Vedere nell’ombra : studi su natura, spiritualità e scienze operative offerti a Michela Pereira, Cecilia Panti et Nicola Polloni (éd.)
Vedere nell’ombra : studi su natura, spiritualità e scienze operative offerti a Michela Pereira, Cecilia Panti et Nicola Polloni (éd.), Florence, Sismel (Micrologus’ Library, 90), 2018.
Texte intégral
1Vedere nell’ombra est un recueil d’articles réunis par Cecilia Panti et Nicola Polloni pour rendre hommage à Michela Pereira qui a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude de la tradition philosophico-scientifique occidentale dans l’alchimie en portant un intérêt particulier pour l’application opérationnelle des connaissances cachées en médecine et en astrologie. Il s’agit donc d’une œuvre complexe, tant par la diversité thématique des vingt-huit contributions qui la composent que par les relations, plus ou moins évidentes, qu’elles peuvent avoir avec le thème central de l’œuvre. Cette complexité est accrue par le fait que le travail n’est pas structuré selon un schéma thématique précis. Les coordinateurs des actes ont décidé de proposer l’ensemble des travaux en suivant une évolution chronologique, du xiie au xve s., ce qui disperse des contributions qui pourraient être complémentaires. Une structure thématique regroupant dans des chapitres respectifs les différents thèmes de l’alchimie, de l’astrologie ou de leur relation avec la médecine aurait donné plus de clarté et de cohérence à l’ensemble. Malgré tout, la qualité des travaux présentés et l’intérêt du thème fédérateur qui les a rassemblés donnent au volume toute sa valeur scientifique.
2Le thème principal est indiqué par le titre même de l’œuvre (Vedere nell’ombra) qui est une réminiscence de la pensée d’Hildegarde de Bingen. La sainte cherchait à voir la relation cachée, métaphysique au sens strict, entre le processus créatif, le processus cognitif prophétique et les limites de la nature humaine. Cette triple problématique ouvre les portes aux différentes réflexions présentées dans les articles qui tentent d’établir comment, par le passé, des domaines pouvant être considérés comme superstitieux et irrationnels ont été étudiés de manière rationnelle.
3Le thème fédérateur de l’ouvrage se présente ainsi comme un champ multiple, couvrant les thèmes de la Nature, de la Spiritualité, de la Science opérationnelle et de la Religiosité qui ont des liens philosophiques et scientifiques incontestables et dont l’évolution, dans l’histoire de la pensée européenne, mérite d’être analysée. Cet intérêt international et intemporel se manifeste par les origines multiples des contributeurs et la variété des langues utilisées dans la rédaction des articles.
4Les différentes contributions qui composent le volume se concentrent sur différents auteurs, de al-Chazali à Gundisalinus, Bacon ou Dante, dont les textes constituent une référence clé pour comprendre la tradition mystique et métaphysique, au sens large du terme, de la culture occidentale. Ces sources permettent également de souligner l’influence que les penseurs du monde islamique ont pu avoir sur la recherche philosophique et scientifique en Occident. Bien que ce ne soit pas le sujet principal de la recherche présentée ici, la variété des sources utilisées, tant d’un point de vue géographique que chronologique, souligne l’importance de l’interculturalité et de la transmission des connaissances, de leur permanence et de leur interprétation à travers les siècles.
5Les contacts interculturels font partie de la construction culturelle européenne, surtout à travers les traductions de textes commentés par des auteurs arabes ou par l’interprétation de la mythologie classique à la lumière de la foi chrétienne. Cette interculturalité, à la fois contemporaine et héritée de l’Antiquité, conduit à la recherche d’un équilibre entre la philosophie classique et la théologie chrétienne. Les contributions démontrent comment la recherche scientifique médiévale était en quête d’un point de rencontre entre l’aristotélisme le plus radical et l’orthodoxie religieuse, c’est-à-dire un équilibre entre l’ordo iustitiae et l’ordo naturalis.
6L’identification de ce point de rencontre et d’équilibre est définie par la sensibilité intellectuelle, artistique ou scientifique de chaque auteur et le rapport que son esprit scientifique peut entretenir avec sa conviction religieuse.
7Ce sont ces deux aspects personnels qui donnent toute sa valeur à l’étude alchimique associée à la médecine et aux facultés créatrices de l’homme, comme le reflètent plusieurs articles du volume. La relation entre le corps et l’âme et l’existence d’un corps subtil, tels qu’ils apparaissent dans les écrits d’al-Chazali, sont l’un des thèmes fondamentaux que le mysticisme occidental récupère de l’Orient. La matière et l’esprit entretiennent une relation purement métaphysique qui permet de poser le problème de l’existence et de compléter la démarche des études philosophiques anciennes sur la distinction entre création et génération. L’étude de la matière physique, et surtout du corps et de son fonctionnement, avec l’interprétation de la maladie comme une rupture de l’équilibre naturel, est ensuite complétée par l’analyse des propriétés thérapeutiques des médicaments. La médecine et l’alchimie sont deux domaines qui se complètent, tant dans le domaine biophysique que de la spiritualité. Le rôle de l’âme dans le processus biologique et la construction d’un équilibre naturel nous invitent à réfléchir, toujours dans le cadre de l’étude médicale, sur la relation de l’Homme avec Dieu et sa possible liberté d’action. C’est cette réflexion sur l’existence divine et sa relation avec sa création, développée par des auteurs comme Agrippa, Paracelse ou Bacon, qui conduit finalement à différencier l’alchimie de la médecine, la première étant un signe de la vanité humaine qui cherche à imiter l’œuvre de Dieu.
8Avec l’alchimie et la médecine, le problème de l’approche opératoire de la recherche métaphysique et de sa possible réalisation dans le domaine de la mécanique ou de la physique est mis en évidence. Cette relation se manifeste principalement dans la complémentarité de l’astronomie et de l’astrologie, deux sciences qui se distinguaient parfaitement au Moyen Âge et qui sont clairement énoncées dans le Speculum Astronomiae. Les deux sciences ne sont pas exemptes d’une certaine sensibilité spirituelle, exprimée dans des œuvres telles que le Pseudo Ovide, indiquant ainsi comment la communion avec le divin influence toutes les activités conceptuelles humaines.
9Le domaine de la spiritualité et ses différentes manifestations sont également abordés dans les articles qui nous offrent un panorama général de l’évolution des croyances en occident et de leurs influences orientales. Partant d’une analyse de la tension qui peut exister entre le corps et l’âme dans la sotériologie chaldéenne, on arrive à l’étude de traités philosophiques et théologiques, comme le Liber de humanis moribus per similitudinem ou le Utrum sit peccatum, qui dissertent sur la notion de péché et sur l’importance de la perception que chacun peut avoir du mal dans la caractérisation spirituelle de l’être humain. Cette dualité qui provoque une tension, un conflit perpétuel entre la double nature humaine, terrestre et spirituelle, se manifeste dans les conflits et la complémentarité entre l’amour charnel et l’amour spirituel qui peuvent être autant d’expressions d’une union avec le divin dans une approche néoplatonicienne. Nous arrivons ainsi à entrevoir une triade scientifique et mystique qui associe la spiritualité, la compréhension de la nature et l’approche de Dieu.
10La sensibilité spirituelle s’exprime également à travers l’art ou la symbolique poétique. L’ouvrage de référence, le Liber Divinarum Operum de Hildegarde de Bingen, permet de voir comment l’art, par un symbolisme mystique et poétique, entretient une relation directe avec le Cosmos. L’ordre cosmique peut ainsi révéler une certaine éthique naturelle, mise en scène par la scénographie symbolique dans l’Ordo Virtutum d’Hildegard. Le symbolisme dépasse alors sa nature purement poétique ou plastique pour soutenir un apaisement spirituel ou pour devenir un moyen rationnel de présenter une partie de la vérité divine au lecteur, comme on peut le voir dans l’œuvre de Lulle, et de ses héritiers intellectuels, ou dans la Divine Comédie.
Pour citer cet article
Référence papier
Daniel Gregorio, « Vedere nell’ombra : studi su natura, spiritualità e scienze operative offerti a Michela Pereira, Cecilia Panti et Nicola Polloni (éd.) », Cahiers de civilisation médiévale, 257 | 2022, 107-108.
Référence électronique
Daniel Gregorio, « Vedere nell’ombra : studi su natura, spiritualità e scienze operative offerti a Michela Pereira, Cecilia Panti et Nicola Polloni (éd.) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 257 | 2022, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/17137 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vm3
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