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Comptes rendus

Matthias M. Tischler, Carlemany a Europa. Història i memoria

Jaume Aurell
Traduction de Alain Bègue
p. 368-370
Référence(s) :

Matthias M. Tischler, Carlemany a Europa. Història i memoria, Barcelona, Edicions de la Universitat de Barcelona (Filologia), 2022, 354 p.

Texte intégral

1Il s’agit d’un ouvrage important sur une période difficile de l’histoire médiévale : celle de Charlemagne et de son empreinte sur l’Europe. En s’appuyant sur une analyse rigoureuse et systématique de la documentation, l’auteur aborde différentes questions relatives à l’époque carolingienne.

2Le livre est divisé en trois parties : l’Antiquité tardive, l’empreinte de la mémoire de Charlemagne et la transculturalité. La première partie (« La culture de l’Antiquité tardive dans les cours et les écoles carolingiennes ») comprend les deux premiers chapitres. Le premier explore l’image de Théodoric, dont la dimension violente et endogène contraste avec la magnanimité du projet carolingien. Le second chapitre fait apparaître le penseur Boèce, dont l’itinéraire sinueux contraste avec la linéarité d’une pensée qui a marqué très profondément l’Universitas Christiana.

3Après ces deux chapitres quelque peu déconnectés l’un de l’autre, la deuxième partie (« L’empreinte de Charlemagne sur la mémoire de l’Europe chrétienne ») se compose de trois chapitres, et constitue peut-être la section la plus cohérente de l’ouvrage. Le troisième chapitre est consacré à la mémoire de Charlemagne ou, plus exactement, à celle de sa lignée. Le quatrième chapitre complète le tableau de la mémoire de la lignée par une analyse historiographique de la mémoire de Charlemagne lui-même aux viiie, ixe et xe siècles. Le cinquième chapitre traite de la vie et de l’œuvre du principal collaborateur de Charlemagne, Alcuin d’York. Ces trois chapitres constituent le cœur du livre, sa partie centrale et sa contribution majeure à l’historiographie. L’auteur fait preuve d’une bonne capacité d’analyse, basée sur un important matériel textuel et documentaire.

4La troisième partie « France, Hispanie, Catalogne : la survivance de Charlemagne dans la mémoire de l’Europe transculturelle » réunit les trois derniers chapitres du livre, qui traitent de questions diverses : la perspective de ses biographes Éginhard et le Pseudo-Turpin (chapitre 6), la rencontre interreligieuse entre chrétiens et musulmans dans l’œuvre du Pseudo-Turpin et de Pierre le Vénérable (chapitre 7) et la Catalogne carolingienne (chapitre 8).

5L’énumération de ces contenus illustre à elle seule les principales forces et faiblesses de ce livre. Parmi les premières, on peut citer sa capacité à retracer certaines des questions les plus importantes de l’époque de Charlemagne en Europe, ainsi que de sa mémoire au cours des siècles suivants. Parmi les secondes, l’incohérence évidente des différentes parties de la monographie est notoire. Cet aspect s’explique par le fait qu’il s’agit, en réalité, d’une mosaïque de sujets plutôt que d’une véritable monographie historique. Cela ne serait pas un problème si l’auteur l’avait bien justifié dans une introduction, et s’il nous avait fait connaître les critères d’unification de tous ces sujets très divers – dont le seul dénominateur commun apparent semble être les questions culturelles, intellectuelles et historiographiques. Dans ce cas, il aurait peut-être été préférable de présenter toutes ces études comme des parties clairement séparées d’un projet commun.

6Bien qu’il soit quelque peu difficile à identifier, le concept qui unit peut-être le mieux les différents thèmes est celui d’« historiographie » qui, en fait, se reflète indirectement dans le sous-titre de l’ouvrage – Histoire et mémoire. Il est donc surprenant que le chapitre 6 ne soit pas inclus dans la deuxième partie de l’ouvrage, qui traite des thèmes mémoriels, où les biographes de Charlemagne auraient certainement été mieux accueillis. Une bonne coordination entre les chapitres 3 à 7 aurait suffi à centrer l’argumentation sur les questions historiographiques ; le livre aurait gagné en cohérence et aurait pu figurer parmi les contributions les plus importantes sur ce sujet.

7L’inclusion de deux sujets aussi divers et sans rapport entre eux – et avec les autres sections du livre – que les relations islamo-chrétiennes et la Catalogne carolingienne est encore plus discutable. En effet, dans l’introduction, l’auteur affirme que son idée est de « produire une histoire de Charlemagne et de sa lignée dans la mémoire de l’Europe, expliquée à partir d’une double dimension : d’une part, à travers les sources et les études pertinentes ; d’autre part, à travers les différents pays et régions du continent qui ont été formés dans l’empire carolingien et qui ont déterminé de manière significative sa mémoire » (p. 11). Ce projet ambitieux explique ces incohérences : il est difficile de réunir tous ces objectifs dans un seul volume, surtout si l’on manque de courtes introductions et conclusions dans chacun des chapitres, et de moyens de relier chacune des sections de l’ouvrage.

8Ce désordre organisationnel n’empêche cependant pas, par une lecture attentive du livre, de glaner des informations précieuses sur la période de Charlemagne et la mémoire qui en découle. L'empereur est une figure centrale de la mémoire européenne –aujourd’hui encore, le magazine The Economist lui consacre une rubrique, qui porte son nom, pour commenter les événements les plus significatifs survenus en Europe au cours de la semaine. M. Tischler documente minutieusement la réalité : l’idée que nous nous faisons de Charlemagne n’est peut-être pas l’idée proprement historique du personnage, mais plutôt l’idée historiographique. La passion de ses différents biographes et historiens – d’Éginhard à Alcuin et au Pseudo-Turpin – nous donne l’image d’un personnage créé en fonction du contexte de ces intellectuels, plutôt que de celles de Charlemagne lui-même.

9L’auteur se penche également sur la culture manuscrite de l’époque carolingienne et des époques ultérieures, ce qui apparaît dans des sections telles que la comparaison littéraire des textes médiévaux dans les manuscrits (surtout dans le chapitre 6), la transmission des manuscrits (chapitre 7) ou la minuscule carolingienne (chapitre 8). Il s’agit là, à mon sens, de la principale qualité et de l’apport original du livre. L’auteur se livre à une analyse détaillée des qualités formelles de l’écriture carolingienne, des vicissitudes de la transmission textuelle et des principales références bibliographiques de l’époque. À partir d’une documentation pas toujours facile d’accès et couvrant une partie importante du territoire carolingien, l’auteur cherche à unir la « forme » (c’est-à-dire l’apparence de l’écriture) et le « contenu » (c’est-à-dire le dévoilement de ce que ces formes nous apprennent sur le contexte dans lequel elles apparaissent). Comme pour les questions historiographiques que j’ai évoquées dans les paragraphes précédents, le lecteur aurait apprécié une plus grande cohésion de ces rubriques, dispersées dans différents chapitres du livre, mais leur qualité et leur érudition sont suffisantes pour les considérer comme une contribution d’un grand intérêt en soi.

10Plus navrant, pour un spécialiste du sujet comme l’est manifestement l’auteur, est le manque d’interprétation du chapitre sur la Catalogne carolingienne. Il s’agit d’une période qui a donné lieu à d’énormes débats historiographiques intéressants et pertinents, tant dans l’historiographie catalane que dans l’historiographie internationale. L’auteur a tout à fait le droit de s’intéresser à la culture des techniques d’écriture et à la culture livresque carolingienne, et il le fait de manière détaillée, précise et même passionnante, comme je viens de le mentionner dans le paragraphe précédent. Il est donc surprenant qu’il ait manqué l’occasion d’aborder la question fondamentale de la signification de la Catalogne carolingienne, classiquement soulevée par Ramon d’Abadal au milieu du siècle dernier et contrée peu après par l’influent historien français Pierre Bonnassie. Ce débat passionné s’est concentré sur les racines hispaniques ou européennes (transpyrénéennes) qui ont conduit à l’émergence d’une culture supposée autochtone telle que la culture catalane. Il se réfère donc aux « origines de la Catalogne », un sujet dans lequel des médiévistes comme Josep Maria Salrach, Martin Aurell et Flocel Sabaté – pour ne citer que quelques exemples –, ont joué un rôle décisif, et ils ne sont même pas mentionnés par l’auteur. Certes, ce débat a aujourd’hui quelque peu décliné, et c’est pour cette raison que l’approche de M. Tischler est une magnifique occasion de le revitaliser. Mais le manque de perspective interprétative de l’auteur – ou simplement son manque d’intérêt pour ces questions, et son choix légitime de la question « centre/périphérie » de l’empire – laisse le lecteur sur sa faim. Bien sûr, M. Tischler aurait été un interlocuteur plus qu’autorisé à entrer dans ce débat, étant donné ses qualités heuristiques évidentes, et nous espérons que dans de futures publications, il sera en mesure d’entrer plus profondément dans ces débats interprétatifs.

11Le livre est, dans certains passages, un peu lourd à lire. Certaines phrases sont excessivement longues – certaines d’entre elles, comme c’est déjà le cas dans l’introduction, occupent un paragraphe entier. De plus, certaines notes font presque une page entière, ce qui renforce le sentiment que l’auteur se préoccupe davantage du contenu que de la forme. Il semble également disproportionné que plus d’un tiers du livre (127 pages sur un total de 352) soit occupé par des citations et des index documentaires et bibliographiques.

12L’index des noms et des toponymes, précisément, est un outil précieux pour le suivi de certains thèmes, auteurs et œuvres, et constitue un bon exemple de l’énorme érudition contenue dans ce livre. En ce sens, mes remarques négatives concernant son manque de cohérence thématique ne sauraient étouffer la grande qualité scientifique de l’ouvrage, qui constitue sans aucun doute un outil essentiel pour les spécialistes des questions liées à la mémoire de Charlemagne en Europe, à son patrimoine culturel et à sa culture littéraire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jaume Aurell, « Matthias M. Tischler, Carlemany a Europa. Història i memoria »Cahiers de civilisation médiévale, 266 | 2024, 368-370.

Référence électronique

Jaume Aurell, « Matthias M. Tischler, Carlemany a Europa. Història i memoria »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 266 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/17673 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11v1b

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Auteur

Jaume Aurell

Université de Navarre, Espagne

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