L’inscription funéraire des xie-xiie siècles et son rapport au corps. Une épigraphie entre texte et image
Résumés
Les inscriptions funéraires entretiennent un rapport nécessaire au corps ; d’abord au corps du défunt qu’elles mentionnent et pour lequel elles invitent à prier ; au corps du lecteur ensuite, qu’elles interpellent pour déclencher compassion, commémoration et changement des mœurs ; au corps social enfin, celui des morts et des vivants entre lesquels elles établissent un lien écrit, exposé à la vue de tous et pour la plus longue durée. Cet article envisage les modalités de la référence au corps telle qu’elle s’exprime dans les inscriptions funéraires du Moyen Âge central en traçant un lien entre pratique de l’écriture, représentation du corps du mort et insertion du monument dans l’espace funéraire. Condamné physiologiquement à la disparition et pour cela destiné à être soustrait à la vue du public, le défunt peut, dans la mention épigraphique de son corps, s’assurer une présence durable au sein de la société des vivants et exister par le texte et l’image dans le monde.
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Mots-clés :
corps, mort - inscriptions, mort - rapport entre morts et vivants, épigraphie, histoire sociale, Isarn (abbé de Saint-Victor - Marseille), FranceKeywords:
body, death -inscriptions, death -relationship between living and dead, epigraphy, social history, Isarn (abbot of Saint-Victor – Marseille), FrancePlan
Haut de pageNotes de la rédaction
Cette courte étude est le fruit d’une enquête menée au sein du Corpus des inscriptions de la France médiévale au cours des années 2009-2010. Elle s’inscrit dans le prolongement des réflexions qu’avait développées Cécile Treffort pour l’époque carolingienne dans la communication intitulée « Corps individuel, corps social, corps eschatologique », dans Actes du 35e Congrès international de l’APLAES, Poitiers, 24-26 mai 2002, Poitiers, MSHS, 2002, p. 23-44. Nous ne saurions dire à quel point les travaux de son auteur ont influencé notre démarche, nos conclusions et de façon générale notre formation.
Texte intégral
Introduction
- 1 On verra en dernier lieu sur ces questions notre article « Écrire sur, écrire dans, écrire près de (...)
1Les inscriptions funéraires constituent la part la plus importante de la documentation épigraphique pour l’époque médiévale ; elles sont, pour certains sites, les seules inscriptions dont l’on conserve encore la trace. Un tel état documentaire a plusieurs conséquences. Il occulte tout d’abord la diversité des inscriptions produites au Moyen Âge et aujourd’hui perdues. Il invite ensuite à regrouper de façon arbitraire autour du terme générique « inscription funéraire » une grande variété de textes, de formes et de fonctions souvent très différentes. Il engage enfin le chercheur à attribuer à l’écriture épigraphique un rôle exclusivement mémoriel ou commémoratif (par essence inhérent à toute pratique graphique médiévale), en gommant les fonctions plus complexes de l’écriture, notamment celles en lien avec la matérialisation et la présentification des contenus. Si la réflexion sur la sépulture et les conditions d’inhumation doit, certes, être engagée à partir de la documentation épigraphique1, elle doit également envisager des questions plus globales sur la relation entre réalisation de l’inscription et contenu du texte, en particulier dans le domaine funéraire dans lequel l’inscription, acte de langage pérenne et public, énonce le défunt et son corps.
- 2 Robert Favreau, Épigraphie médiévale, Turnhout, Brepols, 1997, p. 5.
- 3 Vincent Debiais, « L’écriture épigraphique et son rapport à la matière », dans La mise en voir du V (...)
2L’idée d’une quelconque fonction « funéraire » de l’écriture épigraphique engage de facto une réflexion sur les liens entre l’inscription et la corporalité, dans la mesure où la nécessité de l’inhumation et ses conditions particulières naissent de la limite biologique de la vie et de l’impossibilité pour le corps de demeurer intact. Face aux mutations de l’enveloppe charnelle ante et post mortem, l’écriture apparaît comme un facteur de stabilité et de permanence. C’est d’autant plus vrai pour la pratique épigraphique définie entre autres par son caractère durable2, capable de pallier les limites du corps et de la mémoire. L’inscription est en quelque sorte une super-écriture3 ou, en tout cas, une forme essentielle de sa manifestation et sa présence sur la tombe, au contact du corps en décomposition, est une réponse aux limitations physiques de la présence humaine dans ce monde (hic). Il reste à déterminer quelles sont les relations entre le défunt (en tant que présence physique) et l’inscription funéraire placée au contact ou près de son corps.
Présence/absence des corps et permanence de l’âme
- 4 Cécile Treffort, « Corps individuel, corps social, corps eschatologique », dans Actes du 35e Congrè (...)
- 5 Pour un approche originale et particulièrement stimulante de ces réflexions, on verra avec profit J (...)
3De la même façon que le Verbe s’est fait chair, l’idée s’incarne dans l’écriture4. C’est là l’une des lignes de force de la pensée médiévale des pratiques graphiques5. Il y a de la sorte, dans chaque manifestation de l’écriture, une interrogation sur la matière et sur la capacité du signe à contenir et manifester visuellement ce qu’il exprime. L’inscription funéraire constitue ainsi un laboratoire a priori adéquat pour explorer la possibilité d’une incarnation du sens dans l’écriture, en lien ou non avec une représentation iconique du corps dont elle évoque la disparition.
L’image du défunt
4Les effigies funéraires sont encore assez rares à l’époque romane, contrairement à ce que l’on rencontrera à partir du xiiie siècle, avec l’apparition de la plate-tombe et le recours plus fréquent à des monuments funéraires en élévation. Il semble qu’elles le sont encore davantage en association avec l’écriture épigraphique.
Effigie funéraire ou non
- 6 Corpus des inscriptions de la France médiévale [dorénavant CIFM], 9, A 19, p. 34-36, fig. 21.
- 7 « Vivat in eternum Regem laudando supernum. »
5Même s’il est difficile de parler ici d’effigie funéraire stricto sensu, nous pouvons évoquer pour commencer le groupe sculpté dit de Bégon à Conques6 ; deux plaques d’ardoise inscrites sont encastrées dans le mur de l’enfeu destiné à recevoir la sépulture de l’abbé mort en 1107, de part et d’autre d’un groupe sculpté représentant le Christ flanqué de deux anges et de deux personnages [fig. 1]. Le premier hémistiche du premier hexamètre sur la plaque de gauche comporte une formule tumulaire qui crée l’ambiguïté entre la représentation de l’abbé par la sculpture et la présence réelle du corps de Bégon dans la sépulture : « Hic est abba situs ». Le dernier vers dissipe cependant les doutes en formulant un vœu pieux pour le salut de l’âme du défunt : « Qu’il vive dans l’éternité en louant le Roi suprême »7. Si une certaine dimension eschatologique existe sans doute dans la présence du Christ au dernier hexamètre de l’inscription et de façon moins certaine dans le geste des anges qui touchent la tête des personnages représentés de part et d’autre du Christ, l’image évoque la mort de l’abbé de façon diffuse et uniquement en lien avec le message délivré par l’inscription gravée sur les deux plaques d’ardoise (le contexte archéologique très perturbé de l’enfeu invite d’ailleurs à la prudence quant à l’association entre texte et image).
- 8 Voir en dernier lieu la publication de l’inscription de l’émail, accompagnée de la bibliographie, d (...)
- 9 « Ense tuo, princeps, predonum turba fugatur ; Eccle(s)iisq(ue) quies pace vigente datur. » ; trad. (...)
- 10 C’est en tout cas l’une des hypothèses avancées avec des arguments très convaincants par Marie-Made (...)
6Des doutes du même ordre subsistent encore quant à l’éventuelle fonction funéraire de l’image de Geoffroi Plantagenêt conservée au musée du Mans8. Les motifs architecturaux, l’armement du comte et le contenu de l’inscription9 placée dans la partie supérieure de l’émail pourraient certes se retrouver en contexte funéraire, sur une plate-tombe par exemple, mais la plaque n’aurait été apposée sur le tombeau de Geoffroi qu’après la construction de sa sépulture10 ; on ne peut exclure de fait qu’elle ait été réalisée plusieurs années avant le décès et offerte au comte de son vivant, en gage de reconnaissance. L’association texte/image ne deviendrait donc funéraire que dans un second temps, par une nouvelle mise en contexte, et non au moment de la réalisation de la plaque émaillée.
- 11 CIFM II, Co 25, p. 31-32, fig. 12-13.
7D’autres exemples présentent moins d’ambiguïté. On conserve au musée de Brive une plaque funéraire de 36 × 59 cm provenant de l’église priorale d’Arnac-Pompadour et datant probablement de la seconde moitié du xiie siècle11. Elle se compose de deux parties : dans la moitié supérieure se développe sur neuf lignes une inscription funéraire pour Gérald Poisson, prévôt d’Arnac-Pompadour ; dans la moitié inférieure une sculpture présente avec beaucoup de détail une scène d’inhumation, sans doute celle du défunt cité dans l’inscription [fig. 2]. Si l’image est funéraire par son contenu, il n’y a pas à proprement parler d’effigie puisqu’il s’agit d’une scène très générale représentant l’inhumation en tant que cérémonie, d’où son caractère très anonyme. Le texte rend toutefois l’association entre l’image et le défunt très explicite, la seconde partie du texte doublant la formule tumulaire ; dans les expressions « jacet hic cinis » et « hic sepelitur », le mot hic renvoie simultanément au lieu de la sépulture réelle et au lieu d’image.
Fig. 2. — Brive, musée municipal, inscription funéraire pour Gérald Poisson, prévôt d’Arnac-Pompadour. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.)
Hiératisme des images et rythme du texte
8Avant 1200, on peut citer deux inscriptions qui accompagnent réellement des effigies funéraires. Dans la nef de l’église abbatiale de Fontgombault (dép. 36) se trouve le tombeau du fondateur, Pierre de l’Étoile, mort en 1114 [fig. 3]. Il s’agit d’une dalle trapézoïdale de 169 cm de long portant en bas-relief la statue de l’abbé muni de sa crosse. L’inscription se répartit autour de la plaque, inscrite sur le bord chanfreiné :
- 12 Cette inscription sera publiée dans CIFM 25 (notice 18) à paraître en 2012 ; avant sa parution, on (...)
Petrus eram dictus. N(un)c su(m) sine nomine pulvis,
S(ed) miserante D(e)o, de pulvere credo resurga(m).
Dic homo qui transis Deus ut michi propicietur.
N(un)c quod es ipse fui ; quod su(m) m[odo] tu q(uoque) fies12.
Fig. 3. — Fontgombault, abbaye, tombeau de Pierre de l’Étoile. (Cl. I. Fortuné. CIFM/Université de Poitiers.)
9Le texte est un long appel à la prière prononcé par le défunt. Il s’inspire d’une formule courante (« quod sum eris, quod es fui ») invitant le passant (« homo qui transis ») à prendre en compte la fragilité du corps appelé à devenir poussière sans nom (« pulvissine nomine ») et à croire en la résurrection de la chair (« de pulvere credo resurgam »). Il se crée avec le tombeau de Pierre de l’Étoile un décalage évident entre la fixité et l’immuabilité de la représentation sculptée, où le défunt est figé dans la pierre dans une apparence de vie, revêtu des insignes de sa charge ecclésiastique, et le mouvement suggéré par le texte, d’abord dans l’évocation de l’évolution inéluctable du corps vers la poussière, puis vers la résurrection, et ensuite dans le déplacement du lecteur de l’épitaphe autour du tombeau.
- 13 CIFM 11, 49, p. 60-62, fig. 43-44 : « Guillelmus jacet hic Jordanus, pastor ovilis / Elne, quem juv (...)
10C’est le même hiératisme qui se dégage de l’effigie funéraire de Guillaume Jordan, évêque d’Elne (dép. 66) mort en 1186, sculptée dans une plaque insérée dans la galerie sud du cloître de la cathédrale13 [fig. 4]. Le défunt est représenté cette fois dans la mort, les mains jointes sur la poitrine ; il ne porte plus sa crosse, comme le faisait Pierre de l’Étoile, mais celle-ci est posée à droite. Sa tête repose sur un coussin richement orné. Posée sur la sépulture (dont elle adopte les dimensions), cette effigie pourrait être une projection à la surface du sol du contenu de la tombe. À droite de l’évêque, on a représenté un ange balançant un encensoir (geste liturgique, terrestre et céleste, que l’on trouvait déjà sur la plaque d’Arnac-Pompadour) et on a gravé une inscription funéraire composée de six hexamètres associés par la finale en -is, composition textuelle mise en évidence visuellement par la disposition des lignes en faisceau. Le premier vers identifie le défunt et son lieu d’inhumation (« jacet hic »). Il n’est plus question ici de mouvement dans le contenu de l’inscription mais plutôt de la douleur provoquée par la mort de Guillaume. Il existe donc une correspondance étroite entre le hiératisme de l’effigie funéraire et le rythme (ou l’absence de rythme) du texte, la seule idée de mouvement (« rapit ») signifiant une absence plus qu’un déplacement. C’est donc bien la disparition du corps qui s’exprime dans le monument pour Guillaume Jordan ; s’il donne effectivement à voir le contenu de l’inhumation, c’est pour mieux assurer la permanence dans la pierre du corps condamné à disparaître.
L’inscription du tombeau d’Isarn
- 14 C. Treffort, « Espace ecclésial et paysage mémoriel (ixe-xiiie siècle) », dans Espace ecclésial et (...)
- 15 CIFM XIV, BR 55, p. 99-101, fig. 63.
- 16 Trad. : « Regarde, je t’en prie, lecteur, combien, par la faute du premier homme, l’humaine loi s’a (...)
- 17 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 27.
11Le texte et l’image forment ainsi une fenêtre ouverte sur la sépulture14. Sans doute faudrait-il parler davantage de miroir renvoyant le spectateur au devenir de sa propre existence plutôt que de la mise en scène de la décomposition, comme cela sera le cas à la fin du Moyen Âge. L’idée de montrer un contenu idéalisé de la tombe ne saurait se manifester plus clairement que dans le tombeau de l’abbé de Saint-Victor de Marseille Isarn, mort en 104815 [fig. 5]. Comme pour Guillaume Jordan, il s’agit d’une effigie dans la mort ; les yeux sont fermés, la crosse posée à ses côtés. Le texte tracé sur l’arceau, à la tête du défunt, proclame sans détour : « Cerne, precor, que lex hominis noxa protoplasti in me defuncto lector inest misero », exprimant de façon très ramassée la finitude de la vie terrestre et la limite du corps, laissé apparent à la tête et aux pieds de la représentation16. La corporalité est de fait très présente, dans la sculpture comme dans l’écriture. Le premier distique du texte principal déclare que « se trouvent ici les membres sacrés d’un homme illustre ». Si membra est souvent employé dans les inscriptions tumulaires de l’époque carolingienne17, il prend sur le tombeau d’Isarn une épaisseur particulière grâce aux liens entre le texte et la représentation sculptée. Comme à Elne, l’idée de mouvement, évoquée à la fin de l’inscription (« respuit terras »), concerne la disparition de l’abbé et l’abandon de ce corps que le lecteur du texte peut entrapercevoir figé dans la pierre, derrière l’écriture. La réalité corporelle d’Isarn pourrait enfin être suggérée par le changement dans la taille des lettres inscrites au centre de la plaque couvrant le corps ; cette variation tout à fait volontaire, puisqu’elle s’accompagne d’un changement dans la mise en place des réglures, pourrait signifier graphiquement les courbes du cadavre ; le procédé est subtil et le résultat particulièrement satisfaisant d’un point de vue esthétique.
- 18 Sur la plate-tombe, voir l’ouvrage fondamental de Francis A. Greenhill, Incised Effigial Slabs. A S (...)
12Le tombeau d’Isarn est tout à fait exceptionnel par la qualité de la réalisation, par la complexité des relations texte/image, par sa datation, et reste donc difficile à utiliser dans une histoire des formes et des fonctions des effigies funéraires qui sont encore très peu nombreuses, en association avec l’écriture, avant 1200. L’apparition de la plate-tombe inscrite provoquera en ce sens un changement considérable dans les pratiques funéraires et dans l’encombrement graphique des espaces d’inhumation18. Dans tous les cas, que l’on représente le défunt les yeux ouverts ou fermés, les plates-tombes font le choix, au moins jusqu’en 1380, de figurer un corps dans le monde (le chevalier en arme, l’ecclésiastique en habit, l’officier avec les insignes d’autorité) et non un corps rendu à la mort, « à la poussière et aux vers ».
Le corps par le texte (repraesentatio)
13Si la figuration des défunts par l’image est si peu fréquente à l’époque romane, il faut envisager deux possibilités : soit la mention même du corps est absente de la plupart des documents funéraires ; soit l’évocation de la chair passe par un autre vecteur que celui de l’image.
Le corps, la chair, la poussière
- 19 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 27.
- 20 CIFM HS 1, 22 (à paraître) ; C. Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mém (...)
- 21 CIFM 24, 233, p. 237-241.
- 22 CIFM 24, 1, p. 15-17 : « Carnis carcere solvit hunc. »
- 23 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 147, fig. 74.
14La documentation épigraphique fait état en réalité de nombreuses mentions du corps du défunt. Les formes les plus simples de cette évocation concernent la construction d’une formule tumulaire autour du mot corpus ou membra, comme cela est très fréquent à l’époque carolingienne19. L’épitaphe gravée sur ardoise au ixe siècle pour Fulcuinus à Angers commençait par l’expression « Hic requiescunt Fulcuini membra sepulta »20 ; vers 1200, les peintures funéraires de Saint-Pierre-du-Lourouër comportaient la formule « Hic jacet corpus », sans lien avec la sépulture d’un défunt mais avec la scène de funérailles représentée sur le mur nord de la nef21. Au-delà de son aspect très formulaire (défini par la fixité et par la récurrence des expressions employées), ce lexique traduit l’intention claire de séparer dans l’inscription funéraire le corps du défunt, qui reste en ce monde (d’où l’association très fréquente au déictique hic), de l’âme de la personne inhumée. Le corps, cette « prison de chair » qu’évoque une inscription anonyme pour un clerc angevin du xie siècle22, ne se comprend donc que dans une opposition à l’esprit libéré de son enveloppe charnelle, donc putrescible, au moment du trépas commémoré dans le texte épigraphique. Dans l’espérance de la résurrection, la mort n’affecte en effet que la chair qui reste prisonnière de la tombe pendant que l’âme du défunt, portée par un ange, gagne le Sein d’Abraham, comme on le voit sur une belle plaque funéraire de l’ancienne abbatiale Saint-Martin de Plaimpied-Givaudins23 [fig. 6] ; figurée sous les traits d’un enfant, l’âme du chanoine Sulpice est soutenue par un personnage de plus grande dimension identifié par l’inscription Pater Abraham.
Fig. 6. — Plaimpied-Givaudins, abbaye, plaque funéraire pour Sulpicius. (Cl. I. Fortuné CIFM/Université de Poitiers.)
- 24 CIFM 15, 128, p. 129-131.
- 25 CIFM 5, D 21, p. 35-36, fig. 14.
- 26 CIFM 24, 220, p. 223-224.
- 27 CIFM HS 1, 46 ; C. Treffort (op. cit. n. 20), p. 102.
- 28 CIFM HS 1, 64-65 ; C. Treffort (op. cit. n. 20), p. 329 et s. ; trad. : « La terre reçoit la terre (...)
- 29 Paul Deschamps, « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires de la fin de l’époque mérov (...)
- 30 CIFM I-1, 100, p. 125-126, fig. 78.
15Le cadavre est réduit à l’état de cendres, de poussière, dans un retour à la matière organique primordiale de laquelle l’homme est né et que Dieu a animé de son souffle. Nombreux sont les textes qui font le choix de ce champ lexical pour décrire le défunt : ce sont les cendres (« cineres ») de Sobon que dissimule la masse de terre du tombeau de l’archevêque à Saint-Pierre de Vienne (dép. 38)24 ; Pierre, évêque de Périgueux, est décrit comme « poussière retournée en poussière » (« in pulvere pulvis »), conformément au texte de la Genèse25 ; l’évêque du Mans Francon Ier repose dans la terre (« requiescit humo »)26, tout comme Ingelsen à la fin du ixe siècle à Angers27 (« requiescit in arvis »). Les deux épitaphes carolingiennes découvertes à Melle (dép. 79) au xixe siècle et aujourd’hui conservées au musée du Donjon de Niort commencent par une phrase très évocatrice à ce titre, quoique difficile à traduire : « Tellus sucipit terram ; cosma redditur humo »28. C’est parce qu’il est lui aussi constitué de terre que le corps de l’homme peut être placé dans le sol, sans autre forme d’aménagement funéraire. Privé du souffle de vie, l’enveloppe charnelle est livrée aux vers, comme on le lit par exemple dans l’épitaphe d’Hubert à Saint-Remi de Reims au milieu du xie siècle29 : « vermibus esca ». Cependant, on n’assiste pas dans les textes, pas plus que dans les images, sur l’idée de décomposition. L’évocation du corps dans les épitaphes romanes ne sert donc qu’à mettre en valeur le devenir de l’âme. Une pierre tombale conservée au musée Sainte-Croix de Poitiers et attribuée à Ranulf de Broc, officier d’Henri II, porte ainsi uniquement la phrase « Hic expecto resurectioni mortuorum », forme approchée de l’avant-dernier article du Credo établi au concile de Nicée30. Au-delà des difficultés quant à la datation de cette inscription atypique, son contenu est toutefois plus conforme à ce qu’on lira dans les textes du xive et xve siècle que dans ceux de l’époque romane.
L’âme, l’esprit, les cieux
- 31 CIFM 7, 40, p. 76-77, fig. 43.
- 32 CIFM 11, 79, p. 98-99, fig. 74.
- 33 Ottavio Banti, « Considerazioni a proposito di alcune epigrafi dei secoli viii-ix conservate a Bres (...)
- 34 Gn 2, 7.
- 35 CIFM 15, 23, p. 25-26, fig. 18.
- 36 CIFM 7, 7, p. 21-23.
16Aux xe-xiie siècles, les inscriptions n’évoquent pas tant la résurrection des corps que le repos de l’âme au Paradis ; de là découle le soin apporté à la séparation âme/corps dans les épitaphes. L’inscription funéraire pour Bernard provenant de Saint-Gaudens (dép. 31) et conservée aujourd’hui dans la galerie lapidaire du musée des Augustins de Toulouse [fig. 7] déclare ainsi que du corps du défunt (« corpus »), « enfermé dans le noir tombeau » (« atro tumulo »), « l’âme est absente » (« animam deerat ») ; elle « s’ouvre les espaces célestes » (« superna reserat »)31. L’inscription pour le chevalier Bertrand de Villelongue, dans le cloître de Monastir-del-Camp, à Passa (dép. 66) [fig. 8], est elle aussi particulièrement claire : si la pierre contient les os du défunt (« ossa lapis retinet »), son esprit gagne les hauteurs (« spiritus alta petit »)32. Dans une formule très approchée, l’épitaphe du prêtre Tafo à Santa Giulia de Brescia (Italie) déclarait en 896 que l’âme du défunt rejoint les astres (« spiritus astra petit ») alors que son corps est enseveli dans la terre (« corpus humo sepelit »)33. L’emploi du mot spiritus dans ces deux textes, au-delà des contraintes prosodiques, renvoie directement à la Création et au souffle de vie transmis à la poussière34. Le départ de l’âme du défunt est toujours synonyme d’ascension ; c’est un départ pour les hauteurs célestes. L’épitaphe de l’archevêque Humbert de Vienne évoque la migration de son esprit (spiritus, une nouvelle fois) pour les cieux (ethra pour etherea)35. L’épitaphe pour un fils du comte de Toulouse Alphonse, autrefois conservée dans le cloître de La Daurade, opérait quant à elle le balancement entre le corpus « sub lapide » et le spiritus « in requie »36.
Fig. 8. — Passa, Monastir-del-Camp, épitaphe de Bernard de Villalongue. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.)
- 37 Sur ce sujet, voir Alvaro González Ovies, Poesía funeraria latina : renaciemiento carolingio, Ovied (...)
- 38 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 32.
17Si le vocabulaire employé dans les textes funéraires romans ne semble pas aussi riche que celui que l’on rencontre dans les textes carolingiens, beaucoup plus évocateurs à ce sujet et puisant dans une importante série d’images reprises ou créées par les poètes de la génération d’Alcuin37, les inscriptions des xe-xiie siècles concentrent la poesis sur la thématique de l’élévation. Le texte funéraire pour Isarn est une nouvelle fois à ce sujet très révélateur. Le deuxième distique affirme ainsi que le corps de l’abbé a été élevé dans les hauteurs (« provexit ad alta ») par ses mœurs exemplaires et la douceur de son esprit. Le dernier pentamètre clôt le texte principal en déclarant qu’Isarn a commencé à « s’élever vers le royaume des cieux étincelants » (« cepit rutili regna subire poli »). Dans la construction verticale de la mort, la sépulture est un seuil entre le lieu du corps et l’espace d’ascension de l’âme vers les cieux38. L’inscription sur le tombeau peut être envisagée comme un moyen de passer de l’un à l’autre. La nature particulière de l’écriture, à la fois signe tangible d’une réalité lexicale et moyen de vocaliser une parole immanente, est particulièrement adaptée pour signifier la séparation de l’âme et du corps du défunt.
- 39 CIFM 7, 7, p. 21-23.
- 40 CIFM I-1, 61, p. 64-66, fig. 41.
- 41 CIFM 22, 51, p. 92-94.
18Dans sa mise en place matérielle à l’intérieur de l’espace d’inhumation, quelle que soit son extension, l’inscription funéraire, dans le simple fait d’utiliser l’écriture, opère ainsi toujours une distinction entre le hic de la tombe et l’« ailleurs » du devenir de l’âme. Elle matérialise, parfois de façon monumentale, la permanence du corps par l’inscription des signes dans la matière (la pierre ou le métal) et l’immanence de l’âme par le recours au Verbe, manifestation essentielle et insaisissable de l’Être. Le discours au cœur du texte funéraire sur le rôle de l’inscription est sans ambiguïté ; si l’épitaphe permet effectivement de connaître l’identité du corps enfermé dans le tombeau, elle permet également, par les demandes de prières, de faciliter l’élévation de l’âme. Dans le texte toulousain pour le fils du comte Alphonse, on lisait ainsi que « l’épitaphe désigne celui que couvre le tombeau »39. L’inscription pour le reclus Milon à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers invite en revanche le lecteur de l’épitaphe (« qui legis hunc titulum ») à réciter des prières pour le repos de l’âme du défunt40 [fig. 9]. C’est la lecture de l’inscription et la prière qui permettra à l’abbé Ainard de « jouir du bienfaisant visage de Dieu » dans l’épitaphe que composa à sa mort en 1078 l’abbé de Troarn Durant et que rapporte Ordéric Vital41. L’épitaphe recouvre donc simultanément des fonctions liées au corps, monumentalisé de façon pérenne dans le texte, et à l’âme du défunt, élevée par les prières qu’invite à prononcer l’inscription.
Fig. 9. — Poitiers, Saint-Hilaire-le-Grand, épitaphe du reclus Milon. (Cl. J.-P. Brouard. CIFM/CESCM.)
L’écriture au contact du corps
- 42 2 Co III, 2-3 ; voir sur ce passage les réflexions très intéressantes, comme toujours, de Jean Lecl (...)
19L’inscription funéraire possède parfois un rapport physique plus étroit avec le corps du défunt. On ne connaît pas d’exemple d’écriture tracée directement sur le cadavre, ni même d’ailleurs sur le vivant, l’écriture dans le cœur des hommes évoquée par la Seconde Épître aux Corinthiens restant une allégorie de l’amour de Dieu plus qu’une réalité graphique42.
Endotaphe et authentique
- 43 CIFM 12 H 74, p. 183-185, fig. 125-128.
- 44 CIFM 23, 31, p. 44-45.
20Les inscriptions placées à l’intérieur de la tombe, posées sur le corps du défunt au moment de l’inhumation (primaire ou secondaire), peuvent toutefois être considérées comme une écriture sur le corps dans la mesure où, sans annuler complètement le support épigraphique, elles placent le corps et l’écriture dans une relation essentielle. Ces inscriptions intérieures (ou endotaphes) sont nombreuses à l’époque romane ; leur nombre augmente rapidement aujourd’hui grâce aux découvertes des archéologues qui, sensibilisés à cette pratique singulière, prennent soin de relever la position précise de ces objets, souvent de petite taille, qui restent dans la tombe et ne peuvent être lus qu’en cas de réouverture. Gravés sur pierre ou sur plomb, les textes présentent deux types de contenu : une inscription tumulaire identifiant le défunt et le lieu de sa sépulture ; une formule d’absolution ou une demande de prière adressée à Dieu ou à un intercesseur. L’inscription tracée sur le tombeau de l’évêque Jean de Montlaur, mort en 1191 et inhumé à la cathédrale de Maguelonne (dép. 34), cite un autre texte « écrit sous la pierre qui est posé sur la tête » du défunt où l’on pouvait lire la date du décès43. Cette inscription n’a pas été retrouvée et on ignore donc si le texte se limitait à une mention de type obituaire, ce qui semble rare en l’état actuel de la documentation. On en connaît cependant quelques exemples, notamment pour le xie siècle, comme la croix de plomb découverte au xviie siècle dans le tombeau de Constance, fille de Guillaume le Conquérant à Saint-Melaine de Rennes44.
- 45 CIFM 24, 66-67, p. 89-91.
- 46 Nous empruntons cette expression à l’article de C. Treffort, « Une identité préservée. Plaques et o (...)
- 47 CIFM II, HV 52, p. 154-156, fig. 56-57.
- 48 CIFM 24, 48, p. 71-72 : « Hic jacet corpus beatissimi confessoris Brioci episcopi Britanniae quod d (...)
- 49 CIFM I-1, 99, p. 123-124, fig. 77.
21La plupart des endotaphes sont tumulaires, à l’exemple des deux petites plaques de plomb découvertes au cours des années 1990 dans les fouilles du chœur de l’église abbatiale de Fontevraud (dép. 49)45 [fig. 10] ; elles commencent par l’expression « hic requiescit » et se contentent de « préserver l’identité du défunt »46. On a pu dès lors rapprocher cette pratique de celle des authentiques de reliques, texte inscrit sur parchemin ou sur tout support épigraphique destiné à identifier un corps saint ou une partie de celui-ci ; certains documents prêtent en effet volontairement à confusion. C’est le cas de la petite plaque retrouvée dans le tombeau de saint Martial à Limoges, objet réalisé sans doute vers 1031 sous l’impulsion d’Adémar de Chabannes pour asseoir l’apostolicité de Martial, d’où la formulation « Hic requiescit Martialis apostolus Christi »47. C’est également le cas de l’inscription aujourd’hui disparue qui était placée à l’intérieur du tombeau de saint Brieuc à Saint-Serge d’Angers, qui authentifiait le corps du saint et datait sa translation48. Il y a cependant pour les saints des dynamiques d’écriture très différentes, l’inscription jouant, au moins dans les cas que nous évoquons ici, un principe d’autorité qui ne s’exprime certainement pas de la même façon dans les tombes des simples mortels pour lesquelles il faut plutôt reconnaître une mobilisation de la capacité efficace de l’écriture permettant au défunt mentionné dans le texte de continuer d’occuper la tombe malgré la mutation de son corps. C’est pourquoi l’endotaphe pour Pierre, premier abbé d’Airvault (dép. 79), pouvait se limiter, dans le cadre de la sépulture secondaire, à la mention du nom49. On comprend mieux dès lors les raisons pour lesquelles les inscriptions funéraires romanes se sont rarement ajoutées à la figuration des défunts, l’écriture assurant en soi une repraesentatio du contenu du texte. L’idée d’une efficacité intrinsèque de l’inscription, de sa capacité à rendre présent dans la matière son propre contenu, permet d’expliquer le caractère invisible et par conséquent illisible des endotaphes qui pourrait paraître contradictoire avec la fonction publicitaire de l’inscription.
Fig. 10. — Angers, dépôt archéologique départemental (prov. Fontevraud), plaque funéraire de Giraud de Brie. (Cl. J.-P. Brouard. CIFM/CESCM.)
Formules d’absolution
- 50 CIFM 22, 246-255, p. 323-332, fig. 111-115.
- 51 CIFM 22, 246, p. 323-324.
- 52 Ibid., 247, p. 325-326.
22À partir du moment où l’on ne présuppose plus un acte de lecture pour activer le contenu d’un texte, sa localisation dans un lieu inaccessible est moins importante que son existence en tant que matérialisation d’un système de signes. On s’explique alors d’autant mieux la présence dans les tombes du second type d’endotaphes montrant des formules d’absolution ou des appels à la miséricorde divine. Les croix de plomb découvertes sur la commune de Bouteilles au xixe siècle et aujourd’hui conservées au musée des Antiquités de Rouen portent pour plusieurs d’entre elles une oraison invitant à libérer le défunt des chaînes du péché et lui permettre d’être conduit aux royaumes des cieux (« regna celorum »)50. La croix sépulcrale de Rainaud, datant sans doute du xiie siècle, commence par l’impératif « oremus »51 ; trouvée en fouilles sur le corps du défunt, elle n’était évidemment pas accessible au regard. La reprise de la formulation liturgique très courante oremus ne permet pas d’affirmer que l’émetteur du message prévoyait une lecture réelle du texte gravé dans le plomb (la même oraison est d’ailleurs présente sans le verbe orare sur la croix pour Bérenger52). Sur ces deux croix, la prière d’absolution est adressée au Christ lui-même et peut faire quoi qu’il advienne l’économie d’une lecture par le public. Le choix de graver la formule d’absolution sur une croix placée au contact du corps du défunt répond à la volonté d’associer physiquement les deux objets au-delà du temps et d’assurer à la demande d’absolution l’efficacité la plus longue.
- 53 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 205 et s.
23D’une façon générale, les inscriptions intérieures posent la question de la lisibilité des textes funéraires qui peuvent être inscrits sur des tombes enfouies dans la terre ou sous le dallage d’une église, sur des pierres de parement cachées par le mobilier liturgique, sur des plaques de pierre ou de cuivre accrochées très haut sur les murs, etc. Le caractère efficace de l’écriture médiévale, qui contient une dimension essentiellement active (la prière inscrite dans un livre est déjà une prière ; le nom des morts inscrit dans le livre de Vie posé sur l’autel les rend présents lors du canon de la messe), relativise la nécessité d’une publicité réelle de l’inscription qui, sans cesser d’être fondamentale, doit être considérée comme une potentialité plus que comme un fait, la lecture du texte étant toujours soumise à des circonstances matérielles complexes qui ne limitent en rien l’efficacité de l’écriture. Une inscription illisible n’est pas une inscription absente, de même qu’une inscription illisible n’est pas une inscription invisible53.
Faire apparaître et réunir les corps
- 54 V. Debiais (art. cit. n. 4).
- 55 Id., « Épitaphes, inscriptions et textes funéraires pour la famille ducale de Normandie (de Rollon (...)
24Lors de son inscription dans la pierre ou le métal, le texte et son contenu prennent corps dans la matière et existent réellement, charnellement, dans l’espace de la lecture54 ; cette particularité épigraphique garantit une permanence du corps du défunt mentionné dans l’inscription et amené à disparaître. Ce fait a une double conséquence : il permet d’abord de réunir par l’écriture des corps physiquement dispersés dans le cadre de « nécropoles épigraphiques » sans corps55 ; il permet ensuite de répéter dans des lieux différents un corps unique, inhumé – sauf cas particulier – dans un seul espace funéraire.
Une inscription, des corps
- 56 CIFM 15, 69, p. 71-72, fig. 52.
- 57 CIFM 7, 59, p. 99-100, fig. 64.
- 58 CIFM 7, 63, p. 102-104, fig. 68.
- 59 CIFM 12, H 1, p. 101, fig. 59 : « 3 nonas aprilis obiit Deodatus de Figairolis ; kalendis augusti G (...)
- 60 CIFM 15, 66, p. 68, fig. 45.
- 61 CIFM 6, G 29-31, p. 30-32, fig. 16-19.
25Vers 1152, on a placé près de l’église Saint-Pierre de Vienne une inscription aujourd’hui conservée dans le cloître de Saint-André-le-Bas56. Gravée très élégamment sur une plaque carrée de 55 cm de côté, l’épitaphe invite le passant (« qui transis ») à contempler la tombe de Willelma, enterrée ici (« jacet hic »), tout près du texte, et celle de son mari Gaufredus, inhumé non loin de là (« nec procul humatus »). Pour réunir l’époux et l’épouse, décédés à quelques mois d’intervalle, on a fait le choix de graver une seule inscription funéraire (peut-être en une seule fois), sur le même objet indépendant des tombes et placé entre les deux lieux d’inhumation. On a également réuni le mari et la femme sur la pierre no 727 de la galerie lapidaire du musée des Augustins de Toulouse portant deux mentions obituaires pour le marchand Guillaume et sa femme Juliane, morts respectivement le 29 novembre et le 17 septembre57. Dans ces deux inscriptions, il s’agit d’un seul et même texte, gravé en une seule phase. D’autres inscriptions présentent en revanche plusieurs strates d’écriture au cours desquelles on augmente un premier texte par l’ajout d’autres mentions obituaires. Sur une autre pierre du musée des Augustins de Toulouse provenant de la cathédrale Saint-Étienne, on lit ainsi trois courtes mentions obituaires, l’une datant de 1198, la deuxième de 1199 et la dernière de 120758. D’après la paléographie, on peut affirmer que les deux dernières ont été tracées en même temps sur la pierre qu’occupait déjà la première mention. Ici, il ne semble pas y avoir de liens de parenté entre les défunts qui partagent cependant la même condition, celle de chanoine laïc de la cathédrale. Sans doute est-ce cette particularité qui a conduit à réunir leur nom au cœur d’un même objet épigraphique. On a également réuni les nom de Déodat et de Garsende sur une pierre unique, au cours d’une seule opération d’écriture, à la chapelle Notre-Dame-de-la-Délivrance d’Aniane (dép. 34)59 ; sur une autre pierre de Saint-André-le-Bas de Vienne datant du milieu du xiie siècle, trois noms ont été inscrits : Guillaume, Pierre et un prénom mutilé60 ; à la fin du xiiie siècle, on a réuni sur plusieurs pierres obituaires de Saint-Orens d’Auch des paires d’inscriptions mentionnant des familiers du monastère, les défunts étant rassemblés en fonction du lignage ou de l’origine géographique61. La présence des corps n’est plus indispensable à la création par l’écriture d’une communauté des défunts au sein l’institution chargée d’assurer leur commémoration.
Des textes en série
- 62 Sur la question des obituaires lapidaires, voir R. Favreau (op. cit n. 2), p. 300-301 ; C. Treffort(...)
- 63 Ibid.
26Avec Saint-Orens d’Auch, on possède un exemple de ce qu’il convient d’appeler un obituaire lapidaire, c’est-à-dire la réunion dans un même espace de plusieurs inscriptions funéraires mentionnant la date de décès d’un ou plusieurs défunts, ordonnées ou non en fonction du calendrier liturgique62. On connaît des cas assez nombreux, principalement dans le Midi de la France et pour le xiiie siècle (Saint-Victor de Marseille, Maguelonne, la cathédrale de Tarbes, Saint-Bertrand-de-Comminges, mais aussi Marcillac-Lanville en Charente, Plaimpied-Givaudins dans le Cher) et en Espagne (cathédrale de Roda de Isábena, de Jaca, cloître du monastère de San Juan de la Peña). Dans son fonctionnement comme dans son organisation, il est difficile de voir dans ces grands ensembles épigraphiques un décalque lapidaire de l’obituaire manuscrit en usage dans l’abbaye ou la cathédrale, même si certaines mises en pages (croix initiale) ou abréviations (O barré pour obiit) se retrouvent sur les deux supports. Il est en tout cas complexe de connaître le fonctionnement de ces inscriptions et il est peu probable qu’il faille leur assigner une fonction liturgique réelle. En revanche, leur relative indépendance par rapport à la tombe invite à voir dans l’accumulation de ces textes la création d’une communauté de prière incarnée dans les murs du cloître ou de la cathédrale, rendue présente grâce à l’écriture des noms des défunts dans la pierre63.
- 64 CIFM 12, H 58, p. 163-164, fig. 107-108.
- 65 CIFM 12, 89, p. 200.
- 66 CIFM 21, 105, p. 113-114, fig. 46 : « Gaufridi genitor Guido jacet hic tumulatus. Tam genitor quam (...)
27Les interrogations quant au rôle éventuel de ces textes sont encore plus nombreuses dans le cas d’inscriptions qui partagent le même support mais qui sont rédigées chacune sur une face, simultanément ou en deux temps, comme la stèle discoïdale de Saint-Guilhem-le-Désert datant de la seconde moitié du xiie siècle qui mentionne deux défunts du nom de Raimond64, ou encore le fragment de l’obituaire lapidaire de Maguelonne rapportant sur chaque face un obiit pour deux défunts différents (Laurent et Guillaume)65. La réunion des corps par l’écriture s’opère également dans les inscriptions funéraires qui, bien que concernant un défunt unique, mentionnent plusieurs personnages qui se retrouvent dès lors physiquement associés sur un même objet. C’est évidemment le cas dans les indications généalogiques où la famille du mort l’entoure dans le document, dans une représentation par l’écriture d’une idée de la « bonne mort » chrétienne. C’est encore plus flagrant dans d’autres exemples où la réunion de deux noms ou plus sur la tombe apparaît comme l’objectif principal de la réalisation épigraphique. L’épitaphe de Gui, conservée dans l’église de Pontaubert (dép. 88) affirme ainsi que le défunt, « père de Geoffroi, gît ici enseveli » et demande « que le père comme le fils entrent dans la sainteté du Père »66. L’inscription est gravée directement sur le tombeau ; il y a dans ce cas la volonté de réunir les deux corps dans une même ascension encouragée par l’inscription. La demande est adressée à Dieu lui-même, lecteur privilégié des intentions de Geoffroi. La demande se trouve cependant déjà accomplie dans la réalisation de l’inscription qui donne un corps pérenne au corps qui repose dans la tombe, condamné à disparaître.
28Les inscriptions funéraires de l’époque romane semblent ainsi avoir fait le choix d’un discours efficace sur le corps plutôt que celui d’une mise en image du défunt. L’écriture se fait représentation du mort qui utilise à son tour l’inscription pour interagir avec le spectateur de la tombe.
L’inscription au cœur de la commémoration et de la célébration du souvenir
- 67 Sur la question des « temps de l’inscription », voir C. Treffort, Paroles inscrites. À la découvert (...)
- 68 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 324-325.
29En tant que manifestation du langage, l’écriture épigraphique pose la question d’un rapport au temps particulier67 : temps de la composition du texte d’abord, avant le décès, au moment de l’inhumation et de la mise en place de la sépulture ou après la disparition du corps (c’est le cas notamment d’un grand nombre de composition poétique) ; temps de la réalisation matérielle de l’inscription ensuite, liée ou non à celle du tombeau ; temps de la lecture enfin, au cours duquel un individu prend connaissance d’un message dont les occasions de lecture sont multipliées et réactualisées en permanence par la matérialisation et l’exposition à la vue du plus grand nombre68.
- 69 Ibid., p. 276-277.
30Si le document publicitaire s’adresse à une collectivité, la perception d’une image ou la lecture d’un texte supposent toujours l’existence d’une individualité susceptible d’en faire l’expérience. Le récepteur de l’information est toujours seul dans sa relation au document qui envisage le public comme une somme d’individualités réceptrices plutôt que comme un groupe unique69. Il y a donc une différence importante entre l’acte de communication, collectif et publicitaire, et la réception de l’information, personnelle et individuelle. Le document émis appartient à l’ensemble de la communauté auquel s’adresse le message ; le document reçu n’appartient qu’au « percepteur » qui en fait l’expérience. Les modalités d’interaction entre l’inscription funéraire et le lecteur manifestent cette double influence du temps et de l’individu sur le document épigraphique qui rend présent le tombeau pour un grand nombre de spectateurs différents.
Visibilité et lisibilité
31Une éventuelle interaction entre l’inscription et le public pose de facto la question de la visibilité et de la lisibilité du document épigraphique – problématique qui dépasse largement le contexte funéraire et qui interroge l’ensemble des pratiques graphiques du Moyen Âge, qu’il s’agisse de chartes, d’inscriptions, de livres, etc.
Cible
32La relation du texte à la tombe impose très souvent en effet le recours à des dispositifs qui limitent la visibilité, et donc la lisibilité du document. L’écriture sur la sépulture enterrée dans le sol ou à l’intérieur de la tombe est bien entendu un cas extrême de cette réduction ; la mise en place d’une inscription sur une dalle placée dans un cloître ou dans le sanctuaire, sur une plaque indépendante de la sépulture scellée dans le mur d’une chapelle funéraire ou dans une salle capitulaire constitue autant de limites à la publicité réelle du texte et à son accès par le plus grand nombre de lecteurs. Plus qu’une soustraction au domaine publicitaire, ces exemples peuvent être considérés en réalité comme une sélection topographique du public auquel s’adresse le message ; elle conduit paradoxalement à une efficacité augmentée de la communication épigraphique. En mettant le texte à la disposition d’une certaine catégorie de lecteurs, la mise en espace participe à l’adéquation entre le contenu de l’inscription et le public concerné par la nature du message (c’est la notion très générale de cible qui se trouve ici en jeu). C’est d’autant plus vrai dans le cas des inscriptions funéraires où la commémoration des défunts par l’écriture épigraphique justifie une telle recherche d’efficacité.
Public et lecteurs
- 70 Voir à ce sujet l’excellent livre de Roy Harris, Rethinking Writing, Londres, Continuum, 2001.
- 71 John L. Austin, Quand dire, c’est faire [1re éd. 1962], Paris, Seuil, 1970.
- 72 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 324.
- 73 CIFM I-1, 86, p. 106-108, fig. 47.
- 74 Sur la lecture au Moyen Âge, parmi une bibliographie aussi riche qu’inégale, on verra en particulie (...)
33S’ajoute à cette dimension quantitative des lecteurs réels d’une épitaphe le statut particulier de l’écriture médiévale tel que nous l’avons déjà évoqué ici ; celui d’une efficacité du signe inscrit dans la matière70 qui conduit, dans certains cas, à l’émancipation du texte de toute nécessité de lecture. Il s’agit d’une donnée fondamentale qui ne concerne pas simplement une forme de performativité de l’écriture, au sens où avait pu l’envisager John Austin71 (même si cela peut être le cas pour des parties très concrètes du texte, comme les prières, nous le reverrons dans un instant) ; elle doit bien davantage être envisagée comme la capacité à rendre sensible dans l’espace du texte ce qui prend corps dans la matière de l’inscription, indépendamment de sa vocalisation ou de sa lecture par un spectateur quelconque72. C’est bien le fait d’inscrire (en tant que processus intellectuel et/ou technique, et en tant que résultat plastique) qui permet cette efficacité. Au-delà des questions fondamentales d’accès au texte, il faut également envisager les conditions concrètes de la lecture médiévale et son application aux documents épigraphiques. L’inscription funéraire pour Rodbertus, chanoine de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers, datant de la seconde moitié du xie siècle et conservée aujourd’hui au musée Sainte-Croix73, porte un appel au lecteur qui « connaît les lettres » (« scire litteras »). La formulation est particulièrement ambiguë car elle ne permet pas de savoir si elle s’adresse aux frères et sœurs lettrés, aux moines qui savent lire ou aux spectateurs capables de reconnaître la forme des lettres. Ces trois formes de lecture correspondent à trois niveaux d’une même culture écrite dans laquelle l’absence de savoir livresque n’est pas synonyme d’incapacité à lire un texte simple74.
- 75 Brian Stock, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Ele (...)
- 76 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 235.
34Il faut en effet envisager que la lecture experte, celle des professionnels du savoir, ne constitue qu’une forme ultime de la communication écrite qui peut compter pour son efficacité sur des formes plus simples et plus pragmatiques d’apprentissage et de manifestation75. Il n’y a là aucune contradiction et une telle variété des moyens d’acquisition de l’information écrite (qui reflètent en réalité des processus cognitifs différents) témoigne sans aucun doute de la richesse de la culture écrite du Moyen Âge central et permet d’expliquer le nombre très important des textes à caractère public. Le corpus des inscriptions funéraires révèle, par sa diversité et son étendue, l’éventail très large des formes épigraphiques de la lecture. L’extension limitée de la plupart des textes, leur construction formulaire utilisant un nombre réduit de variations lexicales, leur localisation sur la sépulture, élément donnant une partie du sens de l’inscription au-delà de toute appréhension du contenu, sont autant de facteurs qui, bien plus que le signe d’une indigence textuelle caractéristique de la pratique épigraphique, doivent être envisagés comme la garantie de la transmission du message, dans la mesure où ils offrent à un public très hétérogène la possibilité d’accéder à une partie au moins du contenu du texte, quelle que soit sa connaissance de la lecture76.
Les appels au lecteur
35L’intention interactive de l’écriture épigraphique se manifeste en particulier dans les inscriptions funéraires de l’époque romane qui font mention d’un appel au lecteur attirant l’attention du spectateur de l’écriture sur le contenu du texte et l’invitant à une réponse commémorative.
Le lecteur au cœur du texte
- 77 Emmanuelle Valette-Cagnac, La lecture à Rome, Paris, Belin, 1997, p. 307.
- 78 Sur les inscriptions de Saint-Pierre de Melle, voir CIFM HS 1, 57-67 ; François Vareille, « Les épi (...)
36Il ne s’agit pas là d’une spécificité de l’épigraphie funéraire médiévale puisqu’on la lit presque systématiquement déjà dans les épitaphes latines de Rome (où elles apparaissent comme le corps de la construction funéraire77) et on les trouve encore à l’époque chrétienne. Cette constance dépasse les conditions matérielles de la mise en place de l’inscription dans la mesure où les formules d’appels au lecteur peuvent être tracées aussi bien sur des plaques obituaires indépendantes de la tombe que sur des couvercles de sépulture recouverts de terre (c’est le cas pour les inscriptions funéraires du cimetière de l’église Saint-Pierre de Melle qui portent toutes un appel au lecteur ou une demande de prière78), des inscriptions intérieures, etc. ; donc indépendamment de la possibilité réelle pour le lecteur d’accéder au texte que lui suggère de lire la formule ! Nous avons en partie résolu ces difficultés par l’efficacité de l’écriture épigraphique ; rappelons que, dans tous les cas, le caractère publicitaire de l’inscription (et donc sa capacité à s’adresser à un lecteur) reste une potentialité qui a besoin d’être activée, notamment par la vue et/ou la lecture du texte. Ce n’est donc pas parce qu’une inscription est illisible à un moment donné qu’elle le restera : un appel au lecteur inefficace à un instant T n’est pas nécessairement condamné à ne pas recevoir la réponse qu’il suggère.
- 79 CIFM 15, 52, p. 56-57, fig. 33.
- 80 CIFM I-3, DS 1, p. 123, fig. 81-84 : « Precor vos qui legitis orate pro anima ejus ut det ei Dominu (...)
- 81 CIFM 17, R 21, p. 86-87 ; trad. : « Il se tient enfoui en ce tombeau, lecteur, je te prie. »
- 82 CIFM 7, 7, p. 21-23 ; trad. : « Considère, lecteur, l’œuvre écrite sur ce marbre. »
- 83 R. Favreau (op. cit. n. 2), p. 297.
- 84 CIFM II, Co 24, p. 29-30, fig. 10.
- 85 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9.
- 86 Respectivement CIFM 15, 69, p. 71-72, fig. 52 et CIFM II, HV 104, p. 210-212.
- 87 CIFM 12, A 43, p. 62-63, fig. 36.
- 88 CIFM 16, D 2, p. 103-104, fig. 62.
- 89 CIFM I-3, CM 23, p. 105-106.
37Les formes les plus simples de l’appel au lecteur sont construites autour du verbe legere et désignent spécifiquement le spectateur de l’inscription occupé à lire le contenu du texte. L’inscription funéraire pour Ermengarde découverte au xixe siècle à Saint-Pierre de Vienne s’adresse ainsi à « toi, qui que tu sois qui lis ceci », en désignant par le pronom indéfini hoc la petite plaque de 56 × 32 cm sur laquelle on a très élégamment tracé l’inscription au xe siècle79. L’épitaphe de Rainaud à Aiffres (dép. 79), datant également du xe siècle, porte un appel au lecteur formulé au pluriel80 : « qui legitis ». Le substantif lector ou lectores est plus rarement employé ; on le lisait par exemple dans l’épitaphe aujourd’hui perdue du prêtre Gotbrand à Saint-Martin-d’Ainay de Lyon vers 110981 : « Hoc extat tumulo lector qui conditus oro ». L’épitaphe du fils du comte Alphonse à La Daurade de Toulouse commençait quant à elle par ce vers82 : « Aspice lector opus scripture marmoris hujus ». L’épitaphe du prêtre Tafo à Brescia demandait enfin à ce que les lecteurs du texte (« lectores ») prient pour le défunt83. Les trois inscriptions ci-dessus sont métriques et il semble que l’usage du substantif lector ait été, sans pour autant être exclusif, employé principalement dans les inscriptions en vers. Les épitaphes n’interpellent pas seulement le lecteur ; elles s’adressent aussi au voyageur (viator), comme le fait par exemple l’inscription funéraire rédigée dans la seconde moitié du xie siècle pour le prêtre Pierre et conservée au musée de Brive84 : « Siste gradum viator », reprenant une formule courante depuis l’Antiquité. L’épitaphe d’Arnulf à Arles-sur-Tech (dép. 66) se termine quant à elle par une invitation au voyageur à poursuivre sa route (« carte viator iter »)85. C’est au passant (« qui transis ») que s’adresse l’inscription rédigée pour Guillelma et Geoffroi en 1152 à Saint-Pierre de Vienne, ou encore l’épitaphe pour l’évêque Gérard de Cahors inhumé à Grandmont vers 119986. C’est celui qui s’arrête (« astans ») qu’interpelle l’inscription funéraire pour Richarde, inhumée à Narbonne en 116287. L’épitaphe pour Pons Latil insérée dans le mur occidental de l’église d’Arpavon (dép. 26) demande à celui qui se trouve près du tombeau (« quisquis ades ») de s’arrêter (« stare ») pour pleurer la mort du prêtre décédé en 114888. L’épitaphe disparue de l’abbé Odon à Saint-Jean-d’Angély (dép. 17) est caractéristique des inscriptions romanes en ce qui concerne les appels au lecteur89. Rédigée à la mort du défunt en 1091, elle s’ouvre par une invitation au « passant qui se hâte » à retenir ses pas pour lire l’inscription ; elle se conclut par une demande de prière adressée à qui lit le texte (« qui legis haec »).
Lire dans le mouvement
- 90 CIFM 21, 72, p. 72 ; trad. : « Qui que tu sois, toi qui te trouves lire sur ce tombeau à tes pieds. (...)
- 91 CIFM II, HV 56, p. 160-162, fig. 60.
- 92 CIFM I-1, 58, p. 58-59 ; Monumenta Germaniae historica [MGH]. Poetae latini medii aevi [Poetae], Be (...)
- 93 Voir par ex., MGH. Poetae, t. I, p. 413-414, no 1-6 et p. 420, no 22.
- 94 Sur la question de l’hypothypose, voir Vincent Debiais, « Le décor par le vers : à propos des poème (...)
38L’inscription funéraire composée par Raoul Glaber pour le moine Théodoric inhumé vers 1035 à Saint-Germain d’Auxerre propose au vers 2 un appel au lecteur complexe90 : « Quisquis suppositum forte legis loculum ». Le texte localise l’inscription sur la tombe du moine et l’acte de lecture concerne la perception d’un monument plus que la prise de connaissance d’un texte. C’est sans doute pour cette raison que de nombreux écrits funéraires ne mentionnent pas spécifiquement un public de lecteur mais plutôt un public de spectateurs. L’épitaphe du prêtre Gauzbert, rédigée probablement au xie siècle et aujourd’hui conservée au musée de la ville de Limoges, se compose d’un long appel aux chrétiens (christicole) qui voient le tombeau du défunt (« cernitur hic tumulus ») et sont invités à prier pour le salut de son âme91. L’invitation à contempler un objet ou un lieu au fil de la lecture épigraphique est un procédé très souvent employé dans les inscriptions monumentales, notamment dans celles qui renvoient à une image ou à un décor. L’inscription composée par Alcuin pour l’église du monastère de Nouaillé (dép. 86) commençait ainsi par ces vers : « Haec loca quae cernis lector venerabilis aulae / partibus ecclesiae fuerant ecclesia quondam », la lecture du texte épigraphique permettant de voir non pas l’inscription mais l’espace qui l’accueille et qu’elle décrit de façon poétique92. Le poète carolingien Bernowinus emploie très souvent ce tour dans les compositions destinées aux églises et leurs images monumentales93. La lecture du poème (« carmen ») à laquelle invite l’auteur permet de mettre sous ses yeux les éléments qu’il évoque, de les recréer à chaque lecture94.
Contempler le tombeau, voir le défunt, deviner la mort
39À partir du moment où l’inscription invite le passant à lire le texte funéraire ou à contempler le tombeau sur lequel il a été tracé, il faut essayer de déterminer ce que le lecteur regarde réellement.
Mise en garde
- 95 CIFM 22, 104, p. 166-167, fig. 40.
- 96 CIFM 12, A 47, p. 70-71, fig. 39.
- 97 Référence mentionnée par R. Favreau (op. cit. n. 2), p. 158.
- 98 CIFM 16, D 2, p. 103-104, fig. 62.
- 99 CIFM 19, SL 28, p. 86-87, fig. 109.
40Le recours à l’hypotypose s’accompagne de façon très courante à l’époque romane de constructions rédigées à la première personne du singulier qui donne l’illusion que la sépulture prend elle-même la parole pour attirer l’attention du spectateur. Ce jeu sur la « pierre qui parle » est directement hérité des pratiques de l’Antiquité romaine ; les exemples médiévaux sont toutefois plus ambigus car il est difficile de déterminer qui parle réellement : le tombeau, le corps du défunt, le vivant qui n’est plus ? L’épitaphe de Richart gravée sur une plate-tombe à Saint-Aubin-de-Scellon (dép. 27) en 1285 ne présente aucune ambiguïté dans la mesure où l’appel au lecteur est prononcé par le défunt qui se désigne lui-même comme un vil cadavre (« cadaver sum ville »)95. À l’époque romane, les inscriptions funéraires semblent préférer des constructions plus évocatrices, créant un parallèle entre le devenir du corps du défunt et le destin inexorable du passant. « Ce que tu es, je le fus ; ce que je suis, tu le seras », avertit ainsi l’inscription funéraire pour Pons à Narbonne en 118496. D’origine ancienne (on la retrouve déjà dans un sermon de Césaire d’Arles97), cette formule connaît de multiples variations qui mettent en exergue la fragilité de l’existence humaine. Le lecteur de l’épitaphe tombera lui aussi « au pouvoir de la mort » comme le signale l’épitaphe de Pons Latil à Arpavon (dép. 26) en 114898. L’inscription funéraire pour Delphie, aujourd’hui conservée partiellement au musée du Farinier à Cluny (dép. 71), invite le lecteur (désigné à dessein par le substantif universel homo) à « considérer dès à présent tout ce que représente ici la morsure d’une mort redoutable »99 [fig. 11]. Dans l’épitaphe du prêtre Pierre au musée de Brive, l’appel au voyageur (« viator ») lui signale que c’est le sort du défunt qui l’attend au « gué du trépas » (« vadum mortis »).
Fig. 11. — Cluny, musée du Farinier, inscription funéraire pour Delphie. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.)
- 100 CIFM II, HV 104, p. 210-212.
- 101 « Respice qui transis qui cras incertus es an sis et quam sit tibi praesto mors ex mo memor esto. »
- 102 CIFM I-1, 68, p. 72-74, fig. 48 : « Sors hominum titubat sicut vaga fluminis unda ; nam modo quod v (...)
41Si les inscriptions prennent soin de mettre en garde le lecteur quant au sort qui lui est inexorablement réservé, c’est parce que la mort est toujours imprévisible et qu’il ne doit pas ignorer son arrivée inévitable. L’épitaphe pour l’évêque Gérard de Cahors inhumé à Grandmont vers 1199 est particulièrement claire à ce sujet100. Elle s’adresse à l’homme périssable (« periturus ») et affirme qu’il mourra peut-être demain ; ce n’est pas parce qu’il est aujourd’hui en vie, stable, qu’il n’est pas amené, comme le défunt, à « passer » (« transire »). Il ne pourra éviter que l’emporte « l’ultime destruction », celle qui le privera de la chair. Deux vers supplémentaires étaient tracés sur le livre que le défunt tenait dans ses mains et dans lesquels la prise de parole ne faisait aucun doute : « Toi qui passes et qui ne peux savoir si demain tu seras, que mon exemple te fasse souvenir que ta mort est proche101 ». Dans l’épitaphe pour Constantin à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers102, on apprend que « le sort des hommes titube comme l’onde incertaine du fleuve car ce qui était à l’instant solide bientôt se liquéfie dans la mort », l’emploi de l’adverbe mox créant une tension réelle entre l’hypothèse de la chute et sa réalisation. L’idée d’exemplarité est très importante dans le texte pour Gérard de Cahors ; elle se fait par anticipation car c’est bien le défunt, réduit à l’état de cadavre, qui attire l’attention du passant amené à se projeter dans l’avenir à la vue du monument funéraire. Certaines formules métriques, employées davantage au cours du xiiie siècle, s’adressent ainsi à celui qui regarde le tombeau (« qui tumulum cernis »). Le lecteur de l’épitaphe de Richarde à Narbonne doit arrêter ses pas pour contempler le « coffre fragile » dans lequel est déposée la défunte et qui accueillera également ses restes.
Vanité et futilité du monde
- 103 CIFM 22, 57, p. 102-103.
- 104 Ibid., 2, p. 19-20 : « Cur homo securus vivit cum sit moriturus ? Cur homo letatur cum vilis pena m (...)
- 105 CIFM 5, D1, p. 1-3. Vers 11 : « Jam mea forma cinis mortis resoluta ruinis. »
- 106 CIFM I-1, 86, p. 106-108, fig. 47 : « Si Deum habeatis adjutorem, orate pro anima ejus. »
- 107 CIFM 7, 49, p. 88-90, fig. 56 : « Quid fuerim quondam modo quid sim, si bene cernis, falleris, o le (...)
42Conformément à la pensée médiévale sur le cheminement vers le salut, la fragilité de l’existence n’est que le symptôme de la futilité des choses matérielles. Le topos funéraire invitant le lecteur à négliger l’aspect mortel et transitoire de sa vie est très présent à l’époque romane. La formule « qui tumulum cernis » est ainsi fréquemment complétée par la question « cur non mortalia spernis ? » (« Pourquoi ne négliges-tu pas les choses mortelles ? »). Nous sommes tous mortels disait l’épitaphe de la comtesse Mathilde à l’abbaye de Troarn (dép. 14)103 ; il n’y a donc pas d’intérêt à s’attacher à ce qui, comme le corps de l’homme, n’est que transitoire. Le linteau de la porte du transept nord de l’église Notre-Dame d’Andrieu posait la question en d’autres termes : « Pourquoi l’homme vit-il en toute quiétude, alors qu’il doit mourir ? Pourquoi l’homme se réjouit-il, alors qu’un vil châtiment le menace ? »104. L’épitaphe de Marguerite de Rudel conservée autrefois à Bergerac (dép. 24) constatait, dans une formule lapidaire, que « tout est finalement vain » ; « la beauté détruite par les ravages de la mort n’est déjà plus que cendres »105. L’épitaphe de Constantin affirme qu’il ne faut pas placer sa confiance en la fortune (« census ») « car un seul jour enlèvera les biens de ce monde ». Il faut donc ne placer sa confiance qu’en Dieu, comme le dit l’épitaphe de Rodbertus conservée au musée Sainte-Croix de Poitiers106, plutôt que d’en investir les choses de la terre. Il y a derrière ces réflexions une invitation à l’humilité et à la pauvreté matérielle ; il y a également, en filigrane, des considérations sur la limite du corps, sur son caractère transitoire et vain, par opposition à l’immortalité et la grandeur de l’âme du chrétien. L’épitaphe pour Bernard, sacriste de Saint-Étienne de Toulouse, engage ainsi le lecteur à dédaigner les mérites matériels du défunt pour qui la mort devient un gain107 (l’emploi du mot lucrum est tout à fait révélateur car il est associé à un gain spirituel et non à une richesse matérielle).
- 108 CIFM 24, 134, p. 148-149. Sur cette inscription, voir R. Favreau, « L’épitaphe d’Henri II Plantagen (...)
- 109 Voir par exemple l’inscription qui ornait le tombeau de Guillaume du Plessis, mort en 1384, et inhu (...)
43La mort et sa mise en scène monumentale dans le cadre de la sépulture deviennent le miroir de la condition humaine, comme le signalait l’inscription funéraire pour le roi Henri II Plantagenêt (« speculum humanae conditionnis »)108. Le monde et ses vaines gloires sont réduits à néant dans la décomposition du corps ; seuls persistent les mérites de l’esprit. Il s’agit d’un autre topos funéraire qui consiste à faire la liste des biens ou des grandeurs matériels amassés par le défunt au cours de son existence terrestre pour mieux évoquer leur destruction au moment du trépas. Le très grand nombre de royaumes soumis par Henri II est mis en perspective avec la petite taille du tombeau auquel l’a réduit la « mort survenant à l’improviste ». Elle est universelle et affecte l’homme indépendamment de sa condition ou de son statut ; comme on le lira très fréquemment dans les épitaphes à partir de 1250, la mort « rend égaux les serfs et les seigneurs, attirant en une condition semblable les sceptres et les houes dissemblables »109. L’épitaphe de Marguerite de Rudel est à ce sujet très évocatrice ; la « haute qualité de la défunte », représentée de son vivant par sa beauté, sa naissance et ses usages, autant « de richesses et d’honneurs profitables », sont terrassés par le décès de la grande laïque, pourtant très puissante à la tête de sa seigneurie étendue de toutes parts. La mort en colère (« ira mortis ») a pu vaincre la grandeur mortelle de cette princesse pourtant « virile », « par sa vertu pleinement l’égale d’un homme ».
- 110 Respectivement CIFM 5, D 54, p. 67-68, fig. 39 et CIFM 9, T 13, p. 135-136.
44Face à un monde qui vacille et qui titube pour finalement s’écrouler inexorablement dans la limite du corps, signe de la corruption de la chair par le péché, l’inscription des mérites du défunt sur la tombe constitue une garantie de stabilité et de permanence. Les gloires passées et les faits accomplis au cours de l’existence acquièrent, au-delà de leur futilité dénoncée par les inscriptions, une réalité matérielle capable de résister au temps et à la disparition complète du défunt. L’inscription funéraire est, pour beaucoup de défunts médiévaux sans doute, la seule forme écrite que connaîtront leur nom et leurs actes – nous ne parlons pas ici des personnages importants dont le souvenir peut apparaître dans des formes écrites nombreuses et variées. L’inscription, dans son évocation d’un passé perdu et dans un appel à contempler l’existence du défunt, devient réellement un monument commémoratif ; c’est en ce sens que l’écriture épigraphique peut jouer un certain rôle dans la célébration du souvenir, davantage que dans une utilisation liturgique des inscriptions. Si elles servent certes à « apprendre à ceux qui l’ignorent » le nom du défunt, comme le disent l’épitaphe de l’abbé Guillaume à Saint-Amand-de-Coly (dép. 24) (« discat qui nescit ») ou celle de la vicomtesse Cécile de Béziers à Lempaut (dép. 81) (« omnis qui nescit discat »)110, elles doivent être envisagées également comme un moyen de garantir la permanence de leurs actions dans une économie du salut qui s’exprime de façon complexe par l’écriture sur le tombeau.
L’inscription funéraire, interface entre vivants et morts
- 111 Sur la perméabilité du monde des vivants et des morts, voir Jean-Claude Schmitt, Les revenants : le (...)
45Dans cet appel à rejeter les plaisirs futiles de l’existence finie de l’homme, l’écriture sur le tombeau joue le rôle d’une interface entre le monde des vivants et celui des morts, qui ne sont en rien séparés par des frontières infranchissables au Moyen Âge mais qui communiquent bien au contraire au travers de nombreuses passerelles111 : prières, visions, revenants, intercession, etc. L’inscription funéraire est un seuil entre ces deux mondes ; elle permet le passage de l’un à l’autre grâce à l’interaction entre le défunt et le lecteur.
L’inscription citée dans le texte
- 112 À la différence de ce que l’on peut trouver au sein du corpus des inscriptions funéraires du nord d (...)
- 113 CIFM 12, H 25, p. 128-129, fig. 76.
46L’existence de l’inscription funéraire est mentionnée à de nombreuses reprises dans les textes funéraires mais, à la différence de ce que l’on trouve en Espagne notamment, elle intervient peu au titre de locuteur sur le tombeau112. L’inscription prend ainsi rarement la parole, comme elle le fait dans l’épitaphe très altérée de Stéphanie de Séguier113 en faisant savoir que « G. me scripsit ». Une telle mise en abîme de l’écriture qui se dit en même temps qu’elle se matérialise montre la richesse symbolique de la pratique graphique médiévale. Elle accorde une vie propre à l’inscription qui existe en tant qu’objet et se manifeste comme telle sur le tombeau. L’épitaphe pour Stéphanie contient une formule qui interroge ainsi le lecteur du texte : « Ô homme, pourquoi me regardes-tu ? » C’est le même me que l’on trouve dans la mention du scribe, à la fin du texte. Si la formule « quod es fui, quod sum eris » suivant l’appel au lecteur et la mise en scène de l’épitaphe proprement dite entre deux croix empêchent de penser que c’est l’inscription elle-même qu’on invite le passant à contempler comme miroir de la condition humaine, il n’en reste pas moins que le fait graphique, en ce qu’il est objet matériel (« scriptori ») placé à la vue du plus grand nombre, devient l’occasion d’une réflexion sur l’être et le devenir.
- 114 CIFM 13, V 58, p. 171-172, fig. 123 ; trad. : « Guillaume, troisième évêque après lui, fit ce poème (...)
- 115 CIFM 5, D 19, p. 31-32, fig. 15.
- 116 CIFM 15, 132, p. 137-138.
47Les mentions d’auteur ou de commanditaire de l’inscription sont rarement aussi complexes que dans l’exemple de Stéphanie de Séguier ; le texte ne prend pas souvent la parole et c’est bien davantage l’auteur qui se fait médiateur entre le défunt et le lecteur. Le poème funéraire pour Bérenger, évêque d’Orange, mort en 1140 se termine ainsi par ces deux vers114 : « Hoc carmen fecit Wilelmus presul ab illo / tercius et scribi jussit in hoc lapide ». C’est également le successeur de l’archevêque de Vienne Robert de la Tour du Pin, Aynard, qui composa la triste épitaphe (« epigramate tristi ») dans laquelle il pleure le défunt. Dans ces deux inscriptions, il est explicitement fait référence à la composition du texte de l’épitaphe (« carmen », « epigramma ») ; pour Stéphanie de Séguier, on peut penser que scribere renvoie à la composition (très formulaire) de l’inscription et à sa réalisation matérielle. Dans d’autres cas, il est plus difficile de savoir quel acteur est désigné par la mention de l’objet funéraire. Au-dessus de l’épitaphe de l’évêque Jean d’Asside à Périgueux [fig. 12], on lit la mention « Constantinus de Jarnac fecit hoc opus »115. Que désigne le mot opus ? L’inscription, le texte, l’enfeu, la sculpture du monument ? Il n’y a pas de différence graphique entre les deux parties de l’inscription ; c’est une même main qui a tracé l’ensemble du texte mais on ne peut affirmer pour autant que c’est le sculpteur de l’enfeu qui a également réalisé l’épitaphe et qui signe ici l’ensemble de son travail. Cette question n’est pas propre au domaine funéraire mais concerne la relation entre le fait épigraphique, caractérisé par une pluralité d’acteurs et d’opérations techniques, artistiques et littéraires, et l’affirmation d’une créativité qui se pense comme telle. L’un des vers de l’épitaphe pour l’abbé de Saint-Pierre de Vienne, Yves, témoigne de cette conscience créatrice, au-delà du topos sur l’humilité du rédacteur que l’on trouve dans les inscriptions comme dans le reste de la documentation médiévale116 ; on lit ainsi au vers 8 que « l’épitaphe n’a pas la valeur de celui que contient le tombeau », comme si la façon (au sens médiéval du terme) littéraire du texte avait la capacité de rendre hommage en soi aux mérites du défunt. L’inscription deviendrait donc bien un opus comme le citait l’épitaphe pour Jean d’Asside.
Fig. 12. — Périgueux, Saint-Étienne de la Cité, inscription funéraire pour Jean d’Asside. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.)
Proclamer l’efficacité de l’inscription
- 117 CIFM 7, 47, p. 84-86, fig. 51.
- 118 François Lesueur, « Les fouilles de la cathédrale de Blois », Bulletin monumental, 89, 1930, p. 482 (...)
- 119 CIFM 21, 68, p. 68-69, fig. 21.
- 120 CIFM 16, D 48, p. 164-165.
48La plupart des mentions internes d’inscriptions concernent la fonction de l’épitaphe. Le lecteur du texte doit avant tout apprendre, connaître et savoir. Le document épigraphique affirme ainsi régulièrement sa vocation publicitaire, indépendamment, une nouvelle fois, des conditions réelles d’accès au texte. Munion, prieur inhumé dans le cloître de Saint-Sernin de Toulouse vers 1104, est enfermé dans un tombeau et ne peut être connu que par l’épitaphe que l’on a inscrite sur une plaque placée près de la sépulture117. L’inscription funéraire pour Marie, aujourd’hui conservée dans la crypte de la cathédrale de Blois, permet au lecteur (« qui leget ») de savoir (« scire ») que la défunte repose dans le tombeau118. Le texte pour Marie emploie le mot carta pour désigner l’inscription ; c’est la seule occurrence de ce terme dans la documentation connue à ce jour. On rencontre ainsi plutôt le mot titulus comme dans le texte pour l’abbé Yves ; les textes métriques sont désignés par versus ou carmen. Les textes littéraires à caractère épigraphique sont souvent désignés par le mot epitaphium mais celui-ci se trouve rarement employé dans les inscriptions ; il s’agit davantage d’un titre donné par l’auteur ou le copiste à la composition manuscrite. Il apparaît toutefois dans un texte datant des environs de 1300 et peint dans la chapelle Saint-Maxime, dans la crypte de Saint-Germain d’Auxerre119. Cette inscription identifie le lieu de sépulture de saint Marien et localise la tombe de l’évêque Géranne, « comme l’atteste la très vieille épitaphe A au-dessus de sa sépulture ». Le texte de 1300 pour Marien est une réfection d’une épitaphe plus ancienne ; il invite le lecteur à se retourner et à lire « aussi l’ancienne épitaphe B placée là derrière ». Le système créé par la mise en place de l’inscription peinte est complexe dans la mesure où il réunit par l’écrit (epitaphium ou epitaphia) des sépultures et des épitaphes différentes dispersées dans l’espace de la crypte. De façon générique, on renvoie à ce qui est écrit – la seconde épitaphe pour l’évêque Barnard à Romans-sur-Isère (dép. 26) parle de « scriptura moestifica »120 –, ce qui est gravé (sculpere) dans la pierre ou le métal. Cette absence de détermination de l’objet épigraphique permet de donner la première importance à l’écriture elle-même, à sa manifestation essentielle.
- 121 CIFM I/3, no 10, p. 136-137 ; F. Vareille (art. cit. n. 78), p. 84.
- 122 CIFM I-1, 62, p. 64-66, fig. 41.
- 123 Ibid., 68, p. 72-73, fig. 48 : « Defuncto dicito psalmos atque pater noster quod sibi sit requies. (...)
- 124 CIFM 17, R 21, p. 86-87.
- 125 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9.
- 126 CIFM II, HV 56, p. 160-162, fig. 60 : « Dicite sic Christo : Gauzbertum Christe memento sanctorum n (...)
49La mention de l’inscription dans le texte ne se limite cependant pas à mettre en lumière la fonction publicitaire de l’objet épigraphique. Elle témoigne du rôle joué par l’épitaphe dans la relation entre le texte et le public. L’inscription funéraire romane comporte en effet très souvent une demande de prière pour le salut de l’âme du défunt. L’épitaphe tracée sur le couvercle du sarcophage pour Bobus à Saint-Pierre de Melle l’exprime très simplement : « qui legit ora pro eum »121. L’épitaphe du reclus Milon à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers ne pourrait exprimer plus clairement les liens entre la lecture de l’inscription et la prière puisqu’elle donne le titre des oraisons que le lecteur doit prononcer [fig. 9] : « Qui legis hunc titulum dic requiescat amen, pater noster et de profundis »122. L’inscription funéraire pour Jean d’Asside invite celui « qui lit ces présents caractères et les médite à dire au nom du défunt l’Absolve Domine, ou le Deus cui proprium, ou, au moins, le Fidelium ». Sur le chanfrein de l’inscription pour Constantin, également à Saint-Hilaire de Poitiers, on apprend que le lecteur, averti dans le corps du texte de la fragilité de l’existence, doit « dire pour le défunt les psaumes et le Notre Père afin que lui soit donné le repos »123. Dans les inscriptions poétiques, les formulations peuvent être plus complexes mais elles ne changent pas fondamentalement sur la nécessité de la prière pour les défunts. L’épitaphe du prêtre Gotbrand, inhumé en 1109, à Saint-Martin-d’Ainay de Lyon, invite le lecteur à arrêter son pas pour se répandre en prières (« precem fundere »)124. Le voyageur de l’épitaphe d’Arnulf à Arles-sur-Tech est encouragé à reprendre sa route en suppliant et en invoquant le Rédempteur125. L’épitaphe pour le prêtre Gauzbert demande aux chrétiens « d’implorer le Sauveur et de dire au Christ : souviens-toi d’associer le défunt aux chœurs éclatants des saints »126.
Matérialiser la prière
- 127 CIFM 6, LG 8, p. 118-119, fig. 73 : « Qui legis haec duo fac : Odoni fac pia vota ; de quo metu mor (...)
- 128 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9 et v. 9.
- 129 CIFM I-3, CM 23, p. 105-106.
- 130 CIFM I-3, Ch 28, p. 46-47, fig. 26-28.
50La prière des vivants pour les morts est l’une des composantes majeures de l’économie du salut, au même titre que la commémoration liturgique des défunts. L’homme doit par ses suffrages contribuer au salut de l’âme du mort qui à son tour intervient auprès de Dieu pour le salut de l’âme du vivant. C’est le « pieux devoir aux défunts » qu’évoque l’épitaphe de Montassin, aujourd’hui au musée de la Ville à Agen (« pias funeris exequias »)127. Le lecteur de l’épitaphe de Gotbrand à Lyon voit (« cernere ») dans le texte le fidèle qui a besoin de ses prières128. Le schéma complexe de l’économie du salut est exprimé très clairement dans l’épitaphe aujourd’hui disparue pour l’abbé Odon de Saint-Jean-d’Angely. La lecture par le passant (« qui legis haec ») de l’inscription du tombeau (« titulum monumenta sepulchri », la précision est importante car c’est bien la vue de l’écriture sur la tombe qui doit arrêter les pas du voyageur et engager les prières) l’invite à faire deux choses : « de saintes prières » pour Odon et dans la crainte de la mort « pour lui-même invoquer le nom du défunt »129. Le contenu et la forme de la prière peuvent parfois être précisés, comme on l’a vu avec les titres des oraisons pour Milon, Constantin ou Jean d’Asside. L’inscription funéraire pour l’abbé de Lesterps (dép. 16) Ramnulfe130, mort vers 1140, demandait ainsi « aux ministres de chanter le Requiem pour le serviteur du Christ ». Ces exemples sont toutefois assez rares à l’époque romane et il est bien difficile dans la plupart des cas de connaître la forme de la réponse commémorative apportée à ce qu’il faut considérer comme un signal épigraphique ; récitation à voix haute, à voix basse, sous forme de chant, répétition de l’inscription constituent autant de possibilités à envisager même si, comme le signale l’inscription de Montassin, l’épitaphe permet principalement un souvenir (« memor esto »), une nouvelle apparition du défunt dans la pierre et dans l’esprit du lecteur.
- 131 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 321-324.
51Par son caractère public et durable, l’inscription multiplie en réalité les occasions de réactualiser la mémoire du défunt et de le rendre présent dans le hic et nunc de la lecture. La nature essentiellement efficace de l’écriture médiévale et son paroxysme dans la manifestation épigraphique invitent à considérer les prières mentionnées dans les inscriptions comme des prières permanentes adressées pour le salut du défunt ; elles peuvent elles aussi se passer de lecteur puisqu’elles acquièrent, dans la matière du tombeau, une réalité pérenne131. Les occasions d’une lecture réelle générée ou attestée par les demandes de prières ne doivent donc être considérées que comme les moyens de réactiver la prière, de réactualiser son émission. L’écriture sur la tombe serait donc à la fois l’un des signaux susceptibles de déclencher une réaction commémorative qui existe de toute façon, en tant que recommandation doctrinale, indépendamment de la présence de l’épitaphe, et un écho de la prière permanente adressée pour les morts par la communauté des vivants réunie, au moins symboliquement, autour de la sépulture inscrite.
52L’inscription se trouve ainsi à l’intersection de la communauté des vivants et du monde des morts. Elle est, comme c’est aussi le cas en dehors du domaine funéraire, un moyen pour passer d’un espace à l’autre. L’écriture est par essence un cheminement, un iter intellectuel mais également physique dans un temps et un espace particulier, celui de la lecture et de la vie du signe. De la même façon que le tombeau, dans sa matérialité, contribue à séparer l’ici-bas du corps réduit en poussières à l’au-delà de l’âme devenue légère, la nature des demandes de prières participe à la mise en évidence d’un mouvement ascendant, d’une confrontation entre l’abîme de laquelle on implore la protection du Christ pour le défunt et la forteresse du ciel à laquelle on aspire à travers les prières des vivants et des morts.
Conclusion
53Les vers 1 à 4 du poème composé vers 1035, peut-être par Raoul Glaber et que nous avons évoqué plus haut pour le tombeau des moines Théodoric et Étienne à Saint-Germain d’Auxerre, pourraient constituer une synthèse des différentes fonctions évoquées au cours de ce qui reste un survol de la production épigraphique de l’époque romane dans le domaine funéraire :
54La fonction commémorative y est clairement envisagée, de même que la capacité du texte à signaler la sépulture et à identifier le défunt. Cette inscription ne permet cependant pas de rendre compte de la diversité des formes de ce que l’on ne peut que difficilement regrouper sous le titre générique d’inscription funéraire.
55Du court texte obituaire mentionnant le jour de la mort d’un défunt réduit à l’initiale comme à Tarbes au poème funéraire retraçant les mérites d’un abbé ou d’un grand laïc, en passant par les inscriptions intérieures, enfermées dans le tombeau, l’écriture épigraphique entretient toujours des relations complexes avec le temps dans le domaine funéraire, et donc avec le corps. Ce serait ignorer les fondements théologiques et liturgiques de la société médiévale que de voir dans l’oubli un fantasme mis en scène pour recourir à l’écrit. Ontologiquement associée à l’idée de la chair et à son devenir, l’écriture médiévale rend compte, lors de son inscription sur le tombeau, de la tension entre l’être et le devenir, entre l’ici et l’ailleurs, le soi et l’autre. Il est donc difficile de réduire l’examen des inscriptions funéraires à un questionnement fonctionnaliste. Il semble également impossible d’isoler des caractères proprement romans dans l’épigraphie funéraire, ce qui n’a rien de surprenant. On assiste cependant à partir de 1250 à quelques bouleversements majeurs dans une documentation beaucoup plus abondante. Dans les régions situées au nord de la Loire, l’apparition de la plate-tombe à effigie opère la synthèse entre les fonctions tumulaire et obituaire de l’épitaphe. La figuration des défunts augmente de façon générale, inaugurant des relations originales entre texte et image dans la création d’un système visuel complexe, d’un monument au sens moderne du terme. Avec le xiiie siècle se développent également les mentions épigraphiques des fondations d’anniversaire et des manifestations paraliturgiques de la commémoration, souvent désolidarisées de la tombe, ce qui est le signe d’un changement dans le rôle de l’écriture sur la sépulture et sans doute dans le statut de l’écriture publique en général. Les inscriptions en lien avec la mort restent toutefois les plus nombreuses jusqu’à la Renaissance et constituent pour le médiéviste un angle d’approche riche et original pour le traitement des questions de culture écrite, de culture visuelle et d’anthropologie historique.
Notes
1 On verra en dernier lieu sur ces questions notre article « Écrire sur, écrire dans, écrire près de la tombe. Les aspects topographiques de l’inscription funéraire (ixe-xiie siècle) », Cahiers de Saint-Michel-de-Cuixà, 47, 2011, p. 17-28.
2 Robert Favreau, Épigraphie médiévale, Turnhout, Brepols, 1997, p. 5.
3 Vincent Debiais, « L’écriture épigraphique et son rapport à la matière », dans La mise en voir du Verbe dans la culture chrétienne occidentale du Haut Moyen Âge, éd. I. Marchesin, Paris, V. Anger, 2011 (à paraître).
4 Cécile Treffort, « Corps individuel, corps social, corps eschatologique », dans Actes du 35e Congrès international de l’APLAES, Poitiers, 24-26 mai 2002, Poitiers, MSHS, 2002, p. 23-44, p. 26 ; V. Debiais (art. cit. n. 3).
5 Pour un approche originale et particulièrement stimulante de ces réflexions, on verra avec profit Jesse M. Gellrich, The Idea of the Book in the Middle Ages. Language Theory, Mythology and Fiction, Londres, Cornell University Press, 1985, p. 32 notamment.
6 Corpus des inscriptions de la France médiévale [dorénavant CIFM], 9, A 19, p. 34-36, fig. 21.
7 « Vivat in eternum Regem laudando supernum. »
8 Voir en dernier lieu la publication de l’inscription de l’émail, accompagnée de la bibliographie, dans CIFM 24, 223, p. 227-229.
9 « Ense tuo, princeps, predonum turba fugatur ; Eccle(s)iisq(ue) quies pace vigente datur. » ; trad. : « Par ton épée, prince, la troupe des brigands est mise en fuite et aux églises, le repos est donné par ta paix vigilante. »
10 C’est en tout cas l’une des hypothèses avancées avec des arguments très convaincants par Marie-Madeleine Gauthier, Émaux limousins champlevés des xiie, xiiie et xive siècles, Paris, G. Le Prat, 1950, p. 29.
11 CIFM II, Co 25, p. 31-32, fig. 12-13.
12 Cette inscription sera publiée dans CIFM 25 (notice 18) à paraître en 2012 ; avant sa parution, on verra Jean Tiret, « La sépulture de Pierre de l’Étoile à Fontgombault », Bulletin monumental, 112, 1954, p. 253 et 262 ; Jean Favière, Berry roman, La Pierre-qui-Vire, Zodiaque, 1970, pl. 42 ; Michel Garrault, « Tombes, plates-tombes et épigraphies funéraires dans l’Indre », Revue de l’Académie du Centre, 109, 1983, p. 26.
13 CIFM 11, 49, p. 60-62, fig. 43-44 : « Guillelmus jacet hic Jordanus, pastor ovilis / Elne, quem juvenum plebs plangit et ordo senilis ; / Urbis et orbis honor, sed nunc dolor urbis et orbis, / Pro quo tota flet urbs cui totus condolet orbis. / Crastina lux rapit hunc assumpta Matre potent / Bis septem demptis annis de mille ducent. »
14 C. Treffort, « Espace ecclésial et paysage mémoriel (ixe-xiiie siècle) », dans Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, éd. Anne Baud, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2010, p. 239-252, p. 240.
15 CIFM XIV, BR 55, p. 99-101, fig. 63.
16 Trad. : « Regarde, je t’en prie, lecteur, combien, par la faute du premier homme, l’humaine loi s’accomplit en moi, misérable défunt. »
17 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 27.
18 Sur la plate-tombe, voir l’ouvrage fondamental de Francis A. Greenhill, Incised Effigial Slabs. A Study of Engraved Stone Memorials in Latin Christendom (1100-1700), 2 vol, Londres, Faber & Faber, 1976. Voir aussi Georgia S. Wright, « Le gisant gravé au xiiie siècle et l’iconographie populaire », dans La figuration des morts dans la chrétienté médiévale jusqu’à la fin du premier quart du xive siècle, Fontevraud, Centre culturel de l’Ouest, 1988, p. 49-60 et V. Debiais, Messages de pierre. La lecture des inscriptions dans la communication médiévale (xiiie-xive siècle), Turnhout, Brepols, 2009, p. 348-352.
19 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 27.
20 CIFM HS 1, 22 (à paraître) ; C. Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu viiie-début xie siècle), Rennes, PUR, 2007, p. 290.
21 CIFM 24, 233, p. 237-241.
22 CIFM 24, 1, p. 15-17 : « Carnis carcere solvit hunc. »
23 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 147, fig. 74.
24 CIFM 15, 128, p. 129-131.
25 CIFM 5, D 21, p. 35-36, fig. 14.
26 CIFM 24, 220, p. 223-224.
27 CIFM HS 1, 46 ; C. Treffort (op. cit. n. 20), p. 102.
28 CIFM HS 1, 64-65 ; C. Treffort (op. cit. n. 20), p. 329 et s. ; trad. : « La terre reçoit la terre ; le corps est rendu à la terre. »
29 Paul Deschamps, « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires de la fin de l’époque mérovingienne aux dernières années du xiie siècle », Bulletin monumental, 88, 1929, pl. 24.
30 CIFM I-1, 100, p. 125-126, fig. 78.
31 CIFM 7, 40, p. 76-77, fig. 43.
32 CIFM 11, 79, p. 98-99, fig. 74.
33 Ottavio Banti, « Considerazioni a proposito di alcune epigrafi dei secoli viii-ix conservate a Brescia », dans Santa Giulia di Brescia. Archeologia, arte, storia di un monastero regio dai Longobardi al Barbarossa. Atti del convegno, Brescia, Grafo, 1992, p. 171.
34 Gn 2, 7.
35 CIFM 15, 23, p. 25-26, fig. 18.
36 CIFM 7, 7, p. 21-23.
37 Sur ce sujet, voir Alvaro González Ovies, Poesía funeraria latina : renaciemiento carolingio, Oviedo, Universidad de Oviedo, 1995.
38 C. Treffort (art. cit. n. 4), p. 32.
39 CIFM 7, 7, p. 21-23.
40 CIFM I-1, 61, p. 64-66, fig. 41.
41 CIFM 22, 51, p. 92-94.
42 2 Co III, 2-3 ; voir sur ce passage les réflexions très intéressantes, comme toujours, de Jean Leclercq, « La symbolique du livre au xiie siècle », dans L’homme devant Dieu. Mélanges offerts au père Henri de Lubac, Paris, Aubier, 1964, t. II, p. 63-72, ici p. 67.
43 CIFM 12 H 74, p. 183-185, fig. 125-128.
44 CIFM 23, 31, p. 44-45.
45 CIFM 24, 66-67, p. 89-91.
46 Nous empruntons cette expression à l’article de C. Treffort, « Une identité préservée. Plaques et objets inscrits déposés dans les tombes médiévales ». À paraître dans Actes de la journée d’étude Objets et identité, organisée par le GRHIS, Université de Rouen, le 12 mai 2001. Nous remercions son auteur d’avoir mis le texte à notre disposition avant sa parution.
47 CIFM II, HV 52, p. 154-156, fig. 56-57.
48 CIFM 24, 48, p. 71-72 : « Hic jacet corpus beatissimi confessoris Brioci episcopi Britanniae quod detulit ad basilicam istam, quae tunc erat capella sua Ylispodius rex Britannorum. »
49 CIFM I-1, 99, p. 123-124, fig. 77.
50 CIFM 22, 246-255, p. 323-332, fig. 111-115.
51 CIFM 22, 246, p. 323-324.
52 Ibid., 247, p. 325-326.
53 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 205 et s.
54 V. Debiais (art. cit. n. 4).
55 Id., « Épitaphes, inscriptions et textes funéraires pour la famille ducale de Normandie (de Rollon à Mathilde) : une nécropole sans corps », dans Fécamp et les sépultures des ducs de Normandie. Actes du colloque de Fécamp (novembre 2007), Rouen, 2011 (à paraître).
56 CIFM 15, 69, p. 71-72, fig. 52.
57 CIFM 7, 59, p. 99-100, fig. 64.
58 CIFM 7, 63, p. 102-104, fig. 68.
59 CIFM 12, H 1, p. 101, fig. 59 : « 3 nonas aprilis obiit Deodatus de Figairolis ; kalendis augusti Garsendis de Fots. »
60 CIFM 15, 66, p. 68, fig. 45.
61 CIFM 6, G 29-31, p. 30-32, fig. 16-19.
62 Sur la question des obituaires lapidaires, voir R. Favreau (op. cit n. 2), p. 300-301 ; C. Treffort (art. cit. n. 14), p. 246.
63 Ibid.
64 CIFM 12, H 58, p. 163-164, fig. 107-108.
65 CIFM 12, 89, p. 200.
66 CIFM 21, 105, p. 113-114, fig. 46 : « Gaufridi genitor Guido jacet hic tumulatus. Tam genitor quam genitus Genitore beatus. »
67 Sur la question des « temps de l’inscription », voir C. Treffort, Paroles inscrites. À la découverte des sources épigraphiques latines du Moyen Âge, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2008, p. 38-41.
68 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 324-325.
69 Ibid., p. 276-277.
70 Voir à ce sujet l’excellent livre de Roy Harris, Rethinking Writing, Londres, Continuum, 2001.
71 John L. Austin, Quand dire, c’est faire [1re éd. 1962], Paris, Seuil, 1970.
72 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 324.
73 CIFM I-1, 86, p. 106-108, fig. 47.
74 Sur la lecture au Moyen Âge, parmi une bibliographie aussi riche qu’inégale, on verra en particulier Michael T. Clanchy, From Memory to Written Record. England (1066-1307), Londres, Blackwell, 1979, p. 81 et 87 ; Armando Petrucci, « Lire au Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, 96/2, 1984, p. 603-616 ; Id., Writers and Readers in Medieval Italy. Studies in the History of Written Culture, New York, Yale University Press, 1995 ; Paul Saenger, « Manières de lire médiévales », dans Histoire de l’édition française, t. I : Le livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du xviie siècle, dir. R. Chartier et H.-J. Martin [1re éd. 1982], Paris, Promodis, 1989, p. 147-161 ; Malcolm B. Parkes, Scribes, Scripts and Readers. Studies in the Communication, Presentation and Dissemination of Medieval Texts, Londres, The Hambledon Press, 1991 ; Joyce Coleman, Public Reading and the Reading Public in Late Medieval England and France, Cambridge, University Press, 1996.
75 Brian Stock, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelfth Centuries, Princeton, Princeton University Press, 1983, p. 212-213.
76 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 235.
77 Emmanuelle Valette-Cagnac, La lecture à Rome, Paris, Belin, 1997, p. 307.
78 Sur les inscriptions de Saint-Pierre de Melle, voir CIFM HS 1, 57-67 ; François Vareille, « Les épitaphes médiévales de Melle », Bulletin de la Société historique et archéologique des Deux-Sèvres, 10, 2e sem. 2004, p. 79-105 ; Une société de pierre. Les épitaphes carolingiennes de Melle. Catalogue de l’exposition tenue à Saint-Pierre de Melle, Melle, Société archéologique, 2009.
79 CIFM 15, 52, p. 56-57, fig. 33.
80 CIFM I-3, DS 1, p. 123, fig. 81-84 : « Precor vos qui legitis orate pro anima ejus ut det ei Dominus vitam sempiternam. »
81 CIFM 17, R 21, p. 86-87 ; trad. : « Il se tient enfoui en ce tombeau, lecteur, je te prie. »
82 CIFM 7, 7, p. 21-23 ; trad. : « Considère, lecteur, l’œuvre écrite sur ce marbre. »
83 R. Favreau (op. cit. n. 2), p. 297.
84 CIFM II, Co 24, p. 29-30, fig. 10.
85 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9.
86 Respectivement CIFM 15, 69, p. 71-72, fig. 52 et CIFM II, HV 104, p. 210-212.
87 CIFM 12, A 43, p. 62-63, fig. 36.
88 CIFM 16, D 2, p. 103-104, fig. 62.
89 CIFM I-3, CM 23, p. 105-106.
90 CIFM 21, 72, p. 72 ; trad. : « Qui que tu sois, toi qui te trouves lire sur ce tombeau à tes pieds. »
91 CIFM II, HV 56, p. 160-162, fig. 60.
92 CIFM I-1, 58, p. 58-59 ; Monumenta Germaniae historica [MGH]. Poetae latini medii aevi [Poetae], Berlin, Weidmann, 1885, t. I, éd. Ernest Dümmler, p. 325.
93 Voir par ex., MGH. Poetae, t. I, p. 413-414, no 1-6 et p. 420, no 22.
94 Sur la question de l’hypothypose, voir Vincent Debiais, « Le décor par le vers : à propos des poèmes d’Eckeart IV pour les images monumentales de Saint-Gall et Mayence », dans Culture manuscrite et épigraphie médiévale. Actes du troisième congrès international d’épigraphie médiévale (Poitiers, septembre 2009), Rennes, PUR, 2011 (à paraître) ; voir également la brillante étude de Gaëlle Herbert de la Portbarré-Viard, Descriptions monumentales et discours sur l’édification chez Paulin de Nole. Le regard et la lumière (epist. 32 et carm. 27 et 28), Leyde/Boston, Brill, 2006.
95 CIFM 22, 104, p. 166-167, fig. 40.
96 CIFM 12, A 47, p. 70-71, fig. 39.
97 Référence mentionnée par R. Favreau (op. cit. n. 2), p. 158.
98 CIFM 16, D 2, p. 103-104, fig. 62.
99 CIFM 19, SL 28, p. 86-87, fig. 109.
100 CIFM II, HV 104, p. 210-212.
101 « Respice qui transis qui cras incertus es an sis et quam sit tibi praesto mors ex mo memor esto. »
102 CIFM I-1, 68, p. 72-74, fig. 48 : « Sors hominum titubat sicut vaga fluminis unda ; nam modo quod validum mox liquet occidum. »
103 CIFM 22, 57, p. 102-103.
104 Ibid., 2, p. 19-20 : « Cur homo securus vivit cum sit moriturus ? Cur homo letatur cum vilis pena minatur ? ».
105 CIFM 5, D1, p. 1-3. Vers 11 : « Jam mea forma cinis mortis resoluta ruinis. »
106 CIFM I-1, 86, p. 106-108, fig. 47 : « Si Deum habeatis adjutorem, orate pro anima ejus. »
107 CIFM 7, 49, p. 88-90, fig. 56 : « Quid fuerim quondam modo quid sim, si bene cernis, falleris, o lector, qui Christo vivere spernis. Est tibi mors lucrum si morte Deo socieris. »
108 CIFM 24, 134, p. 148-149. Sur cette inscription, voir R. Favreau, « L’épitaphe d’Henri II Plantagenêt à Fontevraud », Cahiers de civilisation médiévale, 50/1, 2007, p. 3-10.
109 Voir par exemple l’inscription qui ornait le tombeau de Guillaume du Plessis, mort en 1384, et inhumé à la Trinité de Vendôme. Raoul de Saint-Venant, Dictionnaire topographique, historique, biographique, généalogique et héraldique du Vendômois et de l’arrondissement de Vendôme [1re éd. 1912-1917], t. II/4, Mayenne, Y. Floch, 1969, p. 64.
110 Respectivement CIFM 5, D 54, p. 67-68, fig. 39 et CIFM 9, T 13, p. 135-136.
111 Sur la perméabilité du monde des vivants et des morts, voir Jean-Claude Schmitt, Les revenants : les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.
112 À la différence de ce que l’on peut trouver au sein du corpus des inscriptions funéraires du nord de l’Espagne. On verra les exemples cités par Vicente García Lobo et María Encarnación Martín López, De epigrafía medieval. Introducción y álbum, León, Universidad de León, 1995, p. 31-40.
113 CIFM 12, H 25, p. 128-129, fig. 76.
114 CIFM 13, V 58, p. 171-172, fig. 123 ; trad. : « Guillaume, troisième évêque après lui, fit ce poème et ordonna de l’écrire sur cette pierre. »
115 CIFM 5, D 19, p. 31-32, fig. 15.
116 CIFM 15, 132, p. 137-138.
117 CIFM 7, 47, p. 84-86, fig. 51.
118 François Lesueur, « Les fouilles de la cathédrale de Blois », Bulletin monumental, 89, 1930, p. 482 : « Qui leget hanc cartam sciet intro jacere Mariam ; valde fuit sancta semper qui Deo perlatura. »
119 CIFM 21, 68, p. 68-69, fig. 21.
120 CIFM 16, D 48, p. 164-165.
121 CIFM I/3, no 10, p. 136-137 ; F. Vareille (art. cit. n. 78), p. 84.
122 CIFM I-1, 62, p. 64-66, fig. 41.
123 Ibid., 68, p. 72-73, fig. 48 : « Defuncto dicito psalmos atque pater noster quod sibi sit requies. »
124 CIFM 17, R 21, p. 86-87.
125 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9.
126 CIFM II, HV 56, p. 160-162, fig. 60 : « Dicite sic Christo : Gauzbertum Christe memento sanctorum nitidis consociare choris. »
127 CIFM 6, LG 8, p. 118-119, fig. 73 : « Qui legis haec duo fac : Odoni fac pia vota ; de quo metu mortis sollicitare tibi. »
128 CIFM 11, 13, p. 19-20, fig. 9 et v. 9.
129 CIFM I-3, CM 23, p. 105-106.
130 CIFM I-3, Ch 28, p. 46-47, fig. 26-28.
131 V. Debiais (op. cit. n. 18), p. 321-324.
132 CIFM 21, 72, p. 72 ; trad. : « Ici incline-toi pour prier tout autant que dure une heure, qui que tu sois toi qui te trouves lire sur ce tombeau à tes pieds. Et pour que tu pries et n’ignores pas pour qui se fera ta demande, cette épitaphe révèle celui que contient ce tombeau. »
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Fig. 1. — Conques, abbaye, inscription funéraire pour Bégon. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 2. — Brive, musée municipal, inscription funéraire pour Gérald Poisson, prévôt d’Arnac-Pompadour. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 3. — Fontgombault, abbaye, tombeau de Pierre de l’Étoile. (Cl. I. Fortuné. CIFM/Université de Poitiers.) |
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Titre | Fig. 4. — Elne, cathédrale, tombeau de Guillaume Jordan. (Cl. V. Debiais.) |
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Titre | Fig. 5. — Marseille, Saint-Victor, tombeau de l’abbé Isarn. (Cl. J. Michaud CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 6. — Plaimpied-Givaudins, abbaye, plaque funéraire pour Sulpicius. (Cl. I. Fortuné CIFM/Université de Poitiers.) |
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Titre | Fig. 7. — Toulouse, musée des Augustins, inscription funéraire pour Bernard. (Cl. Eva Caramello.) |
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Titre | Fig. 8. — Passa, Monastir-del-Camp, épitaphe de Bernard de Villalongue. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 9. — Poitiers, Saint-Hilaire-le-Grand, épitaphe du reclus Milon. (Cl. J.-P. Brouard. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 10. — Angers, dépôt archéologique départemental (prov. Fontevraud), plaque funéraire de Giraud de Brie. (Cl. J.-P. Brouard. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 11. — Cluny, musée du Farinier, inscription funéraire pour Delphie. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.) |
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Titre | Fig. 12. — Périgueux, Saint-Étienne de la Cité, inscription funéraire pour Jean d’Asside. (Cl. J. Michaud. CIFM/CESCM.) |
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Pour citer cet article
Référence papier
Vincent Debiais, « L’inscription funéraire des xie-xiie siècles et son rapport au corps. Une épigraphie entre texte et image », Cahiers de civilisation médiévale, 216 | 2011, 337-362.
Référence électronique
Vincent Debiais, « L’inscription funéraire des xie-xiie siècles et son rapport au corps. Une épigraphie entre texte et image », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 216 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/17802
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