 5r : « His sollicita lectione decursis, tandemque relatu assistentium h (...)
« Après avoir parcouru ces lettres par une lecture attentive, comprenant pour finir au récit des présents que cette œuvre, entièrement ignorée de nous, n’avait jamais été connue nulle part, saisi d’une grande colère qu’une œuvre d’une telle importance ait été soustraite à la connaissance des hommes, il [l’abbé Lothaire] passa quelques jours en proie aux angoisses dans son for intérieur. Pour finir il me fit venir, moi qui sortait tout juste des écoles, et s’ouvrit de sa souffrance intime, pour me demander avec grande véhémence de le réconforter par toute disposition dont je serais capable : c’est-à-dire pour que je renouvelle l’œuvre accomplie jadis selon ce qu’il avait lu dans les lettres mentionnées, et que je fasse passer les excellentes actions de Germain de la prose aux vers métriques, pour satisfaire à ses désirs62. »
- 63 Paris, BnF lat. 13757, fol. 5r : « Cognitum tibi est karissime frater, quę sit humanarum mentium di (...)
- 64 La lettre d’Heiric permet de ce fait ce qu’on pourrait appeler l’autobiographie par prétérition, qu (...)
15Retracer ainsi l’histoire de son œuvre hagiographique permet à l’évidence à Heiric de justifier habilement son choix d’une œuvre géminée. Aunaire en effet a fait valoir à Stefanus qu’il fallait composer des textes hagiographiques pour tous les goûts, des textes en vers comme des textes en prose : « Tu sais bien, très cher frère, quelle diversité est le propre de l’esprit humain et combien, en des aspirations opposées, se partagent non seulement la vaine foule mais toute la noblesse aussi. Et tandis que les uns se délectent de prose, les autres pour leur part affirment être charmés par les quantités, les rythmes et les chants versifiés. Par conséquent, pour satisfaire les souhaits de tous, et que personne ne voit son désir déçu, j’ai trouvé bon de faire écrire des Vies des très-bienheureux confesseurs sans contrainte de pieds, et d’en raconter d’autres après les avoir soumises à une mesure réglée63. » Dans l’esprit d’Aunaire, cette diversité des goûts justifie que la Vie d’Amâtre soit en prose tandis que celle de Germain sera en vers ; mais pour Heiric qui met en vers un texte en prose, et qui l’envoie en même temps que des Miracles en prose, l’évêque Aunaire donne une légitimation non nécessaire mais bienvenue. Son extrême attention au style par ailleurs peut être responsable de la citation intégrale de la lettre de Stefanus Africanus, qui est un modèle de latinité précieuse : même au milieu de nombreuses protestations d’indignité du même genre, toujours plus fleuries, elle se distingue par la capacité de l’auteur à habiller ses déclarations d’incompétence stylistique d’ornements rhétoriques qui les démentent aussitôt. Nul doute qu’Heiric apprécie en maître latiniste la réitération enchâssée des discours que la citation des lettres autorise : il se peint lui-même protestant de son incompétence auprès de Lothaire, par un dédoublement de la situation respective de Stefanus et d’Aunaire64. La justification par l’obéissance elle-même se trouve géminée : Heiric se présente comme ayant reçu la commande de son abbé d’honorer la commande passée par un évêque.
- 65 Les Gestes des évêques d’Auxerre, M. Sot et al. (dir.), Paris, Belles-Lettres (Les Classiques de l’ (...)
- 66 Ibid., cap. 19, p. 68-71.
- 67 « Extant quoque epistole Pelagii pape ad eundem beatissimum pontificem, quarum unam nimia uetustate (...)
- 68 Les Gestes des évêques d’Auxerre, cap. 19 (op. cit. n. 65), p. 78-83. Constance B. Bouchard, « Epis (...)
- 69 Les Gestes des évêques d’Auxerre (éd. cit. n. 65), introduction, p. XII.
- 70 « Immortalibus sceptris predestinato regumque omnium pręcellentissimo Karolo perpetuo triumphatori (...)
- 71 « Quoties memoria replico altitudinem uestram sceptra paterna non modo uirtute, consilio, prudentia (...)
- 72 « Quamquam non insciens sim eam quę nunc respublica dicitur, usque adeo uitiorum omnium proluuię ob (...)
- 73 « Illud uel maxime uobis aeternam parat memoriam, quod famatissimi aui uestri Karoli studium erga i (...)
- 74 « […] intestate prolis haeres <sic> proximus occuristis, eius bona ad uos lege redierunt… Habe igitur po</sic> (...)
- 75 ut acquiratur aedificatio legentibus, pax credentibus, salus imitantibus, immortalitas in fide pers (...)
16L’intérêt du styliste est évident ; Heiric se montrerait-il par hasard encore bon archiviste, soucieux d’une citation respectueuse de documents anciens et vénérables ? Viendrait-il combler la distance chronologique qui le sépare de saint Germain par ce jalon historique des lettres ? Le questionnement est d’autant plus légitime qu’on sait l’importance d’Auxerre dans la pensée historique : en même temps qu’Heiric s’adresse à Charles le Chauve, les chanoines de la cathédrale composent les premiers Gesta d’Occident, précisément à partir des documents conservés dans les archives de la cathédrale65. Les Gesta de fait racontent l’épiscopat d’Aunaire (m. 605) pour l’essentiel à partir de documents d’archives, dont une lettre que l’évêque a reçue du pape Pélage66. L’auteur de la notice sait dire qu’il tire ses documents de registres, où ils pouvaient être conservés sous leur forme originale : « Il existe aussi des lettres du pape Pélage au très bienheureux évêque : l’une, très noircie par le temps, nous n’avons pas été en mesure de l’extraire intégralement des volumes des documents originaux, mais l’autre, nous jugeons bon de l’insérer dans cet ouvrage67. » La lettre de Pélage est alors citée in extenso. Puis l’auteur de la notice cite la même correspondance qu’Heiric entre Aunaire et Stefanus68, avant de conclure par ce qui doit être une paraphrase d’un testament d’Aunaire. L’historiographie la plus récente tend à établir que les rédacteurs des Gesta ont travaillé, non seulement en même temps qu’Heiric, mais encore avec lui69 ; notre observation ponctuelle prouve qu’ils ont en plus manifestement eu recours à la même documentation. Cependant, la présence des mêmes lettres dans deux œuvres simultanées (873-av. 877), rédigées au même endroit, permet de mieux sentir ce qui différencie l’inclusion documentaire dans l’hagiographie et dans les Gesta : Heiric ne tire aucun sens chronologique de la présence de ces documents ; il ne calcule à aucun moment de sa préface les années qui le séparent de Germain, de Stefanus ou d’Aunaire ; les lettres ne sont pas pour lui des points de repère, dans une chronologie qui lui est d’ailleurs remarquablement indifférente. L’ensemble de sa préface est même volontairement caractérisée au contraire par son insistance sur un présent d’éternité : Charles le Chauve renouvelle en sa personne et son empire tout le savoir de la Grèce et du royaume d’Israël. Ce n’est pas par hasard si Heiric s’adresse à lui comme « À celui qui était prédestiné aux sceptres immortels, à Charles qui l’emporte sur tous les rois <passés>, au triomphateur perpétuel et toujours auguste70 », réussissant dès l’adresse initiale à qualifier par cinq moyens complémentaires l’abolition du temps et de toute histoire humaine en Charles le Chauve. C’est l’un des privilèges du savant : par le jeu de la mémoire, il peut en même temps se transporter à plusieurs époques différentes, les comparer et surtout les confondre71. En effet, contrairement aux régimes politiques qui peuvent se détériorer parce qu’ils vieillissent72, l’amour de la sagesse – qui coïncide pour Heiric avec la connaissance des belles-lettres latines – n’a pas d’âge ; et quand il a montré qu’il plaçait la philosophie au-dessus de tout, Charles le Chauve est entré dans l’éternité73. Avant d’en venir à l’histoire de son œuvre proprement dite, Heiric a ainsi construit dans la première partie de sa lettre la structure la plus anhistorique possible. Après qu’il a cité les deux lettres d’Aunaire et Stefanus, il poursuit par une variation sur le même thème de la mémoire et de la culture qui échappe au temps qui passe : niant l’ordre naturel du temps, Heiric explique d’abord qu’il est légitime que ce soit Charles le Chauve qui hérite de son fils Lothaire et prenne sa succession comme destinataire de l’œuvre hagiographique que Lothaire avait commandée74. Puis il célèbre d’une façon très classique saint Germain toujours agissant au présent, un présent d’éternité où le rejoint Charles – Heiric avec une vraie coquetterie d’auteur termine alors sa lettre par les mots mêmes de son adresse : « [j’ai écrit parce que j’ai désiré, dit Heiric] qu’à ceux qui lisent l’édification soit donnée, à ceux qui croient la paix, à ceux qui imitent le salut, à ceux qui persévèrent dans la foi la vie éternelle – c’est dans cette vie éternelle que nous désirons que tu brilles pour toujours, c’est pour cela que nous prions sans cesse, ô toi le plus grand des rois, triomphateur perpétuel et toujours auguste75. »
- 76 Otloh de Saint-Emmeram, Vita s. Bonifatii (BHL 1403), W. Levison (éd.), Hanovre-Leipzig, Hahnsche B (...)
- 77 Willibald, Vita s. Bonifacii, (BHL 1400), W. Levison (éd.), (éd. cit. n. 76), p. 1-58 ; voir I. Woo (...)
- 78 James T. Palmer, « The “Vigorous Rule” of Bishop Lull: between Bonifatian mission and Carolingian c (...)
- 79 I. Wood (op. cit. n. 50), p. 61.
17En définitive, l’intégration des lettres dans la lettre liminaire d’Heiric ne vise pas à produire un sens historique ; elles ne sont pas des documents qui auraient gardé la mémoire de faits passés ; elles sont tout entières subordonnées à la présentation d’un tableau actuel des excellentes relations entre Charles le Chauve et Auxerre, qui promet au roi d’entrer dans l’éternité. Le phénomène est sans doute disproportionné dans l’œuvre d’Heiric, du fait d’une écriture très travaillée et d’un goût de styliste qui n’est pas celui de tous ses contemporains. Il rejoint cependant le curieux rapport au passé qui est plus largement le fait de tout texte hagiographique : l’hagiographie est une histoire qui prétend se dérouler encore. Ou plutôt, le récit de la vie passée d’un homme doit conduire à croire qu’il n’a pas cessé d’agir dans le même sens depuis sa mort. L’hagiographie est donc un effort narratif pour que l’attestation du passé serve de garantie au présent. Dans ce télescopage volontaire des époques, les lettres viennent jouer un rôle fondamental, que la Vie de saint Boniface composée par Otloh de Saint-Emmeram (vers 1062-1066) met magistralement en lumière, quoique d’une façon très différente de celle d’Heiric76. Otloh n’est pas un contemporain du martyr, loin de là ; écrivant trois siècles après la mort de Boniface (754), il ne peut se prévaloir de témoignages nouveaux, ni invoquer l’inexistence d’une tradition sur le martyr pour justifier sa démarche : une Vie de Boniface notamment a déjà été écrite au viiie siècle par Willibald77. Mais l’existence de nombreuses lettres de saint Boniface justifie aux yeux d’Otloh qu’il écrive une nouvelle biographie du martyr. Ces lettres pourtant sont connues et pieusement collectées depuis le viiie siècle ; seulement elles ont circulé en collections autonomes, indépendamment de la tradition hagiographique78. Et si Willibald s’en est servi comme sources principales de son information, il n’a pas voulu que cela apparaisse explicitement dans sa Vie79. Otloh suit une tout autre méthode, dont il s’explique dans un prologue inhabituellement long, adressé aux frères de Fulda :
- 80 « […] quia cum in ipso libro quem me explanare petistis, inspicerem plurima tam miraculorum quam ep (...)
« […] alors que dans ce livre <la Vie de Boniface rédigée par Willibald> que vous m’avez demandé d’expliquer, j’ai constaté que n’étaient pas contenus bien des éléments notables – tant des miracles que des lettres – que j’ai trouvés dans d’autres livres, j’ai entrepris de les y collecter et de les insérer aux endroits qui semblaient adaptés ; car il arrive que cet homme vénérable qui le premier a écrit la vie de saint Boniface, ignorant ses vertus comme nombre de lettres, les ait passés sous silence. De mon côté, comme je considérai tous les écrits que vous possédez à son sujet, il m’a semblé que l’autorité de ce grand évêque n’apparaît jamais si grande que dans les lettres qu’il a envoyées ou reçues80. »
- 81 Question brièvement évoquée dans : John Eldevik, Episcopal Power and Ecclesiastical Reform in the G (...)
18Otloh ne prétend pas faire connaître des lettres inédites, ni même des faits biographiques inconnus, mais seulement réunir lettres et Vie : il pense que les lettres, qui montrent la vénération que lui témoignaient ses contemporains, sont des démonstrations de la sainteté de Boniface. La suite du prologue indique que, dans l’esprit d’Otloh, ces lettres intéressent aussi les moines de Fulda, puisqu’elles doivent démontrer la validité de leurs revendications et de leurs droits sur des dîmes que les évêques de Mayence leur dénient81. Mais, au terme d’une violente charge de trois pages contre les évêques, revenant à son propos initial, Otloh insiste pour dire que les lettres de Boniface qu’il a trouvées dans les archives de Fulda sont à ses yeux bien davantage que des preuves juridiques :
- 82 « Sed huius querimoniae interiectio iam finiatur et ad id, unde recessimus, stilus revertatur. Dixi (...)
« Mais finissons-en désormais avec cette plainte, qui nous a interrompu, et ramenons notre plume à l’endroit que nous avons quitté. J’ai dit plus haut en effet ce que je dis encore, à savoir que de tous les écrits que vous avez sur saint Boniface, ce sont ses lettres qui me paraissent les plus remarquables. C’est la raison pour laquelle toutes celles que j’ai pu trouver nécessaires à cet ouvrage, je me suis appliqué à les rassembler dans l’espoir qu’un lecteur zélé, qui ignorerait une telle autorité, en soit édifié. Partant, à vous mes frères de Fulda, je vous demande et je vous mets en garde de lire ces lettres avec la plus grande attention, et de supplier Dieu qu’aux prières de saint Boniface, par qui ou à qui elles ont été écrites, Il juge bon que le saint, comme on le lit dans ses lettres, vous protège aujourd’hui avec votre monastère contre le pouvoir de ces hommes-là, comme il a jadis arraché aux mêmes prêtres dépravés au prix d’un grand effort la sainte Église établie en Germanie. Je m’empresse donc d’écrire deux petits livrets, avec l’aide du Seigneur, tant au sujet de la vie du saint homme que de ses lettres, dont il a été question, racontant dans le premier qui il fut et quel travail il accomplit dans la sainte Église avant de recevoir le siège de l’Église de Mayence, et dans le deuxième ce qu’il fit par la suite, jusqu’au terme glorieux de sa vie82. »
19Dans cette finale, le principe de l’utilisation des lettres à des fins juridiques est largement subsumé : Otloh décrit les lettres comme le moyen d’une réitération, ou plus précisément d’une actualisation, de la protection accordée par Boniface à Fulda ; en lisant les lettres que Boniface a reçues et écrites dans le passé, les frères de Fulda peuvent bénéficier de sa présence agissante au présent. Il faut attendre le corps du texte pour voir détailler le fonctionnement d’une telle actualisation, qui relève aussi du mécanisme de l’appropriation. Otloh conclut en effet son premier livre au chapitre 44 par une réflexion méthodologique sur ce qu’il attend des documents qu’il a cités :
- 83 « Multa quidem et alia tunc ab eo gesta sunt in Germania, quae in epistolis tantummodo inveniuntur (...)
« Bien des épisodes de ce genre, et d’autres, se sont produits en Germanie, qu’on ne trouve consignés que dans les seules lettres. D’où notre plaisir à insérer ces lettres, celles qu’il <Boniface> a écrites au pape Zacharie qui gouvernait en ce temps-là le siège apostolique comme celles que ce même Zacharie lui a envoyées, ou celles que le pape a adressées à quelques princes de Germanie en sa faveur, lettres que nous pouvons rassembler de toutes parts. Car celles qu’il a adressées aux peuples de sa nation, c’est-à-dire aux Angles, nous voulons les passer sous silence, de peur de paraître vouloir ennuyer nos lecteurs avec ce qui concerne les autres, alors que les nôtres nous suffisent. Je dis “les nôtres”Ò, car c’est pour apporter le salut à nos pères, à savoir les Germains, qu’il les a écrites ou qu’il les a reçues d’autrui. Dans certaines de ces lettres à vrai dire, on peut parfaitement découvrir la profondeur du zèle et de l’enseignement, la grandeur de la paternité et de la bonté qu’il eut envers tous les fils de la sainte Église qu’il avait engendrés par l’Évangile, et comme il s’est fait “tout à tous” selon l’Apôtre, pour que tous en tirent un gain83. »
- 84 Même motif en lib. II, cap. 16 (éd. cit. n. 76), p. 201 : « Hucusque cum epistolarum serie sufficia (...)
20L’ample conclusion du premier livre de la Vie de saint Boniface dit alors que tous les habitants de Germanie doivent le considérer comme leur père dans la foi et lui témoigner une vénération et une reconnaissance particulières. C’est le but poursuivi par le texte hagiographique, et les lettres sont le moyen de l’atteindre : en effet, elles gardent le vivant témoignage de la préoccupation paternelle de Boniface envers les Germains84 – dans un texte hagiographique qui se distingue du texte historique en cela qu’il commémore un vivant toujours agissant plutôt qu’un passé révolu, les lettres ont pour vertu notable de rendre présent celui qui est absent. Otloh a en pratique glissé d’une méthode historiographique – prouver par les lettres que l’autorité de Boniface était grande sur ses contemporains du viiie siècle – à un usage proprement hagiographique : les lettres continuent de dire qu’il a, aujourd’hui et pour l’éternité, la puissance spirituelle nécessaire pour protéger ses fidèles.
- 85 « […] tamen plerumque in eius, quem amissum dolemus, commemoratione requiescimus, eo quod in scribe (...)
- 86 « Ad hoc enim verba videntur hominibus data, ut arcana cordis fraternis auribus infundere valeant. (...)
21La rencontre du passé et du présent, l’actualisation de la présence du saint, l’insistance sur sa prédilection pour ses fidèles choisis, est un thème qui trouve un terreau fertile dans l’hagiographie monastique, qui prend à partir de l’époque carolingienne des accents très affectifs. L’écriture de la Vie d’un saint abbé peut être conçue comme un mémorial, un monument destiné à perpétuer au sein de la communauté la présence d’un défunt particulièrement chéri : pour Paschase Radbert par exemple, le saint revit tant qu’on écrit sur lui, d’autant qu’il s’agit d’un proche bien connu, que tout rappelle encore au souvenir des vivants. Paschase emprunte ses mots à Ambroise pour écrire à propos de son abbé Adalhard de Corbie qui vient de mourir (826) : « […] nous trouvons cependant presque toujours un repos dans la commémoration de celui que nous souffrons d’avoir perdu, dans la mesure où, tandis qu’en écrivant nous dirigeons notre esprit vers lui et fixons sur lui notre pensée profonde, il nous semble revivre dans notre discours et s’insinuer dans la moelle même de notre esprit85. » Toute la suite du prologue médite alors sur les liens d’affection qui continuent d’unir le saint abbé, vivant pour l’éternité, et ses frères. Or, si l’hagiographie est perpétuation de liens de charité avec des défunts chéris, la lettre de son côté est par définition « présence de l’absent » ; elle manifeste le lien continu de la charité au-delà de la distance. Le topos classique est répété à l’envi par la Renaissance carolingienne, comme il l’est par exemple par Alcuin à Arn de Salzbourg (av. 796) ; après lui avoir donné une leçon de théologie sacramentelle sur le baptême, Alcuin s’excuse de son audacieux bavardage auprès de son correspondant, dans une conclusion qui met en jeu tout un vocabulaire épistolaire : « C’est pour cet usage que les mots ont été donnés aux hommes, pour qu’ils soient en mesure de déverser dans les oreilles de leurs frères les secrets de leur cœur. Et c’est encore pour cela que les missives (epistolae) sont écrites : pour que là où le son des mots ne peut pas parvenir, ce soit le travail des lettres (litterae) d’accomplir leur mission, dans la mesure où les signes d’une charité mutuelle sont manifestés aux yeux de nos frères dans les signes tracés (apices), pour qu’une mise en présence des âmes survienne dans la charité là où demeure l’absence des corps du fait de l’éloignement des lieux86. » Alcuin peut conclure que les lettres seront inutiles dans la béatitude éternelle qui réunira dans un même amour tous les élus ; de la même façon, les textes hagiographiques doivent entretenir la mémoire du saint et attester sa présence continuelle auprès de ses fidèles en dépit d’une absence apparente, jusqu’à la Parousie.
22Rien d’étonnant dès lors à ce que les saints en mourant laissent des lettres derrière eux – ce que leurs hagiographes n’omettent pas de mentionner. Quand il écrit la Vie d’Odilon (m. 1048) dans les années qui suivent immédiatement sa mort, Jotsald rapporte ainsi les mots de l’abbé verbatim, tels qu’ils figurent dans sa dernière lettre à Cluny :
- 87 « Afflictus itaque collisione totius corporis, vir beatus direxit epistolam Cluniaco, fratrum implo (...)
« Alors qu’il était donc accablé par un tremblement de tout son corps, le saint homme envoya une lettre à Cluny : il implorait la prière des frères et répétait, pour utiliser ses propres mots, qu’il était “coupable et s’était bien peu soucié de pourvoir à leurs besoins” ; il suppliait aussi qu’ils aient soin d’offrir pour lui le sacrifice de la sainte offrande, parce que, disait-il, “confiant dans les suffrages de mes seigneurs les apôtres, j’espère déjà sortir de cette chair corruptible”87. »
- 88 « Interea coeperunt me...fratres [...] ut eis illum gestis vitae religiosae resuscitarem, compeller (...)
23La lettre, parce qu’elle fait connaître les mots du saint, est utilisée ici comme une sorte de substitut de sa présence physique : elle incarne littéralement le saint vivant dans un texte hagiographique, qui prétend lui-même rendre le saint présent, presque tangible. L’expression n’est pas trop forte, elle est même en retrait par rapport au projet explicite de Paschase – « il nous semble revivre » – ou d’Ardon qui parle de « ressusciter » Benoît par le récit de sa vie88. Insérer une lettre dans la Vie comme le fait Jotsald revient en somme à donner la parole au saint, donc à unir au récit d’un narrateur omniscient le témoignage subjectif le plus édifiant et le plus émouvant. Le phénomène est poussé à l’extrême si la lettre est autobiographique : le saint se fait alors son propre chroniqueur, et sa communauté conserve d’autant plus pieusement ses paroles. C’est le cas exceptionnel dans ce qui constitue la dernière partie (livres III à V) de la première Vie de saint Bernard de Clairvaux (m. 1153) : le propre secrétaire du saint, Geoffroy dit d’Auxerre a entrepris de rassembler dès 1145-1146 les éléments de cette biographie. Parvenu au récit du moment crucial de la mort du saint, Geoffroy cite le propre compte rendu de Bernard sur sa dernière maladie, dans une lettre adressée à Arnaud de Bonneval. Les mots par lesquels Geoffroy présente le précieux document sont décisifs :
- 89 « Atque utinam tam efficaciter persuaserit quam affectuose suaserit. Modum autem aegritudinis eius (...)
« Il [Bernard] était d’autant plus efficacement persuasif [quand il disait de suivre son exemple et son enseignement] qu’il persuadait affectueusement. Pour qui voudrait connaître la nature de sa maladie, il reste une lettre qu’il a dictée pour un ami très peu de jours avant son saint départ loin de nous. Rien d’étonnant à ce que nous ayons résolu d’insérer cette lettre dans notre récit, dans la mesure où même si elle est ici étrangère, ses mots cependant nous charmeront davantage : ils sont de lui et parlent de lui89. »
24Après la citation de la lettre de Bernard, Geoffroy reprend l’idée que les mots mêmes de Bernard sont précieux au-delà des informations cliniques qu’ils délivrent, et que l’hagiographe aurait pu résumer : ils permettent en effet d’avoir accès à l’âme du saint.
- 90 « Hoc exemplar epistolae, quam, ut nos diximus, et ipsa quoque eius uerba declarant, pater sanctus (...)
« Cet exemplaire de la lettre qui, comme nous l’avons dit, fait connaître les mots mêmes du saint père, c’est lui qui les a dictés comme sa fin était déjà prochaine. Le lecteur attentif peut sans doute aucun d’après leur teneur reconnaître... son cœur saint, et comme étaient grandes la tranquillité de ses pensées, la sérénité de son âme, la douceur de son esprit : à la racine de cette confiance culminante, quelle humilité !90 »
- 91 État des lieux dans : Patrick Henriet, La parole et la prière au Moyen Âge. Le verbe efficace dans (...)
25L’hagiographe a ici inversé le rapport entre document et narration qui semblait naturel au début de notre propos : dans les protestations des hagiographes des ixe-xie siècles, le document était du côté du fait historique indiscutable, tandis que leur propre récit risquait d’être dénoncé comme partial, voire mensonger. Pour Geoffroy, l’hagiographe peut faire état des faits biographiques extérieurs ; mais pour connaître le sujet dans son intimité, il vaut mieux avoir recours à un document subjectif. Le mouvement de bascule se produit dans le cadre d’une hagiographie décidément plus sensible voire émotive où, comme Bernard quand il exhorte ses disciples, il faut parler au cœur pour convaincre. Après avoir été longtemps convaincus par Geoffroy, les historiens pensent aujourd’hui qu’il a inventé cette lettre de Bernard pour l’occasion : et ce n’est qu’après avoir vu le jour dans le texte hagiographique qu’elle aurait été incluse dans la correspondance de Bernard91. Qu’elle puisse ne pas être authentique ne ferait que confirmer notre diagnostic : Geoffroy ne cite pas cette lettre de Bernard parce qu’il s’agit d’un document à conserver et à transmettre, mais parce qu’elle permet au lecteur d’entendre la voix de Bernard dans le texte, et de pénétrer plus avant dans la connaissance spirituelle du saint.
26Étudier dans le détail la rencontre entre Vitae et lettres invite à l’établissement d’une périodisation fine de l’écriture hagiographique médiévale : quels que soient ses aspects répétitifs et la part importante qu’y prend la tradition, l’hagiographie des espaces de l’ancien empire franc glisse assez nettement du ixe au xiie siècle de l’histoire (pseudo-)scientifique à la fiction à buts spirituels. La place qu’y occupent les lettres révèle cette transition : citées comme des documents tirés d’archives au ixe siècle, les lettres permettent alors la recréation d’un passé présenté comme vérifiable. Puis l’insertion du saint et de son Église dans la grande histoire perd de son urgence : perpétuer son action, entretenir sa mémoire au présent et, pour finir, entendre encore sa voix, deviennent les vraies justifications d’un recours aux lettres. Naturellement, cela ne signifie pas que les bonnes raisons de copier une lettre dans une Vie se remplacent mécaniquement selon la chronologie : certains dossiers manifestent la coexistence d’un projet historiographique, appuyé sur une bonne connaissance documentaire, et d’un projet spirituel conjoint, d’autant plus facilement que l’hagiographie est génétiquement liée au genre épistolaire. L’évolution observée néanmoins se comprend dans le contexte d’une intériorisation de la lecture hagiographique, de moins en moins ordonnée à la création d’une mémoire collective, et de plus en plus destinée à l’édification singulière. Dans cette perspective, la notion de « faux » devient délicate à manier : le faux est ce jalon solide qui prétend être proche d’un point originel et permettre d’y revenir aisément – un mensonge dans un texte qui entend établir la vérité du passé, mais une fiction utile et légitime dans une Vie à but édifiant.
Notes
1 Le programme de recherche Lettres en contexte dont cet article est issu a pu être mené à bien grâce au soutien de l’ANR-11-FRAL-014 03.
2 Klaus Schreiner, « ‘Discrimen veri ac falsi’: Ansätze und Formen der Kritik in der Heiligen- und Reliquienverehrung des Mittelalters », Archiv Fur Kulturgeschichte, 48, 1966, p. 1-53 reste fondamental, bien que plus intéressé par l’authenticité des reliques. L’auteur embrasse la totalité du Moyen Âge ; quand il cherche des exemples pour illustrer l’esprit critique et le doute, il les emprunte cependant aux sources des viiie-xiiie siècles, p. 5. Un cas précis est étudié par Céline Ménager, « Doute sur les reliques et enquête d’authentification : l’exemple d’Hélène », Questes, 23, 2012, p. 22-31. Pour comparer, Anthony Kaldellis, « The Hagiography of Doubt and Skepticism », dans The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography, S. Efthymiadis (dir.), Farnham, Ashgate (Ashgate Research Companion), 2014, vol. 2, p. 453-477.
3 C’est l’une des déclarations de principes les plus fortes du sermon de Victrice de Rouen (m. 415), De laude sanctorum, R. Demeulenaere (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum, Series Latina [désormais : CCSL], 64), 1985, p. 69-93, ici § 7 et 8, qu’on peut lire dans la traduction anglaise de Gillian Clark, « Victricius of Rouen: Praising the Saints », Journal of Early Christian Studies, 7, 1999, p. 365-400, aux p. 384-388 : ceux qui demeurent dans le Christ et l’Église sont de même nature que lui, de même « chair, sang, et âme, par la grâce de l’adoption ». Les saints partagent donc le pouvoir de la Trinité.
4 C’est un cliché depuis Sulpice Sévère. Il est plus développé qu’ailleurs par Lambert, qui écrit au commanditaire de sa Vie du saint abbé Théodoric de Saint-Aubin d’Angers (fin xie siècle) : « […] tous ces renseignements à son sujet que je tiens de ta bouche ou de celle d’autres hommes fiables, je les raconte dans un style rustique assurément et assez grossier, mais le plus proche possible de la vérité. Je me charge, sans assurance de le mener à bien, d’un fardeau pénible et trop lourd, j’en suis bien conscient : mon audace a pour origine tant le pieux souvenir du vieillard défunt que la grandeur de votre amitié ; il convient, et du fait de la pureté de l’histoire que je tende vers la vérité, et que je redoute, puisque j’écris la vie du saint homme, le crime de fausseté, de peur, si je mentais, d’être condamné pour injustice plus que pour avoir témoigné mon respect, au sujet d’un homme que j’ai aimé d’un amour immuable. », « […] illa tantum quae tua et aliorum fidelium virorum relatione mihi de ipso comperta sunt, rusticano quidem et minus accurato sermone, sed quam verissime potero, expedire. Quod onus quamvis non efficientiae securitate, sed tam pro pia defuncti senis recordatione, quam pro vestrae amicitiae praesumpserim magnitudine, quam sit grave et importabile, non sum nescius; ubi et propter historiae puritatem oportet niti veritate, et quia sancti hominis vita scribitur, falsitatis crimen cavere, ne in eum quem immoto amore dilexi, condemner mentiendo magis iniurius esse, quam obsequium impendere. », Vita Theoderici abbatis Andaginensis (BHL 8050), D. W. Wattenbach (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Scriptores [désormais : SS], 12), 1856, p. 37-57, ici p. 37, § 2.
5 Thomas Granier, « Si quilibet lector idoneus affuisset, incunctanter ad rei veritatem pertigissemus. Identifier et authentifier les reliques (ixe-xiie siècle) », dans Experts et expertise au Moyen Âge. Consilium quaeritur a peritio, 42e congrès de la SHMESP (Oxford, 31 mars-3 avril 2001), Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale, 116), 2012, p. 47-58.
6 Uta Kleine, Gesta, Fama, Scripta. Rheinische Mirakel des Hochmittelalters zwischen Geschichdeutung, Erzählung und sozialer Praxis, Stuttgart, F. Steiner (Beiträge zur Hagiographie, 7), 2007, surtout p. 254-268 puis p. 364-387.
7 « Quam ob rem plura desunt, quae huic opusculo inesse debuissent, sed quae nec legendo nec videndo nec audiendo comperi; ne deprehenderer falsarius scriptor, inserere aliud non praesumpsi, nisi quod in cartulis atque membranis sparsim vix reperi, praesertim cum Omnipotentis virtus, quae semper mira operatur in sanctis suis, minime egeat astrui mendaciis. », Rainerius, Miracula s. Gisleni (BHL 3555-3556), O. Holder-Egger (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SS 15-2), 1888, p. 578-585, ici p. 579.
8 Sur la carrière de Walafrid, et la place qu’y occupent les compositions hagiographiques, on trouve de judicieuses remarques dans : Boris Solinski, « Le De uita et fine sancti Mammae monachi de Walahfrid Strabon : texte, traduction et notes », The Journal of Medieval Latin, 12, 2002, p. 1-77, dans l’introduction, p. 3-6, avec renvoi à la bibliographie antérieure. Voir surtout depuis : Hermann Knittel, Heito und Walafrid Strabo, Visio Wettini. Einführung. Lateinisch-Deutsche Ausgabe und Erläuterungen, Heidelberg, Mattes (Reichenauer Texte und Bilder, 12), 2009.
9 « Descriptis his quae priscorum sollertia de vita, fine et virtutibus beati Galli ad nos usque scripto transmisit, hinc ea stilo comprehendere temptabimus, quae a fidelissimis testibus indicata, a carissimo fratre Gozberto litteris sunt mandata. In quibus primo, quomodo vel quando in coenobio beati Galli regularis vitae instituta servari coepissent, liquido declaratur; deinde, quibus miraculis eiusdem patris virtus cunctis effulserit, probabiliter exponitur, commemoratis pariter singulorum quae introducuntur assertoribus […]. Sed et si quis earundem rerum testes nosse desiderat, in conscriptione quam sequimur poterit invenire. Inserimus quoque huic operi nonnulla, quae non scripturae testimonio, sed veracium virorum relatione didicimus. In quibus omnibus, quantum ad nos attinet, veritatis lineam servare studebimus, neque per amorem falsi aliquid de nostro inserentes neque per invidiam veri quippiam ex voto celantes. Et quia nos scripta vel dicta sequimur aliorum, ad illos veritas rerum, ad nos pertinet adbreviatio dictionum et adunatio rationum. », Walafrid Strabon, Vita s. Galli (BHL 3246), B. Krusch (éd.), Hanovre-Leipzig, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum [désormais : SRM], 4), 1902, lib. II, cap. 9, p. 318.
10 Le dossier hagiographique de saint Amand réuni par Milon pourrait constituer le cas d’école. Voir Charles Mériaux, « Hagiographie et histoire à Saint-Amand : la collection de Milon († 872) », dans Rerum gestarum scriptor. Histoire et historiographie au Moyen Âge. Mélanges Michel Sot, M. Coumert, M.-C. Isaïa, K. Krönert, et al. (dir.), Paris, Presses universitaires Paris-Sorbonne (Cultures et civilisations médiévales, 58), 2012, p. 87-98.
11 Article fondamental de François Dolbeau, « Les hagiographes au travail : collecte et traitement des documents écrits (ixe-xiie siècles) », dans Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, M. Heinzelmann (dir.), Sigmaringen, J. Thorbecke (Beihefte der Francia, 24), 1992, p. 49-76. Dans la Passion carolingienne de saint Corneille (BHL 1962a), F. Dolbeau note l’utilisation de huit lettres de saint Cyprien, p. 51.
12 Par exemple, Maïté Billoré décrypte dans la première partie de ce même numéro avec beaucoup de lucidité un dossier hagiographique avec lettres forgées ad hoc, voir : Maïté Billoré, « Les lettres dans les Vies d’Édouard le Confesseur », Cahiers de civilisation médiévale, 241, 2018.
13 Derek Krueger, « Early Byzantine Historiography and Hagiography as Different Modes of Christian Practice », dans Writing "True Stories": Historians and Hagiographers in the Late Antique and Mediaeval Near East, A. Papaconstantinou (éd.), M. Debié et H. Kennedy (collab.), Turnhout, Brepols (Cultural Encounters in Late Antiquity and the Middle Ages, 9), 2010, p. 13-20.
14 Un état des lieux très commode sur l’activité du scrinium et la rédaction du Liber pontificalis au ixe siècle dans : François Bougard, « Composition, diffusion et réception des parties tardives du Liber pontificalis romain (viiie-ixe siècles) », dans Liber, Gesta, Histoire. Écrire l’histoire des évêques et des papes de l’Antiquité au xxie siècle, F. Bougard et M. Sot (éd.), Turnhout, Brepols, 2009, p. 127-152.
15 Dans le précédent fascicule de ce dossier thématique : Pierluigi Licciardello, « L’utilisation des lettres dans la Vita de Grégoire le Grand par Jean Diacre », Cahiers de civilisation médiévale, 241, 2018.
16 Pour s’en tenir à la seule Francia, Adon de Vienne, Prudence de Troyes, Hincmar de Reims, Flodoard de Reims, Adrevald de Fleury, Adémar de Chabannes, Raoul Glaber, Aimoin de Fleury, Sigebert de Gembloux, Hugues de Fleury, etc. Il y a là une nouveauté carolingienne et post-carolingienne qui mérite un examen approfondi.
17 La vive conscience qu’il existe deux genres, historique et hagiographique, irréductibles a été particulièrement bien mise en évidence par Steven Vanderputten, « Benedictine Local Historiography from the Middle Ages and its Written Sources: Some Structural Observations », Revue Mabillon, n. s., 15, 2004, p. 107-130. L’article n’est ni polémique, ni théorique, mais apporte une sorte de réponse à l’article devenu classique de Felice Lifshitz, « Beyond Positivism and Genre: ‘Hagiographical’ Texts as Historical Narrative », Viator, 25, 1994, p. 95-113.
18 Mise en perspective historiographique du débat dans : Anna Taylor, « Hagiography and Early Medieval History », Religion Compass, 7, 2013, p. 1-14.
19 « Adsunt autem eius omnibus diuitiis dulciores epistolae, quas, pridie quam migraret a seculo, fratribus Aniano positis proprio dictavit ore, in quibus testatur faciem suam amplius non visuram. », Ardo, Vita s. Benedicti Anianensis (BHL 1096), G. Waitz (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SS 15-1), 1887, p. 198-220, ici cap. 41, p. 218. L’hypothèse d’un ajout de ces deux lettres au xie siècle a été défendue fermement par Walter Kettemann, Subsidia Anianensia, thèse de doctorat, sous la direction de D. Geuenich, Université de Duisburg-Essen, 2000, publiée en ligne, url : http://duepublico.uni-duisburg-essen.de/servlets/DerivateServlet/Derivate-19910/Kettemann_Diss.pdf, surtout p. 70-91.
20 Vita s. Agritii (BHL 178-179), H. V. Sauerland (éd.), Trier Geschichtsquellen des 11. Jahrunderts, Trier, Dresden 1889, p. 175-211, en part. p. 185-211 ; présentation du dossier dans : Klaus Krönert, L'exaltation de Trèves. Écriture hagiographique et passé historique de la métropole mosellane, viiie-xie siècle, Ostfildern, J. Thorbecke (Beihefte der Francia 70), 2010, p. 336-339 avec datation p. 194-214.
21 De la naissance des Faux Isidoriens (à Corbie vers 830, dans le contexte carolingien d’une affirmation des pouvoirs épiscopaux) jusqu’à leur recyclage par la réforme grégorienne, au service de la primauté pontificale, voir le grand chapitre introductif de Clara Harder, Pseudoisidor und das Papsttum: Funktion und Bedeutung des apostolischen Stuhls in den pseudoisidorischen Fälschungen, Cologne, Böhlau (Papsttum im mittelalterlichen Europa, 2), 2014. Je fais ici allusion à l’utilisation qu’Hincmar fait d’une soi-disant lettre du pape Hormisdas à saint Remi pour justifier que l’archevêque de Reims joue le rôle d’un vicaire pontifical en Gaule, dans saVita sancti Remigii archiepiscopi Remensis, (BHL 7152-7164), B. Krusch (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SRM, 3), 1896, p. 250-341, ici p. 312, l. 4-30. Pour le rôle d’Hincmar de Reims dans l’utilisation des Fausses Décrétales, voir la synthèse de Horst Fuhrmann, « The Pseudo-Isidorian Forgeries », dans Papal Letters in the Early Middle Ages, D. Jasper et H. Fuhrmann (dir.), Washington D.C., Catholic University of America Press (History of Medieval Canon Law), 2001, p. 135-195, et les réflexions d’Edward Roberts dans le précédent fascicule de ce dossier thématique : Edward Roberts, « Construire une hiérarchie épiscopale : Flodoard de Reims et la correspondance de l’archevêque Foulques (vers 850-vers 950) », Cahiers de civilisation médiévale, 241, 2018.
22 « Predictus autem Romane sedis episcopus Siluester, qui ei tam precipuæ auctoritatis episcopatum regendum commiserat, sollicitus nimirum prouidere satagebat, ne status dignitatis, quem eadem ciuitas eatenus, ut dictum est, inuiolatum optinuerat per aliquam successorum suorum negligentiam uel per iniustam quorumlibet potentiam mutari aut, quod absit, deinceps valeat labefactari. Tale namque priuilegium per manus sancti patris Agritii huic loco deferendum idem papa Siluester conscripsit, per quod antiquissimam eius dignitatem, et precellentissimam nobilitatem perpetua stabilitate confixit. Cuius hic exemplar inserere non uidatur ab re. Quod hunc ordinem uerborum scitur continere : Sicut… Trebir primas super Gallos spiritualem et Germanos prioratum... ac per baculum suum caput ecclesiæ Petrus signauit habendum, suam quodammodo minuens dignitatem ut te participem faceret. Quem ego Siluester eius seruus, successione indignus, per patriarcham Antiocenum Agritium renouans confirmo, ad honorem patriæ dominæ Helene auguste, … quam ipsa felix per apostolum Mathiam Iudæa translatum cum clauo ceterisque reliquiis Domini magnifice ditauit specialiterque prouexit. Huius priuilegii conscii nociui emuli communione dirimantur, quoniam anathemate maculantur. », Vita s. Agricii (éd. cit. n. 20), § 7, p. 188.
23 K. Krönert (op. cit. n. 20), p. 371-372.
24 « [les dangers et les miracles de saint Agricius] la négligence de nos prédécesseurs, on l’a dit, empêche de les connaître clairement. Mais par l’accueil que saint Euchaire a reçu à Trèves avec ses compagnons, nous sommes cependant en mesure de comprendre par déduction celui qu’il reçut aussi à son arrivée », « [...] antecessorum, vt dictum est, negligentia nostrorum non claret. Verumtamen per eum, quem scimus beatum Eucharium cum sociis suis inibi habuisse, receptum possumus huius quoque sancti ingressus conicere intellectum », Vita s. Agricii, (éd. cit. n. 20), § 29, p. 203. Les chapitres 29 à 32 développent tous les parallélismes possibles en guise de biographie, selon la même excuse de la vraisemblance plutôt que de la vérité de l'information.
25 Je rejoins les conclusions de Kévin Schmidt, « Le média épistolaire dans les Gesta abbatum Trudonensium » dans ce fascicule, p. 129-140 l’auteur des Gesta abbatum Trudonensium sait se servir d’une lettre de l’abbé Raoul comme d’un document probatoire de même valeur qu’un inventaire qui, du fait de son intégration dans la chronique, devient en outre une démonstration des torts de l’avoué de la communauté.
26 Bardo Lucensis, Vita et miracula Anselmi episcopi Lucensis, (BHL 0536-0537), R. Wilmans (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SS 12), 1856, p. 13-35. Il s’agit d’une biographie composée immédiatement après la mort de l’évêque de Lucques (1086) par un clerc de son entourage qui se dissimule sous le nom de Bardo, en vue d’une canonisation rapide (1087) d’un évêque farouche partisan de la réforme grégorienne. Voir Edith Pasztor, « La Vita anonima di Anselmo di Lucca : una rilettura », dans Sant’Anselmo vescovo di Lucca (1073-1086) nel quadro delle trasformazioni sociali e della riforma ecclesiastica, C. Violante (éd.), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo (Nuovi studi storici, 13), 1992, p. 207-222.
27 Bardo Lucensis (éd. cit. supra), cap. 43, p. 25 : « Tertia itaque nocte post sanctissimi patris venerandam dormitionem » ; cap. 48, p. 22 : « Nocte sequenti trigesimum primum diem » ; Ibid., cap. 49, p. 22 : « Die trigesimo nono, etc. ».
28 Ibid., cap. 54 puis cap. 56, p. 28.
29 Ibid., cap. 65 puis cap. 56, p. 31.
30 « Aliud quoque miraculum, quod confratre Vitali Brixiensis ecclesiae presbytero, religiosae vitae viro, aliisque pluribus referentibus didici […] », Ibid., cap. 65, p. 31.
31 « Miraculorum quaedam vel oblivioni tradita vel antea incognita nunc vero comperta notitiae vestrae praesentare cupio. », Ibid., cap. 56, p. 28.
32 Bien qu’écrit en réaction à une position historiographique dépassée, et sans rapport aucun avec Lucques, l’article de Julia M. H. Smith sur l’importance de l’oralité dans les projets hagiographiques des élites cléricales reste roboratif, voir : Julia M. H. Smith, « Oral and Written: Saints, Miracles, and Relics in Brittany, c. 850-1250 », Speculum, 65, 1990, p. 309-343.
33 « Dominae Matildae Ubaldus Mantuanus episcopus gaudium et laetitiam. Immenso desiderio vestro desideratam scribimus laetitiam, fuit quaedam de Capriana, quae velut animal manibus et pedibus incedebat, quam Deus omnipotens per merita sanctissimi patris nostri erexit, et ad iter tantum officio pedum, sicut hominis natura expetit, frui concessit. », Bardo Lucensis, Vita s. Anselmi episcopi (éd. cit. n. 26), cap. 54, p. 28.
34 Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, G. J. M. Bartelink (éd. et trad.), 2e éd., Paris, Cerf (Sources Chrétiennes, 400), 2004, lettre préface, p. 126-129.
35 À la différence des deux lettres citées supra qui sont des ajouts tardifs, l’échange commenté ici appartient au noyau originel de la Vie du ixe siècle.
36 « Dominis merito venerabilibus patribus fratribusque Inda monasterio Deo Iesu famulantibus Ardo servorum Christi famulus salutem dicit. Iam pridem, dilectissimi fratres, vestrae ad me delatae sunt litterae, amore piae recordationis patris nostri Benedicti abbatis stipatae exitumque ac migrationem eius ad Christum breviter, set amabiliter continentes. In quibus exiguitatem meam ammonere estis dignati, ut latius initium conversationis eius audire cupientibus scriberem; set actenus, virium mearum cernens pondus excedere, distuli. », Ardo (éd. cit. n. 19), p. 198-220, ici p. 200. C’est l’incipit d’un prologue, l. 1-8, qui se signale pour le reste comme particulièrement conscient de sa nature de texte historiographique, selon les critères exposés par Hans-Werner Goez, « The Concept of Time in the Historiography of the Eleventh and Twelfth Centuries », dans Medieval Concepts of the Past. Ritual, Memory, Historiography, G. Althoff, J. Fried et P. J. Geary (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 139-165, ici p. 143.
37 Ardo (éd. cit. n. 19), cap. 42, p. 218-219.
38 « His ita exceptis et ita se habentibus, nos famuli ex monasterio Inda, uidelicet Deidonus, Leoigildus, Betradus et Desiderius, tibi Ardoni magistro nostro salutem in Domino obtamus, petimusque karitati tuae ut secundum a Deo datam tibi sapientiam de uita patris nostri Benedicti libellum componas et eum nobis dirigas. Salutant uos omnes fratres nostri, et uos salutate omnes fratres uestros ! Amen. », Ardo, Ibid., p. 219, l. 40-44. La structure qui consiste à emboîter une œuvre entre deux lettres est aussi celle de la fameuse Vision de Wetti mise en vers par Walafrid Strabon (H. Knittel [op. cit. n. 8], n. 6) : la vision se conclut après que Wetti a dicté les lettres qui doivent annoncer sa mort prochaine (v. 912-918, p. 122) ; voir surtout la traduction et le commentaire de Christiane Veyrard-Cosme, « La réécriture en vers par Walafrid Strabon de la Visio Wettini en prose d’Heito [ixe siècle] : enjeux théoriques, procédés stylistiques », Rencontres du vers et de la prose : conscience théorique et mise en page, actes de colloque (Cema, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 12-13 décembre 2013), C. Croizy-Naquet et M. Szkilnik (éd.), Turnhout, Brepols (Texte, codex & contexte, 20), 2015, p. 15-34, aux p. 20-21).
39 « Haec autem crebras ad eum epistolas dirigens, pio studio filium cohortabatur, ut cepta perficeret, ut omni custodia cor suum corpusque servaret et praecepta Dei toto adnisu custodire contenderet. Quarum exemplar, apud nos habito testamentum, memoriae gratiae pagellae huius inserendum credidi, ut ex his advertatur, qualis fuerit mater, qualemque propositum tenere filium vellet. Quarum textus ita se habet […] », Vita s. Desiderii Cadurcae urbis (BHL 2143-2144), B. Krusch (éd.), Hanovre-Leipzig, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SRM, 4), 1902, p. 563-602, ici cap. 8, p. 568.
40 « Tale nimirum de illo rex civibus et episcopis cunctoque populo testimonium dedit, ut iure plebium testimonia regia oracula praecellerent hac praevenirent. Cuius epistolae exemplarium necessario huic opere inserendum putavi. Textus autem epistolae iste est: […] », suit tout le texte de la lettre, Ibid., cap. 12, p. 571.
41 « […] venerabilis viri Adeloldi ...praepositi epistola... testatur, quam hic inserere non piguit, cum sit etiam ipsa quaedam huius viri portio meritorum […] », Norbert d’Iburg, Vita s. Bennonis II episcopi Osnabrugensis (BHL 1167), H. Bresslau (éd.), Leipzig, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SS, 30-2), 1934, p. 869-892, ici cap. 20, p. 886.
42 La Vie de Wicbert appartient à la dernière partie de la carrière de Sigebert, revenu (ca. 1071/1072) dans son abbaye de Gembloux après son long séjour messin (ca. 1050-1071/1072) : elle se comprend bien dans le contexte de l’œuvre historiographique de Sigebert (Gesta abbatum Gemblacensium) avec laquelle elle circule dans le manuscrit aujourd’hui conservé à Leipzig, Universitätsbibliothek, Rep. II 68, fol. 1-13v. Voir Tino Licht, Untersuchungen zum biographischen Werk Sigeberts von Gembloux, Heidelberg, Mattes, 2005, p. 112-121.
43 Sigebert de Gembloux, Vita s. Wicberti (BHL 8882), G. H. Pertz (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SS, 8), 1848, p. 508-516. Le caractère « inventif » de cette Vita est rappelé par Michel de Waha, « Sigebert de Gembloux faussaire ? Le chroniqueur et les ‘sources anciennes’ de son abbaye », Revue belge de philologie et d’histoire, 55, 1977, p. 989-1036.
44 « Quod talis tantusque hic vir Dei fuerit ne quis discredat, ipsius domni abbatis Erluini testimonium accedat, qui ei diutissime convixit, quem nichil illius latuit. », Sigebert de Gembloux (éd. cit. n. 43), cap. 19, p. 515. La lettre occupe les p. 515-516.
45 Voir la lecture devenue classique de la Passio s. Praeiecti proposée par Paul Fouracre et Richard A. Gerberding : Late Merovingian France. History and Hagiography 640-720, P. Fouracre et R. A. Gerberding (éd.), Manchester, Manchester University Press (Manchester Medieval Sources Series), 1996, p. 254-300.
46 James T. Palmer a construit une subtile réflexion sur l’utilisation de l’hagiographie à Brême pour créer des catégories d’appartenance communautaire dans : James T. Palmer, « Anskar’s imagined communities », Saints and their Lives on the Periphery: Veneration of Saints in Scandinavia and Eastern Europe (c. 1000-1200), H. Antonsson et I. H. Garipzanov (éd.), Turnhout, Brepols (Cursor munidi, 9), 2010, p. 171-188. Ce ne sont pas ces catégories ethniques qui m’intéressent ici.
47 James T. Palmer, « Rimbert’s Vita Anskarii and Scandinavian Mission in the Ninth Century », The Journal of Ecclesiastical History, 55, 2004, p. 235-256.
48 Vita s. Rimberti, (BHL 7258), G. Waitz (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SR Germanicarum, 55), 1884, p. 81-100. Mise à jour bibliographique et proposition d’identification de l’auteur anonyme avec un chanoine de Saint-Sixte-Saint-Sinice de Ramelsloh (dioc. Verden) dans : Philippe Depreux, « La Vie de saint Rimbert, archevêque de Hambourg-Brême », dans Omnia in uno. Mélanges Alain-Philippe Segonds, C. Noirot et N. Ordine (éd.), Paris, Belles Lettres, 2012, p. 243-262.
49 « Hanc epistolam ideo hic posuimus, ut legentibus appareat, quantum, sicut admonet apostolus, studium habuerit eius quae secundum pietatem est doctrinae, et quam potens fuerit in ipsa doctrina etiam alios exhortari. », Vita s. Rimberti, cap. 15, (éd. cit. n. 48), p. 94.
50 Ian N. Wood, The Missionary Life. Saints and the Evangelisation of Europe 400-1050, Harlow, Longman (The Medieval World), 2001, p. 134-135. Je n’ai pas cependant été convaincue par la conclusion que I. Wood en tire sur l’identité de l’auteur, qui serait une moniale de « Nienheerse », ce que J. T. Palmer tient pour acquis dans « Anskar’s imagined communities » (art. cit. n. 46), p. 180. Voir les mêmes réticences dans Ph. Depreux (art. cit. n. 48), n. 5, p. 246. Je ne crois pas possible qu’une moniale de Neuenheerse se trompe sur les liens de l’abbesse Walburge (m. ca. 900) et de l’évêque Liuthard, frère et sœur selon la tradition diplomatique de l’Église de Paderborn, mais oncle et nièce selon la Vie de Rimbert.
51 « […] epistolasque nonnullas aedificationis plenas ad diversos composuit, quarum una est ad quandam Dei ancillam in monasterio quod dicitur Heresi constitutam ceterasque sorores ibidem in Dei famulatu consistentes. Haec autem famula Dei de qua loquimur neptis erat venerabilis episcopi Liuthardi, cuius supra mentionem fecimus, qui se sancto viro cum omni devotionis affectu ita devinxit, ut non solum ipse sanctitatis eius amator existere, verum etiam omnes ad se quoquo modo pertinentes illi commendare studuerit, praecipue istam de qua loquimur ab infantia Deo oblatam et in virginitate permanentem neptem suam, quae et propria devotione promeruit, ut unicam dilectionis suae filiam vir sanctus eam nominare solitus sit. Quae licet nomen suum vitandae iactantiae causa palam nolit edici, ipsam tamen ad aedificationem sacris virginibus, quamvis tacito nomine eius ad quam spesialiter <sic> scripta est, hic ponere decrevimus epistolam, ita se habentem […] », Vita s. Rimberti, cap. 15 (éd. cit. n. 48), p. 92.
52 Fondation confirmée par un diplôme de Louis le Germanique du 13 mai 871 : Die Urkunden Ludwigs der Deutschen, P. Kehr (éd.), Berlin, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum), 1934, 137, p. 190-192. Pour le contexte général, Caspar Ehlers, Die Integration Sachsens in das fränkische Reich (751-1024), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 231), 2007, notamment p. 306-308.
53 Diplôme d’immunité de Charles III du 21 septembre 887 à l’évêque Biso de Paderborn : Die Urkunden Karls. III, P. Kehr (éd.), Berlin, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum), 1937, 69, p. 273-274. Brève mention de ce diplôme dans Susan Wood, The Proprietary Church, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 422-423. Voir surtout Claudia Moddelmog, « Stiftung oder Eigenkirche? Der Umgang mit Forschungskonzepten und die sächsischen Frauenklöster im 9. und 10. Jahrhundert », dans Gestiftete Zukunft im mittelalterlichen Europa. Festschrift für Michael Bogolte zum 60. Geburtstag, W. Huschner et F. Rexroth (éd.), Berlin, Akademie Verlag, 2008, p. 215-243, surtout p. 226-229.
54 Diplôme du roi Henri Ier du 11 mai 935 : Die Urkunden Konrad I, Heinrich I, und Otto I, T. Sickel (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Diplomatum regum et imperatorum Germaniae), 1879-1884, 38, p. 72.
55 « Frater Adalgarius nuper a vobis rediens, dixit mihi, graviter vos ferre, quod parvitatis meae litteras raro suscipiatis. », Vita s. Rimberti, cap. 15 (éd. cit. n. 48), p. 93.
56 « Domino meo et pio domno Martino, si ipse commeatum obtineo, in quaternionibus quos direxistis, ipsi per vos oblaturus, confestim transcribendos curabo, illud certe postulans, ut eius a vobis pietas reparata pro nobis humilibus… intercedere non desistat. », Venance Fortunat, Vita s. Martini, F. Leo (éd.), Berlin, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Auctores Antiquissimi, 4, 1), 1881, p. 293-370, ici Epistula ad Gregorium, p. 294, l. 1-3. Pour le lien entre autographie épistolaire et liens d’amitié, voir Micol Long, Autografia ed epistolografia tra xi e xiii secolo. Per un’analisi delle testimonianze sulla « scrittura di propria mano », Milan, Ledizioni (Collana del Dipartimiento di studi storici, Università di Torino, 7), 2014.
57 Veronika von Büren, « Heiricus [Autissiodorensis] », dans Clavis des auteurs latins du Moyen Âge. Auctores Galliae, 735–987, M.-H. Jullien (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum), 2010, vol. 3, p. 375-405. Il faut y ajouter la meilleure mise au point sur la carrière d’Heiric d’après son calendrier autographe dans Michael I. Allen, « Poems by Lupus, written by Heiric: an Endpaper for Édouard Jeauneau (Paris, BnF, lat. 7496, fol. 249v) », dans Eriugena and creation: Proceedings of the International Conference on Eriugenian Studies in Honor of Edouard Jeauneau, (Chicago, 9-12 novembre 2011), W. Otten et M. I. Allen (éd.), Turnhout, Brepols (Instrumenta patristica et mediaevalia, 68), 2014, p. 105-135, ici n. 23, p. 112. L’ensemble de l’article est fondamental, tant pour qualifier la main d’Heiric que pour éclaircir ses années de formation à Ferrières.
58 Fol. 3v : « Quicquid igitur littere possunt, quicquid assecuntur ingenia, uobis debent, uobis inquam, qui natus ad agendum semper aliquid dignum uiro, cum uirtute precellitis, tum etiam sapientia refulgetis. Quorsum ista protulerium, illud in causa est : Diuæ memoriæ Hlotharium uestræ filium maiestatis, annis puerum, mente philosophum, ingenuæ confiteor, animi indole et sollertiæ opibus ut uobis uni concedam pre cæteris sui æui mortalibus extitisse pretiosum. Is quod uestra dispositione et Deo deuotus et beato Germano ad æducandum fuerat commendatus, tantum deuotionis in sanctum, tantum ardoris in locum concæperat, ut uitam illius mors liuida nobis merito inuidisse putetur. Cumque esset diuini puer ingenii, atque erga rerum notitiam summe studiosus, contigit eum in una dierum libri cuiusdam poenita perscrutantem, geminas epistolas offendisse. In altera earum, sanctissimus Aunarius sextus post beatum Germanus Autissioderi episcopus, Stephanum Africanum praesbiterum ut uitam eiusdem sanctissimi patris nostri Germani metrica ratione digereret precibus ambiebat. In altera idem Stephanus prefato se pariturum pontifici ex rescripto significabat. Quarum formam æpistolarum hic quoque interseri obtimum factu iudicaui ut ratio regiis auribus insinuanda omne am » ; fol. 4r : « biguitatis scrupulum ualeat eluctari. », Paris, BnF, lat. 13757, très brièvement décrit dans le Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum saeculo xvi qui asservantur in Bibliotheca nationali Parisiensi, Bruxelles et Paris, O. Schepens et A. Picard, 1889-1893, 4 tomes, ici vol. 3, p. 194. Une édition commode mais imparfaite de l’œuvre d’Heiric a été donnée dans les AASS, Iul. VII, p. 221-287 et se trouve reproduite dans Louis-Maximilien Duru, Bibliothèque historique de l’Yonne ou collections de légendes, chroniques et documents divers pour servir à l’histoire des différentes contrées qui forment aujourd’hui ce département, Paris, Didron, 1850-1864, 2 vol., ici vol. 2, p. 3-4 pour la lettre de dédicace à Charles le Chauve ; p. 114-183 pour les Miracles en prose.
59 Les deux lettres ont été éditées indépendamment de l’œuvre d’Heiric et de la tradition relative à Amâtre par Wilhelm Gundlach : Epistolae Merowingici et Karolini aevi, W. Gundlach (éd.), Berlin, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Epistolae, 3), 1892, 7 et 8, p. 446-448.
60 « C’est pour cette raison que je prie l’amitié de dilection qui m’unit à toi de ne pas refuser de transformer la Vie du très bienheureux évêque Germain en une version versifiée », « Ob quam rem, obsecro unitam michi tuæ dilectionis amicitiam [amitiam ante corr.], ut beatissimi Germani episcopi uitam, in uersuum qualitatem commutare non desistas. », Paris, BnF, lat. 13757, fol. 4r.
61 Sur deux lignes : « EPISTULA AUNARII EPISCOPI AD STEPHANUM PRESBYTERUM PROVINTIAE AFRICAE », fol. 4r, puis « RESCRIPTUM ANTEFATI PRESBITERI », fol. 4v en tête de la réponse de Stefanus Africanus. Le copiste utilise la même écriture pour qualifier la dédicace d’Heiric de « lettre » au début du manuscrit : « COMMENDATIO SEQUENTIS OPERIS AD GLORIOSUM REGEM KAROLUM PER EPISTOLAM FACTA », fol. 2r.
62 Paris, BnF lat. 13757, fol. 5r : « His sollicita lectione decursis, tandemque relatu assistentium huiusmodi opus poenes nos numquam et nusquam paruisse comperiens, multa animositate correptus, quod tantum opus frustra hominum notitię deperisset, per dies aliquot internis animi angoribus carpebatur. Tandemque me qui tum recens scolis emerseram conuocato, dolorem aperit intestinum utque ei, si qua possem ratione mederer, importunius contestatur, scilicet ut quod elaboratum quondam in prefatis ępistolis legerat iterarem, actusque Germani » ; fol. 5v : « precellentissimos a prosa in metrum desideriis illius satisfacturus transfunderem ».
63 Paris, BnF lat. 13757, fol. 5r : « Cognitum tibi est karissime frater, quę sit humanarum mentium diuersitas, et quemadmodum studia in contraria non solum inane uulgus uerum etiam uniuersa scindatur nobilitas. Et quidam quidem prosaico oblectantur stilo, quidam autem numeris se rithmisue ac cantibus uersuum delectari fatentur. Ergo ut omnium uotis occurrerem, et nullus suo desiderio fraudaretur, placuit michi ut uitas beatissimorum professorum quasdam libero pede [ante corr. : pede libero post corr. par exponctuation] describerem, quasdam uero lege metrica impeditas digererem ».
64 La lettre d’Heiric permet de ce fait ce qu’on pourrait appeler l’autobiographie par prétérition, qui fait des lettres de dédicaces du ixe siècle les lieux de naissance d’une conscience (ou d’une revendication) auctoriale, selon les remarques de Justin Lake, « Authorial Intention in Medieval Historiography », History Compass, 12, 2014, p. 344-360.
65 Les Gestes des évêques d’Auxerre, M. Sot et al. (dir.), Paris, Belles-Lettres (Les Classiques de l’histoire de France, 42), 2002, vol. I.
66 Ibid., cap. 19, p. 68-71.
67 « Extant quoque epistole Pelagii pape ad eundem beatissimum pontificem, quarum unam nimia uetustate fuscatam ab autenticis librorum nequaquam pleniter extrahere ualuimus, alteram uero huic operi inserendam dignum duximus », Les Gestes des évêques d’Auxerre (op. cit. n. 65), cap. 19, p. 69, trad. modifiée.
68 Les Gestes des évêques d’Auxerre, cap. 19 (op. cit. n. 65), p. 78-83. Constance B. Bouchard, « Episcopal Gesta and the Creation of a Useful Past in Ninth Century Auxerre », Speculum, 84, 2009, p. 1-35 a attiré en n. 93, p. 21 l’attention sur un manuscrit du ixe siècle, aujourd’hui Montpellier H 154. Il s’agirait selon elle d’un manuscrit auxerrois utilisé par les rédacteurs des Gesta : « Indeed, this manuscript most likely provided the exemplar of the vita of St. Amator that was used by the authors of the Gesta ». De fait, le manuscrit commence bien par la Vie de saint Amâtre, fol. 1v-15r. Cependant, je dois à l’amitié de Thomas Granier la confirmation que cette Vita est actuellement amputée de ses lettres liminaires : hasard de la conservation ? Ou état représentatif de la version initiale ? Tel qu’il est aujourd’hui relié, le manuscrit d’Auxerre ne peut pas être considéré comme la source des Gesta ni celle d’Heiric pour la correspondance d’Aunaire et de Stefanus Africanus.
69 Les Gestes des évêques d’Auxerre (éd. cit. n. 65), introduction, p. XII.
70 « Immortalibus sceptris predestinato regumque omnium pręcellentissimo Karolo perpetuo triumphatori ac semper augusto », fol. 2r.
71 « Quoties memoria replico altitudinem uestram sceptra paterna non modo uirtute, consilio, prudentiaque regere, uerum etiam non minore studio ex intimis sapientiae speculis uerae pulchritudinis colores ducere, hisque tempora, perditis foedata moribus, informare. », fol. 2r.
72 « Quamquam non insciens sim eam quę nunc respublica dicitur, usque adeo uitiorum omnium proluuię obsoleuisse ut de eius salute merito desperetur a pluribus […] », ibid.
73 « Illud uel maxime uobis aeternam parat memoriam, quod famatissimi aui uestri Karoli studium erga immortales disciplinas non modo ex aequo representatis/ uerum etiam incomparabili feruore transcenditis », fol. 2r et v.
74 « […] intestate prolis haeres <sic> proximus occuristis, eius bona ad uos lege redierunt… Habe igitur post funus dilectissimi filii hereditarium pignus, quo et defuncti memoriam suauiter refricare et integre fidelis famuli deuotionem aduertere ualeas […] », fol. 6r.
« […]75 ut acquiratur aedificatio legentibus, pax credentibus, salus imitantibus, immortalitas in fide perseuerantibus. Qua ut perpetuo polleas et optamus et indefesse oramus, regum maximę, triumphator perpetuę ac semper auguste », fol. 6v.
76 Otloh de Saint-Emmeram, Vita s. Bonifatii (BHL 1403), W. Levison (éd.), Hanovre-Leipzig, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Scriptores Rerum Germanicarum, 57), 1905, p. 111–217. Sur le contexte de rédaction, Petra Kehl, Kult und Nachleben des Heiligen Bonifatius im Mittelalter (754-1200), Fulda, Verlag Parzeller, 1993.
77 Willibald, Vita s. Bonifacii, (BHL 1400), W. Levison (éd.), (éd. cit. n. 76), p. 1-58 ; voir I. Wood (op. cit. n. 50), p. 61-64.
78 James T. Palmer, « The “Vigorous Rule” of Bishop Lull: between Bonifatian mission and Carolingian church control », Early Medieval Europe, 13, 2005, p. 249–276, aux p. 252 puis 256.
79 I. Wood (op. cit. n. 50), p. 61.
80 « […] quia cum in ipso libro quem me explanare petistis, inspicerem plurima tam miraculorum quam epistolarum insignia non haberi, quae in aliis libris inveni, molitus sum ex ipsis colligere et in locis, quae oportuna videbantur, inserere : fortassis enim ille venrandus vir, qui vitam sancti Bonifacii inprimis scripsit, virtutes eius multas epistolasque nesciens pretermisit. Sed mihi consideranti literas omnes, quas de eo habetis, in nullis maior tanti presulis auctoritas quam in epistolis ab ipso vel ad ipsum directis videtur esse. », Otloh de Saint-Emmeram, Vita s. Bonifatii (éd. cit. n. 76), p. 113, l. 2-11.
81 Question brièvement évoquée dans : John Eldevik, Episcopal Power and Ecclesiastical Reform in the German Empire: Tithes, Lordship, and Community, 950–1150, Cambridge, Cambridge University Press (Cambridge Studies in Medieval Life and Thought, 86), 2012, p. 248-250.
82 « Sed huius querimoniae interiectio iam finiatur et ad id, unde recessimus, stilus revertatur. Dixi namque prius, quod et iterum dico, quia inter omnes literas, quas de sancto Bonifatio habetis, epistolae illius mihi viderentur precipuae. Unde, quascumque huic operi necessarias invenire potui, in unum colligere studui, sperans, aliquem emulum et tantae auctoritatis ignarum lectorem exinde posse aedificari. Proinde et vos, fratres Fuldenses, unice peto atque ammoneo easdem epistolas intentione summa legere Deoque supplicare, ut per eius preces, a quo vel per quem scriptae sunt, quique, ut in eis legitur, sanctam aecclesiam in Germania positam maximo labore a pravis sacerdotibus quondam eripuit, nunc etiam a similium potestate vos locumque vestrum defendere dignetur. Duos autem libellos, adiuvante Domino, tam de vita sancti viri quam de epistolis supradictis scribere gestio, in priori quidem reserans, quis fuerit quidque ante acceptam Mogontiacensis aecclesiæ sedem in sancta aecclesia laboraverit, in altero vero, quae postea usque ad finem vitae suae gloriosum egerit. ». C’est l’explicit du prologue, Otloh de Saint-Emmeram, Vita s. Bonifatii (éd. cit. n. 76), p. 116, l. 27-117, 8.
83 « Multa quidem et alia tunc ab eo gesta sunt in Germania, quae in epistolis tantummodo inveniuntur scripta. Unde libet inserere epistolas easdem vel ab eo ad Zachariam papam, qui per idem tempus sedem apostolicam gubernabat, vel ab eodem Zacharia ad illum seu pro illo ad quoslibet Germaniae principes transmissas, quas undecumque colligere possumus. Nam illas, quas ad gentis suae populos, id est Anglos, transmisit, pretermittere volumus, ne legentibus aliquod tedium conferre videamur cum alienis, maxime cum nobis sufficiant nostra. Nostra autem dico, quae pro patribus nostris, Germanis scilicet, salvandis scripsit vel ab ullo scripta recepit. In quibus nimirum epistolis maxime potest agnosci, quantam curam et disciplinam, quantam paternitatem et pietatem habuerit circa omnes aecclesiæ sanctae filios, quos ipse per aeuangelium genuit, quodque iuxta apostolum omnibus omnia factus sit, ut omnes lucrifaceret. » Otloh de Saint-Emmeram, Vita s. Bonifatii, cap. 44 (éd. cit. n. 76), p. 157.
84 Même motif en lib. II, cap. 16 (éd. cit. n. 76), p. 201 : « Hucusque cum epistolarum serie sufficiat intimasse, qualis labor quantaque cura sancto Bonifatio fuerit circa omnes, quos ipse ad christianitatis cultum convertit. »
85 « […] tamen plerumque in eius, quem amissum dolemus, commemoratione requiescimus, eo quod in scribendo dum in eum mentem dirigimus, intentionemque defigimus, videtur nobis in sermone reuiuiscere, et totus medullam nostræ mentis influere. », Paschase Radbert, Vita s. Adalhardi Corbeiensis abbatis, (BHL 58-59), Paris, J-P. Migne (PL 120), col. 1507-1552, ici col. 1507, citant l’incipit d’Ambroise, De obitu Valentiniani, O. Faller (éd.), Vienne, Hoelder Pichler Temspky (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, 73), 1955 p. 329-367, ici p. 329. En attendant la nouvelle édition qu’elle doit donner de la Vie, voir Chiara Verri, « L’arte del ritratto », Parva pro magnis munera, M. Goullet (éd.), Turnhout, Brepols (Instrumenta patristica et mediaevalia, 51), 2009, p. 635-656.
86 « Ad hoc enim verba videntur hominibus data, ut arcana cordis fraternis auribus infundere valeant. Ad hoc epistolae scribuntur, ut, quo verborum sonus pervenire non poterit, litterarum officia currant; quatenus mutuae caritatis in apicibus signa fraternis obtutibus demonstrantur; ut fiat animorum in caritate praesentia, ubi est corporum propter longinquitatem locorum absentia. », Alcuin, Lettre à Arn, n° 113, E. Dümmler (éd.), Berlin, Hahnsche Buchhandlung (MGH, Epistolae IV, Epistolae Karolini Aevi, 2), 1895, p. 163-166, ici p. 166, l. 20-23.
87 « Afflictus itaque collisione totius corporis, vir beatus direxit epistolam Cluniaco, fratrum implorans oratum, clamitans se, ut ipsius verbis loquar, reum et in eorum providentia minus fuisse sollicitum. Flagitans quoque, ut sacrificium sacrae oblationis pro eo studerent offerre, quia ‘confisus’, inquit, ‘de suffragiis dominorum meorum apostolorum spero me iam de hac corruptibili carne exiturum’ », Jotsald, Vita Odilonis, J. Staub (éd.), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung (MGH, SRGermanicarum, 68), 1999, lib. II, cap. 24, p. 237.
88 « Interea coeperunt me...fratres [...] ut eis illum gestis vitae religiosae resuscitarem, compellere [...] », Ardo, Vita s. Benedicti Anianensis (éd. cit. n. 19), p. 200.
89 « Atque utinam tam efficaciter persuaserit quam affectuose suaserit. Modum autem aegritudinis eius si quis nosse desiderat, exstat epistola, quam ad amicum quemdam paucissimis diebus ante sacram a nobis profectionem suam ipse dictauit. Quam nimirum huic nostrae narrationi duximus inserendam, quod uidelicet etsi aliena quoque de ipso, amplius tamen nos ipsius de se uerba delectent. », Geoffroy d’Auxerre, Vita prima s. Bernardi Claraeuallis abbatis, P. Verdeyen (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, 89B), 2011, recensio A, p. 133-214, ici lib. V, cap. 9, p. 203.
90 « Hoc exemplar epistolae, quam, ut nos diximus, et ipsa quoque eius uerba declarant, pater sanctus exitu iam imminente dictauit. Ex cuius tenore possit nimirum diligens lector sacrum illius... pectus agnoscere, quanta illi in ipsa sui ruina corporis tranquillitas mentis, serenitas animi, suauitas spiritus, quanta sub fiduciae culmine radix humilitatis », Geoffroy d’Auxerre, (éd. cit. supra), V, 11, p. 205.
91 État des lieux dans : Patrick Henriet, La parole et la prière au Moyen Âge. Le verbe efficace dans l’hagiographie monastique des xie et xiie siècles, Bruxelles, De Boeck (Bibliothèque du Moyen Âge, 16), 2000, p. 308, n. 75, d’après les travaux d’Adriaan H. Bredero.
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Référence papier
Marie-Céline Isaïa, « Les lettres dans l’hagiographie médiolatine (ixe-xiie siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 242 | 2018, 109-128.
Référence électronique
Marie-Céline Isaïa, « Les lettres dans l’hagiographie médiolatine (ixe-xiie siècle) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 242 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/1784 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.1784
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