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Comptes rendus

Gerald of Wales, Instruction for a Ruler (De Principis Instructione)

Martin Aurell
p. 84-86
Référence(s) :

Gerald of Wales, Instruction for a Ruler (De Principis Instructione), R. Bartlett (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2018.

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Auteurs antiques et médiévaux :

Giraud de Barri
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Texte intégral

1L’œuvre considérable de Robert Bartlett en fait l’un des médiévistes les plus importants de sa génération. Marque du grand savant, elle est aussi étendue que variée. Elle comporte d’ambitieux ouvrages de synthèse, ouvrant des voies de recherche novatrices, comme The Making of Europe. Conquest, Colonization, and Cultural Change, 950-1350 (Londres, Penguin Books, 1993), qui posait les jalons du post-colonialisme en médiévistique autour d’une profonde réflexion sur la diaspora de l’aristocratie occidentale, ou comme l’exhaustive England Under the Norman and Angevin Kings: 1075-1225 (Oxford, Clarendon Press [The New Oxford History of England], 2000), indispensable à tout historien du xiie s. Mais l’a. publie aussi des livres plus spécialisés, transformant par exemple l’ordalie en fait anthropologique majeur (Trial by Fire and Water: The Medieval Judicial Ordeal, Oxford, Clarendon Press, 1986), voire des études de micro-histoire à l’instar de The Hanged Man: A Story of Miracle, Memory, and Colonialism in the Middle Ages (Princeton, Princeton University Press, 2004) autour de la pendaison, en 1290, du rebelle gallois William Cragh, puis de sa résurrection par intercession de feu Thomas de Cantiloupe, évêque de Hereford. L’édition et la traduction de textes latins ne lui sont toutefois pas étrangères et il a publié, toujours dans les prestigieux Oxford Medieval Texts, deux volumes sur les vies et miracles des saintes Modwenna de Burton, Æbbe de Coldingham et Marguerite d’Écosse (Geoffroy de Burton, Life and Miracles of St Modwenna, Oxford, Clarendon Press, 2002 et The Miracles of Saint Æbbe of Coldingham and Saint Margaret of Scotland, Oxford, Clarendon Press, 2003). Avec son Instruction du prince, il continue de tracer ce sillon, tout en renouant avec ses premiers travaux sur Giraud de Barri (1146-1223). Exemplaire, cet ouvrage rendra bien des services, non seulement parce qu’il met à la portée de tous une source essentielle, mais aussi parce qu’il est un modèle du genre.

2La dernière édition en date de l’Instruction du prince, publiée en 1891 par George F. Warner dans les Rerum britannicarum Medii Ævi scriptores, est incomplète : elle laisse notamment de côté de nombreuses sections de son premier livre, surtout si elles concernent l’histoire ancienne, alors que les chercheurs s’intéressent de plus en plus à la perception de cette période par les chroniqueurs médiévaux. Elle a été souvent citée et R. Bartlett a pris le temps d’établir une concordance de ses pages avec sa propre édition pour faciliter le travail des chercheurs à venir (p. LXI-LXVIII). L’Instruction n’est connue que par un seul manuscrit, élaboré au xive s. : BL, Cotton MS Julius B XIII, fol. 48-173. Si, grâce à cette pauvre tradition, l’éditeur a pu éviter les collations multiples et la chasse aux variantes, il a vu son travail accru à cause du travail négligé et fautif du scribe. Le manuscrit présente au moins l’avantage d’être complet, à l’exception de la première préface, préservée cependant à Cambridge (Trinity MS R7.11) dans une anthologie de ceux que Giraud considérait comme ses meilleurs morceaux. L’a. rend publique une première version de son Instruction en 1191, mais il la révise et la complète par la suite pour en donner une version définitive en 1216 ou 1217. Au lendemain de la proclamation de la Grande charte et de l’invasion de l’Angleterre par le futur Louis VIII de France, il peut donner libre cours à sa « critique sauvage d’Henri II » (p. XVIII), qu’il envoie en enfer pour son ultime blasphème (p. 660), et de sa « tyrannie insulaire » (p. 732). Il trempe alors sa plume au vitriol d’une amertume qu’il attribue par ailleurs à son éviction d’un grand évêché de Grande-Bretagne. Ses remontrances correspondent aussi au mal-être identitaire de celui qui se sent Gallois parmi les Anglais et Anglais parmi les Gallois. Plus convenue est sa condamnation impitoyable de la cour, qu’il partage avec les clercs de son milieu, dépités de gaspiller leur savoir au service bureaucratique du meurtrier de Thomas Becket plutôt qu’à la quête de vérités éternelles. En compensation, il exprime toute son admiration pour les Capétiens qui font « prospérer en France le royaume et le sacerdoce dans la tranquillité de la paix et dans la joie de la liberté » (p. 732). Il souhaite vivement, en effet, que ces descendants de Charlemagne, « le plus grand des princes récents » (p. 142), renversent les Plantagenêt pour instaurer une double, et peut-être triple, monarchie de part et d’autre de la Manche.

3Les considérations sur l’histoire contemporaine de l’a. se trouvent dans les deuxième et troisième livres, qui donnent un récit fort précis, et souvent original, du gouvernement – désastreux aux yeux de Giraud – d’Henri II, entre l’assassinat de l’archevêque de Cantorbéry en 1170 et sa mort en 1189. La belle introduction contient un tableau chronologique permettant de suivre avec aisance tous ces événements (p. XXIX-XXX). On retiendra également la finesse de ses remarques sur le providentialisme historiographique de Giraud, qui peine à découvrir l’application stricte de la justice immanente dans les actes des hommes (p. XXXIII-XXXIV), car « le jugement de Dieu peut être caché, mais jamais injuste » (p. 656). Contrairement aux deux autres, le premier livre ne relève pas de l’histoire, mais de la philosophie morale. Il s’en détache d’autant plus qu’il a été publié séparément dans les années 1190. Il est structuré selon la dizaine des vertus que doit régler le bon gouvernement, mais Giraud préfère toujours l’anecdote à la réflexion abstraite. Il émaille donc son propos d’épisodes de la vie des empereurs et rois, parmi lesquels Jules César est aussi « à l’aise avec la plume qu’avec l’épée » aux antipodes des « ânes couronnés » avec lesquels il ouvre sa préface (p. 36 et 88). Aussi originaux sont ses récits sur la découverte, autour de 1190, du tombeau d’Arthur au monastère de Glastonbury, ou sur l’extermination traîtresse des Pictes par les Scots, peut-être inspirée de sources gaéliques aujourd’hui perdues. Le livre I contient enfin des considérations fort novatrices sur le tyrannicide qui vont plus loin que celles de tout autre penseur de la fin du xiie s. : « On promet à celui qui frappe le tyran, non pas un châtiment, mais la palme ! » (p. 194). Même le Policraticus de Jean de Salisbury, avec lequel Giraud entretient des liens, n’est pas allé si loin. R. Bartlett discute également de sa relation avec Gautier Map à l’égard duquel il nie toute « dépendance directe » (p. XXVII), sans considérer les arguments contraires, et parfois fondés, de Keith Bate (« Walter Map and Giraldus Cambrensis », Latomus, 31, 1972, p. 860-875).

4L’édition brille dans l’étude des sources, que Giraud a pu vraisemblablement consulter aux bibliothèques de Lincoln et de Hereford. Elle insiste sur son utilisation de deux anthologies de classiques latins, surtout moralistes et philosophes politiques : Moralium dogma philosophorum, attribué parfois à Guillaume de Conches, précepteur du jeune Henri II, et Florilegium angelicum, toujours inédit et consultable seulement dans le manuscrit du Vatican en ligne. Par la médiation de ces deux florilèges, Cicéron et Sénèque sont les auteurs les plus cités et leur stoïcisme, éthique des élites sénatoriales, imprègne l’Instruction, comme il se doit dans la Renaissance du xiie s. Ovide, Horace, Lucain, Virgile et le moins connu pseudo-Quintilien, ainsi que le Code et le Digeste, y figurent, de même, en bonne place. Dans un ton similaire aux stoïciens, les livres sapientiaux de l’Ancien Testament apprennent à bien se tenir et à gouverner de façon juste. La Bible n’est toutefois pas aussi présente qu’on pourrait l’attendre sous la plume de l’archidiacre de Brecon, qui cite surtout les psaumes, mais aussi les quatre livres des Rois et Matthieu. En contemporain d’Étienne Langton et à l’époque faste du scriptorium de Saint Albans, il en numérote parfois les chapitres et les versets. Les Pères les plus représentés sont Jérôme, Ambroise et Grégoire le Grand. Isidore est plus négligé, même si Rex a regendo (p. 188 et 320) aurait pu être attribué à ses Étymologies, IX.3.4. Parmi les chroniqueurs médiévaux figurent Gildas, Paul le Diacre, Éginhard et surtout le fort diffusé Hugues de Fleury, qui le renseigne sur l’histoire ancienne. Écrits de son vivant, l’Itinerarium peregrinorum et la Passion de Renaud de Châtillon de Pierre de Blois, pilier de la cour d’Henri II, l’éclairent sur la croisade. Giraud utilise une dizaine d’actes royaux et bulles pontificales, dont la célèbre, et sans doute fausse, Laudabiliter autorisant le roi d’Angleterre à conquérir l’Irlande. N’oublions pas enfin les propres œuvres de Giraud, adepte de l’auto-plagiat. Éduqué au monastère de Gloucester et aux écoles de Paris, où il a lui-même enseigné le droit, il possède la culture de l’érudit de la fin du xiie s., maîtrisant certes la Bible et la patristique latine, mais aussi les classiques latins, dont le stoïcisme marque la culture politique de son temps.

5On imagine le travail colossal derrière le repérage des abondantes sources que l’Instruction cite implicitement ou explicitement. Elles ne sont que sporadiquement référencées par G. F. Warner et la plupart de la recherche restait donc à faire. R. Bartlett les donne dans les éditions les plus soignées et modernes, notamment du Corpus christianorum de Brepols. La qualité de l’apparat critique transparaît, de même, dans les références constantes aux hypothèses de l’abondante bibliographie récente, sur lesquelles l’éditeur prend souvent position. Il lui a fallu surtout proposer une nouvelle traduction anglaise, puisque celle, fort fragmentaire, de 1851 par Joseph Stevenson ne correspond plus aux critères de l’érudition contemporaine. À juste titre, son choix privilégie la clarté à la fidélité au texte original, que le lecteur peut toujours consulter en vis-à-vis. Littéraire plus que littérale, la traduction de R. Bartlett se lit d’autant plus aisément. Enfin les index sont un modèle du genre. Comme pour le reste de l’ouvrage, ils suivent les normes des Oxford Medieval Texts, dont le savoir-faire éditorial est exemplaire. En définitive, nous disposons désormais d’un instrument essentiel pour approfondir l’histoire politique et intellectuelle des xiie et xiiie s. Plus largement, cet ouvrage nous éclaire puissamment sur la culture des clercs de la période, sur leurs méthodes de travail, sur leur perception du pouvoir, sur leur religiosité et sur leur imaginaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Martin Aurell, « Gerald of Wales, Instruction for a Ruler (De Principis Instructione) »Cahiers de civilisation médiévale, 245 | 2019, 84-86.

Référence électronique

Martin Aurell, « Gerald of Wales, Instruction for a Ruler (De Principis Instructione) »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 245 | 2019, mis en ligne le 01 mars 2019, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/1624 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.1624

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Auteur

Martin Aurell

UMR 7302 – CESCM
Université de Poitiers

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