Jaume Aurell, Medieval Self-Coronation. The History and Symbolism of a Ritual
Jaume Aurell, Medieval Self-Coronation. The History and Symbolism of a Ritual, Cambridge University Press, 2020, 340 p.
Texte intégral
1Jaume Aurell offre aux médiévistes un livre portant sur un thème original, qui n’avait jusqu’à ce jour pas véritablement retenu l’attention des spécialistes de l’histoire de la liturgie et de ceux dont les travaux portent principalement sur la signification politique des rituels médiévaux. Pour la plupart, les chapitres du livre ont été publiés auparavant dans des versions souvent légèrement différentes. Nous avons ainsi principalement affaire à un recueil d’articles, coiffé par une introduction théorique et problématique assez substantielle sur laquelle je vais revenir. Les articles, devenus des chapitres, forment un ensemble cohérent sur ce thème relativement inattendu du « couronnement par soi-même », selon la traduction que l’on peut proposer de l’expression « Self-Coronation ».
2Le thème du livre de J. Aurell n’avait donc jusque-là jamais été abordé en tant que tel dans le cadre d’une monographie. C’est chose faite, et il faut certainement savoir gré à l’auteur de proposer une étude d’ensemble du triple point de vue historique, politique et liturgique. Le livre est construit à partir d’études de cas. Une méthode qui a depuis longtemps fait ses preuves et que je ne peux, pour ma part, que louer, à la condition cependant de ne pas considérer l’étude de cas comme la justification d’un choix à mes yeux parfois contestable des cas traités dans les chapitres du présent livre. Dans sa longue introduction problématique et théorique, J. Aurell revendique la nécessité d’une exploration large dans le temps et dans l’espace du thème traité et ce, afin d’en comprendre jusque dans ses moindres détails les mécanismes intrinsèques. En d’autres termes, l’auteur se fait le chantre d’une historiographie de la longue durée, dans la lignée de l’École des Annales. Certes, mais encore faudrait-il que la perspective de la longue durée ne crée pas de confusion entre les cas abordés, ne favorisant pas la compréhension du sujet traité – en l’occurrence, le « couronnement par soi-même ». Dans ce sens, je m’interroge sur la pertinence du deuxième chapitre du livre, qui explore des domaines culturels très éloignés dans le temps et dans l’espace de l’Occident médiéval. L’enquête menée par l’auteur, sans doute de seconde main – dans les cultures mésopotamiennes et égyptiennes entre autres – constituait-elle un détour indispensable à l’étude du rituel de la « Self-Coronation » à l’époque médiévale ? Je ne le crois pas, et l’on peut craindre la faveur accordée à une sorte d’universalisme dans les études historiques qui me paraît dangereuse à plusieurs égards, notamment car cette approche fait courir le risque d’un comparatisme qui occulterait les spécificités des périodes de l’Histoire et les particularités des études de cas.
3Je suis aussi relativement perplexe au sujet de l’utilité du premier chapitre, très nourri en matière d’érudition, mais à propos duquel on peut s’interroger sur sa pertinence dans un tel livre. Certes, J. Aurell y déploie toute sa connaissance – très impressionnante par ailleurs – de l’historiographie internationale sur l’histoire des rituels et de la liturgie, mais était-il bien utile de revenir, une fois de plus, sur les débats très anglo-saxons, voire nord-américains, d’il y a une vingtaine d’années au sujet de la pertinence de l’emploi du concept ou de la notion de « rituel » appliquée à l’étude du Moyen Âge occidental ? Je ne le crois pas, dans la mesure où l’exposé de l’auteur dans le premier chapitre ne permet pas d’entrer pleinement dans le vif du sujet du livre. Toujours dans ce premier chapitre, je reste quelque peu perplexe au sujet de l’apport de l’anthropologie, voire d’une certaine forme de sociologie historique, qui, l’une comme l’autre ne me semble nullement interroger de façon pertinente le thème du livre. Je regrette ainsi que les réflexions préliminaires de l’auteur au sujet de la « Self-Coronation » soient ainsi noyées dans une masse d’informations relatives à l’anthropologie, à la sociologie ou même à l’histoire récente sur les rituels. Pourtant, on ne peut nier l’intérêt du phénomène rituel de la « Self-Coronation » dans la compréhension des enjeux de pouvoir entre le politique et le religieux tout au long du Moyen Âge. De la même manière, je suis d’accord avec J. Aurell lorsqu’il se pose la question de l’existence d’une forme de transgression (ou de transgressivité) dans la pratique rituelle du couronnement par soi-même.
4Je suis également relativement réservé au sujet des chapitres consacrés par l’auteur au traitement iconographique du thème de ce livre. En dehors du fait que, le plus souvent lorsqu’il s’agit du matériau iconographique, J. Aurell s’appuie essentiellement sur une bibliographie émanant d’historiens – et non pas d’historiens de l’art qui savent a priori regarder les images. L’approche visuelle proposée par l’auteur demeure donc trop générale, et son manque de sensibilité ou de connaissance en matière d’étude iconographique l’empêche de mener à bien une enquête neuve et sérieuse sur les représentations de la « Self-Coronation » ; d’autant plus que, par exemple, le chapitre consacré à la « Main de Dieu » n’aborde qu’à la marge le thème du couronnement par soi-même car, il faut bien le reconnaître, l’iconographie de la « Main de Dieu » dans l’art paléochrétien comme dans celui de l’époque médiévale dépasse très largement le thème du livre, ne le concernant qu’à la marge. Les chapitres dédiés aux rituels de couronnement des époques carolingienne, ottonienne et au-delà, du temps de Roger II de Sicile ou bien encore de Frédéric II, s’appuient sur une documentation que l’auteur connaît sur le bout des doigts, mais dont il ne tire rien de véritablement convaincant au sujet du thème du livre. En ce sens, il confond à mes yeux bien trop souvent les données relatives aux couronnements par les ecclésiastiques et ceux relevant du pouvoir divin. Ces remarques critiques s’appliquent aussi au chapitre dédié à ce que l’auteur appelle de façon quelque peu énigmatique les « Self-Coronations » symboliques dans le monde byzantin.
5Les derniers chapitres du livre échappent à ces critiques dans la mesure où, là, J. Aurell est manifestement plus à l’aise et sur un terrain qu’il maîtrise et connaît sans aucun doute mieux que les autres sur lesquels il a pris le risque de s’aventurer : les cas tirés de l’espace hispanique de la seconde moitié du Moyen Âge.
6La conclusion tente avec plus ou moins de succès de masquer les faiblesses globales du livre, mais il me semble qu’on ne peut se contenter de ces éléments de conclusion, trop généraux selon moi, comme l’histoire de la relation conflictuelle entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, ou bien encore celui destiné à cerner le rôle de la « Self-Coronation » dans la définition du sacré dans le christianisme médiéval.
Pour citer cet article
Référence papier
Éric Palazzo, « Jaume Aurell, Medieval Self-Coronation. The History and Symbolism of a Ritual », Cahiers de civilisation médiévale, 262 | 2023, 167-168.
Référence électronique
Éric Palazzo, « Jaume Aurell, Medieval Self-Coronation. The History and Symbolism of a Ritual », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 262 | 2023, mis en ligne le 01 octobre 2023, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/13683 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.13683
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