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Comptes rendus

Felix Heinzer, Gold in the Sanctuary. Reassessing Notker of St Gall’s Liber Ymnorum

Éric Palazzo
p. 352-353
Référence(s) :

Felix Heinzer, Gold in the Sanctuary. Reassessing Notker of St Gall’s Liber Ymnorum, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (Studies and Texts, 228), 2022, 328 p.

Texte intégral

1Le livre de Felix Heinzer propose un regard neuf et original sur le thème de la création liturgique dans le haut Moyen Âge à partir de l’œuvre de Notker de Saint-Gall (v. 840-912), figure majeure dans le domaine de la composition de chants liturgiques, principalement des hymnes, des séquences et des tropes. L’œuvre de Notker est dans l’ensemble bien connu des spécialistes du chant liturgique du haut Moyen Âge, comme en témoigne un nombre important de publications et de mentions de l’œuvre du moine de Saint-Gall dans les travaux des musicologues et des historiens de la liturgie médiévale. L’ouvrage de F. Heinzer s’inscrit dans la lignée des recherches antérieures sur les compositions de Notker tout en proposant un regard nouveau sur le personnage et son œuvre à partir du thème général de la création liturgique, afin d’en proposer une définition et d’explorer sa postérité.

2Après une brève introduction destinée à planter le décor de l’arrière-plan à la fois liturgique, exégétique et musical du ixe siècle, – dont on sait la grande richesse, notamment à cause du débat sur le bien-fondé de créations liturgiques nouvelles comme les tropes –, l’auteur se lance, dans la première partie divisée en trois chapitres, dans la caractérisation des travaux de Notker. Dans sa « quête de légitimité » (pour paraphraser le titre donné au premier chapitre), le moine de Saint-Gall fait autant œuvre de diplomatie monastique que de savoir-faire dans le domaine de la réception et la transmission des traditions à la fois « musicale » et théologique du chant liturgique carolingien. Sur la base d’une connaissance sans faille des grands thèmes théologiques véhiculés à travers les pièces musicales telles que les séquences, Notker dessine progressivement les éléments essentiels de sa propre créativité, basée sur un vocabulaire liturgique, exégétique et « musical » qui lui est propre. Et ce n’est pas le moindre des mérites de F. Heinzer que de procéder avec brio à la description puis à l’analyse de ce panorama notkérien.

3Dans le deuxième chapitre de la première partie, l’auteur s’attache ensuite à définir les principaux aspects de la figure de Notker en tant que psalmiste. En effet, le matériau étudié dans ces pages montre très bien que le moine sangallien a bâti sa figure de compositeur de chant liturgique à partir de la place prééminente qu’il avait accordée à l’interprétation théologique des psaumes. En cela, Notker prolonge une longue tradition d’auteurs et de théologiens de l’Antiquité chrétienne pour qui le psautier avait constitué le cœur de leurs réflexions théologiques afin de souligner la dimension éminemment poétique de leur exégèse. La finalité de cette émulation de la poésie psalmique par Notker revient à souligner avec force la nécessité d’ancrer la réflexion théologique chrétienne dans la tradition vétéro-testamentaire et notamment dans la notion de « poétique » de la théologie, largement fondée sur l’étude du psautier. Au ixe siècle, Notker n’est pas le seul religieux à promouvoir le psautier comme base essentielle de la poésie théologico-liturgique. F. Heinzer mentionne l’apport dans ce domaine de figures majeures de la théologie carolingienne telles que Bède le Vénérable, Florus de Lyon, Walafrid Strabon ou bien encore Théodulf – dont on sait l’importance de sa fascination pour le psautier, pour lequel il avait maintenu la tradition textuelle hébraïque dans la confection de ses bibles. Dans ce chapitre, F. Heinzer analyse avec érudition et précision la manière dont ces idées trouvent leur place dans la poésie chantée créée par Notker et dont témoigne son célèbre Liber Ymnorum, qui constitue la somme de son action en faveur du développement du chant liturgique et de son exégèse, principalement psalmique. Dans le bref troisième chapitre de la première partie, F. Heinzer tente de cerner le sens que l’on peut accorder à la formule, qui reste néanmoins énigmatique, de la préface d’un témoin fragmentaire du Liber Ymnorum dans laquelle Notker se qualifie de bègue. Le bégaiement de Notker constitue-t-il une figure de style, destinée à souligner l’humilité du moine face à sa création, ou bien devait-elle correspondre à un handicap réel dont il était affecté ? Sans doute les deux à la fois, mais la question reste quelque peu en suspens.

4La deuxième partie du livre est également divisée en trois chapitres. Elle est très essentiellement dédiée à l’exploration de la postérité de la création notkérienne, tant à travers la construction de la figure du poète qu’à partir de la réception du Liber Ymnorum tout au long du Moyen Âge et au-delà, notamment à partir du protestantisme comme le montre bien F. Heinzer dans l’épilogue du livre. L’espèce de sanctification dont a rapidement été l’objet Notker après sa mort repose à la fois sur l’intérêt porté à ses compositions, auxquelles est d’ailleurs associée sa mémoire, ainsi que sur la construction iconographique du portrait d’auteur telle qu’on la voit se mettre en place au xie siècle dans deux célèbres témoins des compositions du moine de Saint-Gall. À ce titre, l’auteur prestigieux qu’était Notker accède au rang de figure majeure de la théologie chrétienne du Moyen Âge, au même titre par exemple que saint Grégoire, dont on connaît un très grand nombre de portraits d’auteur. La postérité de la figure de Notker s’étend jusqu’au xiiie siècle avec la composition, par un auteur resté anonyme, d’une vita qui promeut le poète en le classant dans la catégorie des auteurs mystiques.

5Exception faite du dernier chapitre de la seconde partie dans lequel l’auteur essaie, sans beaucoup de succès à mes yeux, de repérer la fortune « extra-liturgique » de l’œuvre de Notker, le livre de F. Heinzer est une grande réussite. Il ouvre de nouveaux horizons dans le domaine de l’histoire de la liturgie et du thème de la création théologico-poétique, traçant ainsi une voie nouvelle à explorer dans des travaux ultérieurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Éric Palazzo, « Felix Heinzer, Gold in the Sanctuary. Reassessing Notker of St Gall’s Liber Ymnorum »Cahiers de civilisation médiévale, 266 | 2024, 352-353.

Référence électronique

Éric Palazzo, « Felix Heinzer, Gold in the Sanctuary. Reassessing Notker of St Gall’s Liber Ymnorum »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 266 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/17620 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11v16

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Auteur

Éric Palazzo

Université de Poitiers, CESCM

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Droits d’auteur

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