Sophie Brouquet, Saints, reliques et miracles au Moyen Âge
Sophie Brouquet, Saints, reliques et miracles au Moyen Âge, Rennes, Éditions Ouest-France, 2021, 127 p.
Texte intégral
1Les éditions Ouest-France proposent un large éventail d’ouvrages de vulgarisation qui traitent du Moyen Âge. Sophie Brouquet en a déjà publié plusieurs, entre autres La passion du livre au Moyen Âge (2003), La vie des femmes au Moyen Âge (2009), Les marginaux du Moyen Âge. Ladres, brigands, ribauds, gueux et mendiants (2018).
2Saints, reliques et miracles au Moyen Âge est donc destiné à un large public. Il s’agit d’une présentation synthétique de cet aspect fondamental de la vie religieuse au Moyen Âge qu’est le culte des saints.
3Sur cent vingt-cinq pages, l’auteure en décrit les points essentiels. En commençant par l’origine du culte des saints, on passe à l’évolution des procès de canonisation, à l’hagiographie, aux pouvoirs des saints, à la forme et la fonction des reliques, aux miracles, aux pratiques pieuses, pour finir avec l’impact sur l’architecture et l’art. L’exposé est accompagné par de nombreuses illustrations, sur lesquelles je reviendrai, et par des fragments de vies de saints et de miracles (surtout la Légende dorée et Miracles de Notre-Dame de Rocamadour).
4Si le sujet peut sembler de prime abord moins alléchant que celui des marginaux ou des femmes, celui qui aura recours au livre de Sophie Brouquet sera agréablement surpris. Histoires du trafic et des vols de reliques, fabrications de faux, emplois de prestidigitateurs par des communautés religieuses en manque de miracles – autant d’aventures qui agrémentent l’histoire du culte des saints. On apprend l’existence de rites exotiques, comme l’ordalie des ossements, ou de croyances hautement poétiques, comme celles qui accordent le pouvoir de guérison à l’ombre des reliques ; mais ce qui est probablement le plus impressionnant, ce sont les manifestations d’émotions qu’éveillaient les reliques chez les fidèles, à qui il arrive de s’accrocher à la châsse au point qu’il est difficile de les en détacher. L’auteure épargne aux lecteurs les détails scabreux qui pourraient vraiment choquer les sensibilités modernes, comme l’obtention des reliques par la décoction des restes en vue de la séparation des os, de même que les coutumes difficiles à saisir par la logique rationnelle, comme l’humiliation des reliques, mais la lecture n’est sûrement pas ennuyeuse.
5Cela dit, l’auteure est loin de s’arrêter au niveau des anecdotes et des curiosités. Le lecteur apprendra dans son livre plusieurs faits importants. Il verra comment l’évolution du culte des saints s’inscrit dans l’histoire du christianisme et dans l’histoire tout court ; quels en sont les fondements théologiques et comment il s’enracine dans la spécificité de la religion chrétienne ; mais aussi de quelle façon il s’inscrit dans les traditions païennes.
6Parmi les passages particulièrement intéressants, on peut citer ceux qui concernent l’héritage antique dans la représentation des puissances surnaturelles des saints ou encore la relation de ceux-ci avec la nature. Le rapport aux animaux est notamment présenté d’une façon assez détaillée ; l’auteure en décrit différents types, de l’attitude strictement utilitaire d’un saint Amand aux gestes presque franciscains avant la lettre de saint Gall.
7Les fragments les plus utiles sont ceux où on apprend comment le culte des saints a façonné l’architecture et l’art religieux ; le lecteur en tirera plusieurs informations profitables sur l’espace qui l’entoure, comme la fonction des cryptes et des déambulatoires dans les églises, ou le fait que chaque autel contient des reliques de saints.
8Certes, on peut regretter quelques lacunes secondaires. Par exemple, dans la partie consacrée aux reliques, il n’y a aucune mention de ces reliques particulières que sont les images acheiropoïètes (il n’y a que la reproduction du Linceul de Turin, sans commentaire), associées à tant de saints notables. La rapidité de l’exposé empêche parfois de développer un point important : la figure de saint Denis est présentée si rapidement qu’il est impossible d’y déceler la confusion de trois personnes ; on apprend que sainte Catherine de Sienne a transformé la chrétienté, mais on ignore de quelle façon (p. 28) ; ou qu’Odon de Cluny se réjouissait de la rareté des miracles, mais on ne voit pas très bien pour quelle raison (p. 88).
9D’autre part, on aurait pu réduire le nombre d’exemples de vies de saints, qui sont parfois lassants ; tous les saints n’ont pas eu l’existence aventureuse d’un saint Romuald, obligé de simuler la folie pour se soustraire aux attaques des paysans impatients de le transformer en reliques (p. 25) ... Mais il est vrai que ces exemples montrent bien l’évolution socio-historique de la représentation de la sainteté, d’abord pour la plupart masculine, cléricale ou aristocratique, avant que les laïcs et les femmes puissent être honorés de la sorte.
10L’auteure possède l’art de la synthèse. Plusieurs formules concises résument avec bonheur tel ou tel autre aspect du sujet abordé (« le désir de les montrer [les reliques] entre en conflit avec la tentation de les dissimuler aux yeux des profanes », p. 8). La langue est claire et précise, même si on trouve des phrases confuses (« Un moyen de diffusion de faire connaître le pouvoir miraculeux de la relique est celui de l’Image », p. 101) et parfois certains malentendus font sentir la hâte (p. 57). On peut regretter quelques coquilles ; tant pis pour « saint Hélène » (p. 115), mais « saint Bastide » (p. 21) est malencontreux, puisqu’il s’agit d’une sainte qui n’est pas connue et le lecteur peut être induit en erreur.
11Ce qui est le point le plus faible du livre, c’est ce qui pourrait être son grand avantage : les illustrations, qui occupent environ la moitié de l’ouvrage. Parmi elles, plusieurs sont très belles (comme un magnifique Martyre de sainte Eulalie de Bernat Martorell, une Mort de sainte Claire du Maître de Heiligenkreuz ou encore les fresques de Spinello Aretino), émouvantes, comme la plaque du Retable de Verdun figurant le peuple d’Israël conduit par Moïse avec un petit chien sur le dos de l’un des exilés, ou encore étonnantes, comme de nombreuses scènes d’exorcisme ou la Tête de saint Edmond gardée par le loup (malheureusement sans indication de l’origine). Mais, premièrement, elles sont beaucoup trop nombreuses et souvent trop petites pour qu’on puisse les apprécier pleinement, et deuxièmement, il est difficile de trouver une cohérence dans ces choix iconographiques. En effet, on y trouve aussi bien des enluminures de manuscrits ou des éléments architecturaux que des lithographies pieuses du xixe et du xxe siècles, qui se côtoient parfois sur la même page. Ces dernières présentent rarement un intérêt stylistique ; on peut le déceler pour saint Boniface dans une forêt très germanique (p. 15), mais pourquoi montrer une image absolument banale de sainte Marthe avec la Tarasque de la fin du xixe siècle quand tant d’artistes médiévaux ont représenté le monstre en question avec une fantaisie remarquable ? Certes, même des images produites à la chaîne pourraient être sollicitées pour montrer l’iconographie de tel ou tel autre saint, son évolution ou ses points fixes à travers les siècles, mais ce n’est pas l’objectif de l’auteure qui ne commente pas du tout l’iconographie des saints. Cette profusion d’illustrations semble plutôt provenir de la conviction de l’éditeur, un peu dans la lignée de saint Grégoire le Grand, que les simples ont besoin d’images : le principe vaut aussi pour les autres livres de la série. Mais, par exemple, dans La passion du livre, le choix des images était un peu plus restreint et beaucoup plus réfléchi (en même temps que le format du livre était plus grand : depuis 2003, on accorde visiblement moins d’importance au confort de lecture). Cette inflation d’images porte préjudice aux lecteurs, aux images et au texte, dont la valeur didactique est largement supérieure à ce que suggère la présentation.
12En effet, l’exposé est rigoureux et il offre une vue d’ensemble aux contours précis. Le culte des saints apparaît comme le résultat des interférences entre les sensibilités collectives et les émotions populaires d’un côté, et les décisions de l’Église de l’autre. L’élite s’avère souvent plus prudente que le peuple par rapport aux différentes formes du culte des saints ; plusieurs penseurs chrétiens en perçoivent les limites et les dangers, en particulier ceux de l’idolâtrie. Certains paradoxes donnent à penser : saint Bernard de Clairvaux parle très peu de miracles bien que, d’après sa vie, il en ait fait plusieurs. Le changement de position de saint Augustin en faveur du culte des saints montre bien que la question importe pour la société chrétienne ; mais les réticences de certains clercs face aux reliques sont loin de disparaître.
13L’auteure signale combien le culte des saints a joué dans les jugements négatifs du Moyen Âge, que ce soit de la part de Martin Luther ou de Voltaire. Elle fait observer que c’est seulement à partir des années 1970 que le domaine commence à être étudié sans jugement de valeur, du point de vue de son rôle social à l’époque médiévale. Elle-même privilégie cet angle de présentation. Dans la conclusion, elle esquisse pourtant un jugement de valeur, essayant de défendre les médiévaux d’éventuelles accusations de naïveté, et de s’opposer à l’étiquette de « période obscurantiste » (p. 124) appliquée au Moyen Âge. Cette tentative n’est pas très réussie : elle ne met pas en cause les relations de pouvoir qui résultent du partage entre ceux qui croient et ceux qui fixent les formes de cette croyance. Les modifications introduites par le clergé signalées par l’autrice – par exemple, la substitution de nouveaux objets de foi à « l’immense cohorte des saints locaux » (loc. cit.) – n’y changent rien, puisque l’intention de l’Église reste la même : garder le contrôle sur les masses. Mais il est peut-être moins important de justifier que de comprendre, et Sophie Brouquet fournit plusieurs pistes qui permettent d'appréhender le rôle théologique, culturel et social du culte des saints au Moyen Âge. Son livre peut s’avérer très utile à ceux qui ignorent tout à fait le sujet aussi bien qu’à ceux qui veulent l’approfondir.
Pour citer cet article
Référence papier
Agata Sobczyk, « Sophie Brouquet, Saints, reliques et miracles au Moyen Âge », Cahiers de civilisation médiévale, 263-264 | 2023, 314-316.
Référence électronique
Agata Sobczyk, « Sophie Brouquet, Saints, reliques et miracles au Moyen Âge », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 263-264 | 2023, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/14249 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.14249
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