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Comptes rendus

La Passio xii fratrum qui e Syria venerunt. Edizione critica e introduzione Gaia Sofia Saiani (éd.)

Marie-Céline Isaïa
p. 116-117
Référence(s) :

La Passio xii fratrum qui e Syria venerunt. Edizione critica e introduzione Gaia Sofia Saiani (éd), Spoleto, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo (Uomini e mondi medievali, 62), 2019, 214 p.

Texte intégral

1En 2015, Edoardo D’Angelo a publié le texte latin et une traduction italienne de la Passion des Douze Syriens (BHL 1620) d’après quatre manuscrits (Edoardo D’Angelo, « I santi dodici Siri », dans Id., Terni medievale. La città, la chiesa, i santi, l’agiografia, Spoleto, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 2015, p. 89-225). Une édition fiable s’imposait en effet avant de pouvoir commenter un texte qui explique l’organisation médiévale de l’Église ombrienne par l’errance tardo-antique de onze chrétiens que les persécutions obligent à quitter Rome pour Pérouse, Foligno, Spolète ou Narni. Les Bollandistes ont très tôt dénoncé cette Passion comme un essai tardif d’écriture de l’histoire, certainement postérieur aux Dialogues de Grégoire le Grand, et parlé de « monstre historique » à cause de ses incohérences chronologiques (Acta XII sociorum, éd. C. Janning, AASS, Iul. I, Anvers, 1719, col. 9-16). Gaia Sofia Saiani préfère parler d’une « fresque chorale », ce qui est une façon de dire qu’elle n’écrit pas une histoire critique de l’évangélisation de l’Ombrie mais une histoire des textes, centrée sur l’utilisation médiévale du cycle syrien. Cette perspective justifie l’examen de 20 manuscrits pour parvenir à une édition de BHL 1620 qui vient remplacer celle de 2015. Elle explique aussi l’attention apportée à trois témoins de ses rédactions ultérieures, publiées en annexe (BHL 1621, d’après les manuscrits Paris, BnF, lat. 5323, fol. 97v-99v et Firenze, Bibl. Medicea Laurenziana, Strozzi 4, fol. 193v-196r et BHL 1622, d’après le manuscrit Firenze, Bibl. Medicea Laurenziana, Pluteo 35, fol. 3r-4v). Par rapport à l’édition de E. D'Angelo, l’accroissement du nombre de manuscrits s’explique par l’intégration dans le stemma des témoins de la Passion de Proculus, évêque d’Interamnis ou Terni (BHL 6955).

2La Passion de Douze frères de Syrie est le résultat d’une histoire longue, dont la chronologie la plus sûre est résumée notamment p. cxxxviii-cxliii de l’introduction : des traditions locales formées et écrites entre le vie et viie siècle attachent des martyrs au contexte d’un règne impérial, à un lieu de martyre et à un lieu de culte. Elles affirment par exemple que le prêtre Carpophore et le diacre Abundius ont été poursuivis sous Dioclétien et Maximien, capturés à Spolète, exécutés près de Foligno et enterrés à Tanaritano. Ces traditions sont agencées en un récit suivi par un unique compilateur qui travaille au cours du viiie siècle, dont la trame est retouchée aux ixe et xe siècles. Le compilateur créé un cycle en inventant des liens familiaux entre les martyrs, à partir du Syrien Anastase, père de Brice et Euticius mais oncle d’Abundius, Carpophore, Procule, Isaac, Laurent, Jean, Herculan (Ercolanus), Teudila/Teudulo et Paractalis/Baractalis – d’où le nom traditionnel de « Passion des Douze frères venus de Syrie » que porte le cycle dans l’historiographie, alors même que les manuscrits les plus nombreux l’intitulent logiquement « Passion de saint Anastase et des onze frères ». Le rapprochement entre les martyrs s’opère aussi selon une logique géographique : après l’exécution d’Anastase, décapité sur ordre de Julien l’Apostat ad Aquas Salvias, les onze disciples et parents fuient Rome par la via Flaminia et se dispersent, les uns vers Bolsena, les autres vers Spolète. Le cycle incorpore alors d’autres mémoires locales selon une logique hiérarchique : il se conclut avec le destin de l’évêque Brice, qui subit la persécution du proconsul de Spolète Martianus. Investi de l’autorité métropolitaine par un ange, Brice meurt après avoir consacré évêques Jean à Spolète, Vincent à Bevagna, Herculan à Pérouse et Chryspolite à Bettona. On dispose à partir du xie siècle d’une version stable de l’histoire qui se diffuse hors d’Italie, mais l’essentiel de la légende est déjà connu lors de la rédaction de son martyrologe par Florus de Lyon.

3L’étude détaillée des manuscrits complète cette fresque par de précieuses précisions. Comme E. D’Angelo, G. S. Saiani trouve la trace du noyau originel du cycle dans le légendier de Bobbio, de la deuxième moitié du ixe siècle (A = Città del Vaticano, BAV, Vat. Lat. 5771, fol. 332v-336v), premier représentant de la branche α du stemma. A permet de situer le compilateur au viiie siècle et de le voir travailler à partir des trois biographies préexistantes des saints Abundius et Carpophore, Herculan, puis Brice, mais aussi des Dialogues, où il a trouvé la source de ses considérations sur Herculan, victime du roi Totila. Bien qu’il accroisse la part des miracles et simplifie la langue de ses sources, le latin des vie-viie siècles s’entend encore dans le noyau relatif à Abundius et Carpophore. Dans cette même branche α, les manuscrits E et L (E = Roma, Archivio storico del Vicariato, A. 81, fol. 15r-18r et L = Lucca, Biblioteca Capitolare, Codex P+, fol. 4r-6v, témoins de BHL 1622b) impliquent qu’un remaniement soit survenu au cours du xe siècle. Par des ajouts et des suppressions volontaires, il vise à améliorer l’unité du récit et insiste sur la sainteté épiscopale des protagonistes, campés en defensores civitatis. Deux autres manuscrits S et T enfin, qui sont des légendiers-homéliaires spolétains, respectivement de San Brizio (S = Spoleto, Archivio Storico Diocesano, cod. lit. 3, fol. 180r-182v) et de San Felice di Narco (T = Spoleto, Archivio Storico Diocesano, cod. lit. 1, fol. 100r-102r, témoins de BHL 1622d) attirent l’attention sur la promotion de l’évêque Brice, devenu l’acteur majeur de la légende et un évêque métropolitain nommé par l’apôtre Pierre et non par un ange, entre la fin du xie et le début du xiie siècle. Dans cette réécriture politique, l’origine syrienne des martyrs est omise. Elle signalait en effet dans la version originelle une proximité désormais désuète ou hors de propos avec le berceau du christianisme et de l’ascèse monastique. Le texte de ces deux manuscrits a fait l’objet d’une édition distincte de Romano Cordella et Antonio Inverni, San Brizio di Spoleto. La pieve e il santo, Spoleto, Accademia Spoletina, 2000, p. 89-93.

4En dépit de ces retouches qui parviennent à l’adapter aux contextes locaux, la branche α est bien moins répandue que la branche β, avec 5 manuscrits contre 15. La branche β évolue jusqu’au xve siècle en retenant les lectiones faciliores, tout en se caractérisant par un style plus soutenu ou mieux, plus normalisé. Les variations semblent davantage motivées par des adaptations pragmatiques que par des projets politiques. Par exemple, quand les manuscrits de la sous-famille β7 s’interrompent après le martyre de Carpophore et Abundius, G. S. Saiani ne pense pas que ce soit pour censurer les exploits de Brice de Spolète, mais parce que la Passion devait bien être raccourcie pour se prêter à la lecture communautaire. Le seul manuscrit qui résulte d’une contamination de β par α est un légendier : réalisé à Saint-Germain-des-Prés (R = Rouen, BM 1379 (U. 42), fol. 64r-68v et le quatrième manuscrit utilisé par E. D’Angelo), il prouve que β résulte pour partie de l’impératif d’insérer le cycle ombrien dans des légendiers non-italiens, tout en le rendant propre à la lecture liturgique.

5La branche β donne pour finir naissance aux deux réinterprétations qu’on a signalées soit BHL 1621 (éditée p. 37-50) au cours du xiie siècle et un abrégé dit BHL 1622 (édité p. 51-55) qui serait du xive siècle. La Passion de saint Anastase et de ses compagnons (BHL 1621) résulte d’un ajustement au goût du xiie siècle pour l’hagiographie spirituelle. La narration a perdu tout ce qu’elle avait de heurté dans la version initiale et s’agrémente de citations bibliques. Le traitement d’une unique phrase permet de le sentir sans avoir besoin d’insister. G. S. Saiani du reste n’étudie pas en détail les procédés de réécriture :

6BHL 1620 : « Et quand ses fils et neveux [ceux d’Anastase qui vient d’être décapité] eurent vu une telle persécution contre les chrétiens, ils prirent la fuite et s’éloignèrent de la ville de Rome. Et ils arrivèrent en un lieu qu’on appelle via Cornelia, mais que d’autres nomment Paix des saints ; et ils se réconfortèrent et se donnèrent mutuellement un saint baiser. », éd. Saiani p. 5.

7BHL 1621 : « Or quand ses fils et neveux eurent vu qu’avait été lancée une si grande persécution à l’égard des chrétiens, ils résolurent d’échapper à la première occasion aux mains des bourreaux et, sortis de Rome, arrivèrent en ce lieu qui porte aujourd’hui encore le nom de Paix des saints mais qu’on appelle aussi via Cornelia – ils n’avaient pas oublié de fait ce commandement où leur Seigneur dit : Si on vous persécute dans une cité, fuyez dans une autre [Mt 10, 23] ; en ce lieu, après s’être embrassés les uns les autres, ils se séparèrent pour éviter, en cheminant de conserve, d’être capturés et condamnés par cette effroyable persécution », éd. Saiani p. 41.

8L’étude philologique est précédée par une mise au point bibliographique exhaustive, qui conduit à quelques conclusions judicieuses sur le contexte de rédaction de la Passion. G. S. Saiani fait observer qu’il n’y a pas trace des Syriens dans le légendier de Farfa de la deuxième moitié du ixe siècle (Roma, Biblioteca Nazionale Centrale, Farfensis 29) qui réunit pourtant de nombreux textes ombriens : l’hypothèse d’une création de la Passion à Farfa devient dès lors difficile à défendre, quels que soient les liens idéologiques et politiques qui unissent Spolète et le duché de Bénévent (contra Emore Paoli, « I santi siri dell’Umbria e della Sabina », dans Id., Agiografia e strategie politico-religiose, Spoleto, Centro italiano di studi sull'alto medioevo (Biblioteca del Centro per il collegamento degli studi medievali e umanistici in Umbria, 19), 1997, p. 3-50, et d’autres). L’évidente focalisation régionale du cycle est une invitation à en situer plutôt la composition dans un monastère ombrien, pourquoi pas à Sant’Eutizio.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Céline Isaïa, « La Passio xii fratrum qui e Syria venerunt. Edizione critica e introduzione Gaia Sofia Saiani (éd.) »Cahiers de civilisation médiévale, 261 | 2023, 116-117.

Référence électronique

Marie-Céline Isaïa, « La Passio xii fratrum qui e Syria venerunt. Edizione critica e introduzione Gaia Sofia Saiani (éd.) »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 261 | 2023, mis en ligne le 01 août 2023, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/12996 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.12996

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Auteur

Marie-Céline Isaïa

IUF, Université de Lyon, Jean-Moulin Lyon 3, CIHAM UMR 5648

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